Aspects des contrats de coalition gouvernementale en Allemagne (1998-2009), textes présentés par Armel Le Divellec

On considère volontiers, en France notamment, que le système parlementaire de la République fédérale d'Allemagne se caractérise avant tout par sa très forte "rationalisation" entendue au sens défini naguère par Boris Mirkine-Guetzévitch, c'est-à -dire par la codification rigoureuse, à  travers des règles juridiques précises, des mécanismes relationnels entre les organes constitutionnels (essentiellement le Parlement et le Gouvernement). Si cette façon de voir n'est pas complètement fausse, elle est toutefois réductrice et surtout très incomplète : quoi qu'il en soit des règles juridiques formelles établies par la Loi fondamentale, le parlementarisme allemand se signale peut-être surtout par l'importance de ses règles informelles et ses pratiques politiques fort éloignées de l'image simpliste de la "démocratie du Chancelier" (Kanzlerdemokratie) dont on l'affuble généralement. Les gouvernements parlementaires allemands sont, au niveau fédéral et presque toujours au niveau des Länder, des gouvernements de coalition, dont le fonctionnement concret nécessite des formes d'organisation politique complexes et subtiles. En pratique s'est développé, entre les partis politiques décidant de gouverner ensemble, l'usage des "contrats de coalition" (Koalitionsvertrag) destinés à  formaliser leur coopération au Parlement et au Gouvernement. Ceux-ci détaillent non seulement le programme des mesures que comptent prendre les partenaires gouvernementaux, mais également les formes que doivent revêtir, en marge des règles juridiques posées par la Constitution, les processus de décision concrets, en particulier le "comité de coalition" (Koalitionsausschuss) qui réunit les dirigeants de la majorité gouvernementale et fait office d'instance majeure dans le processus de décision[1].

Les documents qui suivent contiennent, en traduction française, des extraits des contrats de coalition signés :

- en 1998 entre les partis social-démocrate (SPD) et écologiste (Die Grünen):

- en 2005 entre les parti chrétiens-démocrate (CDU), chrétien-social (CSU) et le SPD:

- en 2009 entre la CDU/CSU et le parti libéral (FDP):

Les derniers paragraphes spécifiant les méthodes de travail de la coalition sont reproduits intégralement. On pourra noter que, très significativement, les formules sont presque identiques d’une coalition à  l’autre.

Armel Le Divellec

Contrat de coalition entre le SPD et les Verts

14e législature (octobre 1998)

<doc174|center>

Contrat de coalition entre la CDU, la CSU et le SPD

16e législature (novembre 2005) (extraits)

C. Méthodes de travail de la coalition

I. Coopération des partis

Cet accord de coalition vaut pour la durée de la 16e législature. Les partenaires de la coalition s'engagent à  transposer cet accord dans l'action gouvernementale. Les partenaires portent conjointement la responsabilité pour l'ensemble de la politique de la coalition.

Les partenaires de coalition CDU, CSU et SPD se concerteront de façon permanente et complète dans leur travail au Parlement et au Gouvernement et établiront un consensus dans les questions procédurales, de fond et personnelles. Les partenaires de la coalition se rencontrent régulièrement au moins une fois par mois dans des discussions de coalition (Koalitionsgespräche) au sein du comité de coalition (Koalitionsausschuss). Ce dernier se réunit par ailleurs à  la demande de l'un des partenaires de coalition.

Il discute des questions d'importance fondamentale qui doivent être concertées entre les partenaires de coalition et il recherche le consensus en cas de conflits. Sont membres de ce comité le Chancelier, le vice-Chancelier, les présidents des groupes parlementaires (pour la CDU/CSU, également le premier vice-président du groupe) et, dans la mesure où ils n’en sont pas déjà  membres, les présidents des partis.

II. Coopération des groupes parlementaires

Les groupes parlementaires de la coalition votent de manière unitaire au Bundestag et dans toutes les instances dépendant de lui. Cela vaut également pour des questions qui ne font pas l'objet de la politique concertée (i.e. par le contrat de coalition). Les majorités changeantes (wechselnde Mehrheiten) sont exclues.

Un accord sera établi entre les groupes de la coalition sur la procédure et le travail au Parlement. Les propositions de motions, propositions de loi et questions au niveau des groupes sont déposées de façon conjointe ou, de façon exceptionnelle, d'un commun accord. Les groupes de la coalition adopteront sur ce point un accord formalisé (Vereinbarung).

III. Gouvernement fédéral

1. Travail au sein du Cabinet

Au sein du Cabinet, aucun partenaire ne sera mis en minorité dans les questions qui sont d'une importance fondamentale pour l'un des partenaires de la coalition. Un comportement concerté sera établi dans les instances de l'Union européenne. Les partenaires de la coalition sont représentés dans tous les comités de travail du Cabinet et toutes les instances dépendant du Cabinet, dans la mesure où le nombre de représentants de la Fédération le permet. La composition des commissions, conseils etc.. auprès du Cabinet se déroule d'un commun accord.

2. Taille du Cabinet

Le pouvoir d’organisation (Organisationsgewalt) appartient au Chancelier fédéral. Des modifications d’importance dans la délimitation des départements ministériels durant la législature seront réglées de façon concertée entre les partenaires de la coalition.

3. Répartition des ministères

Le poste de Chancelier fédéral est dévolu à  la CDU/CSU.

Le poste de vice-Chancelier est dévolu au SPD.

La CDU/CSU détiendra la direction des ministères suivants : Économie et technologie ; Intérieur ; Défense ; Famille, séniors, femmes et jeunesse ; Éducation et recherche ; Alimentation, agriculture et protection des consommateurs

Le Chef de la Chancellerie fédérale ayant rang de Ministre fédéral sera détenu par la CDU/CSU.

Le SPD détiendra la direction des ministères suivants : Affaires étrangères ; Finances ; Justice ; Coopération économique et développement ; Travail et affaires sociales ; Santé ; Transports, construction et urbanisme ; Environnement, protection de la nature et sécurité nucléaire ;

Le droit de proposition pour chaque poste appartient à  chaque parti responsable.

La CDU/CSU et le SPD détiendront chacun un nombre identique de secrétaires d’État parlementaires et de ministres d’État. Il en sera de même pour les Délégués (Beauftragte) du Gouvernement fédéral.

Le droit de proposition pour les secrétaires d’État parlementaires et fonctionnaires, de même que pour les ministres d’État, appartient à  chaque ministre fédéral concerné.

(Traduction ALD)

Contrat de coalition entre la CDU, la CSU et le FDP

17e législature (octobre 2009)

Préambule

I. Prospérité pour tous (Wohlstand für Alle) [2]

II. République formatrice d'Allemagne (Bildungsrepublik Deutschland)

III. Progrès social

IV. Liberté et sûreté

V. Une paix sûre

VI. Procédures et postes[3]

--------------------------------------------

VI. Méthodes de travail de la coalition

1. Coopération des partis

Cet accord de coalition vaut pour la durée de la 17e législature. Les partenaires de la coalition s'engagent à  transposer cet accord dans l'action gouvernementale. Les partenaires portent conjointement la responsabilité pour l'ensemble de la politique de la coalition.

Les partenaires de coalition CDU, CSU et FDP se concerteront de façon permanente et complète dans leur travail au Parlement et au Gouvernement et établiront un consensus dans les questions procédurales, de fond et personnelles. Les partenaires de la coalition se rencontrent régulièrement au début de chaque semaine de session dans des discussions de coalition (Koalitionsgespräche) au sein du comité de coalition (Koalitionsausschuss). Ce dernier se réunit par ailleurs à  la demande d'un partenaire de coalition. Il discute des questions d'importance fondamentale qui doivent être concertées entre les partenaires de coalition et il recherche le consensus en cas de conflits. Sont membres de ce comité les présidents des partis, les présidents des groupes parlementaires (au Bundestag), les secrétaires généraux (des partis), les premiers secrétaires (des groupes), le chef de l'Office de la Chancellerie fédérale, le Ministre fédéral des finances ainsi qu'un autre membre désigné par le FDP.

2. Coopération des groupes parlementaires

Les groupes parlementaires de la coalition votent de manière unitaire au Bundestag et dans toutes les instances dépendant de lui. Cela vaut également pour des questions qui ne font pas l'objet de la politique concertée (i.e. par le contrat de coalition). Les majorités changeantes (wechselnde Mehrheiten) sont exclues. Un accord sera établi entre les groupes de la coalition sur la procédure et le travail au Parlement. Les propositions de motions, propositions de loi et questions au niveau des groupes sont déposées de façon conjointe ou, de façon exceptionnelle, d'un commun accord.

3. Gouvernement fédéral

3.1 Travail au sein du Cabinet

Au sein du Cabinet, aucun partenaire ne sera mis en minorité dans les questions qui sont d'une importance fondamentale pour l'un des partenaires de la coalition. Un comportement concerté sera établi dans les instances de l'Union européenne. Les partenaires de la coalition sont représentés selon une clé de répartition fixée à  l'avance dans tous les comités de travail du Cabinet et toutes les instances dépendant du Cabinet. La composition des commissions, conseils etc.. auprès du Cabinet se déroule d'un commun accord d'après une clé de répartition fixée à  l'avance.

3.2 Répartition des ministères

La CDU et la CSU détiennent le poste de Chancelier fédéral et les postes de ministre dans les domaines suivants : Intérieur, Finances, Défense; Travail et affaires sociales; Education et recherche; Famille, femmes, Personnes âgées et jeunesse; Alimentation, agriculture et protection des consommateurs; Construction, logement et circulation; Environnement, protection de la nature et sûreté nucléaire; Ministère pour affaires particulières à  la Chancellerie fédérale.

Le FDP détient les postes de ministre dans les domaines suivants : affaires extérieures; justice; Economie et technologie; Santé; Coopération économique et développement.

Le droit de proposition pour chacun de ces postes appartient au parti responsable.

(Traduction ALD)

Pour citer cet article :
«Aspects des contrats de coalition gouvernementale en Allemagne (1998-2009), textes présentés par Armel Le Divellec », Jus Politicum, n° 3 [https://juspoliticum.com/article/Aspects-des-contrats-de-coalition-gouvernementale-en-Allemagne-1998-2009-textes-presentes-par-Armel-Le-Divellec-169.html]