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our célébrer le 50e anniversaire de la mort de René Capitant (1901–1970), l’Institut Michel Villey avait voulu consacrer une « Journée René Capitant » qui aurait dû avoir lieu en décembre 2020. La situation sanitaire résultant de la pandémie a entraîné son annulation mais les personnes pressenties pour y participer ont eu la grande gentillesse d’accepter de rendre un article pour ce numéro spécial et elles doivent ici en être vivement remerciées.

Dans ce numéro spécial, il n’était pas question de « célébrer » René Capitant uniquement pour le célébrer, mais il s’agissait bien plutôt de faire mieux connaître non seulement son œuvre, mais aussi son action. La conviction sous-jacente à une telle entreprise était celle selon laquelle ce grand juriste, le plus grand « espoir » du droit public d’avant-guerre, avait certes basculé dans la politique en devenant un gaulliste intransigeant, mais sans pour autant renier l’universitaire qu’il était demeuré, le théoricien même qui tentait de penser sa pratique. On dira que c’est bien connu et qu’il n’était pas nécessaire de consacrer un colloque entier et un numéro entier pour répéter ce qu’on savait déjà et ce qui a déjà été constaté par tant d’auteurs (notamment par Léo Hamon ou Gérard Conac). Mais le pari de ce colloque était précisément de montrer d’autres facettes de la vie et de l’œuvre de Capitant en saisissant le 50e anniversaire de sa mort comme une excellente occasion pour signaler à nos lecteurs l’intérêt de son œuvre et de son action.

Il ressort de l’ensemble des contributions ici rassemblées que trois thèmes fort peu explorés jusqu’à présent, ou en tout cas pas de façon aussi approfondie, ressortent clairement.

Le premier est incontestablement l’action de René Capitant sous la IVe République. Certes, on triche un peu avec la chronologie en insérant l’étude – faite par Benjamin Fargeaud – de l’action de Capitant lors de l’élaboration de la constitution de 1946. Celle-ci lui a valu la vindicte des communistes et des socialistes qui n’ont pas apprécié son opposition irréductible à une telle constitution. Tout aussi important est l’examen, mené par Jean-Félix de Bujadoux de son œuvre de théoricien constitutionnel au sein du Rassemblement du peuple français. On voit ici apparaître l’évolution de la pensée constitutionnelle de Capitant à partir du renouvellement qu’il fait de la notion de régime parlementaire.

Le second thème est ce qu’on pourrait appeler le rapport entre Capitant et le Japon. En effet, la marque laissée par lui lors de ces trois années à Tokyo (1957–1960) a été profonde comme le montre l’émouvant témoignage de son ancien élève, Yoichi Higuchi, devenu depuis lors un des maîtres du droit constitutionnel japonais, dans un article paru en 1972 au Japon et traduit ici en français pour la première fois. En outre, la consultation des archives privées de Capitant et de documents conservés à la Maison franco-japonaise par un jeune chercheur japonais, Nobuyki Takahashi a permis de lever le voile sur la façon dont René Capitant à des milliers de kilomètres a suivi la genèse et les deux premières années de la constitution de 1958. On retiendra notamment l’effort fait par ce dernier pour réfuter, dans les médias japonais de l’époque, l’idée selon laquelle de Gaulle aurait été un « fasciste ».

Enfin, le dernier thème n’est pas inconnu, bien au contraire, car c’est le volet qui concerne la question sociale chez René Capitant qui était un « gaulliste de gauche ». Les deux études très substantielles d’Alain Laquièze et de Clément Gaubard apportent un éclairage aussi nouveau que riche de cette pensée sociale qui faisait la marque de Capitant et permettent d’expliquer en quoi consistait cette fameuse idée de « participation » que Pompidou exécrait.

Toutefois, il aurait paru un peu curieux que l’on passe sous silence son œuvre de constitutionnaliste sous la Ve République. C’est pourquoi la belle synthèse de Jean-Marie Denquin s’imposait.

Ce dernier mot de l’organisateur du « colloque-qui-n’a-pas-eu-lieu » vise à remercier pour leur très beau travail éditorial de Thibault Desmoulins (nouveau Secrétaire général de l’Institut Villey) et de Martin Hullebroek, son « assistant ».

 

Olivier Beaud

Professeur de droit public à l’Université de Panthéon-Assas. Directeur adjoint de l’Institut Michel Villey.

Pour citer cet article :
Olivier Beaud «Avant-propos », Jus Politicum, n° 26 [https://juspoliticum.com/article/Avant-propos-1400.html]