Cour de justice de la République : pour qui sonne le glas ?

Thèmes : République

[MàJ du 2 février 2017] Pour une perspective actualisée sur cette thématique, nous prenons la liberté de renvoyer le lecteur à notre ouvrage Juger les politiques ? La Cour de Justice de la République, Paris, Dalloz, coll. Droit politique, 2017. [Pr C. Guérin-Bargues]

La CJR est récemment réapparue sur le devant de la scène, à  diverses occasions : affaire Karachi, arbitrage en faveur de Bernard Tapie ou encore, dans une perspective de rénovation institutionnelle, projet de loi constitutionnelle du 14 mars 2013 envisageant la suppression de ladite juridiction. A travers une analyse de son statut juridique et une étude exhaustive de sa jurisprudence - notamment de la décision Pasqua du 30 avril 2010 - le présent article s’attache à  mettre en évidence les faiblesses de la juridiction : atypisme de ses organes constitutifs, compétence à  géométrie variable, résurgence régulière d’une justice fondamentalement politique, contrôle pratiquement inexistant de la Cour de cassation. Il propose également une lecture critique du projet de loi constitutionnelle et rappelle la nécessité de réintroduire la compétence des tribunaux ordinaires pour juger des actes volontaires, délictueux ou criminels, commis par les ministres, dans l’exercice de leurs fonctions.

[Update 2/2/2018] For an updated perspective on this topic, please refer to our book published ever since : Juger les politiques ? La Cour de Justice de la République, Paris, Dalloz, coll. Droit politique, 2017. [Pr C. Guérin-Bargues]

The french Law Court of the Republic : for whom the bell tolls ? The french Law Court of the Republic has recently reappeared back on stage, on various occasions : the Karachi affair, arbitration in favor of Bernard Tapie or, in the perspective of an institutional transformation, the draft constitutional law of March 14th 2013 which contemplated removing this Court.. Through an analysis on its legal status and an exhaustive study of its case law – especially the Pasqua decision of April 30th 2010 – this article seeks to highlight the weakness of the Court : atypical constituent bodies, geometrically variable competencies, regular recurrence of a Law fundamentally political, practically nonexistent control of the french Court of Cassation. It also proposes a critical reading of the draft constitutional law and reminds the need to reintroduce the jurisdiction of ordinary tribunals to judge voluntary acts, criminals or not, committed by Ministers in the course of their duties.

Der Gerichtshof der Republik (Cour de justice de la République ) : wem die Stunde schlägt ? Der französische Gerichtshof der Republik ist neulich wegen verschiedenen Gerichtsverfahren wieder ans Licht des öffentlichen Interesse geraten. Ein verfassungsändernder Entwurf aus dem Jahre 2013 zielte ausserdem auf seine Abschaffung ab. Eine ausführliche Analyse seines Rechtsstatus und seiner Rechtsprechung zeigt die Schwächen dieses Gerichts auf : atypische Organisation, wechselnde Zuständigkeiten, immer wiederkehrende Tendenz zur politischen Justiz, schwache Kontrolle des Kassationsgerichtshofs. Eine Reform zugunsten der Zuständigkeit der ordentlichen Gerichtsbarkeit für jegliche Straftaten der im Amt handelnden Minister erscheint folglich rechtspolitisch als wünschenswert.

Alors qu’on envisageait encore récemment la suppression de la Cour de Justice de la République, l’affaire dite de Karachi1], après celle du très contesté arbitrage en faveur de Bernard Tapie, a eu pour effet de la remettre au cœur du débat public. Vingt ans après la création critiquée de la juridiction [2], son actualité incite à  en dresser le bilan. Certes, le récent projet de loi constitutionnelle relatif à  la responsabilité juridictionnelle du Président de la République et des membres du gouvernement[3], qui préconise notamment la disparition de la Cour de Justice de la République (C. J. R.), ne semble guère susceptible d’aboutir dans l’immédiat. Rares sont pourtant les parlementaires ou les membres de la doctrine enclins à  s’opposer à  cette réforme probablement souhaitable.[4] Mais il s’agit surtout ici d’éviter un parallélisme des formes qui pourrait se révéler hasardeux : la C. J. R. ayant déjà  été créée dans la précipitation pour faire face à  la tragédie du sang contaminé, tentons au moins d’en évaluer l’action avant de penser son éventuelle suppression.

L’exercice s’impose d’autant plus que, passée l’affaire du sang contaminé, la juridiction n’a plus guère suscité d’intérêt. Ce relatif silence doctrinal n’est probablement pas fortuit. Il s’explique non seulement par le nombre restreint d’arrêts rendus par la formation de jugement[5], mais aussi et surtout par la difficulté à  se les procurer. Contrairement aux autres hautes juridictions et commissions juridictionnelles qui figurent sur le site de la Cour de cassation, la C. J. R. ne dispose pas de site où sa jurisprudence pourrait être consultée. Les arrêts de sa commission des requêtes, de sa commission d’instruction ou encore de sa formation de jugement ne font par ailleurs l’objet d’aucune publication sur Légifrance. Pour les obtenir, il convient en conséquence de prendre directement contact avec la juridiction et, si possible, de se rendre dans l’hôtel particulier où elle siège, rue de Constantine à  Paris. Si on y est très aimablement reçu[6], un tel souci de discrétion s’agissant de décisions juridictionnelles mettant en cause des membres ou anciens membres du gouvernement pour des crimes ou des délits commis dans l'exercice de leurs fonctions , n’en laisse pas moins songeur….

Juridiction propre aux membres du gouvernement, la C. J. R. permet à  ces derniers de répondre, sur le fondement d’une responsabilité purement pénale, d’actes accomplis pendant l’exercice et dans le cadre de leurs fonctions ministérielles.[7] Bien que les décisions de la C. J. R. soient extrêmement rares au regard des dizaines de plaintes déposées chaque année contre les ministres par leurs victimes supposées,[8] l’abondance des moyens développés par les parties et le caractère récurrent des pourvois devant la Cour de cassation permettent aujourd’hui de préciser et d’apprécier le mode de fonctionnement de cette juridiction très particulière. À l’heure où l’existence même de la juridiction se trouve remise en cause, il ne suffit plus en effet de se prononcer sur sa légitimité. Il convient de se confronter à  son activité qui, bien que modeste, n’en demeure pas moins riche d’enseignements sur l’intérêt d’une juridiction dont la création fut en son temps largement improvisée et dont la vie a été marquée par des bricolages successifs.

La C. J. R. est née de l’effet désastreux qu’ont eu sur l’opinion publique les décisions de non-lieu prises par la Haute Cour de Justice non seulement dans l’affaire dite « carrefour du développement »[9], mais aussi et surtout dans celle du sang contaminé,[10] les hommes politiques étant alors accusés d’utiliser la lourdeur de la procédure[11] pour assurer leur impunité de fait.[12] François Mitterrand, Président de la République, ayant entre temps reconnu le caractère « boiteux, bâtard et mal fichu » du mécanisme,[13] le Comité Vedel fut notamment chargé de proposer une réforme de la Haute Cour de Justice. Il préconisa la création d’une Cour de Justice, distincte de la Haute Cour qui resterait compétente pour juger du seul Président de la République en cas de haute trahison.[14] Il s’agissait de mettre en place une juridiction de compromis, « proche des juridictions ordinaires mais néanmoins spécifique »[15] qui serait à  la fois de nature à  dissiper le sentiment d’impunité de fait des membres du gouvernement et à  éviter le risque de paralysie de l’action gouvernementale inhérent à  la soumission pure et simple des ministres au droit commun.[16]

Un projet de révision constitutionnelle s’inspirant des travaux du comité consultatif fut donc déposé, le 11 mars 1993, sur le bureau du Sénat. Le gouvernement de cohabitation, issu des élections législatives des 21 et 28 mars, décida la poursuite de la révision constitutionnelle, visant notamment la création d’une nouvelle juridiction, compétente pour juger des crimes et délits commis par les membres du gouvernement, dans l’exercice de leurs fonctions.[17] Après de vives discussions entre Assemblée nationale et Sénat, qui transcendèrent assez largement les clivages partisans,[18] la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993 est adoptée, par le parlement réuni en Congrès, à  une très large majorité.[19] Elle opère une dissociation entre le statut juridique du Président de la République et celui des membres du gouvernement, en instituant pour traiter du cas de ces derniers la C. J. R (article 68-1 de la Constitution[20]). L’article 68-2 prévoit quant à  lui la participation de douze parlementaires et de trois magistrats à  cette juridiction spéciale, ainsi que sa saisine via un organe original, la commission des requêtes.[21] Il s’agit donc, dans sa conception même, d’une juridiction de compromis masquant des intentions contradictoires, rapprochant des logiques contraires, et s’efforçant de concilier justice et politique.[22] Enfin, signe que la C. J. R. est bien la « fille naturelle de l’affaire du sang contaminé »[23] l’article 68-3 prévoit de manière très curieuse que les dispositions instituant la C. J. R. sont applicables aux faits commis avant son entrée en vigueur. L’adoption de la loi organique du 23 novembre 1993[24] qui vient compléter le dispositif est beaucoup moins débattue[25], un peu comme si l’actualité brulante du sang contaminé exigeait qu’on en finisse.[26]

Symptôme pour certains d’une substitution contestable de la responsabilité pénale à  la responsabilité politique lors de l’affaire du sang contaminé[27], la C. J. R. bénéficie d’un statut juridique qui, pour avoir été prévu par la loi organique du 23 novembre 1993[28], n’en n’a pas moins été largement improvisé au gré des solutions d’espèces et demeure à  bien des égards contestable (I). Cette juridiction spéciale pose dès lors des problèmes récurrents que les décisions Gillibert, Royal et surtout Pasqua sont venues confirmer (II). Mais faut-il pour autant, ainsi que l’envisage le projet de révision constitutionnelle, tirer un trait sur ladite juridiction et engager la responsabilité pénale des ministres dans des conditions qui relèvent quasi entièrement du droit commun ? (III)

 

I. Une affaire mal engagée

 

En créant la C. J. R., la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993 s’est efforcée de rapprocher le régime juridique des actes délictueux ou criminels, commis par les ministres dans l’exercice de leurs fonctions, du droit commun : application du droit pénal et de la procédure pénale, exclusion des parlementaires de la commission des requêtes comme de la commission d’instruction, présence de trois magistrats de l’ordre judiciaire aux côtés des douze parlementaires au sein de la juridiction de jugement, pouvoir de déclencher les poursuites dévolu au Procureur général près la Cour de cassation ou encore possibilité de pourvoi en cassation devant l’assemblée plénière de cette même Cour. La jurisprudence intervenue cette dernière décennie n’en continue pas moins de témoigner du caractère résolument atypique de l’institution et de susciter de multiples interrogations. La première d’entre elles porte sur la compétence même de la C. J. R. (A), tandis que la seconde renvoie à  la difficulté à  déterminer la nature juridique de chacune de ses composantes (B).

A) Une compétence à  géométrie variable

L’attitude du politique confronté à  une procédure judiciaire est souvent pour le juriste source de surprise, sinon d’inquiétude. Alors que ni l’article 68-1 de la Constitution, ni la loi organique du 23 novembre 1993 ne dérogent au principe selon lequel il revient au juge d’apprécier la portée de sa propre compétence[29], on a ainsi pu voir, à  plusieurs reprises, des ministres revendiquer la compétence de la C. J. R. ou au contraire s’enorgueillir d’y renoncer au risque d’ailleurs de corroborer le soupçon de partialité qui pèse sur l’institution[30]. Au-delà  de la stratégie d’affichage de l’homme politique, comment expliquer par exemple que la C. J. R. ait été saisie de l’affaire Pasqua, alors qu’elle n’a eu à  traiter ni du cas de Roland Dumas dans l’affaire Elf[31], ni, plus récemment, de celui de Dominique de Villepin, dans l’affaire Clearstream[32] ? Ce traitement différencié s’explique en réalité par les conditions posées par l’article 68-1 de la Constitution : relèvent de la compétence exclusive de la C. J. R.[33] les seuls crimes et délits qui satisfont à  la fois un critère organique tiré de la qualité, actuelle ou passée, de membre du gouvernement et un critère matériel, en vertu duquel les infractions doivent avoir été commises dans l’exercice des fonctions gouvernementales.[34] L’étroitesse de la compétence personnelle de la C. J. R. (1) s’accompagne dès lors d’une relative imprécision de sa compétence matérielle (2).

1. L’étroitesse de la compétence personnelle

Alors que l’alinéa 2 l'article 68 de la Constitution incluait jadis, dans la compétence de la Haute Cour de justice les « complices » des membres du Gouvernement en cas de « complot contre la sûreté de l'État », ni la [loi constitutionnelle du 27 juillet 1993, ni la loi organique du 23 novembre 1993 ne font mention des coauteurs ou complices de l’infraction reprochée au ministre. Les constituants de 1993 ont en effet limité la compétence de la C. J. R. aux seuls membres du gouvernement (Premier ministre, ministres d’État, ministres, ministres délégués, secrétaires d’État), anciens ou actuels. Une telle limitation ne peut que surprendre au regard du rôle croissant qu’exercent certains directeurs de cabinet ou conseillers ministériels35]. Ne pouvant être mis en examen par la commission d'instruction de la C. J. R., coauteurs et complices sont donc jugés par les juridictions de droit commun [36]. Cette exception délibérée[37] au principe de l'indivisibilité des poursuites n’est pas sans poser de sérieux problèmes.

Le premier réside dans la difficulté pour la C. J. R. à  entendre comme témoins des coauteurs ou complices, poursuivis pour les mêmes faits devant une juridiction de droit commun. Afin d’éviter de porter atteinte à  l’équité du procès en les contraignant à  s’auto incriminer, la Cour a accepté, dès l’affaire du sang contaminé, de les dispenser de serment et de les autoriser à  déposer en présence de leur avocat. Ce faisant, elle leur a permis de bénéficier des facilités offertes au témoin assisté, sans pour autant leur en reconnaitre le statut[38]. La différence de traitement qui en découle entre les personnes entendues n’en est pas moins susceptible de nuire à  la qualité et à  la cohérence des débats.[39]

De manière plus problématique encore, il en résulte parfois une situation où deux juridictions distinctes sont amenées à  juger pénalement des mêmes faits, la première se consacrant aux faits reprochés au ministre, l’autre à  ceux commis par les coauteurs ou complices, au risque d’aboutir à  des contradictions de jurisprudence. L’illustration la plus flagrante réside dans le traitement réservé par la C. J. R. à  l’affaire du casino d’Annemasse mettant en cause Charles Pasqua. Ce volant de l’affaire posait la question de l’existence d’un pacte de corruption du fait des conditions anormales dans lesquelles l’autorisation d’exploiter ledit casino avait été délivrée à  Robert Feliciaggi et Michel Tomi, deux proches de celui qui était alors ministre de l’intérieur. L’accord avait en effet été donné, alors qu’il avait préalablement fait l’objet d’un refus par deux ministres de l’intérieur successifs[40] et souffrait de trois avis défavorables de la Commission supérieure des jeux[41]. Cinq ans plus tard, Marthe Mondoloni, fille de Michel Tomi et candidate placée en position non éligible sur la liste de Ch. Pasqua aux élections européennes, apportait à  la campagne une somme considérable représentant près de 60 % des fonds versés par l’ensemble des candidats de la liste. La C. J. R., dans son arrêt du 30 avril 2010, tout en reconnaissant qu’il « est certain qu’en accordant son autorisation, Charles Pasqua (…) a voulu favoriser un ami de longue date » et que ce dernier a voulu « l’aider financièrement (…) par l’intermédiaire de sa fille », considère qu’il « n’est pas établi que le service rendu à  cette occasion ait conditionné l’autorisation accordée en 1994 par le ministre ». En conséquence, l’ancien ministre est relaxé du chef du délit de corruption passive qui lui était reproché. Or, six mois auparavant, dans le volet non ministériel de l'affaire du casino d'Annemasse, la Cour d’appel de Paris[42] avait condamné Ch. Pasqua à  18 mois de prison avec sursis pour financement illégal de sa campagne aux élections européennes de 1999. Etait ainsi confirmée la peine prononcée par le tribunal correctionnel « en raison de la multiplicité et de la gravité des infractions commises dont certaines portent atteinte aux principes démocratiques, et de l'intérêt personnel que le prévenu en a retiré ». Parallèlement, Michel Tomi et sa fille se voyaient infliger par la même Cour des peines de prison pour délit de corruption active à  l’encontre de Ch. Pasqua. Or, comme le souligne d’ailleurs le Premier avocat général se prononçant en faveur de la cassation de l’arrêt de la C. J. R, si l’agent a été corrupteur, le ministre est nécessairement corrompu. Il s’agit là  « d’un couple dont la culpabilité est indissociable »[43]. Pourtant, tandis que la juridiction de droit commun établit l’existence d’un pacte de corruption, la juridiction d’exception qui se prononce quelques mois plus tard sur les mêmes faits n’hésite pas à  en nier la réalité…

Compliquant l’administration de la preuve et mettant en péril la cohérence d’ensemble des décisions juridictionnelles, l’étroitesse de la compétence personnelle de la C. J. R. a également pour effet de fragiliser la légitimité de ses décisions, tout en accroissant les risques de contestation des décisions prises par les juridictions de droit commun. Ainsi, dans l’affaire Pasqua, les motivations contradictoires de la C. J. R. et de la Cour d’appel de Paris furent à  l’origine du premier pourvoi en cassation initié par le procureur général à  l’encontre d’un arrêt de la C. J. R[44]. De surcroît, la thèse de l’inexistence du pacte de corruption soutenue par la C. J. R. n’a pas échappé à  Michel Tomi qui a déposé une demande de révision de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 18 septembre 2009, motif pris du doute sur sa culpabilité engendré par l’arrêt de la CJR du 30 avril 2010[45]. La demande a néanmoins été rejetée le 6 juin 2011 par la commission de révision des condamnations pénales. Sacrifiant la logique sur l’autel de la rigueur juridique, celle-ci s’est en effet retranchée derrière l’absence d’identité des délits (corruption active devant la Cour d’appel de Paris ; corruption passive devant la C. J. R.) pour estimer que les faits de corruption pouvaient légitimement faire l’objet d’une appréciation différente par chacune des juridictions. [46]

Si la compétence rationae personae de la C. J. R. apparait de la sorte clairement - sinon excessivement - circonscrite, les contours de sa compétence matérielle demeurent en revanche plus difficiles à  cerner.

 

2. L’imprécision de la compétence matérielle

Bien que la création de la C. J. R. ait eu vocation à  faciliter l’engagement de la responsabilité des ministres sans pour autant soumettre purement et simplement l’action publique au droit commun[47], la compétence matérielle de ladite Cour a été très vite limitée par la jurisprudence de la Cour de cassation. Du temps de la Haute cour de justice, le ministre bénéficiait en effet d’un privilège de juridiction absolu, puisque tout acte accompli pendant l’exercice de ses fonctions était considéré comme ayant été accompli dans l’exercice de ses fonctions[48]. Loin de ce critère temporel, la Cour de cassation a précisé que les actes justiciables de la C. J. R. en vertu de l’article 68-1 de la Constitution sont ceux qui ont « un lien direct »[49] ou encore « un rapport direct avec la conduite des affaires de l’État »[50]. C’est donc dorénavant un critère matériel qui prévaut: la compétence de la C. J. R. ne saurait s’étendre aux actes dont la commission est seulement concomitante à  l’exercice d’une fonction ministérielle ou aux actes qui ne sont commis par des ministres qu’à  l’occasion de l’exercice de leurs fonctions.[51]

L’application de ce critère est souvent relativement simple. Ainsi, dans l’hypothèse où Éric Woerth[52] se serait livré à  une prise illégale d’intérêt dans le cadre de la vente du golf et de l'hippodrome de Compiègne, c’est en tant que ministre du budget et autorité de tutelle de France Domaine chargé de l’estimation de la parcelle litigieuse qu’il aurait agi[53]. Un constat identique pourrait être fait à  propos de Christine Lagarde : ce n’est que par la C. J. R. qu’elle pouvait être entendue à  propos de la sentence arbitrale largement favorable à  Bernard Tapie[54]. Il lui est en effet reproché de s’être abstenue d’intenter un recours à  l’encontre de cette dernière, alors qu’elle était ministre de l’économie et autorité de tutelle de l'Établissement public de financement et de restructuration (EPFR), détenteur à  100 % du Consortium de réalisation du Crédit lyonnais (CDR) - une des parties à  l'arbitrage controversé.

Il arrive toutefois que la compétence de la C. J. R. n’aille pas de soi. Ainsi, il y a quelques années, il fut reproché à  Roland Dumas de s’être rendu coupable et complice d’abus de biens sociaux pour avoir notamment incité la société Elf Aquitaine à  recruter sa maitresse, alors qu’il était ministre des affaires étrangères. En raison de l’incidence qu’avait probablement eu le statut ministériel du mis en cause sur la décision d’Elf, il aurait pu être soutenu que l’affaire ressortissait de la compétence de la C. J. R. Ce raisonnement fut d’ailleurs au fondement d’un pourvoi exercé contre l’arrêt de la chambre d’accusation qui avait écarté l’exception d’incompétence des juridictions de droit commun. La Cour de cassation a néanmoins rejeté le pourvoi, au motif que la chambre d’accusation avait fait une exacte application des articles 20 et 68-1 de la Constitution, en considérant que « les chefs d’accusation de Roland Dumas, qui n’avait pas dans ses attributions la tutelle des sociétés Elf, n’ont aucun lien direct avec la détermination et la conduite de la politique de la Nation et les affaires de l’État »[55]. La commission de ces faits ayant été concomitante à  l'exercice d'une activité ministérielle, c’est donc une interprétation pour le moins restrictive de cette notion de « lien direct » qui permet le rejet du pourvoi[56].

Plus récemment, ce sont à  nouveau les actes imputés à  un ministre des affaires étrangères qui ont remis la question de l’exacte portée de la compétence matérielle de la C. J. R. sur le devant de la scène. Dans l’affaire Clearstream, l’absence de dessaisissement des juges du tribunal correctionnel a en effet pu surprendre. Il était reproché à  Dominique de Villepin son absence de réaction – juridiquement, une « complicité par abstention » des plus fragiles - alors qu’il aurait eu connaissance, en sa qualité de ministre, à  la fois de l’existence et de la fausseté des listings établis par l’institution financière étrangère impliquée dans cette nébuleuse affaire[57]. L’absence de saisine de la C. J. R. en l’espèce montre bien combien la relative indétermination de sa compétence est susceptible d’ouvrir la voie aux stratégies contentieuses. Ni la principale partie civile – devenue entre-temps Président de la République - ni le mis en cause n’avaient en effet intérêt à  voir la C. J. R. se saisir de l’affaire. Pour Nicolas Sarkozy, l’impossibilité de se porter partie civile devant la C. J. R. minorait très largement l’intérêt d’une plainte devant la commission des requêtes. Le Parquet aurait certes pu saisir d’office la C. J. R., mais bien évidemment ni son statut constitutionnel, ni le contexte de l’affaire ne l’incitaient à  le faire. Quant à  Dominique de Villepin, sans doute avait-il plus à  craindre d’une juridiction politique dont les membres appartenaient pour l’essentiel à  la majorité parlementaire désignée au lendemain de l’élection présidentielle que d’une juridiction de droit commun composée de juges professionnels. Sa relaxe fut d’ailleurs confirmée par la Cour d’appel de Paris le 14 septembre 2011.[58]

Juridiction spéciale dont la compétence se limite aux seuls membres du gouvernement, la C. J. R. se singularise également par une compétence matérielle qui évolue assez largement au gré des espèces. Signe que cette relative indétermination est l’une des caractéristiques de l’institution, on la retrouve dans un tout autre domaine : à  travers la difficulté qu’il y a à  qualifier la nature juridique exacte de chacune de ses composantes.

 

B) Une juridiction tripartite atypique

L’organisation de la C.J.R apparait a priori d’un grand classicisme : trois organes distincts – commission des requêtes, commission d’instruction et formation de jugement – chargés d’exercer les trois fonctions traditionnellement assignées à  une juridiction : saisine, instruction et jugement. Se substituant au système tant contesté de la mise en accusation des ministres par les deux assemblées qui prévalait du temps de la Haute Cour, la commission des requêtes apparait ici comme la clé de voute du système (1). Le particularisme problématique qui la caractérise se retrouve au sein de la commission d’instruction (2), comme de la formation de jugement (3).

1. Le rôle décisif de la commission des requêtes

Originale, la commission des requêtes l’est avant tout par sa composition: aux trois magistrats du siège à  la Cour de cassation viennent s’ajouter deux conseillers d’État et deux conseillers maîtres à  la Cour des comptes. L’idée de conjuguer magistrats judiciaires et familiers de l’action administrative et financière de l’État, afin de favoriser une juste appréciation des conditions d’exercice de l’action gouvernementale, a d’ailleurs fait florès, puisque c’est très précisément cette composition qu’entend reprendre le projet de loi constitutionnelle[59]. Ni autorité de poursuites, ni juridiction, la commission des requêtes est difficile à  qualifier juridiquement. L’objet des développements qui suivent est précisément d’en déterminer la nature juridique.

« Instance essentielle dans le processus de saisine de la Cour de justice »[60], la commission des requêtes a pour fonction d’opérer un tri parmi les plaintes déposées à  l’encontre des ministres. L’article 68-2 de la Constitution autorise en effet particuliers et personnes morales à  porter plainte auprès de la commission des requêtes. Si elle estime la plainte fondée, cette dernière transmet la procédure au procureur général près la Cour de cassation qui est alors tenu de saisir la commission d’instruction.[61] C’est ainsi que naquit l’affaire Royal[62]. Le procureur général peut également agir d’office, sur avis conforme de la commission des requêtes[63] – procédure qui fut à  l’origine des affaires Gillibert[64] ou Woerth[65]- ou encore sur le fondement d’ordonnances prises par un juge d’instruction confronté, comme dans l’affaire Pasqua[66], ou dans l’affaire Karachi[67], à  des faits commis par un ministre dans l’exercice de ses fonctions. La commission des requêtes exerce ainsi un rôle central au sein du dispositif, puisqu’elle demeure seul juge de l’opportunité des poursuites et de la qualification des faits poursuivis.[68] L’ouverture de la procédure aux particuliers reste en effet partielle : la constitution de partie civile étant exclue devant la C. J. R.,[69] le plaignant est incapable de déclencher à  lui seul la mise en mouvement de l’action publique et de demander réparation du préjudice subi. En conséquence, les décisions de la commission des requêtes échappent à  tout recours.[70]

La Cour de cassation a été amenée, dans le cadre de l’affaire Royal, à  préciser la nature juridique de cette institution[71]. Ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, Ségolène Royal avait été renvoyée devant la C. J. R. pour complicité de diffamation publique envers des fonctionnaires publics[72]. L’espèce est doublement curieuse. On peut tout d’abord s’étonner de voir que le processus n’a pas été arrêté au niveau de la commission des requêtes et qu’il a fallu en conséquence réunir la C. J. R. pour des faits aussi bénins. Ensuite, il est peut-être plus surprenant encore de constater que cette procédure en diffamation est allée à  son terme, alors que le réquisitoire introductif du procureur général n’est intervenu qu’une fois le délai d’action en matière de délit de presse écoulé.[73] La ministre estimait d’ailleurs que la prescription de l’action publique avait été acquise, du fait de l’inaction de la commission des requêtes et s’était en conséquence pourvue en cassation contre l’arrêt de la commission d’instruction ordonnant le renvoi de l’affaire devant la C. J. R[74]. Pour déterminer si la prescription était en effet acquise ou, au contraire, avait été suspendue, il convenait, au préalable, de définir la nature juridique de la commission des requêtes. Fait-elle ou non partie intégrante du ministère public ? Dans l’affirmative, l’action publique se trouvait nécessairement prescrite, le ministère public étant dans l’impossibilité d’arguer de l’inertie de l’une de ses propres composantes pour conclure à  la suspension du délai de prescription. Dans l’hypothèse inverse qui consistait à  distinguer la commission des requêtes du ministère public, la prescription était suspendue par l’obstacle de droit que constituait la saisine préalable de la commission des requêtes. Signe de la nature juridique fondamentalement indéterminée de la commission des requêtes, la première thèse - celle de l’indivisibilité du ministère public - fut soutenue avec des arguments relativement forts par le Procureur général près la Cour de cassation[75]. Si certains étaient tirés des débats parlementaires de 1993 qui insistaient sur le fait que « la mission dévolue à  la commission des requêtes s’apparente à  celle exercée par le Parquet »[76], d’autres découlaient de la Constitution elle-même. Dans la mesure où, en vertu de l’article 68-2, les décisions de classement ou de transmission prises par la commission des requêtes lient le Procureur général près la Cour de cassation, il apparaissait en effet difficile de ne pas adhérer à  la thèse de l’indissociabilité des deux composantes. La Cour de cassation[77] préféra néanmoins endosser le raisonnement de son conseiller rapporteur qui insistait sur l’originalité de la commission pour mieux rejeter l’hypothèse de la prescription. [78] Ni véritablement juridiction –puisqu’insusceptible de recours – ni parquet à  proprement parler – faute d’initiative des poursuites - la commission des requêtes demeure une instance sui generis, chargée d’un rôle de filtre. Ne faisant pas partie intégrante du ministère public, sa nécessaire intervention constitue une sorte de parenthèse juridique qui entrave l’action des autres parties et qui, en conséquence, suspend le délai de prescription. Si la règle est heureuse pour la justiciabilité des actes ministériels, elle est évidement dommageable du point de vue de la célérité de la justice, l’éventuelle inertie de la commission des requêtes demeurant dépourvue de sanction : d’où la nécessité pour certains de faire évoluer la procédure de saisine afin d’éviter que la formation de jugement soit confrontée à  des faits dont l’ancienneté favorise les différences d’appréciation.[79]

Une fois passé le filtre de cette commission des requêtes très particulière, il revient à  une commission d’instruction tout aussi singulière de prendre en charge le dossier.

 

2. La spécificité de la commission d’instruction

Non mentionnée par la Constitution, mais prévue par la loi organique du 23 novembre 1993, la commission d’instruction est un organe collégial exclusivement formé de magistrats du siège à  la Cour de cassation. Les caractéristiques les plus saillantes de sa procédure laissent à  penser que la Haute Cour a pu ici servir de repoussoir. Ainsi, contrairement à  la pratique de sa devancière, « la commission d’instruction de la C. J. R. doit toujours agir collégialement ».[80] De même, il lui est loisible, en vertu de l’article 20 de la loi organique, de « requalifier les faits soumis à  son appréciation ». En effet, au début de l’affaire du sang contaminé, la commission d’instruction de la Haute Cour, faute de disposer d’un tel pouvoir, avait été contrainte de constater l’extinction de l’action publique.[81] Une fois instituée, la commission d’instruction de la C. J. R. ne s’est d’ailleurs pas privée d’user de cette faculté puisque, saisie de faits qualifiés d’administration de substances nuisibles à  la santé, elle les a requalifiés successivement de complicité d’empoisonnement, puis d’homicide involontaire, interprétant ce faisant de manière extensive l’article 68-1 de la Constitution pour inclure dans son champ d’application les fautes de négligence et d’imprudence des ministres[82]. Enfin, alors que la commission d’instruction de la Haute Cour était souveraine, les arrêts de la commission d’instruction peuvent faire l’objet d’un pourvoi.[83] Ce dernier étant porté devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation, la juridiction de renvoi, en cas de cassation, « doit se conformer à  la décision de cette assemblée sur les points de droit jugés par celle-ci ».[84]

L’existence de cette commission d’instruction ouvre la voie à  deux séries de critiques.

La première tient à  sa propension, dès lors qu’elle est saisie, à  refaire intégralement les instructions qui, dans certains cas, ont déjà  été menées à  bien par le juge d’instruction ordinaire. Tel fut le cas dans le cadre de l’affaire Pasqua. Lorsqu’en juin 2003, Philippe Courroye, alors juge d'instruction au pôle financier de Paris, décide de se dessaisir du volet ministériel de l’affaire des commissions occultes au profit de la C. J. R., l’état d’avancement de ses dossiers est tel que la commission d’instruction est rapidement en mesure de signifier à  l’ancien ministre sa triple mise en examen.[85] De l’aveu de M. Le Gall,[86] alors Président de la C.J.R, les trois membres de la commission d'instruction « auraient pu renvoyer les dossiers en l'état ». Mais «  s'agissant d'un ancien ministre, on prend forcément beaucoup de précautions... Cela a pris beaucoup de temps car la commission d'instruction a voulu tout reprendre plutôt que de se contenter du travail fait par M. Courroye. Ils ont estimé qu'ils devaient tout revérifier. »[87] Or, « quand vous réentendez les gens, ils ne disent jamais exactement la même chose. Ça donne des contradictions, qui nécessitent des confrontations, etc. En plus, on connaît les méthodes de M. Courroye : il "secoue" un peu les gens et après ils parlent. Or, je sais que devant la commission d'instruction, des témoins se sont rétractés. »[88] Il est en effet probable que le confort de la rue de Constantine incite moins à  la confidence que 48 heures de garde à  vue dans les locaux vétustes de la brigade financière…[89] En conséquence, ce n’est qu’en 2008[90] que la commission d’instruction de la C. J. R. fut en mesure de transmettre au parquet général les trois dossiers relatifs à  la période 1993-1995 dont elle avait pourtant été saisie… 5 ans auparavant[91].

La seconde série de critiques est plus technique. Elle découle d’une particularité propre à  la commission d’instruction qui réside dans la possibilité qui lui est offerte de statuer sur la régularité de ses propres actes d’information. En 2003, Michel Gillibert, ancien secrétaire d’État aux handicapés renvoyé devant la C. J. R. du chef d'escroquerie[92], s’est en effet pourvu en cassation contre deux arrêts de la Commission d'instruction[93], au motif que cette règle, prévue par l’article 23 de la loi organique, méconnaitrait les droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. La Cour de cassation a toutefois considéré que le droit à  un procès équitable n’est pas méconnu dès lors que la commission d’instruction se « prononce sous le contrôle de l’assemblée plénière de la Cour de Cassation » qui a « en la matière, pleine compétence pour statuer en fait et en droit »[94].

Par cet énoncé au caractère éminemment performatif, la haute juridiction semble considérer que sa seule intervention suffit à  couvrir l’ensemble des vices procéduraux susceptibles d’affecter la commission d’instruction. Il est vrai que s’agissant du contentieux des nullités de l’information, la Cour de cassation exerce un contrôle dont la portée est loin d’être négligeable : elle est pleinement compétente pour examiner in concreto l’ensemble des pièces de la procédure[95]. De plus, dès le début des années 2000, la jurisprudence conventionnelle était revenue à  une conception plus souple du principe d’impartialité[96], tolérant par exemple l’exercice successif de fonctions d’instruction[97], afin d’éviter que l’exigence d’une stricte séparation n’aboutisse à  un blocage de la juridiction concernée. La tentation était donc forte de conclure à  la conventionalité du système. Demeure néanmoins l’impression qu’un tel raisonnement élude largement la question de l’impartialité fonctionnelle de la commission[98]. Sans entrer ici dans la délicate question de l’applicabilité de l’article 6, § 1 de la CEDH au contentieux de l’annulation dans la phase préparatoire du procès pénal[99], notons en effet combien il peut sembler anormal qu'une même formation juridictionnelle soit à  la fois appelée à  accomplir des actes d'information et à  statuer sur la contestation de la régularité de ces actes, quand bien même ces derniers ne préjugeraient pas de la culpabilité du mis en examen[100]. La double attribution de la commission d’instruction reste en conséquence problématique, comme en témoigne d’ailleurs l’article 25 de la loi organique du 23 novembre 1993 qui prévoit qu’en cas d’annulation d’un arrêt de la commission d’instruction, la Cour de cassation renvoie l’affaire devant ladite commission autrement composée.[101]

Si la commission d’instruction, par son existence même et son particularisme marqué, pose de la sorte un certain nombre de difficultés, il n’en va pas autrement de la formation de jugement.

 

3. Le caractère composite de la formation de jugement

La C. J. R. au sens strict est une juridiction complexe. À sa composition hybride, âprement débattue lors de la révision constitutionnelle[102], vient s’ajouter une procédure mixte, qui s’inspire à  la fois des règles applicables en matière correctionnelle et criminelle. Le ministère public même est source de complexité, dès lors qu’un arrêt de la commission d’instruction ou de la juridiction de jugement fait l’objet d’un pourvoi en cassation.

Aux termes de l’article 68-2 de la Constitution, la formation de jugement de la C. J. R. est échevinale : elle comprend trois magistrats du siège à  la Cour de cassation et 12 parlementaires. L’influence du comité Vedel est ici clairement perceptible, puisque celui-ci préconisait la création d’une juridiction dont la composition évoquerait «  celle des cours d'assises, mais avec la particularité de comprendre huit "jurés" parlementaires, siégeant aux côtés de trois magistrats issus de la Cour de cassation, dont l'un présiderait la juridiction »[103]. Ce maintien de la présence des parlementaires à  côté des magistrats professionnels traduit probablement « l’idée selon laquelle la responsabilité pénale des ministres est le prolongement du contrôle politique que le Parlement exerce sur l’Exécutif »[104]. Il aboutit surtout à  un système foncièrement insatisfaisant, qui pose le principe de la responsabilité pénale des ministres tout en le faisant sanctionner par une juridiction spéciale.[105] L’accroissement du nombre de juges parlementaires témoigne d’une double préoccupation : éviter que le rôle dominant au sein de la formation de jugement soit assuré par des magistrats professionnels[106], favoriser le pluralisme, c’est-à -dire la représentation de la configuration politique des assemblées en son sein.[107] Les douze juges parlementaires sont élus au scrutin majoritaire et en nombre égal par leur assemblée respective, avec le souci de reproduire la composition politique des chambres.[108] Comme dans toute juridiction politique[109], c’est bien évidemment la présence de ces derniers qui créé des difficultés. Problème de nature tout d’abord, puisqu’à  l’instar des assesseurs à  la cour d’assises, les juges parlementaires siègent en robe mais qu’à  l’image des jurés, ils ne peuvent s’adresser au prévenu que par l’intermédiaire du président de la C. J. R., magistrat professionnel de son état. Problème de désignation ensuite car ce statut mal défini renvoie lui-même à  un oxymore : le juge-parlementaire. À cet égard, il convient de citer les propos d’un ancien magistrat et ancien député, fin connaisseur de l’institution pour y avoir lui-même siégé : François Colcombet. Voilà  ce qu’il en disait, à  l’occasion du verdict Pasqua : « La CJR est une juridiction faite par des élus pour des élus. On puise dans un vivier beaucoup trop petit pour la constituer: les parlementaires connaissent l'homme qu'ils jugent; ils ne peuvent pas ne pas en tenir compte. Je ne veux pas dire que c'est une juridiction de connivence, mais c'est l'équivalent d'un tribunal de commerce de petite ville, où les commerçants se connaissent tous et se jugent entre eux, avec tous les dangers que cela représente, notamment celui d'être exagérément bienveillant ».[110] Cette bienveillance excessive, inhérente à  la dimension corporatiste de ce type d’institution, puise en réalité à  deux sources : à  la bienveillance de pure connivence vient s’ajouter une bienveillance d’identification. C’est l’idée, poursuit F. Colcombet, que « si on condamne, et que dans les années à  venir on fait quelque chose de comparable, on y a droit ! »[111]. En conséquence, « de droite comme de gauche, les gens ont tendance à  être moins sévères, parce qu'ils s'identifient tout à  fait »[88]. Or, si le fait de revêtir la robe n’interdit pas une bienveillance excessive, il n’y a aucune raison pour qu’il fasse obstacle au risque de sévérité partisane. Il faut néanmoins reconnaitre que les garanties procédurales qu’offre malgré tout la C. J. R. sont parvenues jusqu’ici à  éviter les injustices les plus criantes. En témoignent par exemple la relaxe de L. Fabius[113] ou celle de S. Royal.[114] Il n’en demeure pas moins que « la garantie que la CJR n'offre pas, c'est celle de l'indépendance réelle des juges... »[115] ou, plus exactement, de la grande majorité d’entre eux.

Cette mixité caractéristique de la composition de la formation de jugement est également manifeste sur le plan procédural. L’article 26 de la loi organique pose pourtant le principe selon lequel les règles auxquels obéissent débats et jugements en matière correctionnelle sont applicables devant la C. J. R. (récusation pour cause déterminée, débats publics, jugements motivés[116], etc.). Nombreuses sont toutefois les dérogations au principe posé par l’article 26. Tel est le cas par exemple des règles de délibération. En effet, les parlementaires craignant que l’application au délibéré des règles prévues en matière correctionnelle réduise de manière excessive l’influence des juges parlementaires par rapport à  celle des magistrats de profession[117], les règles de délibération devant la C. J. R. sont celles en vigueur devant la cour d’assises : vote par bulletin secret et à  la majorité absolue sur chaque chef d’accusation.[118] De la même manière, le principe selon lequel un arrêt ne peut être valablement rendu que par des juges qui ont assisté à  l’ensemble des audiences apparente encore un peu plus la C. J. R. à  une cour d’assises. Les juges suppléants de la C. J. R. sont en effet tenus d’assister à  l’intégralité des débats, sauf à  accentuer la fragilité d’une institution qui est incapable de juger une affaire lorsqu’un titulaire et son suppléant sont tous deux empêchés. On imagine sans peine la lourdeur du processus dès lors qu’il s’agit de mobiliser pas moins de vingt-quatre parlementaires, parfois plusieurs jours d’affilée.

Au caractère douteux de l’impartialité objective de la juridiction et au syncrétisme procédural plus ou moins heureux qui prévaut en son sein, viennent s’ajouter les difficultés liée à  la composition du ministère public. Devant la C. J. R., celui-ci est exercé par le Procureur général près la Cour de cassation assisté de trois avocats généraux.[119] La position hiérarchique élevée de ces parquetiers est censée être un gage de sérénité, de sagesse et d’indépendance.[120] Ce ministère public, analogue à  celui qui existait auprès de la Haute cour de justice pose néanmoins problème dès lors que les arrêts de la C. J. R. peuvent faire l’objet de recours en cassation. C’est en effet ce même Procureur général, ou ceux qui procèdent de lui, qui est chargé de veiller à  l’application correcte de la loi lors des audiences de la Cour de cassation. De plus cette identité organique se combine à  un dédoublement fonctionnel : devant la C. J. R. le Procureur général joue un rôle d’accusateur, est une partie au procès, tandis que devant la Cour de cassation, Procureur général et avocats généraux sont des « conseillers de la Cour » qui donnent à  leurs collègues, en toute liberté, les conclusions que le droit leur parait dicter. Liberté réelle que celle du procureur général près la Cour de cassation qui, dans l’affaire Royal, a en effet défendu une thèse diamétralement opposée à  celle de son collègue avocat général près la C. J. R.[121] Quand bien même ces fonctions seraient systématiquement confiées à  des magistrats différents[122], il n’en demeure pas moins étrange et peu convaincant au regard de la théorie des apparences qu’un même organe puisse être partie poursuivante devant la juridiction de fond et partie intégrante de celle de cassation.[123]

Étroitesse de la compétence personnelle de la C. J. R., tendance à  l’appropriation ministérielle d’une compétence matérielle mal définie, organisation tripartite dont les fondamentaux semblent avoir été improvisés dans l’urgence, nombreux sont les facteurs qui sont a priori susceptible de fragiliser la légitimité des décisions de la C. J. R. Fragilisation d’autant plus préoccupante que, sur le fond, nombreuses sont les décisions effectivement critiquables et qui pourtant ne font l’objet que d’un contrôle très lâche exercé par la Cour de cassation.

 

II. Des résultats peu probants

L’article 68-1 de la Constitution précise que la C. J. R. est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines telles qu’elles résultent de la loi. Nonobstant cette subordination affichée au principe de légalité des peines et délits, la C. J. R. ne semble guère s’écarter de la tradition des juridictions politiques qui tendent à  se ranger derrière une thèse plus constitutionnaliste que pénaliste en considérant que les ministres bénéficient d’une responsabilité pénale exorbitante du droit pénal[124] (A). On constate en effet une autonomie des arrêts rendus tant à  l’égard des peines généralement appliquées à  des faits délictueux ou criminels du même type, mais sans lien avec des fonctions ministérielles, qu’au regard des décisions prises par les juridictions ordinaires dans le volet non ministériel de l’affaire. Jusqu’ici, la Cour de cassation a toujours refusé de sanctionner ces affirmations récurrentes d’autonomie (B).

A) Des verdicts très politiques

Juridiction dans laquelle les hommes politiques sont largement majoritaires, la C. J. R. ne peut qu’être a priori soupçonnée de faire preuve d’une clémence coupable. L’intuition n’a rien d’original : Barthélémy et Duez expliquaient déjà  l’existence traditionnelle d’une juridiction particulière en matière politique par l’intérêt des gouvernants qui auraient davantage à  craindre des tribunaux ordinaires[125]. La rareté des décisions jusqu’ici rendues par la C. J. R., l’existence de condamnations comme de relaxes n’autorisent certes pas les conclusions définitives sur ce point. Mais la lecture des arrêts montre à  l’évidence que l’appréciation politique l’emporte parfois très largement sur les considérations juridiques.

En témoigne tout d’abord la présence récurrente de jugements de valeur sur la politique menée par le mis en cause. Ainsi, la relaxe de Laurent Fabius dans l’affaire du sang contaminé se double d’une sorte de satisfecit selon lequel « il apparait dans ces conditions, compte tenu des connaissances de l’époque, que l’action de Laurent Fabius a contribué à  accélérer les processus décisionnels »[126]. À l’inverse, dans l’arrêt Gillibert, la C. J. R. n’hésite pas à  stigmatiser un comportement qui, « émanant d’un ministre de la République, est particulièrement condamnable »[127]. De manière similaire, la décision Pasqua ne se prive pas de souligner que « les faits commis par Charles Pasqua présentent une gravité certaine car ils ont été commis par un ministre d’État, dépositaire de l’autorité publique, dans l’exercice de ses fonctions »[128].

Ces vives condamnations ne sont toutefois guère suivies d’effet. On a bien souvent le sentiment que la C. J. R. préfère la prise de distance inhérente à  la condamnation morale, à  la prise de risque et de responsabilité liée à  la condamnation pénale. La seconde se fait donc d’autant plus douce que la première est forte.

Ainsi Michel Gillibert est certes reconnu coupable d’escroquerie, mais il n’est condamné qu’à  trois ans d’emprisonnement avec sursis assorti d’une amende de 20 000 euros. Même si on tient compte du lourd handicap dont souffrait l’ancien ministre, on n’en demeure pas moins loin des cinq ans de prison ferme et 375 000 euros d’amende alors encourus. L’arrêt Pasqua est à  cet égard plus choquant encore : relaxé par la C. J. R. dans l’affaire du casino d’Annemasse comme dans celle relative au transfert du siège social d’Alsthom[129], l’ancien ministre est certes condamné à  une peine d’un an d’emprisonnement pour complicité d’abus de bien social au préjudice de la SOFREMI. Toutefois, cette peine est, d’une part, assortie du sursis « compte tenu de son passé au service de la France » et, d’autre part, confondue avec celle de 18 mois de prison avec sursis prononcé par la Cour d’appel de Paris, le 18 septembre 2009, pour des faits de faux, d’abus de confiance et de financement illégal de campagne électorale. En d’autres termes, la C. J. R. n’hésite pas à  passer sous silence la décision prise à  l’encontre du prévenu dans le volet non ministériel de l’affaire, dès lors qu’une telle référence aurait pu l’inciter à  prononcer une condamnation dans l’affaire du casino d’Annemasse. En revanche, ladite décision fait son apparition à  partir du moment où son dispositif lui permet d’ordonner la confusion des peines et donc d’alléger la condamnation. On voit combien la prétendue indépendance des procédures - qui sera pourtant soulignée par la Cour de cassation[130] se prononçant sur l’arrêt de la C. J. R. comme par la commission de révision[131] ultérieurement saisie par Michel Tomi – est en réalité à  géométrie variable…

Sans surprise au regard du caractère déjà  éminemment contestable de cette prise en compte asymétrique de la décision du juge ordinaire, c’est à  l’occasion de la décision Pasqua que la Cour de cassation fut saisie pour la première fois d’un pourvoi contre une décision de la formation de jugement de la C. J. R.

B) Un contrôle édulcoré

Conformément aux préconisations du rapport Vedel et à  l’instar des arrêts de la commission d’instruction, ceux de la formation de jugement de la C. J. R. peuvent, en vertu de l'article 33 de la loi organique, faire l’objet d’un pourvoi devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation. Cette innovation suscita de vifs débats[132], nombre de parlementaires craignant alors que la possibilité de pourvoi fasse de la C. J. R. une juridiction pénale d’exception et non une juridiction politique. Crainte des plus infondées, tant apparait lénifiant le contrôle exercé par l’assemblée plénière sur la décision Pasqua[133]. Si les moyens développés par le ministère public, demandeur au pourvoi, sont apparus suffisamment solides pour décider le Premier avocat général à  se prononcer en faveur de la cassation,[134] ils ne suffirent pas néanmoins à  emporter l’adhésion de l’assemblée plénière.

Contestant tout d’abord la relaxe intervenue dans l’affaire du casino d’Annemasse, le Premier avocat général reprend en effet à  son compte les deux branches du moyen développé par le ministère public. La première consiste à  souligner que la C. J. R. aurait dû déduire de la chronologie des opérations (autorisation d’exploitation, vente du casino, participation financière à  la campagne électorale…) l’existence d’un lien caractéristique d’un pacte de corruption entre l’autorisation d’exploitation et le financement ultérieur de la campagne[135]. Le raisonnement est toutefois rapidement écarté par l’assemblée plénière qui se contente de reprendre à  son compte l’argument de la C. J. R. selon lequel il n’est pas établi que le financement politique ait conditionné l’autorisation d’exploiter le casino. En d’autres termes, plutôt que de sanctionner l’insuffisance de motivation comme elle en a le droit, l’assemblée plénière se retranche derrière l’appréciation souveraine des faits par les juges du fond sur laquelle elle n’a pas à  exercer de contrôle. La seconde branche du moyen défendu par le ministère public consiste à  souligner que la Cour ne pouvait nier l’existence du délit de corruption passive reproché à  Ch. Pasqua, sans expliquer comment cette position pouvait se concilier avec le raisonnement inverse retenu par la Cour d’appel de Paris le 18 septembre 2009[136] et établissant, pour ces mêmes faits, un délit de corruption active[137]. Face à  cette contradiction de motifs, l’assemblée plénière se contente de rappeler que la C. J. R. « n’était pas tenue par les termes de l’arrêt, désormais définitif, du 18 septembre 2009 ». Si la référence à  cet argument-prétexte est juridiquement inattaquable en raison de l’absence d’identité de parties, son usage n’en reste pas moins symptomatique de la faiblesse du contrôle exercé.

Cette impression est d’ailleurs confirmée par l’aval qu’offre la Cour de cassation à  la relaxe accordée par la C. J. R. à  l’ancien ministre des faits de recel et d’abus de biens sociaux dans l’affaire du transfert à  Saint Ouen du siège de la société Alsthom. En l’espèce, l’autorisation de la DATAR au transfert avait été subordonnée au versement d’une commission occulte qui transita par la Suisse puis une société écran, avant de se retrouver sur le compte de Pierre Philippe Pasqua, fils de Charles. Le processus d’autorisation avait par ailleurs été pour le moins peu conforme aux habitudes en la matière : autorisation accordée avec une célérité inaccoutumée, précédée d’un tout aussi inhabituel courrier du ministre au président de la société Alsthom lui faisant part de son accord personnel au transfert du siège social. Mais là  encore, c’est en vain que parquet et Premier avocat général réclamèrent la cassation de l’arrêt de la C. J. R. pour contradiction de motifs, la C. J. R. ayant à  la fois souligné l’existence de la lettre et affirmé que l’intervention du ministre n’était pas établie.[138]

Cette absence de cassation est d’autant plus critiquable que, de surcroît, le raisonnement de la C. J. R. pour relaxer Ch. Pasqua dans le dossier Alsthom contredit, de manière flagrante, celui tenu pour retenir sa culpabilité dans l’affaire de la SOFREMI.[139] Cette dernière concernait un système de commissions et rétro commissions, mis en place par cette société d’armement civil - placée sous le contrôle du ministère de l’intérieur - et bénéficiant à  des proches du ministre dont Messieurs Falcone et Pasqua fils. Pour justifier la condamnation de l’ancien ministre à  18 mois d’emprisonnement avec sursis, la C. J. R. souligne alors qu’« ayant mis en place ce système, Charles Pasqua lui a apporté sa caution et l’a sciemment laissé perdurer » tandis que « sa proximité avec les divers auteurs des abus de biens sociaux ainsi que leurs bénéficiaires ne laisse pas de doute sur son implication dans le processus mis en place ». Comme le soutenait l’avocat général, convaincu ici aussi par les arguments du Parquet en faveur de la cassation, on pouvait reprocher à  l’arrêt de ne pas avoir tenu le même raisonnement pour retenir une condamnation dans l’affaire Alsthom, puisque là  encore les bénéficiaires des commissions occultes étaient pour le moins des proches du ministre… Mais là  encore, la Cour de cassation se contente de soutenir, de manière aussi contestable qu’expéditive, que « le moyen, qui ne tend qu’à  remettre en cause l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ne peut être admis ».

En réalité, les constatations de fait des juges du fond n’étant souveraines qu’à  condition de ne pas être contradictoires, les motifs de cassation, on le voit, ne manquaient pas. C’est pourtant avec l’aval de la plus haute juridiction judiciaire qu’une cour composée majoritairement d’élus a opté pour des relaxes au prix d’arguments contradictoires et s’est montrée beaucoup moins sévère à  l’égard de l’un des siens que des magistrats professionnels ont pu l’être dans le volet non ministériel.

L’affaire Pasqua a ainsi révélé les profonds dysfonctionnements d’une juridiction dont nous nous sommes efforcés de souligner les faiblesses : imprécision de sa compétence, atypisme de ses organes constitutifs, résurgence régulière d’une justice fondamentalement politique, contrôle pratiquement inexistant de la juridiction de cassation. Cette juridiction spéciale qui avait pourtant vocation à  rapprocher le régime juridique des actes criminels ou délictuels du droit commun, semble ainsi avoir tenu bien peu de ses promesses. La lecture contemporaine du principe d’égalité portant en elle la revendication d’un strict assujettissement des autorités politiques au droit commun et au respect des principes de l’État de droit,[140] il n’est guère étonnant de constater qu’ait récemment pu être envisagée la suppression pure et simple de la C. J. R.

 

III. Une suppression sujette à  caution

Inspiré des travaux de la commission Jospin[141], le projet de loi constitutionnelle déposé le 14 mars 2013 sur le bureau de l’Assemblée nationale[142] prévoit notamment la suppression de la C.J. R. Les faiblesses de ce texte qui, une fois passé le filtre de la commission des requêtes, entend soumettre les ministres au droit commun de la procédure pénale (A) incitent à  examiner un certain nombre d’alternatives (B).

A) Les limites du projet de loi constitutionnelle

S’il devait être adopté, le projet de loi constitutionnelle modifierait de manière substantielle l’article 68-1 de la Constitution. Sous réserve de l’autorisation de la commission des requêtes, les poursuites à  l’encontre des ministres, pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions, seraient engagées « selon le droit commun, devant les juridictions de Paris compétentes, qui sont alors composées d’au moins trois juges ».[143]

Le projet prévoit le maintien de la commission des requêtes qui sera appelée à  se prononcer dans les six mois de sa saisine par le ministère public, la juridiction d’instruction ou par la personne qui se prétend lésée. Ce délai est heureux car il est susceptible d’interdire une inertie qui, du fait de la suspension des délais de prescription demeurait jusqu’ici dépourvue de sanction[144]. Toutefois, si l’on en croit les travaux de la commission Jospin – plus explicites sur ce point que le projet de loi constitutionnelle[145] - le rôle de filtre ainsi assuré par cette survivance de la commission des requêtes restera minimal. Il s’agira « d’écarter les plaintes et procédures abusives ou manifestement infondées et d’orienter vers la procédure pénale adaptée (…) les seules plaintes et procédures qui se rapportent effectivement à  des actes commis par un membre du gouvernement dans l’exercice de ses fonctions » [146]. En d’autres termes, la commission des requêtes aura pour fonction de classer sans suite les plaintes sans fondement, d’orienter vers les tribunaux ordinaires celles qui ne relèvent pas des fonctions gouvernementales et de transmettre aux juridictions parisiennes celles qui y sont liées.

Cette extension de la compétence des juridictions judiciaires aux actes relatifs à  l’exercice des fonctions ministérielles n’est pas sans poser problème. Dans la mesure où l’action du gouvernant consiste précisément à  trancher entre des intérêts opposés, « le dommage est quasiment consubstantiel à  la décision politique »[147]. La frontière entre ce qui relève de l’incompétence et ce qui est pénalement répréhensible ne peut en conséquence qu’être évanescente. Imaginons par exemple une plainte pour mise en danger d’autrui contre le ministre de l’intérieur à  l’issue d’une manifestation qui a dégénéré. On voit bien combien l’éventuelle responsabilité pénale du ministre est ici liée à  son action politique. Ne doit-on craindre qu’en incitant la justice à  se prononcer au sein des débats partisans qui ne manqueront pas d’éclater, il soit porté atteinte au peu qui lui reste de sérénité ?[148] Peut-on laisser le juge de droit commun évaluer la diligence du ministre et s’immiscer de la sorte dans l’action de l’administration tout en respectant le principe de séparation des pouvoirs ?[149] Or à  une époque où l’effet cathartique de la mise en cause de la responsabilité passe essentiellement par la voie pénale, il est peu probable qu’une commission des requêtes composée exclusivement de hauts magistrats[150] soit portée à  faire un usage extensif du classement sans suite. Quand bien même l’actuelle commission des requêtes aurait « rempli son office de manière satisfaisante »[151], il est fort possible qu’elle se montre moins exigeante une fois que le constituant, en supprimant la C. J. R., se sera prononcé en faveur de la soumission pleine et entière des actes ministériels aux tribunaux judiciaires.

Nombre de plaintes aboutiront donc à  ces derniers. Si les actes concernés ont été commis dans l’exercice des fonctions, les ministres seront poursuivis « devant les juridictions de Paris compétentes, qui sont alors composées d’au moins trois juges ».[152] Ainsi réécrit l’article 68-1 de la Constitution pourrait avoir l’avantage d’éviter l’actuel éclatement des procédures juridictionnelles, à  condition toutefois qu’une loi vienne prévoir la compétence systématique des mêmes juridictions parisiennes pour les coauteurs ou complices des ministres ainsi que pour les auteurs d’infractions connexes.[153] Quant au principe de l’instruction préparatoire collégiale, il s’impose en effet pour permettre une juste appréciation des chaînes de responsabilité et des attributions ministérielles qui sont parfois d’une grande complexité. Il ne s’agit là  toutefois que d’une reprise partielle de la composition de l’actuelle commission d’instruction de la C. J. R. qui est composée de hauts magistrats.[154] Le maintien du principe de collégialité s’accompagne en effet d’un abandon de l’exigence hiérarchique : il n’est plus question ici d’une instruction par des magistrats du siège situés hors hiérarchie à  la Cour de cassation, au risque d’ailleurs de voir le « juge de base », même conforté par son appartenance à  une instance collégiale, être dépassé par l’importance ou la dimension médiatique de l’affaire.[155]

Le projet de loi constitutionnelle pose enfin problème du point de vue de l’action publique. Devant la C. J. R., celle-ci est exercée par le procureur général près la Cour de cassation et trois avocats généraux, ce qui d’ailleurs entraine des difficultés en cas de pourvoi devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation.[156] Il n’est pas certain toutefois que le remède qui consiste à  confier l’action publique au Procureur de la République près le tribunal de Paris ne soit pas pire que le mal. S’il n’est plus à  craindre comme sous les Républiques précédentes que les magistrats du siège « se montrent timides et hésitants en présence d’hommes politiques qui ont le pouvoir, l’ont détenu ou peuvent le conquérir »,[157] on ne saurait en effet minorer la portée de l’article 30 du code de procédure pénale en vertu duquel un procureur doit suivre les instructions du ministre de la justice, qu’il s’agisse d’instructions générales ou d’instructions individuelles écrites et versées au dossier. Si la loi constitutionnelle devait être adoptée, l’action publique serait donc exercée, dans les affaires éminemment politiques qui nous préoccupent, par un magistrat du parquet dont le rang hiérarchique ne garantit plus l’indépendance et qui, en l’absence de révision de l’article 65 de la Constitution, reste subordonné au Garde des Sceaux.[158] Avec le projet de loi constitutionnelle à  l’inverse, la justice politique, chassée par la déparlementarisation de la procédure, risque de réapparaitre par un renforcement de l’emprise du pouvoir exécutif sur l’autorité de poursuite.

Le projet de loi constitutionnelle comprend néanmoins un début d’antidote à  cette dépendance du Parquet puisque la soumission des actes des ministres au droit commun de la procédure pénale implique qu’il soit mis un terme à  l’interdiction de se constituer partie civile. Cette règle traditionnelle[159] qui continue curieusement de prévaloir devant la C. J. R.[160] a fait l’objet de vives critiques[161] : dans l’affaire du sang contaminé, elle a interdit aux parties de se substituer à  un Parquet peu convaincu du bien-fondé de la procédure,[162] tandis que dans l’affaire Royal, elle a largement amoindri l’intérêt moral et médiatique de la plainte, tout en compliquant la procédure d’échange de preuve et de contre preuve quant à  la véracité du fait diffamatoire.[163] L’introduction de parties civiles pourrait à  l’inverse interdire aux juridictions de trop biaiser, les parties étant alors appelées à  déposer des conclusions auxquelles il faut bien répondre. Quant au risque d’acharnement procédurier, on peut l’imaginer minimal, dans la mesure où subsiste le filtre de la commission des requêtes[164]. Cette admission des parties civiles n’en demeure pas moins un palliatif partiel et indirect au statut problématique du ministère public.

De la commission des requêtes au juge du fond, la procédure envisagée se caractérise donc par l’absence, sauf heureux hasard, d’hommes et de femmes susceptibles d’avoir fait l’expérience des contraintes et de la complexité de l’activité ministérielle. Hauts magistrats et juges ordinaires sont–ils dès lors les mieux placés pour déterminer quand l’action ministérielle bascule dans le pénalement répréhensible ? Par ailleurs, le projet ne peut que surprendre du point de vue du degré de protection accordé aux différents types de « gouvernants ». Autant peut-on s’étonner de constater que les ministres - autorités nommées - sont, grâce au privilège de juridiction devant la C. J. R., davantage protégés que des parlementaires, autant arriverait-on, avec l’adoption du projet, à  une configuration radicalement inverse. Les parlementaires continueraient de bénéficier d’une irresponsabilité perpétuelle et absolue pour les actes commis dans l’exercice de leurs fonctions[165], tandis que, pour le même type d’actes, les membres du gouvernement ne seraient plus protégés que par une immunité de poursuite susceptible d’être levée à  tout moment. Même si la capacité d’action du ministre – et en conséquence la probabilité qu’il commette des actes pénalement répréhensibles dans l’exercice de ses fonctions - est, sous la Vème République, sans commune mesure avec celle du parlementaire, ce déséquilibre justifie-t-il une telle différence de traitement ? Ne risque-t-on pas d’assister tôt ou tard à  ce que Philippe Lauvaux appelle un « retour insidieux du procès politique, qui ferait de l’autorité judiciaire l’instrument d’une responsabilité politique sans fondement légitime »[166] ? Cette crainte exprimée lors de la création de la C. J. R. ne peut que gagner en acuité au moment où on envisage de parachever l’alignement du régime juridique des actes des ministres sur le droit commun. Elle contraint à  chercher ailleurs le difficile équilibre entre justiciabilité et prise en compte de la spécificité des fonctions exercées.

 

B) Les alternatives possibles

Pour tenter d’y voir plus clair, reprenons l’un des grands classiques de la théorie constitutionnelle : le cours de politique constitutionnelle de Benjamin Constant. Dans un chapitre intitulé « De la responsabilité des ministres », le chef de file des Indépendants considère que seul le mauvais usage d’un pouvoir légal est susceptible d’être soustrait aux tribunaux ordinaires. Il ne saurait en aller de même de l’usage illégal d’un pouvoir légal et a fortiori d’un pouvoir illégal[167].

La réhabilitation d’une telle conception aurait pour effet de réduire sensiblement la compétence d’un éventuel privilège de juridiction. En effet, parmi les affaires que la C. J. R. a eu à  juger jusqu’ici, il n’y a guère que dans le dossier du sang contaminé que les ministres ont pu légitimement soutenir avoir tout au plus mal usé du pouvoir qui leur avait été légalement conféré. Les dossiers Gillibert (escroquerie), Pasqua (abus de bien social) ou même Royal (diffamation) devraient au contraire être attraits devant les juridictions ordinaires. Il en irait évidemment de même des actes illégaux qui consistent à  faire prévaloir la raison d’État sur l’État de droit, sans que le ministre n’en retire – du moins dans l’immédiat – d’avantage personnel. Peut-être avons-nous là  d’ailleurs l’une des clefs qui expliquent les dysfonctionnements récurrents de la C. J. R. : juridiction ad hoc, elle a été conçue pour vider l’abcès d’un cas précis de maladministration aux conséquences dramatiques et n’a su s’adapter aux délits de droit commun. En eux, elle a vu la spécificité de l’auteur, quitte à  faire bien peu cas de la banalité du mal.

Dès lors, deux options peuvent être envisagées. La première consiste à  conserver la C.J.R. tout en la réformant ; la seconde à  opter pour sa suppression quitte à  envisager un mécanisme qui lui serait au moins en partie substitué.

La première hypothèse reviendrait à  s’inspirer de Constant pour plaider en faveur d’une limitation drastique de la portée du privilège de juridiction.[168] Celle-ci serait réduite aux actes entièrement effectués dans l’exercice du pouvoir exécutif, mais dont les conséquences se sont révélées suffisamment dommageables pour que les actes en question tombent sous le coup du droit pénal. On pense notamment ici, à  l’image de la commission Jospin, aux « poursuites pénales qui pourraient être engagées à  l’encontre de ministres chargés de la santé, de l’environnement ou de la défense pour des délits non intentionnels (homicides ou blessures involontaires par exemple) »[169]. Mais, à  l’inverse de ce que préconise ladite commission, on s’attacherait à  améliorer l’existant pour que l’effet cathartique de la mise en cause de la responsabilité pénale puisse fonctionner pleinement : possibilité de se constituer partie civile et extension de la compétence personnelle de la C. J. R. aux complices et coauteurs.[170] Cela reviendrait toutefois à  étendre la compétence d’une juridiction dont l’impartialité objective reste juridiquement douteuse[171] et à  continuer de faire confiance à  une juridiction qui, ayant été élaborée dans la précipitation, n’a guère mieux géré l’affaire du sang contaminé que la majorité des dossiers qui, par la suite, lui ont été confiés.

La seconde hypothèse est peut-être plus séduisante. Il s’agirait de retenir du projet de loi constitutionnelle la suppression de la C. J. R. et le maintien d’une commission des requêtes. Toutefois, on s’attacherait en même temps à  circonscrire aussi précisément que possible la compétence des tribunaux ordinaires. Couvrant d’ores et déjà  les actes délictueux ou criminels extérieurs aux fonctions (fraude fiscale par exemple), elle s’étendrait dorénavant aux seuls actes volontaires commis dans l’exercice des fonctions ministérielles (diffamation, atteinte à  la vie privée, prise illégale d’intérêt...) ou à  l’occasion de celles-ci (complicité d’escroquerie, abus de confiance, recel d’abus de biens sociaux, etc.). Parmi les trois éléments – matériel, légal et moral - constitutifs de la définition classique de la faute, la conscience qu’avait le ministre de ses agissements serait donc l’élément déclencheur de la compétence de la juridiction judiciaire de droit commun pour les actes extérieurs aux fonctions.[172] Il reviendrait à  la commission des requêtes d’examiner les plaintes ainsi que les effets de l’acte incriminé, afin d’identifier le caractère intentionnel ou non de l’infraction.[87] Les délits non intentionnels, ceux commis par négligence, imprudence, mauvaise appréciation des intérêts de l’État, c’est-à -dire tout ce qui renvoie aux insuffisances professionnelles du ministre, relèveraient en revanche de sa seule responsabilité politique devant le Parlement. Selon le cas, la commission des requêtes orientera la plainte suffisamment fondée vers les juridictions répressives ou l’autorité parlementaire.

La question de la composition de la commission des requêtes se poserait alors avec beaucoup plus d’acuité qu’en cas d’adoption pure et simple du projet de loi constitutionnelle. Dans ce dernier cas, l’enjeu serait en effet minime, puisqu’il s’agira tout au plus de reconnaitre la compétence des juridictions judiciaires parisiennes. Dans notre hypothèse en revanche, il serait souhaitable d’adjoindre à  la composition actuelle un nombre égal de députés. Dans la mesure où la commission des requêtes aura notamment pour fonction de choisir entre responsabilité pénale et responsabilité politique, il y aurait en effet quelque cohérence à  voir des députés plutôt que des sénateurs siéger en son sein. Leur présence légitimerait la décision aux yeux de l’Assemblée nationale et l’inciterait, en cas d’aiguillage sur la voie parlementaire, à  se saisir du problème. Partant du constat bien connu de la déshérence du principe de responsabilité politique et de la difficulté à  la mettre en œuvre dès lors que le ministre a quitté ses fonctions, Guy Carcassonne proposait un mécanisme propre à  rendre celle-ci effective.[174] La décision prise par la commission des requêtes de mettre en jeu la seule responsabilité politique du ministre ou de l’ancien ministre entrainerait la création de droit et sans délai d’une commission d’enquête parlementaire. Celle-ci, après établissement d’un rapport public, proposerait une sanction appropriée : blâme, destitution, interdiction d’exercer des fonctions gouvernementales, voire inéligibilité. Un débat sur ledit rapport et la sanction proposée, au cours duquel la personne mise en cause pourrait s’exprimer, serait alors inscrit de droit à  l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, contraignant cette dernière, par un vote, à  offrir son quitus ou au contraire à  imposer une sanction au gouvernant incriminé.

L’intention est noble, le mécanisme est judicieux, mais combien est encore long le chemin qui mène à  une telle rationalisation de la responsabilité politique ! D’une part, l’attribution d’un tel pouvoir répressif général à  l’Assemblée nationale ne va pas de soi. Pour qu’il puisse figurer au sein de son règlement, encore faudrait-il qu’il passe en amont l’obstacle du contrôle obligatoire du conseil constitutionnel et en aval celui du recours à  la CEDH que ne manquera pas de faire le premier sanctionné.[175] D’autre part, le mécanisme suppose, pour être efficace, d’élargir encore les moyens d’investigation et de contrainte des commissions d’enquêtes parlementaires[176]. Si elles disposent déjà  d’un droit de citation directe et d’audition sous serment lourdement sanctionnés[177] aucune poursuite n’a jamais été engagée sous la Vè République à  l’encontre de ceux qui s’y sont soustraits[178]. Surtout, l’article 6 de l’[ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires empêche les commissions, au nom de la séparation des pouvoirs, d’enquêter sur "des faits ayant donné lieu à  des poursuites judiciaires, aussi longtemps que ces poursuites sont en cours". Or cette interdiction constitue une limite de fond au caractère opératoire de notre proposition. Tout d’abord parce qu’elle interdit d’imaginer qu’une infraction intentionnelle commise dans l’exercice des fonctions ministérielles puisse engager à  la fois la responsabilité pénale et la responsabilité politique du ministre dans deux procédures distinctes. Ensuite parce qu’elle ouvre la voie aux stratégies d’évitement, le Garde des sceaux pouvant éventuellement prendre le risque de diligenter une information judiciaire dans le but d’interrompre la mise en cause de la responsabilité politique d’un ministre qui s’avérerait trop gênante pour son gouvernement. Il est donc regrettable que le constituant de 2008 n’ait pas adhéré à  la proposition faite par le comité Balladur de supprimer cette interdiction prévue par l’article 6 de l’ordonnance de 1958.[179] Inconnue de la plupart de nos partenaires européens,[180]cette interdiction offre trop souvent en France, un paravent indigne mais commode à  celui qui refuse obstinément de rendre des comptes, au risque de porter atteinte à  l’image de l’institution parlementaire tout entière. [181]

Juridiction spéciale réservée aux membres et anciens membres du gouvernement pour les crimes et délits commis dans l’exercice de leurs fonctions, la C. J. R., en vingt ans d’existence, n’est pas parvenue à  se construire une légitimité suffisante pour s’inscrire de manière durable dans le paysage institutionnel français. Aux faiblesses d’un statut juridique plus souvent improvisé que véritablement pensé est venu s’ajouter une jurisprudence des plus contestables. Cette dernière témoigne, s’il en était encore besoin, de la difficulté qu’il y a à  juger des hommes politiques. Elle rappelle également, à  l’heure où le projet de révision constitutionnelle semble renvoyé sine die, la nécessité de réintroduire la compétence des tribunaux ordinaires pour juger des actes volontaires, délictueux ou criminels, commis par les ministres, dans l’exercice de leurs fonctions ou, plus fréquemment, à  l’occasion de celles-ci.

Cécile GUERIN-BARGUES, Professeur de droit public à  l’Université d’Orléans

Centre de recherches juridiques Pothier, Institut Michel Villey

Pour citer cet article :
Cécile Guérin-Bargues «Cour de justice de la République : pour qui sonne le glas ? », Jus Politicum, n° 11 [https://juspoliticum.com/article/Cour-de-justice-de-la-Republique-pour-qui-sonne-le-glas-818.html]