Guillaume Glénard, L'exécutif et la constitution de 1791, Paris, PUF, Coll. Leviathan, 2010, 503p.

Thèmes : Monarchie - Révolution française - Histoire constitutionnelle - Veto - Exécutif

Guillaume Glénard,

      L'exécutif et la constitution de 1791

, Paris, PUF, Coll. Leviathan, 2010, 503p.

« La Constitution de 1791 n’instituait (…) pas une monarchie véritable, car elle ne faisait au roi qu’une position subalterne », a pu écrire Carré de Malberg[1]. Il soulignait ainsi l’embarras des constituants : incapables de se passer de la figure tutélaire du roi, ils ne lui accordaient toutefois que des prérogatives constitutionnelles limitées. La première constitution écrite française inaugurait ce qui allait être une des constantes de notre histoire politique moderne : la difficulté à  donner une véritable place à  l’exécutif au sein d’institutions dominées par un pouvoir législatif accaparant l’essentiel de l’exercice de la souveraineté nationale. La Vème République a semblé réconcilier les Français avec leur exécutif en inventant ce qu’un Maurice Duverger a pu appeler une « monarchie républicaine » : il n’est pourtant pas certain, au vu des controverses dont fait l’objet aujourd’hui encore la fonction présidentielle, que l’on ait définitivement acclimaté dans notre pays le pouvoir exécutif avec la souveraineté du peuple.

On saluera ici l’ambition de l’ouvrage de Guillaume Glénard, issu de sa thèse de doctorat, qui se propose de revisiter un sujet classique de l’historiographie constitutionnelle, déjà  largement abordé par les juristes (Duguit, Carré de Malberg, Hauriou, et plus récemment Michel Troper et Marcel Morabito) et les historiens (Keith Michaël Baker, François Furet, Ran Halévi). Mobilisant un savoir d’une grande érudition, l’auteur entend défendre une thèse originale, selon laquelle la vérité de la Constitution de 1791 serait que « doté d’une puissance de vouloir secondaire comme initiale, l’exécutif y est conçu comme un organe fort, du moins beaucoup plus fort qu’on ne l’a prétendu. » (p. 9.) L’exécutif n’aurait donc pas été subordonné à  l’organe législatif, comme l’avançait la doctrine classique. Tirant les conséquences de cette affirmation, Guillaume Glénard peut ajouter que les constituants de 1791, bien loin d’organiser une spécialisation des fonctions législative et exécutive, auraient en réalité institué un régime de balance des pouvoirs en accordant notamment au roi le veto suspensif sur un décret législatif, faisant de lui un co-législateur à  part entière. Et si la Constitution sombre le 10 août 1792, après une durée de vie de moins d’un an, ce ne serait pas en raison de ses tares internes, telles que la faiblesse de l’exécutif ou la séparation stricte des pouvoirs, dont l’auteur nie l’existence, mais d’un désaccord politique irréductible entre l’Assemblée et Louis XVI, ce dernier n’ayant jamais adhéré à  la règle du jeu constitutionnel.

Pour aboutir à  ces conclusions, le professeur Glénard adopte une méthode de recherche qu’il qualifie lui-même, dans un autre texte, d’ « analyse contextualiste. »[2] Il entend se démarquer à  la fois de l’interprétation d’un Michel Troper qui privilégie l’utilisation des concepts juridiques pour analyser les dispositions constitutionnelles et de celle d’un François Furet qui considère que l’exégèse d’un texte doit être intégrée dans le contexte politique et social de l’époque[3]. Il reproche en effet au premier d’ignorer la place des faits et des idées dans la genèse d’un texte constitutionnel, tout en considérant que la volonté, de la part du second, de comprendre l’« esprit du temps » tend à  minimiser l’importance du droit.

C’est pourquoi il se propose d’adopter une autre méthode d’interprétation en histoire constitutionnelle qui a pour objet de « retracer en quoi le droit est le fruit d’une culture » (p. 6), plus particulièrement d’une culture juridique ; le dessein modeste qu’il assigne au chercheur est « d’essayer de décrire ce qui fut », en prenant pour objet essentiel d’étude les débats à  l’Assemblée Constituante et accessoirement à  l’Assemblée nationale législative, lieux où s’exprimeraient en priorité cette culture juridique. Ce choix méthodologique de suivre pas à  pas les discussions des constituants pour tenter de dégager l’esprit constitutionnel de l’époque est séduisant au premier abord. Il permet d’apprécier comment des compromis se sont progressivement dégagés au sein des Assemblées, souvent sous la pression des circonstances, pour faire accepter la nouvelle constitution au roi, sans qu’il soit co-constituant, ou pour accorder à  ce dernier une place de co-législateur par le biais du veto suspensif ; il permet aussi de mesurer comment la question d’une responsabilité politique des ministres s’est posée dès juillet 1789, au moment de la disgrâce de Necker, et d’analyser les précédents qui auraient pu conduire à  une éclosion de cette responsabilité si le 10 août 1792 n’avait balayé la Constitution et relancé le mouvement révolutionnaire (voir sur ce point, le dernier chapitre intitulé « La question de la responsabilité de l’exécutif, pp. 427 et s.)

L’option, adoptée par Guillaume Glénard, de consacrer l’essentiel de son travail à  l’examen minutieux des débats parlementaires et d’y voir là  un lieu de vérité du droit, plus décisif qu’un texte juridique ou que des œuvres des publicistes du temps, laisse cependant perplexe. Elle ressemble davantage à  une pétition de principe qui, si elle apparaît au moins aussi systématique que celle consistant à  faire de l’interprétation d’un texte constitutionnel ou législatif la seule pertinente pour apprécier la teneur des concepts juridiques qui se déploient à  une période donnée, ne peut prétendre en revêtir la même cohérence théorique. Il est possible en effet de saisir la logique d’une interprétation des seuls textes juridiques du point de vue de la théorie du droit ; on comprend mal en revanche une interprétation « contextualiste » qui emprunte en réalité largement à  la méthode de l’historien, tout en privilégiant une source, les débats constitutionnels, sur les autres. L’auteur reconnaît d’ailleurs lui-même les limites de sa méthode : il avoue, très honnêtement du reste, à  propos de la nature exécutive ou législative du veto, que « (…) jamais la Constituante n’a consacré une conception exécutive de la sanction. Elle a même témoigné à  cet égard d’une remarquable constance compte tenu de la radicalisation progressive du mouvement révolutionnaire. Cela demeure cependant difficile à  démontrer. Le débat du 11 septembre 1789 au terme duquel le veto suspensif fut adopté, n’apporte aucun indice » (p. 131.) Un peu plus loin, il ajoute « La Constituante ne posa jamais expressément que l’exécutif était co-législateur. Craignant les réactions populaires, la mouvance modérée fut contrainte à  la plus grande prudence. Pourtant dès 1789, l’analyse des textes révèle l’inclination profonde de l’Assemblée en faveur d’une balance des pouvoirs (…) Il faudra attendre la révision de l’été 1791 pour que la consécration intervienne, et que ce qu’il y avait d’implicite dans les textes soit plus clairement affirmé. » (p. 142.) N’est-ce pas admettre que l’analyse des débats n’est pas toujours, à  elle seule, éclairante pour approcher la vérité du droit dans l’histoire et que l’exégèse des textes juridiques est susceptible également de rendre de précieux services ?

L’étude systématique des débats constituants ne permet pas de dégager clairement les grandes lignes de la démonstration – sur le Roi comme pouvoir fort ou sur sa place dans la fonction législative – d’autant qu’elle n’est pas accompagnée d’une réflexion approfondie sur le sens du pouvoir exécutif et sur l’histoire de la notion. Harvey C. Mansfield Jr. a souligné l’ambivalence intrinsèque à  l’exécutif : on s’accorde généralement sur la nécessité d’un exécutif fort pour qu’un État moderne puisse fonctionner efficacement, mais le terme « exécutif » renvoie littéralement à  un organe qui n’est pas fort et qui est un agent[4]. Pourtant, en retraçant l’histoire de la notion de « pouvoir exécutif », le même auteur suggère que les principaux penseurs de ce pouvoir ambigu – Machiavel l’inventeur de l’exécutif moderne, Locke, Montesquieu – ne le réduisaient pas à  l’exécution des lois, mais en faisaient aussi un pouvoir actif : pensons à  la « prérogative » lockienne, capacité discrétionnaire d’agir dans certaines circonstances ou au « pouvoir fédératif », ce droit de faire la guerre ou la paix, que Locke rapproche très nettement du « pouvoir exécutif » et que Montesquieu, dans l’esprit des lois, attribue à  ce dernier. Il n’est guère concevable que les juristes qui peuplaient la Constituante n’aient pas lu ces auteurs et qu’ils fussent uniquement inspirés par la vulgate rousseauiste. C’est pourquoi il est étonnant de lire, sous la plume de Guillaume Glénard, que « les Constituants, sans en avoir une claire conscience parce que prisonniers d’une définition étroite de la fonction exécutive, dessinèrent les contours d’une fonction exécutive autonome en vertu de laquelle l’exécutif était habilité à  agir sans avoir besoin de recevoir son impulsion d’une volonté législative préalablement exprimée. » (p. 194.) Il faudrait donc en conclure que les constituants, interprétant l’exécutif uniquement au sens d’un exécutant de la loi, auraient fait du Locke sans le savoir !

En outre, alors que les révolutionnaires français soldaient l’héritage de l’Ancien Régime et tâtonnaient sur la place à  accorder au roi, les pères fondateurs de la Constitution américaine avaient eu, à  la même période, à  résoudre la délicate question de la création d’un exécutif fort dans une république, fondée sur la souveraineté du peuple. « Toute la tâche de la science politique du Fédéraliste fut de montrer qu’il était possible de républicaniser un exécutif énergique »[5], précise Harvey Mansfield. Le détour par l’expérience constitutionnelle américaine s’imposait sans nul doute pour tenter de comprendre pourquoi ce qui a pu être possible d’un côté de l’Atlantique, à  savoir la mise en place et la pérennisation d’un pouvoir exécutif fort – ne l’a pas été de l’autre.

Car, malgré les savantes remarques du professeur Glénard, on n’est guère convaincu par son affirmation selon laquelle l’exécutif aurait été conçu dans la Constitution de 1791 comme un pouvoir fort. La lecture des débats parlementaires, ainsi que du texte constitutionnel, révèle plutôt la hantise des constituants à  l’égard d’un monarque qui pourrait basculer dans le despotisme. Le roi en effet, institué comme un exécutif moniste, n’est pas un pouvoir constituant, il n’est qu’un co-législateur partiel, puisqu’il ne dispose que du veto suspensif, il voit ses prérogatives en matière de relations extérieures très fortement encadrées par un Corps législatif qui a le plus souvent le dernier mot, il n’a qu’un pouvoir de nomination limité pour ce qui concerne les officiers de l’armée de terre et de la marine, et il ne peut dissoudre l’Assemblée. On est donc très loin de la place prépondérante accordée au monarque par la Charte octroyée de 1814 et dans une moindre mesure, par celle de 1830. L’auteur est au demeurant bien obligé de le reconnaître, puisqu’il qualifie le régime politique issu de la Constitution de 1791 de « monarchie constitutionnalisée », pour bien le différencier d’une « monarchie limitée » ou d’une « monarchie constitutionnelle », qualificatifs attribués à  la monarchie restaurée de Louis XVIII et à  d’autres systèmes monarchiques européens du XIXème siècle. En elle-même, la qualification assez déroutante de « monarchie constitutionnalisée » ne permet guère de mettre à  jour les caractéristiques d’un régime politique qui institue, comme le reconnaît l’auteur à  la suite d’un Michel Troper, un système de balance de pouvoirs – il y a assurément, dans le veto suspensif, la reconnaissance que le roi participe à  la fonction législative – et non une séparation stricte des pouvoirs, ainsi que l’affirmait la doctrine classique.

Il ne serait certes pas impossible d’interpréter l’affirmation selon laquelle l’exécutif dans la Constitution de 1791 serait un pouvoir fort, en prenant en compte le déroulement chronologique des débats constituants. Il est vrai que c’est dans la dernière rédaction des articles 2 et 3 du titre III de la Constitution, en août 1791, que le roi se voit reconnaître à  la fois la qualité de législateur et de représentant, au même titre que le Corps législatif. Mais n’est-ce pas justement une illusion d’optique que de déceler, dans ces dernières discussions constituantes, la vérité du droit ? L’esprit de la Constitution, dont parle François Furet, ne résiderait-il pas plutôt dans le constat fait à  chaud par deux des principaux acteurs de l’époque, Clermont-Tonnerre et Necker, qui, en lisant le nouveau texte constitutionnel, déplorent l’abaissement du pouvoir exécutif et la confiscation de la représentation de la nation par l’Assemblée[6] ?

Quant à  l’échec de la Constitution, liquidée le 10 août, il n’est pas interdit de rechercher certaines de ses causes dans le texte lui-même. Si Louis XVI prend la fuite avant d’être arrêté à  Varennes, c’est bien parce que restant pénétré de l’idée de la monarchie traditionnelle, il ne pouvait s’accommoder d’un texte qui soumettait l’ensemble de ses prérogatives au contrôle de l’Assemblée. Et si les jacobins se décident à  mettre à  bas le texte constitutionnel, c’est qu’ils voyaient dans le monarque et en particulier dans son droit de veto, un obstacle à  l’exercice de la souveraineté du peuple. Fruit de compromis multiples, la Constitution ne fournissait pas les armes juridiques pour arbitrer ce conflit qui s’était élevé entre la légitimité de droit divin, incarnée par le roi, et la légitimité du peuple, revendiquée par l’Assemblée. Or, la pomme de discorde résidait bien, pour une large part, dans la place qu’il convenait d’accorder à  l’exécutif monarchique dans les nouvelles institutions et que les constituants n’avaient pas su lui donner, en refusant d’aborder de front cette question centrale. L’art de contourner les difficultés est-il résumé dans le propos liminaire de l’ouvrage citant Thouret : « Il y a des choses qu’il est dangereux d’expliquer » ? On serait en droit de le croire.

Alain Laquièze est Professeur de droit public à  l’Université de la Sorbonne Nouvelle – Paris III

Pour citer cet article :
Alain Laquièze «Guillaume Glénard, L'exécutif et la constitution de 1791, Paris, PUF, Coll. Leviathan, 2010, 503p. », Jus Politicum, n° 7 [https://juspoliticum.com/article/Guillaume-Glenard-L-executif-et-la-constitution-de-1791-Paris-PUF-Coll-Leviathan-2010-503p-471.html]