Initialement publié sous la référence : F. Clairens, « Introduction », in R. Aron et F. Clairens, Les Français devant la Constitution, Paris, Éd. Défense de la France, 1945, p. 7-8.

Originally published as : F. Clairens, « Introduction », in R. Aron et F. Clairens, Les Français devant la Constitution, Paris, Éd. Défense de la France, 1945, p. 7-8.

Retracer le passé constitutionnel de la France, ce n’est pas faire une leçon d’Histoire du Droit Constitutionnel français*. En un siècle et demi, le peuple français a fait l’expérience de quatorze systèmes de gouvernement. Que le fonctionnement de ces quatorze mécanismes constitutionnels présente pour les spécialistes du Droit public un grand intérêt, c’est incontestable. Mais ces constitutions ont été l’œuvre d’hommes, tendant vers des buts bien définis, elles ont été conçues pour régir les rapports des hommes entre eux. Les isoler de leurs auteurs, des desseins qu’ils ont poursuivis, des intérêts qui les ont guidés, du milieu social dans lequel elles se sont développées, des incidents politiques qui les ont affectées, risquerait de cacher en grande partie la richesse du passé constitutionnel de la France.

À quoi tient la richesse de ce passé ? Moins au nombre élevé de régimes que la France a connus en un laps de temps relativement court qu’à l’extraordinaire diversité de ces régimes, qu’au désordre apparent dans lequel ils se succèdent : monarchie constitutionnelle, assemblée unique, omnipotente et dictatoriale, république censitaire aux pouvoirs éparpillés, césarisme de plus en plus accentué du Consulat et de l’Empire, deux essais de monarchie parlementaire, une république démocratique, un empire à forme césariste évoluant vers le libéralisme, enfin la république démocratique et parlementaire. Il ne manque à l’énumération qu’une tentative fédéraliste, à laquelle l’unité de la Nation française, très tôt réalisée, ne se prêtait pas.

[8] Pourquoi un aussi grand nombre d’expériences constitutionnelles ? Parce que le droit constitutionnel n’est pas, comme l’ont cru beaucoup de nos constituants, une création arbitraire, ni une œuvre théorique, parce que les systèmes les mieux charpentés, – et notre histoire constitutionnelle s’enorgueillit d’architectures admirablement construites – ne répondent parfaitement à leur objet que s’ils « cadrent avec la réalité historique » et que s’ils sont assez souples pour s’adapter spontanément aux modifications de l’équilibre des forces politiques, économiques et sociales. Il faut bien reconnaître que notre Droit constitutionnel n’a pas toujours rempli cette condition. Mais quel enseignement se dégage de ces hiatus entre les systèmes de gouvernement et l’état de la Nation : des régimes différents essayent de s’imposer à des sociétés sensiblement identiques, des régimes très semblables s’imposent à des sociétés très dissemblables, des systèmes qui cherchent à accélérer l’évolution économique et sociale, d’autres qui tendent à la ralentir.

Ce que voudrait cette étude, c’est examiner les conditions de la France en tenant compte de ces facteurs. Examiner les principes dont elles se réclament, leur mécanisme, l’organisation des pouvoirs, certes. Mais s’attarder un peu sur la personne de leurs auteurs ; c’est-à-dire sur les organismes constituants – leur recrutement et leur composition sociale. Rechercher aussi le résultat du travail de ces hommes, c’est-à-dire mettre en lumière les caractères de leur œuvre. Rechercher surtout les causes de leur échec, et ces causes peuvent être de deux ordres : purement techniques, elles peuvent venir d’un vice de construction, d’une faute de logique ; l’expérience peut révéler que des constitutions, parfaites du point de vue spéculatif, sont incapables de s’adapter au milieu humain pour lequel elles sont faites. Voilà les points qu’il faudra éclaircir à propos de chaque constitution.

La première, celle de 1791, prépare la destruction totale de la Monarchie. Elle instaure le principe du gouvernement d’Assemblée, auquel la Convention et le Directoire resteront fidèles. Mais l’impuissance de ce régime à donner à la France un cadre politique qui remplace dignement celui de l’Ancien Régime va susciter un retour offensif du principe monarchique : Bonaparte d’abord, puis Napoléon, ensuite Louis xviii, enfin Louis-Philippe. La France semble avoir trouvé, à travers des changements de personnes, une institution stable. En fait, ce sont moins les vices de ce système que les facteurs économiques qui amènent sa ruine et ouvrent la troisième grande période de l’Histoire constitutionnelle de la France, l’ère du suffrage universel. La Seconde République et l’Empire ont beau essayer de restreindre les effets de celui-ci, ils ne peuvent ouvertement en renier le principe. C’est sur lui que se fonde la Troisième République, ce qui n’implique pas qu’elle ait réussi à en assurer l’efficacité. Peut-être sera-ce là la marque du gouvernement de demain ?

 

Pour citer cet article :
Francis Cleirens «Introduction au Passé constitutionnel de la France », Jus Politicum, n° 23 [https://juspoliticum.com/article/Introduction-au-Passe-constitutionnel-de-la-France-1303.html]