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Q

uand on songe, en France, aux critiques du contrôle de constitutionnalité, c’est immanquablement l’exemple du Conseil constitutionnel qui vient à l’esprit. Il faut dire que la cible est difficile à manquer. Le mode de composition de l’organe – pour n’évoquer qu’un seul aspect – est si notoirement navrant qu’il est en passe de devenir un véritable marronnier doctrinal. Or, il est à craindre qu’à trop se concentrer sur les insuffisances des institutions françaises on en vienne à oublier certaines interrogations plus fondamentales.

Il nous semble en effet que le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois soulève des problèmes qui dépassent de beaucoup la seule Constitution du 4 octobre 1958. Historiquement, cette technique institutionnelle a souvent été promue par des hommes d’État et des juristes qui considéraient d’un œil soupçonneux la démocratisation des systèmes politiques occidentaux. Il devait revenir au juge de tempérer les emportements parlementaires, de contrebalancer la puissance de la majorité, de garantir la minorité contre l’oppression, voire de corriger des législations dont la confection échappait durablement aux élites réputées compétentes. Certes, ce ne sont sans doute plus les raisons que l’on met aujourd’hui en avant pour promouvoir le contrôle de constitutionnalité. La protection des libertés et la nécessaire suprématie de la Constitution sont assurément passées au premier plan. Reste que la justice constitutionnelle, aujourd’hui encore, demeure hantée par ses origines. Il y a toujours eu une tension entre le contrôle de constitutionnalité et la démocratie – et il semble bien qu’elle perdure. C’est la raison pour laquelle, en composant ce dossier, nous avons cherché à décaler un peu le regard, en empruntant aussi bien à la théorie juridique qu’à l’histoire politique et au droit comparé.

Avec autant de patience que de gentillesse, Michel Troper s’est prêté au jeu de l’entretien oral. En autres choses, les auditeurs pourront constater tout ce que sa critique du contrôle de constitutionnalité doit à ses travaux d’historien des idées juridiques. Composante « aristocratique » de l’appareil législatif, le juge constitutionnel dénaturerait la démocratie en ressuscitant la balance des pouvoirs. Dans un tout autre contexte, c’est la même préoccupation démocratique qui justifie les critiques de Jeremy Waldron. Thibaut Carrère leur consacre une fine analyse, décortiquant avec subtilité les raisonnements de l’auteur. Cette contestation de la puissance acquise par la Cour suprême n’est pas sans évoquer certaines passes d’armes antérieures. L’une d’elles forme le motif central du bel article d’Idris Fassassi. Situant son propos à l’époque de la « Reconstruction » américaine, il nous laisse entrevoir une autre histoire du contrôle de constitutionnalité, marquée par une lutte ouverte entre les différentes « branches » de l’appareil étatique. Au XIXe siècle, du reste, les États-Unis sont loin d’être le seul pays où la légitimité du contrôle de constitutionnalité ait été âprement discutée. La riche contribution d’Anthony Sfez, qui couvre près de deux siècles d’histoire espagnole, le démontre amplement.
 Encore trop mal connu en France, cet important chapitre du constitutionnalisme européen s’avère particulièrement instructif. Plus près de nous, Benjamin Fargeaud analyse les critiques suscitées par le contrôle de constitutionnalité sous la IVe République. Renouvelant l’image que l’on pouvait s’en faire, il montre l’originalité et la modernité de certaines vues. Finalement, Jean-Sébastien Boda revient sur le vent de « fronde » qui souffla dans les travées parlementaires françaises en 1993. S’appuyant sur les débats parlementaires, il analyse subtilement la manière dont les élus, irrités par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, finirent par remettre en question son existence même. Si les « frondeurs » d’alors sont finalement rentrés dans le rang, il n’est pas certain que le « spectre du gouvernement des juges », dûment déterré à cette occasion, ait vraiment rejoint les mânes de ses ancêtres.

Renaud Baumert

Professeur de droit public à l’Université Cergy-Paris (CYU) et membre du Centre de philosophie juridique et politique (CPJP). 

Pour citer cet article :
Renaud Baumert «Présentation », Jus Politicum, n° 31 [https://juspoliticum.com/article/Presentation-1571.html]