La thèse soutenue est que les fonctionnaires français ne sont toujours pas des citoyens comme les autres. Si le principe de citoyenneté constitue, de longue date, un élément caractéristique du statut des fonctionnaires, la conception française de la fonction publique perpétue, à dessein, un déséquilibre entre droits et obligations, fragilisant l’idéal du « fonctionnaire-citoyen ». En atteste le régime encadrant la liberté d’expression des fonctionnaires ou encore la conception singulière des « lanceurs d’alerte » au sein de la fonction publique. Alors que les récentes réformes de l’appareil administratif restent motivées par le souci d’améliorer les « performances » des agents, le principe de subordination hiérarchique n’a jamais cessé d’être affirmé, garantissant l’obéissance des fonctionnaires et l’emprise des gouvernants sur la marche des services. À notre époque, la question des libertés des fonctionnaires n’est plus d’actualité, escamotée par les exigences accrues de rendement et d’efficacité.
Mais doit-on vraiment s’en inquiéter ? Après tout, les fonctionnaires contemporains servent un État démocratique et libéral. Leur discipline garantit, au premier chef, le respect de la volonté des gouvernants élus au suffrage universel. Cette affirmation pose néanmoins la question du devenir de notre système de fonction publique dans l’hypothèse où l’État cesserait, précisément, d’être démocratique et libéral. À cet égard, il n’est pas interdit de penser que le régime juridique actuel de la fonction publique ne nécessiterait guère d’adaptations ‒ notamment du point de vue des libertés ‒ pour se couler dans le cadre voulu par les gouvernants et servir d’instrument d’exécution, fidèle et efficace, aux nouveaux desseins du pouvoir. De nos jours, la notion de « citoyen spécial » demeure et, avec elle, une question que l’on pouvait croire dépassée : dans quelle mesure notre modèle de fonction publique est compatible avec notre modèle démocratique ?