La citoyenneté européenne mérite-t-elle vraiment son appellation ? Se poser cette question suppose évidemment d’assumer une certaine définition de la citoyenneté. S’agit-il pour autant, ne serait-ce que par commodité intellectuelle, de s’en remettre à l’héritage, réputé indépassable, du paradigme stato-national ? En aucun cas : la démarche ici empruntée consiste avant tout, contre la tendance dominante de la réflexion théorique contemporaine, à ne pas occulter la dimension d’appartenance collective – et politique – située au cœur de toute expérience de citoyenneté un tant soit peu consistante. Or, ce que le langage officiel de l’Union appelle citoyenneté européenne, par-delà les apports symboliques du traité de Maastricht, reste principalement le fait de la jurisprudence de la Cour de justice, de bout en bout portée par le projet de construire, à partir de l’individu – saisi dans sa fonction d’opérateur économique –, un marché transnational de dimension continentale, libéré de toutes entraves étatiques, garantissant la libre circulation des personnes et interdisant aux États membres de discriminer les ressortissants communautaires à raison de leur nationalité. Malgré tous les efforts déployés pour densifier la part politique et sociale de la construction européenne, cette dogmatique du marché s’est révélée particulièrement résiliente, réussissant même à métaboliser la dimension dite sociale de la citoyenneté européenne, laquelle se présentait pourtant, à ses débuts, comme un contrepoids nécessaire à l’intégration marchande. De là des contradictions tout à la fois juridiquement injustifiables, politiquement insoutenables et socialement dévastatrices : sans que cette conséquence procède d’une quelconque stratégie intentionnelle, le dispositif européen et sa mécanique jurisprudentielle auront en effet conduit à mettre en concurrence les appareils productifs et les systèmes sociaux des États membres, en allant jusqu’à déstabiliser des compromis historiques très sensibles, assis sur les procédures démocratiques les plus légitimes. Peut-être, étant donné ses contraintes spécifiques, la citoyenneté européenne ne pouvait-elle pas naître autrement que par cette voie prétorienne et dépolitisée. Mais peut-on valablement appeler citoyenneté le produit d’un processus qui, à aucun moment, ne prend en compte la portée collective de ses effets ? Faut-il attendre que la citoyenneté européenne se révèle peu à peu, comme par accident, à ses bénéficiaires putatifs – sur le mode de l’effet émergent ? Que peut-on espérer d’une citoyenneté, enfermée dans l’étau de l’européanisation négative, en permanence rattrapée par le format fonctionnaliste dans lequel elle a été conçue ? L’échec de la citoyenneté européenne est-il vraiment à imputer aux seuls États membres, si facilement accusés de faire obstacle à toute forme d’intégration positive ? Ne constitue-t-il pas, tout simplement, la rançon de ses propres contradictions ?