Les entretiens apportent un éclairage sur le régime politique portugais et la place qu’y occupe le Président de la République. Leurs relations à  la Cinquième République, à  son fonctionnement et à  ses outils analytiques, participent d’un tel éclairage.

On the understanding of the presidential office in Portugal : interviews

The interviews introduce the President of the Republic within the Portuguese political system. Their links to the French Fifth Republic, to its practice and to its analytical tools, are part of that introduction.

Über die Auffassung des Präsidentenamtes in Portugal : Gespräche

Présentation

Les entretiens ici présentés ont constitué une des sources premières d’une thèse en Science Politique, Le Président de la République Portugaise – La construction de la figure présidentielle portugaise depuis 1986, soutenue en décembre 2012. Parallèlement à  une production médiatique et scientifique sur cet objet de recherche, ces entretiens ont constitué une source de première importance pour cette thèse. Leur importance a seulement été concurrencée par l’utilisation des recueils annuels de discours présidentiels, publiés depuis l’accession de Mário Soares à  la présidence de la République Portugaise en 1986. L’extension temporelle de la thèse exclut ainsi les deux quinquennats présidentiels du Général António Ramalho Eanes, dernier représentant de la présence militaire sexagénaire à  la présidence de la République. La thèse se centre donc sur la présidence de la République Portugaise depuis qu’elle est occupée par un civil, c’est-à -dire par un acteur qui s’est inscrit, comme les autres, dans l’affrontement entre partis politiques. La thèse prend donc appui sur les deux mandats de Mário Soares, ceux de son successeur, Jorge Sampaio, de 1996 à  2006, et ceux de Anà­bal Cavaco Silva, de 2006 à  aujourd’hui.

Réalisé avant l’accession à  la présidence de la République, l’entretien avec Anà­bal Cavaco Silva est le premier de la série. Élu au premier tour en 2006, réélu dans les mêmes conditions en 2011, Anà­bal Cavaco Silva avait déjà  exercé les fonctions de Premier Ministre pendant dix années, entre 1985 et 1995, un record. À la tête du Parti Social-Démocrate (PSD), de centre-droit, au cours de ces mêmes années, il avait obtenu la majorité absolue, en voix et en sièges, lors des élections législatives de 1987 et 1991, faits qui ne se sont jamais renouvelés depuis. Après avoir quitté le Gouvernement, à  la suite des élections législatives de 1995, remportées par le Parti Socialiste (PS), Anà­bal Cavaco Silva s’était présenté, sans grand entrain, aux élections présidentielles de 1996. Défait, il était retourné à  son activité universitaire. En 2006, il a succédé à  Jorge Sampaio, qui l’avait battu dix années auparavant.

L’entretien avec ce dernier, réalisé après son départ de la présidence de la République, est le deuxième de la série. Jorge Sampaio a succédé Mário Soares en 1996. Issu du PS, Jorge Sampaio avait dirigé la Mairie de Lisbonne à  partir de 1989. Il avait mené le même parti lors des élections législatives de 1991, remportées par le Parti Social-Démocrate. Après une longue campagne, au long de l’année 1995, il a remporté l’élection présidentielle de 1996. Il a été le premier Président élu avec un Parlement dominé par le parti dont il était issu. Dans la même configuration politique, il a remporté l’élection présidentielle de 2001, toujours au premier tour. Son second mandat est marqué par la dissolution de l’Assemblée de la République en 2004, décidée contre une majorité absolue. Depuis son départ de la présidence en 2006, il n’est que très peu intervenu dans la vie politique portugaise ; il a rempli des fonctions internationales, dont notamment celle de Haut Représentant pour l’Alliance des Civilisations des Nations Unies.

Les trois entretiens suivants ont été réalisés avec des personnalités dont l’activité universitaire est de premier plan. Chacune d’entre elles, néanmoins, a ou a eu, à  des degrés différents, une intervention publique ou politique.

C’est le cas de Jorge Reis Novais, Professeur de Droit Public à  la Faculté de Droit de l’Université de Lisbonne. À ce titre, il est l’auteur de Semipresidencialismo, ouvrage sur le régime semi-présidentiel, dont le premier volume est consacré à  la théorie de ce type de régime et le second au cas portugais. L’inclusion de son entretien dans la présente série tient aussi à  ses fonctions de conseiller pour les affaires constitutionnelles du Président Jorge Sampaio, de 1996 à  2006.

Le quatrième entretien a permis de recueillir les propos de Marcelo Rebelo de Sousa. Également Professeur de Droit Public à  la Faculté de Droit de l’Université de Lisbonne, son intervention publique et politique a été et continue à  être très forte. Parmi ses fonctions, il faut noter qu’il a été Député du PSD à  l’Assemblée Constituante (1975-1976), candidat du même parti battu par Jorge Sampaio aux élections municipales de 1989 à  Lisbonne, et leader du Parti Social-Démocrate entre 1996 et 1999. Aujourd’hui, il est membre du Conseil d’État, organe de conseil du Président de la République, fonction qu’il avait déjà  exercée sous Jorge Sampaio. Son poids politique, comme sa notoriété populaire, tiennent à  ses anciennes fonctions de direction au sein de l’hebdomadaire de référence, Expresso, et surtout à  l’exercice du commentaire politique mené, d’abord à  la radio, sur une chaîne de télévision aujourd’hui. Son nom est souvent évoqué pour une candidature, issue de la droite, à  l’élection présidentielle de 2016.

Enfin, Vital Moreira, Professeur de Droit Public à  la Faculté de Droit de l’Université de Coimbra, voit son entretien clore la présente série. En tant qu’Universitaire, il est notamment le co-auteur de Os poderes do Presidentes da República, ouvrage de référence sur la fonction présidentielle portugaise. Outre ses fonctions académiques, il a été Député du Parti Communiste Portugais (PCP) à  l’Assemblée Constituante, membre de la commission chargé d’établir l’organisation des pouvoirs publics. Au cours de la législature qui a mené la révision constitutionnelle de 1982 et mis fin à  la présence militaire dans les institutions politiques portugaises, son intervention, toujours au nom du PCP, a été de première importance. Aujourd’hui, en plus d’interventions éditoriales au sein du journal Público, il est Député au Parlement Européen, élu en 2009, en tête de la liste du Parti Socialiste.

La série d’entretiens a plusieurs intérêts. En plus d’éclairer la place du Président de la République au sein des institutions politiques portugaises, cette série laisse apparaître la relation complexe que ces mêmes institutions, dans leur origine et leur fonctionnement, ont avec la Cinquième République Française, son fonctionnement et son vocabulaire analytique.

En effet, pour Marcelo Rebelo de Sousa ou Vital Moreira, les institutions françaises n’ont véritablement pas eu d’impact sur le dessin constitutionnel portugais, que cela soit en 1976 ou en 1982. Cela contrarie une lecture inattentive de la loi fondamentale portugaise : il est ainsi possible d’évoquer l’absence du Chef de l’État au Conseil des Ministres comme les dispositions constitutionnelles relatives aux calendriers électoraux, présidentiel et parlementaire. De fait, l’actuelle figure présidentielle doit beaucoup à  son effacement au cours de la Première République Portugaise (1911-1926), marquée une très forte instabilité, puis au cours de « l’État Nouveau » (1933-1974), dirigé autoritairement par le Président du Conseil António de Oliveira Salazar. De fait, ce sont les rapports de force extérieurs à  l’Assemblée Constituante (1975-1976), entre les militaires du Mouvement des Forces Armées, à  l’origine de la Révolution des Œillets, et les partis politiques, qui ont été les principaux facteurs de l’organisation originelle des pouvoirs publics. De fait, le texte constitutionnel issu de la révision de 1982 ne peut se comprendre sans les conflits entre la présidence de la République et les partis politiques au cours de la période transitoire de la démocratie portugaise. C’est ainsi, par exemple, qu’il faut comprendre la modification du pouvoir de révocation du Gouvernement par le Président de la République, ainsi que la modification du lien de responsabilité entre le premier et le second. Ces deux points sont encore en discussion politique et analytique, les entretiens s’en font l’écho, et ce, à  propos de la dissolution décidée par Jorge Sampaio en 2004 notamment.

L’équivoque qui ferait du Portugal, « le premier et le principal épigone européen de la Constitution de 1958 » tient beaucoup à  l’adoption rapide et quasi universelle du concept de « régime semi-présidentiel ». Cette équivoque est d’autant plus prégnante que l’adoption du concept de Maurice Duverger est portugaise – à  l’exception notable de Vital Moreira –, mais aussi étrangère, non seulement par la littérature anglo-saxonne qui domine le débat sur le champ institutionnel et par l’italienne qui a une forte production sur la question semi-présidentielle. Même utilitariste selon les propos de Vital Moreira, il n’en demeure pas moins que « l’argument semi-présidentiel à  plus de valeur à  Lisbonne qu’à  Paris ». Aussi, indépendamment de la qualité opératoire du concept de Maurice Duverger, indépendamment du rejet du même concept par différentes communautés scientifiques françaises, la Cinquième République s’est imposée comme prisme analytique relativement aux institutions portugaises, contre leur propre histoire et fonctionnement. Or ce prisme est problématique pour comprendre la réalité des institutions portugaises et notamment la fonction du Président de la République. Plus que problématique, il est déformant, comme le laissent transparaître les différents entretiens.

Ainsi, les élections présidentielles n’ont pas une visée gouvernementale ; les différents candidats ne proposent pas un programme de gouvernement. Elles ne sont pas plus partisanes : non seulement les candidatures sont proposées par des citoyens, mais encore les partis politiques n’y interviennent que fort peu, surtout d’un point de vue logistique, sans oublier que l’élection présidentielle est la seule à  être unipersonnelle. Cela ne veut pas dire que les élections présidentielles ont été dépolitisées ; elles se font toujours sur un axe droite-gauche. Cependant, il n’existe pas au Portugal de vote stratégique qui répartirait les différentes institutions politiques entre les différents cadrans de l’échiquier politique. Les Portugais ne ventilent pas leurs œufs dans différents paniers pour paraphraser un des arguments de campagne de Mário Soares lors de sa première candidature à  la présidence de la République en 1986. Le principal facteur explicatif du vote aux élections présidentielles est l’éloignement du candidat vis-à -vis de son parti d’origine et de l’affrontement partisan. La défaite de Anà­bal Cavaco Silva en 1996 et sa victoire en 2006 sont de bons exemples de cette explication du vote ; différents entretiens l’explicitent. Reste que, comme en France, le Chef de l’État portugais est « Président de tous les Nationaux » ; sauf que, contrairement à  la France, tous les candidats élus à  la présidence de la République, depuis Mário Soares, ont déclaré que la majorité présidentielle s’éteignait avec leur victoire. Comme l’affirme Jorge Sampaio dans son entretien, cette déclaration est fondamentale : elle est la seule à  même de donner une réalité au « Président de tous les Portugais » et de fonder une intervention qui soit « au-dessus des partis », ou préférablement qui soit extérieure à  la dichotomie fondamentale du régime parlementaire, entre majorité et opposition.

Cette extériorité se retrouve aussi dans la position présidentielle vis-à -vis de la fonction gouvernementale. En d’autres termes, tous les intervenants le rapportent, le Président de la République Portugaise ne fait pas partie du pouvoir exécutif. Ainsi, il existe une autonomie fonctionnelle du Gouvernement, à  lui seul revient « le pouvoir de direction politique majoritaire ». Cette extériorité présidentielle doit aussi se comprendre vis-à -vis de l’opposition au Gouvernement en place : il ne revient pas Président d’en être le chef, un membre, ou même de proposer des alternatives concrètes aux politiques suivies. Reste que si cette extériorité est nette en politique intérieure, la politique étrangère et de défense sont des domaines où la séparation est moins assurée. Cela tient entre autres au fait que le Président est « le représentant de la République Portugaise » et le « Commandant Suprême des Forces Armées ». Néanmoins, toujours contrairement à  la France, il n’y a pas de domaine « partagé » ou « réservé » ; le Gouvernement dispose du monopole de la direction politique en politique étrangère et de défense, aussi. Reste que, comme le montre les entretiens avec Jorge Reis Novais ou Jorge Sampaio, les affaires étrangères et la défense nationale sont des domaines où le Gouvernement est obligé à  une concordance pratique avec le Chef de l’État et où les précédents favorables à  ce dernier sont plus aisés à  établir.

L’extériorité du Président de la République vis-à -vis du rapport de force partisan et de la fonction gouvernementale n’est que double en apparence dans un régime parlementaire. En effet, le Gouvernement doit disposer d’une majorité parlementaire pour se maintenir et exercer ses fonctions. En conséquence, il n’existe pas de « cohabitation » au Portugal. Ce terme, si attaché à  la Cinquième République et à  son fonctionnement, existe au Portugal, à  l’instar de « domaine partagé » ou « réservé ». Il n’en demeure pas moins que, pour les institutions politiques portugaises, soit ces expressions sont pertinentes, mais doivent recouvrir un concept différent, soit elles n’existent que pour être rejetées quant à  la réalité française qu’elles recouvrent. C’est cette voie qu’ont choisie les différents intervenants.

Cette même extériorité n’implique pas une présidence de la République dépourvue de contenu ou de poids politique. Le Chef de l’État dispose d’une « magistrature d’influence », selon l’expression consacrée, y compris par les entretiens. Celle-ci ne s’épuise pas dans une tâche, discrète, de fluidification du cours de la vie politique portugaise ou de promotion d’accords entre les autres acteurs politiques. Le Président de la République Portugaise, s’il n’a pas de programme, a « une idée du et pour le Portugal ». Elle s’exprime par les discours présidentiels ; ils sont très nombreux et portent sur tous les domaines de l’activité étatique et sociale. Elle est recouverte par un concept, « les grands desseins nationaux ». Ces derniers se sont parfois traduits par des « présidences ouvertes », déplacements présidentiels particuliers, inventés par Mário Soares, poursuivis par ses deux successeurs. Ces différents expressions et concepts sont présents dans les entretiens, qui tous soulignent que ces moyens d’intervention présidentielle ne doivent pas s’exercer sur le même plan que celui de la fonction gouvernementale, c’est-à -dire aussi selon les modalités d’une opposition. À des fins d’illustration, il serait possible de comparer une telle intervention présidentielle au pouvoir l’antique sénat patricien : le Président de la République recouvrirait d’une « auctoritas » les problématiques mises en avant par lui. Aux mêmes fins, il disposerait pareillement d’une puissance tribunitienne : il mettrait en avant les demandes citoyennes qui n’auraient pas été prises en charge par les autres institutions politiques. À défaut d’analogies latinisantes, la magistrature d’influence n’est pas dépourvue d’implications politiques quotidiennes, parfois néfastes pour les autres acteurs politiques et notamment le Gouvernement. L’action présidentielle de Mário Soares au cours de son second mandat en est la meilleure illustration. Anà­bal Cavaco Silva, comme cela est visible dans son entretien, dit avoir souffert de cette action ; Jorge Sampaio a voulu s’en éloigner. Le même second mandat de Mário Soares est à  l’origine de l’image erronément effacée de son successeur, au regret de son conseiller pour les affaires constitutionnelles.

La même magistrature, son contenu, permet au Président de participer à  la formation de la volonté politique de l’État. Étant donné que cette participation ne tient pas du pouvoir de direction politique majoritaire, la magistrature présidentielle portugaise peut être recouverte par le concept employé par la littérature italienne, « pouvoir d’orientation politico-constitutionnelle ». À lumière des différents entretiens, ce pouvoir peut être résumé ainsi : influence sur le fonctionnement de la Constitution de la République Portugaise dans sa partie organique, initiative tendue vers le consensus quant à  la loi fondamentale dans sa partie programmatique.

Le dernier point saillant des entretiens ici présentés est l’utilisation par les intervenants de l’expression « pouvoir modérateur ». Plus qu’une expression pour englober l’actuelle fonction présidentielle portugaise, ce pouvoir était présent dans la Charte Constitutionnelle de 1826, loi fondamentale portugaise ayant été en vigueur le plus longtemps. Ce pouvoir appartenait au Roi. Indépendamment des modifications de la Charte ou des divergences avec l’actuelle Constitution Portugaise, le « pouvoir modérateur » présidentiel trouve son origine première dans le « pouvoir neutre » de Benjamin Constant et donc dans la monarchie française selon la Charte de 1814. Les actuels pouvoirs du Chef de l’État portugais sont plus proches de ceux du « pouvoir neutre » dans sa version

« pouvoir royal » que dans sa version « pouvoir préservateur », mais surtout la fonction présidentielle portugaise peut s’inscrire – les entretiens le suggèrent – dans la description constantinienne du pouvoir neutre :

« Le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif […], sont [deux] ressorts qui doivent coopérer, chacun dans sa partie au mouvement général : mais quand ces ressorts dérangés se croisent, s’entrechoquent et s’entravent, il faut une force qui les remettent à  leur place. Cette force ne peut pas être dans l’un des ressorts, car elle lui servirait à  détruire [l’autre]. Il faut qu’elle soit en dehors, qu’elle soit neutre, en quelque sorte, pour que son action s’applique nécessairement partout où il est nécessaire qu’elle soit appliquée, et pour qu’elle soit préservatrice, réparatrice, sans être hostile ».

Étant entendu que les deux ressorts évoqués doivent être réinterprétés à  la lumière du parlementarisme contemporain, la neutralité du Chef de l’État n’a plus à  s’exercer entre un exécutif et un législatif : la neutralité du Président de la République Portugaise trouve son expression entre une majorité gouvernementale et une opposition parlementaire.

Il faut naturellement préciser que ce recours n’était pas prédéterminé par les dispositions constitutionnelles ou par l’histoire politique du Portugal : il doit être compris comme le moyen pour les titulaires de la charge présidentielle de garantir leur pertinence politique et maximiser leur capacité d’action, tout en se prémunissant des aléas éventuellement négatifs du jeu et de l’alternance parlementaires.

Ce dernier point, le recours au « pouvoir neutre » dans sa version portugaise, n’a pas seulement une valeur analytique quant à  la présidence de la République et à  sa place au sein des institutions politiques portugaises. Il peut ainsi servir de produit de contraste quant à  l’institution présidentielle française, par un retour des choses. En effet, le parlementarisme orléaniste, l’idée d’un « Président au-dessus des partis » qui ne disposerait que de pouvoirs de sollicitation demeure un arrière-plan politique, analytique et médiatique de la Cinquième République. Cet encadrement perdure malgré le fonctionnement des institutions françaises depuis 1958. Il est ainsi possible de reprendre Benjamin Constant et d’avancer que, contrairement à  la France, le Portugal a su créer et maintenir une véritable « clé de toute l’organisation politique », soit la séparation du « pouvoir neutre » et du « pouvoir exécutif ». Il est tout autant possible de paraphraser le même auteur et de subodorer, avec Jorge Reis Novais ou Vital Moreira, que, contrairement au Portugal, la Cinquième République et sa pratique ont rabaissé le « pouvoir neutre » au rang du « pouvoir exécutif » ou élevé ce dernier au niveau du premier. Pour Benjamin Constant, quelle que soit la branche de l’alternative choisie, elle serait « contraire à  toute liberté régulière ».

En conclusion, l’ensemble des entretiens ici présentés dévoile que, si la Cinquième République a pu servir de moyen de légitimation pour la nouvelle démocratie portugaise, le fonctionnement des institutions politiques françaises et notamment sa figure présidentielle servent de référentiel de rejet pour les acteurs politiques et académiques portugais lorsqu’ils évoquent le régime politique portugais et plus particulièrement la place qu’y occupe le Président de la République.

Entretiens

Entretien avec Monsieur Anà­bal Cavaco Silva

Question : Considérez-vous le terme « cohabitation » adéquat pour décrire les relations entre le Président de la République et le Premier Ministre au Portugal ?

Réponse : Ce n’est effectivement pas un bon terme, on l’a importé de France, comme vous le savez. Les relations entre un Premier Ministre et un Président de la République ne sont pas tributaires de l’appartenance partisane, d’autant plus que le Président n’a pas de pouvoirs exécutifs. Ces relations dépendent de la personnalité des acteurs en présence. Aujourd’hui nous sommes dans la même situation que lorsque j’étais Premier Ministre, un Président issu du Parti Socialiste et un Premier Ministre appartenant au Parti Social-Démocrate, cependant leurs relations sont beaucoup plus apaisées.

Aussi je préfère une qualification d’origine espagnole : « convivência ».

Q : Considérez-vous le devoir d’information envers le Président de la République important quant au lien de responsabilité entre Premier Ministre et Président de la République ?

R : J’accordais effectivement beaucoup d’importance à  ce devoir, quitte à  le remplir par excès. Mais d’un point de vue politique, ce devoir, et l’accomplissement que j’en ai fait, était aussi un moyen de défense en tant que Premier Ministre. Cela évite ainsi de se voir accusé par le Président de dissimuler des informations importantes.

D’un point de vue plus général, ce devoir est une des fondations d’une bonne relation entre les deux organes en question en vue d’une coopération fructueuse. C’est un élément de la solidarité institutionnelle.

Q : Lors de vos réunions avec le Président de la République, le thème le plus abordé était la politique internationale ; considérez-vous que le Président de la République doit avoir plus de pouvoirs dans la conduite des affaires étrangères ?

R : Non, le Président a seulement des fonctions de représentation, c’est le Gouvernement qui a le pouvoir décisionnel parce qu’il est responsable devant l’Assemblée de la République. Néanmoins, parce qu’il nomme les ambassadeurs, voyage beaucoup, le Président doit être informé.

Par ailleurs, le Portugal se doit de parler d’une seule voix, or une intervention du Président de la République, contraire à  la position du Gouvernement, mettrait le Portugal dans une situation délicate, aussi c’est au Gouvernement de décider. Cette situation n’est pas totalement défavorable au Président de la République : elle lui donne un grand pouvoir de négociation et d’influence sur le Gouvernement. Nous pouvons prendre l’exemple récent de l’Irak : le Président, opposé à  une participation portugaise et en tant que Commandant Suprême des Forces Armées – même si cette attribution n’est pas définie sur le plan des compétences – s’opposait à  l’envoi des Forces Armées, aussi c’est la Garde Nationale Républicaine, force militaire, mais en dehors des Forces Armées, qui est partie en Irak.

Q : Est-ce que vous parliez de politique internationale pour éviter de parler d’autres choses, et donc de politique intérieure ?

R : Nous en parlions, mais beaucoup moins, et seulement des sujets importants et donc polémiques. Dans ces cas, j’expliquais la position du Gouvernement avant toute déclaration publique de la part du Président.

Q : Le Parti Social-Démocrate avait exposé des conditions de soutien à  la candidature de Mário Soares à  la présidence de la République pour su second mandat ; considérez-vous que ces conditions doivent correspondre à  la bonne conduite de tout Président ?

R : C’étaient les conditions du Parti Social-Démocrate. Il ne s’agissait pas tant de bonne conduite que de cerner, de baliser, de borner la fonction présidentielle.

Q : Vous avez déjà  affirmé que, notamment au moyen des présidences ouvertes au cours de son second mandat, l’action de Mário Soares avait pour objectif de saper le Gouvernement que vous dirigiez ; considérez-vous que les présidences ouvertes sont génétiquement tournées vers cet objectif ou qu’elles ont été déviées de leur utilité ? Si elles l’ont été, quelle est, selon vous, leur utilité ?

R : Tout d’abord, il est indéniable que les présidences ouvertes sont une création politique intelligente. D’un point de vue symbolique, elles revêtent un caractère monarchique : le Président installe sa cour hors de la capitale, cela fait plaisir aux notables locaux, etc.

De façon plus sérieuse et importante, je pense que c’est un élément de cohésion nationale. Pendant le premier mandat de Mário Soares, elles ont revêtu ce caractère. Pendant le second mandat, elles ont été dénaturées : il s’agissait surtout de focaliser la communication sociale sur les difficultés que le Portugal traversait et d’en responsabiliser le Gouvernement. D’ailleurs, dès que j’ai renoncé à  me présenter à  un troisième mandat de Premier Ministre, il n’y plus eu de présidences ouvertes.

L’actuel Président de la République, Jorge Sampaio, lors de ses déplacements à  l’intérieur du pays, se focalise moins sur les difficultés du pays, il souligne aussi les points positifs, les avancées : il s’agit là  d’une fonction de mobilisation des forces vives du Portugal.

Q : « Semi-présidentiel » est-elle une bonne qualification pour le régime politique portugais ?

R : Je pense que c’est une bonne qualification pour le Portugal : la double responsabilité du Gouvernement, devant l’Assemblée de la République et devant le Président, le droit du Président de dissoudre l’Assemblée de la République, l’élection directe du Président de la République. C’est une meilleure qualification que parlementarisme atténué ou semi-parlementarisme.

Q : L’article 195 2. de la Constitution de la République Portugaise impose des conditions au renvoi du Gouvernement par le Président de la République. Selon la loi fondamentale portugaise, il faudrait que ce renvoi assure le retour au « fonctionnement régulier des institutions démocratiques ». Selon vous, quand est-ce qu’un tel renvoi serait acceptable ?

R : Seulement dans les situations de crise. Lorsque le Gouvernement est soutenu par une majorité stable, il me semble que le renvoi ne doit s’exercer qu’en cas d’une tentation d’abus de pouvoir. L’utilisation de cette disposition se doit d’être un dernier recours d’autant plus que la Constitution prévoit de nombreux mécanismes de « checks and balances ». Aussi, je ne vois que les situations de crise.

D’ailleurs, il est intéressant de noter que la disposition, dans les termes actuels, intégrée à  la Constitution lors de la révision de 1982 vient du Parti Socialiste, notamment, parce qu’il avait été échaudé par l’action du Président António Ramalho Eanes, dont une des victimes fut Mário Soares.

Q : Vous avez affirmé que lors de son second mandat, Mário Soares avait cessé d’être un arbitre pour devenir un joueur ; qu’entendez-vous par « arbitre » du système politique portugais ?

R : Il est arbitre parce qu’il doit être au-dessus des forces partisanes, il est arbitre parce qu’il doit être le Président de tous les Portugais. Il se doit de rapprocher, notamment en ce qui concerne les grandes causes nationales, c’est le cas avec l’actuel Président, les différentes positions, celles du Gouvernement et celles de l’opposition, par exemple. En d’autres termes, il ne doit pas prendre position, ou au moins les critiques qu’il peut émettre ne doivent pas se situer sur le même plan que celles de l’opposition, elles ne doivent pas se confondre avec celles de l’opposition, comme cela a été souvent le cas avec Mário Soares.

Q : Fin 1995, votre candidature à  la présidence de la République a son origine dans une décision personnelle ou dans une décision partisane ? Quelle était – et quel est – votre interprétation de la fonction présidentielle, et notamment de l’expression « magistrature d’influence » ?

R : J’ai beaucoup hésité avant de me présenter. La défaite du Parti Social-Démocrate aux législatives de 1995, l’absence d’un candidat crédible au sein du parti et plus largement à  droite, et la volonté de ne pas se voir accusé de fuir la scène politique ont emporté ma décision. Mais il ne faut pas oublier qu’au Portugal, une candidature est toujours personnelle puisqu’elle ne peut pas être présentée par un parti.

Quant à  la question concernant la « magistrature d’influence », il ne faut pas oublier que si le Président de la République se contente de ses pouvoirs constitutionnels, il ne détiendra qu’un pouvoir négatif.

Cette influence s’exerce selon une double modalité. Lorsqu’elle est discrète, non publique, elle permet un échange très franc et ouvert avec le Gouvernement, mais aussi avec l’opposition. Lorsqu’elle est publique, il faut qu’elle donne voix au sentiment du pays. Lorsqu’elle est publique, elle se doit de mobiliser la société pour surmonter les défis qui se trouvent devant elle, et ce, au travers de la tonalité du discours, grâce à  des références, à  des valeurs. Dans ce sens, on pourrait évoquer la démocratie et la lutte pour la démocratie dont Mário Soares, par son histoire personnelle et politique ainsi que par son action, s’est souvent fait le chantre.

Ainsi, la « magistrature d’influence » a un triple destinataire : le Gouvernement, l’opposition et la population en général.

Q : Considérez-vous que la victoire de Monsieur Jorge Sampaio en 1996 a eu pour cause la grande proximité entre la fin de vos fonctions gouvernementales et les élections présidentielles ; en d’autres termes, considérez-vous que vous étiez encore trop marqué par la couleur orange pour être vu comme le Président de tous les Portugais ?

R : Je ne le pense pas, je ne me considère pas comme une personne de parti, un homme du Parti Social-Démocrate. Mon Gouvernement gouvernait pour tous les Portugais, ayant pour critère celui de l’intérêt national ; sans quoi, nous n’aurions pas eu de majorité absolue au Parlement, notamment à  l’issue des législatives de 1991. Je pense qu’au bout de dix ans, la population était fatiguée, le vote a donc rimé avec changement, indépendamment de l’œuvre réalisée. D’ailleurs, une personne, que j’ai croisée après les élections, m’a dit que le résultat était dû au fait que les Portugais en « avaient marre de pédaler ».

Q : Considérez-vous que le Président de la République Portugaise devrait avoir une place plus importante dans la conduite de la politique gouvernementale, comme en France ; ou devrait-il avoir un rôle plus effacé que dans le système actuel ?

R : Un Président à  la française, ce ne serait pas bon. Il ne doit pas avoir de pouvoirs exécutifs, faute de quoi il y aurait trop d’affrontements. Par ailleurs, dans un régime présidentiel, la tentation de glisser vers un pouvoir absolu serait grande et le Parlement serait trop divisé pour gouverner. C’est ce qui s’est souvent passé en Amérique Latine. Quant au régime parlementaire, il y aurait une tentation parlementariste, de glisser vers le régime d’assemblée.

Le système a bien fonctionné dans des situations très diverses, pas la peine de le changer, il faut le laisser comme il est.

Entretien avec Monsieur Jorge Sampaio

Déclaration préliminaire :

Le régime politique portugais actuel, notamment en ce qui concerne le Président de la République, trouve son origine dans les soubresauts politiques que le pays a connu au XXème siècle y compris pendant la période révolutionnaire. Ce fut d’abord le mauvais fonctionnement de la Première République, parlementaire, tombée sous les coups de boutoirs des militaires et de António de Oliveira Salazar : il fallait revenir à  un régime avec une composante parlementaire forte tout en corrigeant les excès du premier régime républicain. Cela nous amène à  l’élection, entre guillemets, du Général Humberto Delgado qui montra de façon spectaculaire l’importance de l’élection présidentielle aux Portugais et qui obligea l’ancien régime à  changer le mode d’élection du Chef de l’État. À partir de ces événements, aucune force politique d’opposition ne voulut plus jamais abandonner l’élection directe du Président de la République. D’ailleurs peu après les débuts de la Révolution – et je peux vous le révéler – dans mon cabinet d’avocat, j’ai prévenu les quelques constitutionnalistes qui s’y étaient réunis de la possibilité de conflits entre le Parlement et le Président, tous deux disposant de la même légitimité démocratique. Ce à  quoi ils ont répondu que l’élection au suffrage universel du Président était fondamentale et qu’elle était une des revendications traditionnelles de l’opposition démocratique.

Second point, lors de la révision de 1982, dans les minutes des débats, vous trouverez une déclaration de vote de plusieurs députés, comme Francisco Salgado Zenha ou moi-même, qui tout en se prononçant en faveur de la révision, étaient très critiques à  propos de l’effacement de la responsabilité du Gouvernement devant le Président de la République : les forces dites démocratiques voulaient isoler le Général António Ramalho Eanes et son interprétation des pouvoirs présidentiels. Avec cette révision, la composante parlementaire se renforçait, mais la dissolution devenait libre : on a retiré les troupes d’élites au Président tout en le dotant de la bombe atomique. Et même si je n’apprécie pas le langage militaire, cette dernière fut utilisée par le Général António Ramalho Eanes, par Mário Soares et par moi de manière plus énergique.

Comme on ne voulait pas du présidentialisme, nous avons trouvé des moyens de combiner le présidentialisme et le parlementarisme. C’est pourquoi les José Joaquim Gomes Canotilho et Vital Moreira ne qualifient pas le régime de « semi-présidentiel » au contraire de Jorge Reis Novais, qui fonde son argumentation sur le pouvoir de dissolution notamment.

En somme, le Président ne préside pas le Conseil des Ministres, il a des fonctions en politique extérieure et dans la défense qui ne sont pas les mêmes – moindres – que celles du Président français : aussi, s’il appartient clairement à  famille des régimes semi-présidentiels, le régime portugais a adopté des solutions qui découlent de la pratique, des nécessités et des traumatismes de la vie politique portugaise. C’est une combinaison, modifiée en 1982, qui aujourd’hui est ancrée.

À ses débuts, il y avait autour du Général António Ramalho Eanes certains qui prônaient une vision présidentialiste, elle a échoué. En ce qui me concerne, certains m’ont accusé d’abaisser la présidence ou, souvent les mêmes, ont poussé des cris d’orfraie en parlant d’attentats à  la Constitution. C’est un balancier permanent, on doit le supporter.

Question : Au Portugal, il existe l’idée que les Portugais n’aiment pas mettre tous les œufs dans le même panier. Pourtant, vous avez été élu avec un Gouvernement de la même couleur politique, comment l’expliquez-vous ? Jusqu’à  quel point la fatigue de l’opinion vis-à -vis d’Anà­bal Cavaco Silva vous y a aidé ?

Réponse : Malgré cette idée, j’ai été candidat avec un Gouvernement socialiste. Je trouvais et je trouve que c’est une idée très floue : en fait, les Portugais espèrent que le Président soit indépendant, autonome, modérateur, qu’il critique quand il pense que cela s’avère nécessaire, stimule quand il pense qu’il doit le faire. Il est vrai que quand le Président est issu du même parti, le Gouvernement aura tendance à  minorer l’importance du Président. Dans ce cas, les oppositions se tournent vers le Président pour garantir les droits de l’opposition, voire afin d’être une forme d’opposition. C’est ce qui se passe en ce moment. Lorsqu’il s’agit de partis différents, le contraste est plus facile et le Gouvernement doit avoir à  l’esprit l’éventuelle attitude présidentielle. Dans ma correcte interprétation des pouvoirs présidentiels, je considère que ce thème doit être mis au second plan dans la mesure où notre système diffère du français. Je ne me suis jamais considéré comme le leader de l’opposition ou de la majorité. Ces jeux-là  doivent avoir lieu au sein du Parlement : le Président doit suivre son chemin de façon la plus autonome, enrichissant sa fonction d’un ensemble d’attitudes selon son jugement des rapports de force au sein du pouvoir.

Q : De même, comment expliquez-vous la contradiction entre la bipolarisation des élections présidentielles et la volonté des Portugais et de la Constitution d’avoir un Président neutre et apartisan ?

R : C’est une tradition qui vient de presque 1958, mais qui a connu des exceptions. Ainsi la première élection du Général António Ramalho Eanes fut très particulière puisqu’il y a eu un très grand rassemblement derrière lui. La première élection de Mário Soares, ce fut la gauche contre la droite ; ce ne fut plus le cas pour la seconde. Il en fut de même pour moi, sûrement parce que le candidat Anà­bal Cavaco Silva était fatigué et fustigé de sa présence au Gouvernement. Cela m’a rendu service, j’en suis convaincu même si je ne peux pas évaluer l’ampleur du phénomène. Plus que je ne l’ai repoussé vers la droite, il a essayé de me repousser vers la gauche. Lors de ma seconde élection, il y avait des candidats de tous les bords politiques ; d’ailleurs, je considère ne pas avoir reçu l’appui du PSD comme un avantage.

Lors de la dernière élection, je pense que les Portugais ne se sentaient pas dans la même situation qu’en 1985 ou 1995. Ce fut avant tout une comparaison entre personnes. Il est vrai qu’à  gauche il y avait beaucoup de monde « anti-Cavaco », mais on n’a pas assisté à  l’affrontement droite-gauche parce que les gens voyaient Anà­bal Cavaco Silva comme le représentant d’un centre dénué de tout danger de retour en arrière. Je pense qu’aujourd’hui les Portugais sont convaincus que les choses sont stables dans le système portugais. Je crois y avoir contribué : même si je n’ai pas abandonné mes convictions ou mes origines, je crois avoir renforcé la normalité des relations institutionnelles. On ne sait pas ce qu’il adviendra lors des prochaines élections, mais je crois que l’action d’Anà­bal Cavaco Silva tend à  rompre le cercle des relations droite-gauche autour de la figure présidentielle.

Q : Lors de votre première entrée en fonction, vous avez souligné la difficulté de succéder à  Mário Soares. Après les dix années à  la présidence, on vous reconnaît d’avoir théorisé la fonction présidentielle. Était-ce prémédité ?

R : Oui, parce que j’ai toujours eu un grand intérêt pour le Droit Constitutionnel – j’en discutais souvent avec mes conseillers – et parce que j’ai été confronté à  des situations où il fallait prendre des décisions d’une énorme complexité. J’ai aidé à  forger le contenu de la fonction présidentielle alors que la Constitution n’offre que des voies générales ; vous pouvez vous y mouvoir plutôt facilement : vous pouvez parler ou ne pas parler, parler plus ou moins fort, lorsque la situation est très mauvaise faire un boucan assourdissant, même si j’ai toujours pensé que les Gouvernements devaient mettre en place leur programme. Comme je l’ai dit, mon interprétation allait jusqu’à  considérer que le Gouvernement puisse mal gouverner : c’est au Parlement ou aux élections législatives de faire leur travail. Par contre, je peux monter le ton dans la critique ou dans la suggestion, je peux m’allier avec des forces sociales contestataires, etc. Il existe des limites – cela va de soi –, mais le Président dispose d’une grande liberté de manœuvre. Comme je le disais encore récemment à  Jorge Reis Novais, j’ai toujours aimé l’équilibre de la Constitution portugaise sur ce point : habitué au fait de disposer de certains pouvoirs et pas d’autres, il faut essayer d’étirer les possibilités à  leur maximum. Au bout de dix ans, vous pouvez dire que parmi tous les points que j’ai soulevés, certains n’ont pas eu de suite, ou tout du moins n’ont pas eu l’influence que j’aurais espérée.

Q : Au cours de vos interventions, vous expliquiez le rôle du Président et le fonctionnement du système politique portugais. Cette volonté pédagogique fait-elle partie de la fonction présidentielle ?

R : Oui, le système nous y pousse. Nous sommes obligés de faire œuvre d’une sorte de militantisme de la démocratie, sur les difficultés et la manière de les surmonter, faute de quoi la fonction se réduirait à  taper constamment sur le Gouvernement. Contrairement à  la France où l’on rend responsable le Président de l’état des choses, les Portugais ne font pas cela vis-à -vis de leur Président. C’est pourquoi le Président est toujours mieux jugé dans les sondages que le Gouvernement : ils savent qu’il existe une référence de stabilité et de conseil, un bon père de famille, un pédagogue de la démocratie et des orientations à  suivre. Le plus important c’est que cela ne peut plus être remis en cause.

Q : Existe-t-il une différence entre votre « magistrature d’influence et d’initiative » et la « magistrature d’influence » de Mário Soares ?

R : La question m’a déjà  été posée et je considère que ce n’est pas à  moi d’y répondre : c’est aux analystes comme vous de le faire. Nous sommes différents, les situations auxquelles nous avons été confrontés étaient différentes : l’accélération de la globalisation, l’instabilité qui m’est tombée dessus, la précarité de certains équilibres, les injonctions que j’ai dû effectuer… Le point commun c’est d’avoir voulu moderniser et stabiliser la démocratie portugaise. En ce qui me concerne plus particulièrement, c’est d’avoir consolidé une interprétation durable des pouvoirs présidentiels.

Faisons une interprétation pour la première fois et à  brûle-pourpoint : Mário Soares et moi avons pioché dans le même ensemble d’interprétations des pouvoirs présidentiels. Mais il faut ajouter que les affrontements Mário Soares et Anà­bal Cavaco Silva furent bien plus durs que mes relations avec José Manuel Durão Barroso : les majorités absolues tendent à  effacer un peu le rôle du Président ou le forcent à  accompagner le Gouvernement. Pour combattre l’un et l’autre, mais aussi une dérive gouvernementaliste à  ses yeux, Mário Soares s’est hérissé durant son second mandat notamment. Mon cas fut très différent puisque j’avais à  faire à  des problèmes de stabilité. D’aucuns diraient – et je ne suis pas d’accord – que Mário Soares fut plus interventionniste et que je suis intervenu de façon décisive lorsque cela s’avérait nécessaire.

Q : Néanmoins, vos présidences ouvertes furent thématiques contrairement (sauf une) à  celles de Mário Soares et moins critique envers le Gouvernement…

R : thématiques, sans aucun doute : c’était pour établir une différence. Le principe des présidences ouvertes est excellent. À ce propos, j’ai accompagné Mário Soares en tant que Maire de Lisbonne lors de la célèbre présidence ouverte dans la zone métropolitaine de la capitale. J’ai poursuivi la pratique ; je les ai faites thématiques parce que cela les rendaient plus fécondes et les coordonnaient avec les débats et les conférences que j’ai organisés sur les domaines les plus divers. J’ai trouvé que l’on allait plus loin lors de présidences thématiques qu’en additionnant simplement des territoires.

Q : Existe-t-il une différence entre la « solidarité institutionnelle » de Mário Soares et votre « coopération institutionnelle » ?

R : Je n’avais jamais pensé à  cette subtilité de vocabulaire. Néanmoins, réfléchissons un peu : je pense que « coopération institutionnelle » est plus adéquate. D’ailleurs, je ne comprends pas pourquoi Mário Soares utilise cette expression, d’autant plus que parfois il ne fut pas solidaire pour un sou… même si l’on pouvait le comprendre. Dans un système politique comme le nôtre, il faut qu’il existe un minimum de loyauté institutionnelle comme José Joaquim Gomes Canotilho et Vital Moreira l’appellent. Solidarité signifie qu’il existe la même responsabilité, alors que je considère que les responsabilités sont distinctes. Dans l’état actuel du pays et du monde, la coopération est vitale.

Q : La couleur politique du Gouvernement et l’ampleur de son soutien parlementaire sont-ils des facteurs du comportement présidentiel vis-à -vis du pôle parlementaire du régime ?

R : L’ensemble des partis politiques ont tous un minimum de respect vis-à -vis du Président de la République. Il existe une chorégraphie autour de ce dernier : les uns disent que le Président est de leur avis et c’est tant mieux, les autres affirment leur grand respect quand ce n’est pas le cas. Le véritable ballet qui a lieu en ce moment m’amuse beaucoup.

Il ne faut pas cesser de prendre en compte ce qui se trouve au Parlement parce que c’est les résultats d’élections, mais le Président ne doit pas s’en trouver affecté. Par exemple, si le Président met des vetos en série parce que le Gouvernement n’est pas de sa couleur politique d’origine, il se risque de voir ses vetos renversés : aucun Président ne pourrait rester indemne s’il apposait constamment son veto – ce pour quoi il n’est pas fait – parce qu’il courrait le risque de les voir facilement renversés. Le veto est à  utiliser avec parcimonie ; aucun des miens n’a été renversé.

C’est important : c’est percevoir ce que l’on peut faire et jusqu’où l’on peut aller. Il faut savoir vivre avec une majorité qui n’est pas théoriquement la même que celle qui nous a élu parce que je considère qu’il n’y a pas de majorité présidentielle. C’est un point que j’ai pris très au sérieux ce qui m’a d’ailleurs permis d’obtenir des voix de tous les horizons lors de ma seconde élection.

Il faut néanmoins reconnaître que lorsqu’il existe une majorité absolue, le Président doit être plus attentif.

Q : Jusqu’à  quel point « la faculté d’empêcher » du veto permet au Président d’influencer la politique gouvernementale ?

R : L’influence est indéniable, mais pas totale, car cela serait une distorsion de ce pouvoir présidentiel. Il existe des moments où la personnalité du Président, ses convictions, sa profession de foi – puisque je considère qu’il ne doit pas y avoir de candidature programmatique étant donné que son programme c’est la Constitution de la République Portugaise et l’interprétation qu’il en fait ; nous sommes tous tombés dans ce biais induit par l’ambiance de la campagne électorale – le poussent à  utiliser cet instrument, mais cela ne doit pas devenir une normalité parce que cela reviendrait à  se substituer au Gouvernement. Le Président est un recours pour certains points fondamentaux : dans ce cas, il doit intervenir parce que cela va à  l’encontre de la Constitution, de la démocratie, de la vie politique portugaise.

Q : Jusqu’à  quel point les messages motivés ou le sens du veto influencent le contenu des textes parlementaires ou gouvernementaux ?

R : Leur influence est réelle. Par exemple, dans le cas des droits, libertés et garanties, on sait que le Président est très attentif à  leur respect et qu’il ne craint pas d’intervenir : il serait inutile de tenter quoi que ce soit au motif d’un éventuel impératif sécuritaire.

[Sur les messages en général], il y a eu un quelque chose de nouveau que j’avais essayé de faire dans le domaine économique et budgétaire : l’économie allait déjà  très mal, c’était déjà  le Gouvernement Barroso, j’ai essayé de faire en sorte que le PSD et le PS se mettent d’accord afin d’assainir les finances publiques, d’autant plus que le programme de stabilité et de croissance à  envoyer à  Bruxelles était en préparation. Avec des messages, des coups de fil, des entretiens, je leur ai demandé de se mettre d’accord. Au lieu de cela, majorité et opposition ont préféré leur jeu parlementaire, et ma volonté n’y a rien fait. C’est la même chose avec les pactes : si les partis n’en veulent pas, le Président est désarmé malgré l’influence nécessaire à  leur conclusion.

Q : Le Président portugais ne gouverne pas ; pourtant, comme vous l’avez dit, il dispose d’une fonction d’orientation générale du pays. Comment s’articulent les deux ?

R : En premier lieu, il était curieux de voir que quand je parcourrais le pays, les gens venaient me voir pour en appeler au Président de la République, pour dénoncer, pour critiquer : les Portugais ont intériorisé un système de bon père de famille où le Président serait chargé de représenter leur point de vue auprès du Gouvernement. Dans un second temps, je savais que si je faisais cela publiquement, cela aurait eu des conséquences et pourrait amener au clash. C’est pourquoi j’étais très discret : étant donné l’état dans lequel se trouvait le pays, j’ai considéré que plus je l’aurais crié, plus mal il s’en serait trouvé. Aussi, j’ai discrètement encouragé, montré les réussites et le chemin à  suivre, mais toujours en disant que c’était au Gouvernement que l’exécution appartenait.

Q : Faut-il inclure les grands desseins nationaux dans cette fonction ?

R : Sans aucun doute. J’avais choisi l’innovation dans tous ses aspects, la compétitivité, la solidarité sociale, les déséquilibres de l’aménagement du territoire… En somme, le Président se fait le porte-voix d’aspirations que le Gouvernement aura certainement. Il se place au niveau des grands desseins nationaux en tant qu’entité supraparthe : ce sont les grandes ambitions, les grands objectifs, indépendamment du moyen d’y arriver puisque c’est le domaine du Gouvernement. Le Président considère que tel ou tel objectif est nécessaire et demande que les forces politiques s’organisent, mettent en place des dispositions en fonction de leur orientation politique.

Q : Lors de votre première campagne, vous avez évoqué la possibilité de livres blancs présidentiels ; celui sur la toxicodépendance fut un succès quant au changement de l’image péjorative des utilisateurs de stupéfiants. Vous avez prononcé des discours très forts dans de nombreux domaines, notamment la Justice, la modernisation de la vie politique ou encore sur les médias. Pourquoi vous êtes-vous contenté de recueils thématiques sur ces domaines ?

R : J’en ai fait. Il est vrai que celui sur la toxicodépendance fut très important puisqu’il apporta un changement de paradigme. Ensuite, des livres existent ; certes, ce ne sont pas des livres blancs parce que je considère aujourd’hui que cette dénomination est constitutionnellement douteuse, elle revient plutôt à  ceux du Gouvernement. Il y a eu une douzaine de livres sur les domaines les plus variés en coordination avec les colloques que j’organisais : c’était un moyen de faire des livres blancs sans les appeler ainsi. Malheureusement je reconnais aujourd’hui que ces livres ont été plus importants pour les spécialistes que pour le journal quotidien qui fonctionne avec des titres or, je n’ai jamais eu la préoccupation de donner des titres à  quiconque ; leur importance n’en a pas été moins grande. Ainsi concernant la santé ou l’éducation, on ne me proposerait pas aujourd’hui de participer à  des actions dans ces domaines si j’étais resté muet et inactif lorsque j’étais en fonction. Quant à  la justice, ce fut une de mes grandes préoccupations, mais aussi une frustration : j’ai dit des choses fondamentales qui aujourd’hui se réalisent, mais dont personne ne se souvient mis à  part les magistrats, tant pis…

Q : Mário Soares se disait mal rentabilisé en politique extérieure, vous n’avez jamais utilisé cette expression, mais vous n’en pensiez pas moins à  vous lire entre les lignes...

R : Je n’ai aucun doute que les Gouvernements pourraient bien mieux utiliser le Président qu’ils ne le font dans le cadre de la politique extérieure. Le Président n’a pas le droit de créer et d’organiser une diplomatie parallèle, cela serait une aberration. Mais les visites à  l’étranger, la visite de Chefs d’État étrangers, etc., pourraient être bien mieux utilisées quant à  la promotion de la langue, de la culture ou de l’économie portugaise, d’autant plus que le Président a un impact certain en dehors des frontières ; je le vois encore maintenant alors que je ne suis plus Président. La concertation entre le Président et le Gouvernement ne serait pas difficile à  organiser si ce dernier le voulait.

Q : Lors de votre second mandat notamment, vous avez voulu donner un plus grand contenu au statut de Commandant Suprême des Forces Armées ; était-ce pour vous attribuer un plus grand champ d’intervention dans les affaires étrangères ?

R : Je n’ai jamais eu ce genre d’objectifs sournois comme l’on dit en français. Étant donné que dans la Constitution portugaise le Président est aussi Commandant Suprême des Forces Armées, il faut qu’il en exerce les fonctions. Mais quelles sont-elles ? C’est écrit nulle part. Alors que sans entrer en concurrence avec le Gouvernement chargé de l’exécution de la politique de défense, il existe un Commandant Suprême des Forces Armées qui étudie, écoute, recommande, agit auprès de l’Etat-Major et des militaires. Il est tout aussi absurde qu'au sein du Conseil Supérieur de Défense Nationale le Président ne soit pas informé et ne puisse pas donner son avis sur l’activité des Forces Armées portugaises à  l’étranger. Cela va d’ailleurs changer lors de la prochaine modification de la Loi de Défense Nationale où sera inscrite l’obligation d’un avis du conseil concernant le déploiement des troupes. La défense est un domaine complexe dont les changements sont rapides et importants surtout depuis le 11 septembre 2001 et où le Président se doit d’assumer un rôle de premier plan et donc d’être coresponsable : le Président se doit d’être aux côtés des Forces Armées. Je pense que j’ai eu une influence importante quant à  cette évolution. D’ailleurs mes visites aux troupes portugaises déployées dans des théâtres d’opérations comme en Bosnie ou au Timor n’y sont pas étrangères.

Q : Depuis votre sortie de fonction, vous avez dit que si le Gouvernement de José Manuel Durão Barroso avait voulu envoyer des troupes en Irak, vous l’auriez révoqué…

R : Je ne l’ai pas dit en ces termes. On savait que je ne le voulais pas et – nous y voilà  – la Constitution n’offre que deux solutions : soit les troupes ne partent pas soit le Président se retrouve en porte-à -faux en tant que Commandant Suprême des Forces Armées et responsable en dernier ressort de l’action extérieure du pays. S’il ne veut pas avaler la couleuvre, même s’il se peut qu’il le doive pour des raisons de stabilité politique, la seule solution qui lui reste c’est de démettre le Gouvernement. D’un autre côté, il aurait été possible qu’étant donné l’état de l’opinion nationale, le Président harcelât le Gouvernement : imaginez que toutes les semaines le Président fasse une déclaration manifestant son désaccord quant à  l’envoi des troupes et réclamant leur retour, la situation du Gouvernement en deviendrait infernale alors que la popularité du Chef de l’État ne cesserait de grimper. José Manuel Durão Barroso a très bien perçu la situation et n’a pas voulu suivre ce chemin.

Q : Comment interprétez-vous alors la condition matérielle de l’article 195 2. ; en d’autres termes, quelle est votre interprétation de la responsabilité du Gouvernement devant le Président de la République ?

R : La responsabilité politique a cessé d’être, hélas. Depuis 1982, on ne s’est jamais retrouvé dans une situation remplissant la dite condition. Même lorsque j’ai dissous en 2004 – dissolution qui emporte le Gouvernement avec elle – les institutions démocratiques n’avaient pas cessé de fonctionner de façon régulière. Je considère que la modification de 1982 a diminué drastiquement les pouvoirs du Président. S’il interprète correctement cette condition, il faudrait presque un cataclysme pour démettre le Gouvernement.

Q : Mais le Président est seul juge du fonctionnement régulier des institutions démocratiques…

R : Certes ; mais la modification du texte constitutionnel a été radicale et il est inimaginable que l’on se retrouve dans la même situation que celle du Général António Ramalho Eanes avant 1982. Comme je l’ai dit, le Gouvernement peut mal gouverner et il ne s’agirait pourtant pas d’un mauvais fonctionnement des institutions démocratiques.

Q : Venons-en à  la période la plus polémique de vos deux mandats, la dissolution de décembre 2004…

R : En 2004, deux choses sont importantes. La première qui m’a fâché avec mes amis socialistes : il n’est pas possible de prononcer la dissolution au motif du départ du Premier Ministre parce que cela serait admettre définitivement la présidentialisation du Premier Ministre, qui correspond déjà  à  une tendance. Étant donné que l’on m’assurait que la coalition allait perdurer, qu’on m’indique un nouveau Premier Ministre. C’est la seule interprétation correcte. Ce n’est pas au Président de choisir le nom du Premier Ministre qui est le leader du principal parti. Après le départ de José Manuel Durão Barroso, le numéro deux du PSD était Pedro Santana Lopes qui avait été mis là  afin qu’il se tienne tranquille. La seconde : nous arrivons à  décembre 2004. La situation était telle d’un point de vue économique, social, institutionnel que j’ai considéré que c’était au peuple de se prononcer.

Q : Aujourd’hui, nous savons que dès juin 2004, vous aviez eu des contacts afin que le PSD propose un Premier Ministre autre que Pedro Santana Lopes, à  l’époque non. En décembre 2004, pourquoi ne pas avoir révoqué le Gouvernement en vous fondant sur votre discours de « non dissolution » du 9 juillet 2004, demander au PSD de proposer un nouveau Premier Ministre, puis à  la lumière du refus attendu dissoudre ?

R : Parce que j’ai considéré que face aux incidents répétés et accumulés, aux critiques quotidiennes et à  l’absence de perspectives, cela était devenu une question de légitimité et que donc il fallait consulter le peuple.

Vous pourriez me demander que se serait-il passé si le peuple avait peu ou prou reconduit la même majorité. C’est le dilemme de la dissolution libre et certains m’ont fait le reproche de l’avoir indûment utilisée. Si les élections avaient reconduit la majorité PSD+CDS/PP, le Président se serait retrouvé dans un piteux état et aurait dû rester enfermé chez lui en sortant le moins possible. Il a été dit que j’aurais pensé à  démissionner, c’est un mensonge, mais ma fin de mandat aurait été plus que délicate.

Q : Afin de conclure, quelques questions d’ordre plus général. Comment définiriez-vous le rôle du Président de la République au sein des institutions politiques portugaises ?

R : De but en blanc, c’est un peu difficile ; cela découle de ce que je viens de vous dire : plus haut magistrat de l’État, représentant du pays à  l’étranger, un agent d’influence et de modération sans aucun doute, un arbitre lorsque la situation l’exige, une sauvegarde essentielle des équilibres fondamentaux au sein d’une démocratie moderne.

Q : Avec l’écrasante majorité de la doctrine portugaise, qualifiez-vous le régime de semi-présidentiel ?

R : Oui, à  cause du droit de dissolution libre.

Q : Le concept de cohabitation s’applique-t-il au Portugal ?

R : Non, parce que le Président ne fait pas partie du pouvoir exécutif et parce qu’il n’est pas le chef d’une opposition. Il ne peut pas conspirer avec l’opposition, il doit la recevoir, mais ne doit pas forger une majorité de rechange. S’il venait s’appliquer au Portugal c’est que quelqu’un ne suivrait pas le patron traditionnel des pouvoirs présidentiels.

Q : Quelle est la réalité de l’expression « pouvoir modérateur » ? L’influence de la Charte de 1826 y participe-t-elle ?

R : Oui, cela vient effectivement de là . C’est, comme je le disais tout à  l’heure, quelqu’un qui fait œuvre de pédagogie, qui arrondit les angles ; si le Président dispose d’une certaine crédibilité, l’impact est réel.

Q : À la fin de votre mandat, l’expression qui revenait le plus souvent afin de qualifier votre pratique était « Président citoyen » ; permettez-moi néanmoins de vous poser la question suivante : ne peut-on pas dire que le Président de la République Portugaise est un roi élu ?

R : En tant que républicain militant, j’ai un peu de mal à  répondre à  votre question… Néanmoins ; parce que c’est un organe unipersonnel, parce que les Portugais comprennent les conséquences de l’élection au suffrage universel direct, parce que lors des déplacements du Président de la République, son pouvoir de représentation, son pouvoir modérateur et d’influence sont les plus en vue, et surtout parce qu’il est supra-partes, d’aucuns peuvent en venir à  cette idée. Cela ne veut pas dire que je doive le montrer ostensiblement à  chaque instant et renier ainsi mes origines – cela serait ridicule – c’est pourquoi j’ai gardé ma carte du Parti Socialiste et que je suis resté à  jour dans mes cotisations. Le Président de la République Portugaise doit être supra-partes, faute de quoi il perdrait ce que les Portugais et le système lui reconnaissent : une force morale, de modération, d’influence, d’arbitrage. En somme, tout cet édifice s’écroulerait.

Entretien avec Monsieur Jorge Reis Novais

Question : La Constitution de la République Portugaise laisse fortement à  penser que l’on doit élire un individu à  la présidence et non un programme ou un représentant d’un parti politique ; les Portugais veulent un Président impartial et apartisan. Comment expliquez-vous alors la bipolarisation et la métaphore des œufs ?

Réponse : En termes juridiques, la situation portugaise concernant l’élection présidentielle est la même que la française. Ce ne sont pas les partis qui proposent les candidatures ; à  priori ,les partis ne se mêlent pas de l’élection présidentielle, ce qui n’est plus le cas dans la pratique : au Portugal, seul un candidat soutenu par l’un des deux grands partis a une chance de gagner. Au final, l’élection présidentielle est très partisane, avec un bloc à  gauche et un bloc à  droite.

Il existe néanmoins une différence substantielle entre la France et le Portugal : alors qu’en France on assume le caractère gouvernemental du Président, on considère qu’au Portugal le Président ne gouverne pas. Après l’élection, le Président doit être au-dessus des partis. Cela est assumé dès la campagne électorale. On se retrouve alors dans une situation schizophrénique : dans la pratique, c’est la gauche contre la droite – ce que l’on ne s’avoue pas – et comme il n’y a pas de programme de Gouvernement en jeu, il n’y a pas d’enjeux à  débattre lors de la campagne présidentielle.

De quoi devrait-on alors parler lors de la campagne présidentielle : savoir quelle est la personne la plus apte pour incarner la fonction modératrice dévolue au Président. Or ce n’est pas le cas : on passe le temps à  discuter des pouvoirs présidentiels, on dirait un débat entre constitutionnalistes.

Q : Dans ce contexte, Jorge Sampaio a été élu avec un Gouvernement socialiste contre un ex-Premier Ministre social-démocrate. Jusqu’à  quel point l’essoufflement, voire le rejet, de l’image d’Anà­bal Cavaco Silva l’y a aidé ?

R : Quant à  l’histoire de œufs, je n’y crois pas trop, cela a encore besoin d’être testé. Même s’il ne faut pas exclure la personnalité de Jorge Sampaio, il est clair que l’image dégradée d’Anà­bal Cavaco Silva y a été pour beaucoup.

Q : L’image de Jorge Sampaio est plus effacée que celle de son prédécesseur. Les faits ne donnant pas raison à  cette image. Comment expliquez-vous cette contradiction ?

R : L’image dont vous parlez est celle de la presse. Lorsqu’il est arrivé à  la présidence, il avait mauvaise presse, notamment à  cause des conflits à  l’intérieur du Parti Socialiste, alors que, Mário Soares, au firmament de sa popularité, était présenté comme un Président actif et à  qui on attribuait la chute du Gouvernement d’Anà­bal Cavaco Silva. Or, comme vous le dites, cette image ne se retrouve pas dans les faits, ni même dans l’opinion populaire. Si aujourd’hui, on regarde les sondages, vous ne retrouvez pas cette image.

Cette dichotomie a ses origines dans le second mandat de Mário Soares, très actif et polémique. Alors que l’on attribue à  ce dernier la fin du « cavaquisme », Jorge Sampaio accède à  la présidence dans une situation inversée : avec un Gouvernement de sa couleur politique et minoritaire. Il ne pouvait pas mettre en cause un Gouvernement déjà  fragile. Il se retrouve ainsi coincé dans cette image. Mais cette contradiction n’est apparente puisqu’elle oublie le premier mandat de Mário Soares, lorsque ce dernier collait au Gouvernement social-démocrate.

Q : Existe-t-il une différence entre la « magistrature d’influence » de Mário Soares et la « magistrature d’influence et d’initiative » de Jorge Sampaio ou, entre la « solidarité institutionnelle » du premier et la « coopération institutionnelle » préférée par le second ?

R : Cela ne signifie pas grand-chose dans la pratique : les présidents aiment toujours fuir la terminologie de leurs prédécesseurs. Aujourd’hui, l’actuel Président parle de « coopération stratégique ». Le système est suffisamment structuré pour ne pas laisser la place à  de grandes variations.

Q : Même si Jorge Sampaio a fait évoluer les « présidences ouvertes » vers un contenu thématique et moins critique envers le Gouvernement ?

R : Ce n’est pas une conception différente, mais une situation différente : lors des mandats de Jorge Sampaio, il avait en face de lui des Gouvernements faibles, minoritaires et sans alternative au sein de l’Assemblée de la République. Lorsque cette situation a disparu et qu’il s’est retrouvé avec un Gouvernement majoritaire qui ne donnait pas de signes de bonne gouvernance, son intervention a été radicale.

Q : Jorge Sampaio, comme son prédécesseur, affirmait que le Président avait un pouvoir d’orientation générale du pays, qu’est-ce que cela signifie ?

R : On retrouve cela dans les « grands desseins nationaux ». Ce pouvoir « d’indirizzo », c’est l’idée que le Président a quelque chose à  dire sur l’orientation générale du pays, tout en disant que sa direction appartient à  l’aire gouvernementale. C’est la grande différence avec la France où il existe un exécutif bicéphale. C’est pourquoi aussi, le terme de cohabitation ne s’applique pas au Portugal.

Q : La multiplication de ces « grands desseins nationaux » ne nuit-elle pas à  leur but, c’est à  dire avoir un impact sur la gouvernance du pays ?

R : Je ne le crois pas parce que ces derniers ont avant tout pour but de mettre en lumière les attentes de la population ou les domaines délaissés par le Gouvernement. En fait, ces derniers sont parasités par les medias qui recherchent la petite phrase critique envers le Gouvernement. C’est avant tout cela qui leur nuit et non leur multiplicité.

Q : Mário Soares se disait mal rentabilisé en politique extérieure, Jorge Sampaio ne le disait pas, mais en lisant entre les lignes, il n’en pensait pas moins ; pourtant les deux ont toujours dit que les affaires étrangères étaient du domaine gouvernemental. Comment concilier les deux ?

R : Cette équivoque vient de l’exemple français et du domaine réservé. Cela a créé une certaine déception entre l’idée d’un rôle particulier dans ce domaine alors que dans la pratique, il n’a pas lieu d’être. Mais je dois ajouter que la présence de Jorge Sampaio dans ce domaine s’est renforcée au cours de son second mandat.

Q : Est-ce pour cela qu’au cours de ce même second mandat, Jorge Sampaio a voulu renforcer son statut de Commandant Suprême des Forces Armées ?

R : C’est exact parce que ce statut est un défaut de notre système constitutionnel, tout simplement parce qu’il est vide. Lorsque les deux grands partis étaient en situation de guérilla avec le Général António Ramalho Eanes, ils ont voulu le priver de moyens d’action, au lieu de rechercher un équilibre. Lors de la révision constitutionnelle de 1982, cette absence de contenu a été inscrite dans la Constitution et s’est répercutée dans la Loi de Défense Nationale qui dérive de cette dernière. C’est particulièrement flagrant quant à  l’envoi de troupes à  l’étranger alors même que le Président a le droit de déclarer la guerre.

Dans le cadre de la guerre en Irak, si Jorge Sampaio n’avait pas fait fortement sentir son opposition à  l’envoi de troupes, le Gouvernement les aurait certainement faites partir.

Q : Au cours de ses interventions, Jorge Sampaio revient à  de nombreuses reprises sur le rôle du Président de la République. Existe-il cette nécessité pédagogique dans le cadre de sa fonction ou est-ce un moyen d’autojustification ?

R : Il y a un peu de tout, mais cela est surtout dû à  l’énorme confusion qui persiste sur la nature du régime semi-présidentiel. C’est quelque chose de difficile à  surmonter. C’est pourquoi Jorge Sampaio avait toujours en tête l’idée de faire œuvre de pédagogie. Pour revenir au statut de Commandant Suprême des Forces Armées, ce fut un énorme combat pour montrer et démontrer que ce statut était vide, pour l’instant sans résultats.

Q : Je vois donc que comme l’écrasante majorité de la doctrine portugaise et Jorge Sampaio vous adoptez le régime semi-présidentiel...

R : Ce qui me paraît clair, c’est qu’il existe un troisième genre. L’appeler présidentiel ou parlementaire, c’est introduire la confusion. Le système français n’est pas parlementaire ; il est évident aujourd’hui, y compris pour les Portugais, que le régime portugais n’est pas parlementaire non plus, contrairement à  ce que disent les auteurs étrangers. Dans un système parlementaire, le Président ne dissout pas contre l’opinion de la majorité. Il y a donc un troisième genre.

Puis vient la question de son appellation. Peut-être qu’elle n’est pas la plus adéquate, mais c’est celle qui s’est imposée, même si les Français ne l’aiment pas.

Q : Jusqu’où peut être appliquée l’expression de « pouvoir modérateur » au Président de la République Portugaise ?

R : C’est une idée très présente. La matrice portugaise du régime semi-présidentiel se distingue de la française sur ce point. En France, même s’il le voulait, le Président ne pourrait pas être un modérateur parce que c’est un militant. Au Portugal, c’est un acquis : il existerait de nombreuses difficultés à  vouloir le modifier parce que les Portugais y sont attachés et considéreraient un Président s’engageant dans sa remise en cause comme un facteur d’instabilité. Il modère, il arbitre, mais il a un pouvoir effectif, ce n’est pas un président parlementaire.

Q : Une fois le cadre général établi, il est nécessaire d’évoquer l’année 2004, la dissolution de décembre 2004 a été présentée comme abrupte...

R : Ce n’est pas le cas. Jorge Sampaio a choisi de ne pas révéler la teneur de ses propos avec le Premier Ministre de l’époque. Si ce dernier a choisi de le faire, c’est son affaire. Mais pour ceux qui ont suivi la situation politique, la décision ne peut pas être considérée comme abrupte : il y a eu une accumulation d’épisodes qui rendaient la situation inconfortable et le système instable. Toutes les semaines surgissaient des incidents et des conflits. C’était une situation très difficile : depuis sa formation, le Gouvernement était très fragilisé sans oublier que les attentes ont été vite déçues. Que le Premier Ministre de l’époque ne le voit pas ainsi, c’est son droit. Mais il suffisait d’ouvrir les journaux pour voir que c’etait l’opinion générale y compris à  l’intérieur de son propre parti. La dissolution est arrivée comme un soulagement et l’électorat a donné raison à  Jorge Sampaio.

Q : Pourtant le Gouvernement d’António Guterres a connu une série d’incidents entre 2000 et 2001, et il n’y a pas eu de dissolution.

R : Certes. Cependant, la situation était très différente. Le Gouvernement de Pedro Santana Lopes avait la majorité au Parlement, alors que celui d’António Guterres était minoritaire. Par ailleurs, la majorité de coalition était essoufflée dans l’opinion et ne pouvait pas offrir une autre solution gouvernementale, alors que le Gouvernement minoritaire n’avait pas d’alternative, jusqu’à  ce qu’il décide de démissionner. Une dissolution d’initiative présidentielle aurait été alors un contre-sens.

Q : Vous n’étiez donc pas d’accord avec la non-dissolution de juillet 2004 ?

R : Non, c’est la seule fois où je ne suis pas intervenu dans la rédaction du discours. Si l’on regarde avec attention les interventions présidentielles, la partie de ce discours concernant le contrôle de l’activité gouvernementale est à  contrecourant...

Q : Néanmoins cela est justifié par le refus de Jorge Sampaio de considérer le Premier Ministre comme élu lors des élections législatives, le refus dudit présidentialisme du Premier Ministre...

R : Certes. À l’époque, j’étais un de ceux qui aurait préféré la dissolution parce que l’on considérait que les conditions n’étaient pas réunies pour former un nouveau Gouvernement, notamment ce Gouvernement avec ce Premier Ministre.

Pourquoi alors le nommer ? La réponse se trouve dans l’avertissement que Jorge Sampaio adresse au nouveau Premier Ministre lors de la prise de fonction de son Gouvernement. Le Président y affirme qu’il surveillera attentivement l’action gouvernementale, notamment dans quatre ou cinq domaines : en fait, il craignait que le nouveau Premier Ministre ne gouverne de façon électoraliste afin de gagner les législatives suivantes, ce que les finances de l’État ne pouvaient supporter. Il faut souligner cependant que cette police présidentielle chargée de la politique gouvernementale – responsabilisant ainsi Jorge Sampaio – allait à  l’encontre de la propre doctrine présidentielle : laisser les gouvernements libres de décider du contenu de leurs politiques. C’est pourquoi Pedro Santana Lopes a parlé de Gouvernement sous conditions.

Q : À la lecture discours présidentiel de juin 2004, n’aurait-il pas été plus cohérent en décembre de la même année de démettre le Gouvernement, demander à  la majorité d’en forger un nouveau et dans le cas d’un refus attendu et exprimé, de dissoudre alors ?

R : Ce n’était pas possible parce qu’en juin 2004, Jorge Sampaio avait tenté de nommer un autre Premier Ministre, il n’y était pas arrivé : la majorité s’y opposait. On ne le savait pas à  l’époque, on le sait aujourd’hui.

De plus, de mon point de vue, dès la défaite énorme qu’elle avait subie aux élections européennes de 2004, la majorité s’était essoufflée d’autant plus qu’il n’y avait plus aucune consonance avec l’opinion publique.

Q : Pour finir, une question plus générale, induite par les événements de cette période : pourquoi ne pas transférer la condition matérielle nécessaire à  la révocation du Gouvernement vers le pouvoir de dissolution, d’autant plus que c’est un acte plus grave ?

R : Cela affaiblirait considérablement la position du Président. La marque de distinction du régime semi-présidentiel, portugais ou français, c’est le droit de dissolution, libre. À ce titre, je considère que les Pays de l’Est ayant adopté ce régime doivent libérer le pouvoir de dissolution s’ils veulent rester dans la famille semi-présidentielle.

Il est vrai que d’aucuns préconisent cette solution, notamment ceux qui considèrent la dissolution de 2004 comme une interprétation trop large de ce fait. En fait, en 1982, Mário Soares et Sá Carneiro ont commis une erreur : en voulant diminuer le pouvoir du Président, ils ont mis des obstacles à  son pouvoir de révocation, mais le véritable pouvoir présidentiel se trouve dans le droit de dissolution. C’est ce qui a permis de créer le système tel qu’il est. Aujourd’hui, une fois stabilisé, il n’y a aucun besoin d’y toucher. Il est très bien comme il est.

Entretien avec Monsieur Marcelo Rebelo de Sousa

Question : Entre la Constitution de 1933 et celle de 1976, il existe une grande rupture dans la partie programmatique. Retrouve-t-on une telle rupture dans sa partie organique ?

Réponse : La grande rupture a eu lieu en matière de régime politique, d’une dictature vers une démocratie fondée sur les droits fondamentaux. L’apparition d’un véritable suffrage universel qui, même s’il était reconnu dans la Constitution de 1933, était fortement limité est aussi un apport de la Constitution de 1976.

Le changement s’opère aussi dans le domaine économique. Sous l’ancien régime, un régime capitaliste, mais soumis à  l’idée corporatiste et à  l’intervention de l’État, va être remplacé par l’idée d’une transition vers le socialisme jusqu’en 1982, puis par l’économie de marché teintée de considérations d’ordre social, comme dans la majorité des économies européennes.

Quant au système de Gouvernement, il y a des différences appréciables : dans la Constitution de 1933, nous avions un système centré sur le Président du Conseil ; il n’était responsable ni devant l’Assemblée ni devant le Président. Mieux, la responsabilité devant le Président de la République n’était que théorique. D’autant plus qu’avec la révision constitutionnelle de 1959, mise en pratique par l’élection présidentielle de 1965, le collège électoral présidentiel devenait très dépendant du Gouvernement. En somme, même si la Constitution de 1933 donnait une prééminence au Président de la République sur le Président du Conseil, ce même texte retirait toute condition politique nécessaire à  l’exercice effectif des pouvoirs présidentiels ; tout comme la légitimité gouvernementale la légitimité présidentielle devenait indirecte.

Par ailleurs, même si nous pouvions trouver un espace dans la Constitution de 1933 afin d’imaginer une pratique dans laquelle le rôle présidentiel eût été plus important, nous aurions rencontré quelques anomalies : le Président dispose d’un pouvoir de dissolution qui n’existe pas dans le régime présidentiel et qui correspond donc à  une concentration pathologique du pouvoir d’autant plus que, même dans un régime présidentiel, le Parlement dispose de moyens de contrôle de l’exécutif, ici inexistants. Par conséquent, même si cet espace interprétatif existait, le régime aurait été loin d’être d’un régime démocratique, aussi loin d’un régime présidentiel que du semi-présidentialisme de la Constitution 1976.

Malgré tout ceci, nous pouvons nous demander quels sont les éléments d’une continuité. En premier lieu, le pouvoir modérateur attribué au Chef de l’État, qui trouve son origine bien avant la Constitution de 1933, dans la Charte Constitutionnelle de 1826, était présent et sera repris par la Constitution de 1976, notamment dans la révision de 1982. Nous pouvons aussi évoquer le Conseil d’État. En deuxième lieu, le pouvoir législatif du Gouvernement, non pathologique, maintenu par les compétences concurrentes avec l’Assemblée de la République, est une construction de la Constitution de 1933, révisée en 1935 et 1945. L’amplitude des pouvoirs administratifs du Gouvernement, née sous le régime de l’État Nouveau, qui n’existait pas sous la Première République de philosophie libérale, sera reprise par la Constitution de 1976, pérennisant ainsi les capacités d’intervention sociale de l’État.

Sur le plan politique, la pratique constitutionnelle tend à  créer une prééminence du Premier Ministre, qui n’était pas si claire lors de l’avènement de la Constitution de 1976. Le système de partis, le scrutin proportionnel selon la méthode de Hondt, en facilitant l’émergence de majorités absolues, ont transformé les élections législatives en une élection de Premier Ministre. Dans ce cadre, ce fut avec légitimité que Adriano Moreira a parlé de présidentialisme du Premier Ministre. Ainsi le Premier Ministre a récupéré, de la Constitution de 1933, des caractéristiques, plus administratives que politiques, qui n’étaient pas présentes dans la version originelle de la Constitution de 1976.

Q : En 1976 et 1982, est-ce que la mémoire de la Première République et de Humberto Delgado ont pesé dans la construction de la figure présidentielle ?

R : Oui et pour beaucoup. Les constituants étaient encore très marqués par le poids excessif du Premier Ministre, d’où l’effacement de ce dernier dans la première version de la Constitution de 1976. De plus, une volonté continue de l’opposition démocratique à  l’ancien régime était d’élire un Président qui renvoie le Premier Ministre et ouvre la porte à  une révision de la Constitution en dissolvant l’Assemblée : c’était le seul moyen de rompre le cercle vicieux par une transition maîtrisée. Jusqu’aux élections de 1958, ce fut sans succès. Ce fut, avec la candidature d’un élément intérieur au régime, Humberto Delgado, que cette revendication devint fondamentale.

L’opposition démocratique et l’opposition libérale avaient inclus ce point dans leur programme ; ce qui ne fut pas une affaire simple : en 1976, lors des négociations pour les Plateformes d’Accord Constitutionnel, la situation était très équivoque. Les militaires du Mouvement des Forces Armées voulaient un militaire, conditionnant ainsi l’expression du suffrage universel direct, mais aussi renforcer les pouvoirs du Président. Les partis politiques, notamment le Parti Socialiste, le Parti Populaire Démocrate et le Centre Démocratique et Social, voulaient l’élection au suffrage universel direct, mais étaient moins enthousiastes quant aux pouvoirs du Président parce qu’ironiquement ils s’étaient convertis en parlementaires. Ainsi en 1976 et en 1982, nous avons une droite portugaise parlementariste, ce qui est curieux ; un Parti Socialiste, parlementariste, ce qui était dans sa tradition libérale héritée du Parti Républicain de la Première République ; et enfin un Parti Communiste et l’extrême gauche en faveur du présidentialisme tant que durait le Mouvement des Forces Armées et ce, contre leur propre tradition historique vis-à -vis de l’organisation politique et des militaires.

En 1976, il y a un compromis sur le suffrage universel direct et une lutte pour réduire les pouvoirs présidentiels. Elle fut âpre à  cause du poids du Mouvement des Forces Armées. En 1982, nous avons une convergence entre la droite, surtout depuis les affrontements entre Francisco Sá Carneiro et le Général António Ramalho Eanes, et la position personnelle de Mário Soares contre une partie du groupe parlementaire du Parti Socialiste, victime lui aussi des affrontements avec le Président de la République.

Q : Dans les analyses françaises les plus anciennes, qui n’ont perdu de la vigueur que récemment, la Constitution de 1976 est perçue comme une copie de la Constitution Française de 1958 modifiée par la pratique. Selon ces mêmes analyses, ce fut l’incapacité du Général António Ramalho Eanes à  s’imposer qui transforma le régime et éloigna le système politique de ses origines écrites, la révision de 1982 scellant l’affaiblissement du Président de la République. Que pouvez-vous dire de cette interprétation politique ?

R : Elle est nulle et non avenue parce qu’elle est historiquement fausse. Lors de la Constituante, y compris à  l’intérieur de la cinquième commission chargée de l’organisation du pouvoir politique, pratiquement personne n’a parlé de la Constitution Française de 1958. La première raison est que nous devions respecter un accord quant au statut du Président. Les pouvoirs du Président, sa double fonction en tant qu’élu au suffrage universel direct et en tant que Président du Conseil de la Révolution, le pouvoir de dissolution conditionné par ce dernier, l’obligation pour le Gouvernement de suivre un programme socialiste, tout cela n’a rien avoir avec la Constitution de 1958, tout cela est le fruit d’un accord, évoluant entre les deux Plateformes, fluctuant au gré des rapports de force.

Seulement à  posteriori, on a commencé à  parler d’une influence de la Constitution Française de 1958. Surtout après la révision de 1982, on a commencé à  dire qu’il y avait des similitudes avec un système semi-présidentiel proche de celui de la France. En somme, c’est historiquement inexact, mais ce n’était même pas un parallèle possible lors du moment constituant, à  cause des accords avec les militaires, que les partis essayaient d’éroder au maximum.

Est-ce que c’est l’inhabilité du Général António Ramalho Eanes qui a conduit au dit affaiblissement ? Je pense que non. Tout d’abord, la Constitution de 1976 prévoyait expressément une période de transition se terminant par une révision. Il était présupposé qu’à  la fin de cette période, il serait mis fin à  la tutelle militaire. De cette fin, découlait nécessairement la réduction des pouvoirs du Président de la République, en tant que militaire et Président du Conseil de la Révolution : avec la fin de ce dernier, les pouvoirs de contrôle de constitutionnalité ont été transférés au Tribunal Constitutionnel, les pouvoirs politiques et militaires en matière de Défense Nationale furent repris par le Parlement et le Gouvernement. Ce qui arriva, ce fut un rééquilibrage naturel, fruit d’une difficile période de transition, mais qui était déjà  présupposé en 1976.

Est-ce que le Général António Ramalho Eanes a eu une influence sur ce processus ? Je pense qu’effectivement le Président a amplement exercé ses pouvoirs, mais dans beaucoup de cas à  la demande des propres partis. C’est Mário Soares, Premier Ministre, qui demande au Président de recevoir certains ministres et d’intervenir dans les conflits avec les autres partis. Le Gouvernement de Mário Soares tombe parce que ce dernier a présenté une motion de confiance et non du fait du Général António Ramalho Eanes. Lors du Gouvernement intégrant le Parti Socialiste et des Ministres issus du Centre Démocratique et Social, il est vrai que le Président entame une guérilla, mais la sortie de Diogo Freitas do Amaral du Gouvernement n’est pas due à  une pression présidentielle, mais à  des dissensions à  l’intérieur du Gouvernement et surtout à  la pression très violente de la part du Parti Social-Démocrate sur le Centre Démocratique et Social. Aussi, il est alors normal de considérer que lors de la nomination du Gouvernement d’Alfredo Nobre da Costa, le Parti Social-Démocrate, Centre Démocratique et Social votent contre le Général António Ramalho Eanes. Certes le Président a amplement usé de ses pouvoirs, mais dans un premier temps, les partis lui ont ouvert la porte, puis parce que des secteurs dissidents de tous les partis sont allés chercher le Président. Tout comme le Gouvernement de Carlos Mota Pinto fut suscité par des éléments dissidents du PSD et finit par être toléré par le Parlement, le Gouvernement de Maria de Lourdes Pintassilgo fut suscité par des éléments du Parti Socialiste.

De toutes les façons, « l’eanisme » ne trouve sa période d’exercice le plus ample qu’après la révision de 1982 : le refus présidentiel de nommer au poste de Premier Ministre des personnes soutenues par une coalition majoritaire ; le renvoi du Premier Ministre Francisco Pinto Balsemão ; la dissolution de l’Assemblée de la République alors même qu’il existait une majorité absolue. Il a ouvert ainsi un précédent qui s’est reproduit récemment entre le Président Jorge Sampaio et Pedro Santana Lopes.

Aussi, je ne vois pas où se trouve l’influence française ; je vois que ce ne fut pas tant l’inhabilité du Général António Ramalho Eanes mais la fin de la tutelle militaire, d’un côté, et de l’autre, la porte ouverte par les partis (dont le système traversait une crise, faute de majorités stables) à  un exercice étendu de ses pouvoirs.

Q : Quelles furent les raisons de l’éloignement constitutionnel des partis politiques en ce qui concerne l’élection présidentielle alors que ces mêmes partis ont un quasi-monopole sur les autres scrutins ?

R : Tout d’abord, c’était pour éviter un excès de partitocratie. Ensuite, et on en parle peu, ce fut le rôle du Mouvement des Forces Armées. C’était dans les Plateformes d’Accord (la seconde) parce que les militaires voulaient garantir une réalité non partisane, un Président non partisan, qui serait à  la fois Président du Conseil de la Révolution et un militaire.

Q : Est-ce pour les mêmes raisons de non-contamination que l’on a introduit l’éloignement de l’élection présidentielle des élections législatives, donnant à  ces dernières une priorité temporelle (art. 125 2) e 3 CRP) ?

R : Précisément, mais nous pouvons ajouter que c’était aussi pour éviter la superposition des mandats. Cela ouvre la porte à  une présidentialisation à  la française et aucun parti ne l’a jamais voulu ; ceux de droite craignant que le Président soit de gauche, le Parti Socialiste et le Parti Communiste craignant le risque d’une présidentialisation excessive.

Q : Mais si nous suivons la logique d’une élection conçue comme apartisane, nous allons à  l’encontre d’un paradoxe. En effet, d’un côté, beaucoup d’analystes et la grande majorité des Portugais veulent un Président indépendant et neutre sur le plan partisan et surtout qui ne gouverne pas. D’un autre côté, au long des soirées électorales beaucoup louent la sagesse populaire des Portugais qui ne mettent pas « tous les œufs dans le même panier ». De plus, les élections présidentielles furent toujours polarisées. Et enfin, n’oublions pas la phrase de Francisco Sá Carneiro.

Comment vous expliquer ce paradoxe ?

Dans ce cadre, quelle est l’importance des déclarations de Mário Soares, prononcées au soir de sa première victoire en 1986 ?

R : Je pense que l’idée d’un Président libéré des partis continue à  être présente dans l’esprit d’une majorité écrasante de Portugais. Ceci n’est contredit ni par la polarisation des élections ni par les relations partisanes particulières des candidats. Premièrement, il n’est pas contradictoire de vouloir à  la présidence un individu indépendant des partis et le fait d’y avoir un clivage gauche-droite. D’abord, cette polarité n’est pas toujours présente. De plus, chaque fois, le candidat vainqueur a été celui qui a réussi à  obtenir des voix hors de son aire politique. Inversement, les soaristes du Parti Socialiste ont toléré le Général António Ramalho Eanes, le Parti Communiste a toléré Mário Soares et une partie plus modérée du Parti Socialiste a toléré Jorge Sampaio. Enfin, je pense que ce clivage est allé en s’effaçant et continuera de s’effacer, rehaussant ainsi l’individualité des candidats. Ce clivage est donc très peu rigide.

Bon ; mais nous pouvons dire qu’actuellement nous pouvons voir certains appuis partisans aller en faveur d’un candidat : nous pouvons clairement voir le lien entre Mário Soares et le Parti Socialiste, Jerónimo de Sousa et le Parti Communiste et, Francisco Louçã et le Bloc de Gauche. Cela n’a pas toujours été le cas ; je pense que Mário Soares, en se collant ainsi au Parti Socialiste, a fait une erreur qu’il n’avait pas commise en 1986 ou en 1991. Je ne doute pas qu’une des préoccupations obsessionnelles d’Anà­bal Cavaco Silva sera d’apparaître encore moins collé au Parti Social-Démocrate qu’en 1996. Le parcours qui se dessine est le suivant : une importance toujours accrue de l’individualité du candidat et son indépendance, sa liberté d’action vis-à -vis des partis, voire des diverses zones idéologiques. Si Anà­bal Cavaco Silva gagne ces élections, cela ne sera pas dû à  son histoire partisane ou au fait qu’il y ait une majorité de gauche au Parlement, mais parce qu’il a réussi à  aller au-delà  de cette même histoire.

Q : En 1986, Mário Soares s’est refusé à  dissoudre l’Assemblée de la République. Est-ce que la Constitution de la République Portugaise autorise par la lettre ou l’esprit la possibilité de dissolutions mitterrandiennes ?

R : Je dirais la chose suivante : la dissolution est interdite pendant quelques temps après l’élection présidentielle. Cela veut dire quoi ? Que l’on ne veut pas refléter le résultat des élections présidentielles dans le panorama parlementaire. Ne pas dissoudre correspond à  l’esprit de la Constitution.

Q : Que pensez-vous de la dernière dissolution ? Ne considérez-vous pas qu’on puisse la qualifier d’inconstitutionnelle étant donné la manière dont a été traité le Conseil d’État ?

R : On peut dire qu’effectivement le Conseil d’État n’a été réuni qu’après avoir connu l’intention présidentielle de dissoudre. Mais, l’avis du Conseil d’État n’est que simple et au sein de celui-ci, il n’y avait pas de majorité claire pour s’opposer à  la dissolution.

Ce que l’on peut dire, par contre, c’est que cette dissolution, alors qu’il y avait une majorité au Parlement, ne peut être que justifiée qu’en cas de grave perturbation du système démocratique. Même si la Constitution ne l’exige pas, c’est le seul cas logique possible : si l’on considère qu’une telle condition est nécessaire pour le renvoi du Premier Ministre, elle l’est d’autant plus pour la dissolution, acte politique beaucoup plus lourd. Jorge Sampaio aurait dû renvoyer le Premier Ministre et demander à  la majorité de lui proposer un autre nom. Si celle-ci refusait ou proposait le même, le Président aurait alors la légitimité pour dissoudre l’Assemblée de la République.

Étant donné qu’il a brûlé les étapes, il a présenté une justification trop légère pour un acte aussi grave.

Q : Le veto pour inconstitutionnalité est une compétence liée et basée sur le respect de normes juridiques. Quelles sont alors les bases d’un veto politique ?

R : Le veto politique est en train de tomber en désuétude, il est très rare de l’utiliser. Avec le Président Jorge Sampaio, il y a eu une réduction drastique des vetos politiques.

Le Président de la République peut utiliser sa compréhension du sens de la légitimité de son mandat, parce qu’après tout, il y a des programmes électoraux. Ce n’est pas une utilisation qui tiendrait compte des forces politiques en présence ou de la composition du Parlement.

Q : Effectivement, le veto est peu utilisé. Mais ne peut-on pas interpréter cette parcimonie comme preuve de l’efficacité de l’influence présidentielle ?

R : La relation entre le Président et le Gouvernement prend diverses formes. Depuis longtemps, on envoie les diplômes du Gouvernement de façon informelle au Président pour qu’il fasse ses remarques au lieu d’attendre une possible confrontation. En ce qui concerne les débats à  l’Assemblée c’est plus difficile du fait de la publicité, mais il est indéniable qu’aujourd’hui, la présidence avec ses différents assesseurs entretient une relation avec le Parlement et ses groupes qu’il n’avait pas auparavant.

Q : Comment interprétez-vous la condition matérielle introduite en 1982 pour démettre le Gouvernement ?

R : Comme vous le savez, ce pouvoir a été très peu appliqué. Les Présidents ont fui ce pouvoir, quitte à  dissoudre le Parlement. Ce que l’on entend par fonctionnement régulier des institutions démocratiques est une réalité très exigeante. On peut penser à  des perturbations graves qui mettent en doute la continuité de l’État. J’admets qu’il peut y avoir des formes « soft » d’atteinte au fonctionnement régulier des institutions démocratiques. Il peut y avoir des situations d’impasse gouvernementale ou dans les relations entre le Gouvernement et l’Assemblée. Cette disposition a été conçue comme très exigeante en 1982 et c’est pour cela que les Présidents la fuient depuis.

Je dirais même pour finir que non seulement ces situations « soft » peuvent exister, mais surtout que dans ce cas, il est préférable de renvoyer le Gouvernement et non de dissoudre l’Assemblée de la République. Pour ne pas utiliser un pouvoir qui est très dramatisé, on finit par utiliser un pouvoir qui est bien plus fort dans ses conséquences. Aussi, avant d’utiliser la bombe atomique, il est préférable d’utiliser cette arme, lourde, certes, mais dont les conséquences sont bien plus limitées.

Q : Est-ce que cela veut dire que le Président de la République ne peut pas démettre le Gouvernement pour des raisons de politique gouvernementale ?

R : Oui.

Q : Comment définiriez-vous l’expression « solidarité institutionnelle » ? Existe-t-il une différence avec « coopération institutionnelle », expression préférée par Jorge Sampaio ?

R : La solidarité institutionnelle existe lorsque certains domaines exigent l’intervention conjointe du Gouvernement et du Président de la République. Cette solidarité est étrangère à  la possible convergence des vues politiques, mais elle doit s’imposer quand la Constitution l’exige, comme dans le cas de la politique étrangère et de défense.

La coopération institutionnelle correspond à  la volonté présidentielle d’aider le Gouvernement lorsque celui-ci est en situation difficile. Il aurait pu rester sans rien faire, mais il considère qu’il doit le faire. Cela n’a rien à  voir avec la coopération politique qui peut exister dans certaines limites lors d’une convergence politique.

Q : Comment définiriez-vous l’expression « magistrature d’influence » ? Y a-t-il une différence avec « la magistrature d’influence et d’initiative » de l’actuel Président ?

R : « Magistrature d’influence » est une invention de Mário Soares. Cela signifie que le Président, même en n’exerçant pas des pouvoirs constitutionnels, peut avoir un rôle de médiateur entre les organes de pouvoir et la société, entre les organes de pouvoir, entre les partis politiques, entre le Gouvernement et l’opposition. « Initiative » – le Général António Ramalho Eanes l’a fait et Mário Soares aussi – c’est porter au débat public certains thèmes, surtout en des matières de régime sur lesquels un consensus national peut être plus facilement obtenu.

Q : Au-delà  des discours ou des présidences ouvertes, peut-on inclure le contenu des vetos politiques dans la magistrature d’influence ?

R : Et bien plus, il y a toute une série de contacts informels. L’action informelle du Président est toute aussi importante, si ce n’est plus, que son action formelle.

Q : Que sont « les grands desseins nationaux » ?

R : Ce sont les exemples par excellence de la magistrature d’influence et d’initiative. Ce sont les matières du consensus de régime, comme la politique étrangère, de défense, mais aussi, et de plus en plus, le domaine économique et financier dans certaines de ses facettes, la justice, et pour beaucoup, l’éducation, la culture, la langue, voire certains secteurs du domaine social.

Q : Une autre invention du Président Mário Soares, les présidences ouvertes furent taxées de monarchisme dès leur création, pourtant considérées comme politiquement très habiles, puis elles furent accusées d’être une arme utilisée contre le Gouvernement d’Anà­bal Cavaco Silva. Quel est votre jugement sur les présidences ouvertes ?

R : Attention, il ne faut pas oublier que, dès la Première République, mais surtout dans la Constitution de 1933 et dans la Constitution de 1976, avant et après 1982, la culture civique associe au rôle Président de la République à  une essence de tradition monarchique.

Quant aux présidences ouvertes, il faut distinguer les premières qui étaient en accord avec l’interprétation de Mário Soares quant à  la fonction présidentielle, des dernières qui participaient de divergences avec le Gouvernement. C’était clairement des formes d’intervention critique visant l’affaiblissement Gouvernement.

Q : Comment se fait-il qu’au Portugal le « semi-présidentialisme » en tant que catégorie est encore dominant alors qu’en France, sa patrie d’origine, il est discrédité ?

R : Je pense que cela vient du fait qu’en France, surtout après de Charles de Gaulle, on a toujours eu du mal à  mettre en exergue les pouvoirs du Président, alors même que l’on reconnaissait leur importance. Il était non seulement difficile, d’un point de vue doctrinaire, d’abandonner le parlementarisme, mais surtout d’intégrer une catégorie mixte comme le semi-présidentialisme. En tant qu’observateur extérieur, je pense qu’après le départ de Charles de Gaulle et donc l’affadissement de la fonction présidentielle, il est normal qu’une expression plus neutre pour qualifier le régime français soit préférée.

Au Portugal, il est entré facilement ; Jorge Miranda et moi nous l’avons appliqué au Portugal avant même que Maurice Duverger ne le fasse par écrit. Pourquoi ? Cela avait une raison pédagogique : c’était pour expliquer aux Portugais que le régime avait une double composante qui participait d’une double tradition ; la tradition parlementaire, faible au Portugal, et la tradition présidentielle qui avait aussi de mauvais antécédents, puisque dictatoriaux. Cela a conduit à  l’adoption du semi-présidentialisme, mixte par nature.

Q : La difficulté – concentrons-nous sur la française – d’aller au-delà  de la vision d’un Président simple inaugurateur de chrysanthèmes ne trouve-t-elle pas son origine dans une incapacité à  conceptualiser une institution et fonction présidentielle par-delà  les trois pouvoirs classiques, conceptualisation qui serait le plus grand succès de la Partie 3 de la Constitution de la République Portugaise ?

R : Je pense que cela tient à  deux choses. D’un côté, cela vient de l’incapacité à  comprendre le pouvoir modérateur, qui vient de la monarchie, version anglaise jusqu’au début du XIXème. De l’autre, la difficulté à  accepter la catégorie des semi-présidentialismes. Ce qui a pour conséquence sa difficulté à  comprendre la réalité portugaise, tout comme d’autres réalités, la finlandaise ou celle de l’Europe de l’Est. Outre les avantages d’une pédagogie civique, cela apporterait à  la doctrine les avantages d’une malléabilité théorique pouvant englober des réalités diverses, mais parallèles, mais j’admets qu’à  la rigueur il peut s’agir de concepts très flous.

Q : Donc vous accordez une grande importance à  la Charte Constitutionnelle de 1826 ?

R : Oui. Il ne faut pas oublier que la Charte a été la constitution restée en vigueur le plus longtemps, malgré quelques altérations. Elle a laissé un sillon. Malgré les constitutions, la culture civique reste. Aussi bien que ténu, ce sillon est arrivé jusqu’à  nous.

Q : Pour finir, ne pourrait-on affirmer que le Président de la République détient un soft power au détriment de hard powers dévolus au Gouvernement ?

R : Comme je l’ai déjà  dit, les régimes politiques, pour ne pas parler des systèmes, ont connu un changement radical : le soft power a gagné du terrain jusqu’à  représenter la forme de pouvoir la plus répandue dans l’Administration Publique, les Tribunaux, au Gouvernement et même, à  l’Assemblée de la République avec les résolutions, les recommandations. Or cela s’applique d’autant plus à  des institutions, comme le Président de la République, qui canalisent de grandes expectatives populaires – un grand charisme, si vous voulez – et dispose d’une grande légitimité. Ses hard powers sont bien inférieurs à  ce que la société investit lors de l’élection. Pour compenser ce déficit, il a développé ce soft power. D’un côté, le Président de la République a des hard powers bien plus restreints que le Gouvernement ou l’Assemblée dans nombre de domaines, de l’autre, il dispose dans des cas extrêmes de la bombe atomique. Le Président a empli le vide entre ces deux extrêmes par des actions informelles qui sont multiples et nombreuses. Il a favorisé – il doit favoriser – le consensus sur la politique européenne, sur la politique extérieure, sur la politique de défense, sur la justice. À de nombreuses reprises, je l’ai même vu intervenir sur des problèmes politiques concrets et quotidiens, y compris pour pacifier des querelles partisanes au sein de l’opposition. Rien de tout cela n’est dans la Constitution.

Cela découle de la forte légitimité présidentielle et de l’appel qui est fait à  un magistère d’influence, d’une influence discrète, non publique, que le Président exerce sur la vie politique portugaise.

Entretien avec Monsieur Vital Moreira

Question : Pourquoi les constituants, dont vous faisiez partie, ont-ils choisi un régime proche du régime français, avec un pouvoir fort, alors que le Portugal venait de traverser plus de quarante ans d’autoritarisme ? Pourquoi n’ont-ils pas choisi un régime de facture plus parlementaire, comme l’Allemagne ou des pays de l’Est ?

Réponse : Tout d’abord, et je ne sais pas si vous le savez, je conteste la réalité de cette proximité et l’appellation de semi-présidentialisme pour le Portugal.

Les motivations qui ont entraîné ce choix sont purement nationales, elles ont avoir avec l’histoire nationale, la France n’a pas eu d’influence sauf comme un élément de légitimation : pour dire que notre choix n’était pas exotique, qu’il y avait des précédents. L’architecture du pouvoir a été influencée par des faits historiques : toute l’opposition à  l’État Nouveau voulait jusqu’en 1958 l’établissement d’un régime parlementaire, elle voulait renouer avec la tradition de la Première République. L’opposition était d’ailleurs hostile à  l’élection directe du Président de la République, élection directe qui avait toujours été reprise par les courants autoritaires. Tout change avec l’épisode Humberto Delgado : pour la première fois, l’État Nouveau était ébranlé par un candidat à  la présidence de la République. À partir de ce moment, António de Oliveira Salazar abandonna l’élection directe du Chef de l’État, et l’opposition est devenue favorable à  l’élection directe du Président de la République. Je pense que la Constitution de 1976 a commencé à  être écrite en 1958 et que cet épisode a sonné le glas de l’État Nouveau parce qu’en supprimant l’élection directe du Président de la République, il perdait sa cohérence et sa légitimité. Néanmoins, toute l’opposition, des communistes aux libéraux, maintenait l’idée que le régime devait être de responsabilité gouvernementale devant le Parlement. En 1974, toute l’opposition, toutes les forces démocratiques voulaient donc un président élu au suffrage universel direct, mais un système de gouvernement parlementaire, c'est-à -dire un Gouvernement sous la tutelle d’un Premier Ministre et responsable devant l’assemblée parlementaire. Le Président a des pouvoirs politiques, mais il ne doit pas s’ingérer dans le Gouvernement, il ne gouverne pas. C’est une grande différence avec le système français : le Président est le principal acteur de la vie politique, le Premier Ministre est seulement son aide de camp. Dès le début, au Portugal, il était clair que le Président ne serait pas le chef de la majorité ou de l’opposition, il est au-dessus, en dehors, de la relation majorité-opposition. Il a une position de modérateur du système. Il est à  la fois arbitre, policier et pompier.

Le Président de la République de notre système politique est en quelque sorte le quatrième pouvoir de la Charte Constitutionnelle. Cela vient de Benjamin Constant, de la Constitution Brésilienne de 1824 et de la Charte Constitutionnelle de 1826, texte constitutionnel qui a duré jusqu’à  1910. Les pouvoirs du Roi dans la Charte sont très proches de ceux du Président dans l’actuelle Constitution. Alors qu’en France, le président fait partie de l’exécutif, au Portugal, il n’en fait pas partie.

Q : Cette volonté de donner une assise forte au Président était donc partagée par le Parti Communiste, ce n’est pourtant pas dans sa tradition internationale…

R : Le changement du Parti Communiste tient non seulement à  la tradition historique et à  l’épisode Delgado, mais encore, et surtout à  des considérations tactiques. En effet, voyant que les Gouvernements seraient de droite ou du Parti Socialiste, qui se refusait à  toute alliance avec le PCP, ce dernier voyait dans le Président un contre-pouvoir aux possibles excès de la droite voire de la gauche socialiste. D’ailleurs en 1982, lors de la première révision, le Parti Communiste était le plus « présidentialiste ».

Les points qui ne concordent pas avec l’idéal type du régime parlementaire ce sont le droit de veto et le droit du Président de dissolution discrétionnaire, pour le reste, il s’agit d’un régime parlementaire tout à  fait normal.

Q : À la lecture des débats parlementaires de l’époque, j’ai été plutôt étonné que l’établissement de pouvoirs importants au profit du Président de la République, le veto et le pouvoir de dissolution, n’aient pas suscité de débats, pourquoi ?

R : Parce que ces points se trouvaient présents dans les Plateformes.

Q : Mais la polémique a surgi lors du débat sur la question de savoir si le Président pouvait de droit assister, voire présider, au Conseil des Ministres. Ce fut d’ailleurs l’occasion de vifs échanges entre vous et Monsieur Jorge Miranda…

R : Notre choix visait à  ne pas créer un bicéphalisme de l’exécutif, à  ne pas créer une subordination du Premier Ministre.

Q : N’y a-t-il pas une certaine incohérence entre donner au Président des pouvoirs forts et l’interdire de Conseil des Ministres ?

R : Absolument pas, c’est parfaitement cohérent. Je pense que c’est le système français qui est incohérent. Le Président du Portugal n’est pas le chef du Gouvernement, il ne participe pas au Conseil des Ministres, il n’a pas de domaine réservé. Il a un pouvoir de contrôle qui se retrouve dans le droit de dissolution et le veto.

Q : Est-ce que si le Général António Ramalho Eanes n’avait pas échoué dans sa lutte contre le PS et le PPD, et dans la création de son parti personnel, le régime portugais ne fonctionnerait-il pas aujourd’hui comme le régime français ?

R : Je pense que le Général António Ramalho Eanes a eu cette idée, ou plutôt ses compagnons de route. Il y a eu cette volonté. Ils voulaient faire du Général António Ramalho Eanes un « Général de Gaulle ».

Mais en dépit de ses énormes possibilités, il n’a pas connu le succès parce que le pays n’était pas préparé pour une telle solution et que les grands partis n’en voulaient pas non plus. La preuve que le système portugais n’est pas le français est cet échec.

De plus, cela n’aurait pas marché, Charles de Gaulle a créé un parti qui avait une expression propre comme parti à  l’Assemblée Nationale, le Général António Ramalho Eanes n’a jamais eu de parti et lorsqu’il s’y essaya ce fut après son départ et ce fut l’échec que l’on connaît. Le Général António Ramalho Eanes ne trouva jamais dans la même situation que Charles de Gaulle, il n’a jamais réussi à  mobiliser derrière lui une part importante de l’électorat, avec une représentation organique à  l’Assemblée de la République, avec une capacité de former des Gouvernements. La preuve fut la déroute monumentale des Gouvernements « d’initiative présidentielle ». La mort définitive du semi-présidentialisme à  la française au Portugal date de 1978. En 1976, elle avait été vaincue, entre 1977 et 1978 il y a une tentative de lecture semi-présidentialiste de la Constitution, mais une telle tentative est morte au berceau en 1978.

Dire que le fonctionnement du système portugais se serait rapproché du français si le Général António Ramalho Eanes avait réussi n’a pas de sens, il n’a pas gagné non pas par hasard, mais parce qu’il ne pouvait pas l’emporter. Il n’avait aucune des conditions qui ont existé en France.

Ce que les Français ont voulu exorciser en 1958 c’était l’hyper-parlementarisme de la Quatrième République, ce que nous voulions exorciser c’était un pouvoir personnel. Ignorer de tels faits, de la part des auteurs français, c’est excusable parce qu’ils n’ont pas l’obligation de connaître l’histoire nationale, mais de la part d’auteurs portugais, cela m’a toujours étonné et je m’y suis toujours opposé. Je n’ai jamais accepté de qualifier le système portugais de semi-présidentialiste, parce que le semi-présidentialisme cache un système à  la française et nous n’avons pas un système à  la française, en rien, les seules coïncidences sont formelles, l’élection au suffrage universel direct, pas plus. L’Autriche, l’Irlande ont un président élu au suffrage direct et personne ne pense pas à  les qualifier de système semi-présidentialiste.

Il y a deux différences fondamentales avec le système français. La première, c’est qu’à  chaque fois où le Président nouvellement élu trouve à  l’Assemblée Nationale une majorité qui n’est pas la sienne, il dissout. Cela ne s’est jamais fait au Portugal et cela constituerait une atteinte grave à  l’éthique constitutionnelle. La seconde, c’est le Conseil Européen, je montre une photo d’un Conseil Européen à  mes étudiants et je demande, qui représente chaque État, dans tous les cas sauf un ce sont des Premiers Ministres, et l’exception c’est la France. Ce sont des logiques radicalement différentes qui régulent le système français et le système portugais.

Q : Les circonstances de l’époque ont créé la nécessité d’avoir un président d’origine militaire ; mais si cela n’avait pas été le cas, c'est-à -dire si un candidat issu d’un parti, comme Mário Soares qui avait une certaine légitimité historique dans la lutte contre la dictature salazariste, le régime portugais ne se serait-il pas rapproché d’un fonctionnement à  la française ?

R : Je suis en total désaccord avec une telle affirmation, c’est un non-sens. Nous n’aurions jamais pu avoir un président avec des pouvoirs forts, non pas parce que c’était un Général. Bien au contraire, c’était parce que ce devait être un militaire qu’on a donné au Président les pouvoirs qu’il avait, parce qu’il était indépendant. Si cela avait un homme de parti, il n’aurait jamais eu les pouvoirs qui ont été inscrits dans la Constitution de 1976. Dès le pacte MFA, on savait que cela allait être un militaire, au-dessus des partis donc. La seule chance pour que nous ayons connu un fonctionnement à  la française cela aurait été avec le Général António Ramalho Eanes, avec un système civil cela ne valait même pas la peine d’y penser. Lorsqu’en 1982, surgit l’hypothèse que le prochain Président allait être un civil, la première chose que l’on fit ce fut de couper, couper…

Q : Que pensez-vous de cette analogie sportive : le Président français est un arbitre au sens gaullien du terme, c'est-à -dire qu’il arbitre en dernier ressort les options gouvernementales, alors que le Président portugais et un arbitre au sens sportif, qui n’intervient que dans des cas exceptionnels ?

R : Je trouve que l’image de l’arbitre appliquée au système français n’a pas de sens : l’arbitre qui prend parti n’est pas un arbitre. Dans le cas portugais, c’est un arbitre, il ne participe pas du Gouvernement des affaires, en France il y participe. Au Portugal, c’est un arbitre parce que ce n’est pas un joueur. Il voit si les joueurs respectent la règle, c’est cela être arbitre. En France, il est le décideur en dernier ressort, il ne participe pas au jeu rapproché, mais il fait partie du pouvoir exécutif, c’est pour cela que vous parlez d’exécutif bicéphale, ce n’est pas un arbitre, c’est le pouvoir de tutelle. C’est une conception totalement différente de la nôtre.

Ne pas percevoir cette différence, ne pas voir que le Président de la République au Portugal ne donne pas de directives au Gouvernement, ne peut pas demander des comptes au Gouvernement quant à  la conduite de la politique gouvernementale, est une erreur. Il a des pouvoirs de contrôle externes et à  posteriori, c’est cela être un arbitre. C’est pour cela que les vetos politiques sont très rares, le Président de la République ne contrôle pas la substance des décrets. Et la plupart des vetos politiques sont des vetos pour des questions procédurales ou parce que le Président trouve que la question en débat aurait dû être plus approfondie. Ce sont les règles du jeu et non du contenu qu’il contrôle. Et lorsqu’il y a des questions de fond en jeu dans le veto, ce fond est tangent à  des valeurs constitutionnelles.

Q : Est-ce type de contrôle qui recouvre l’expression de magistrature d’influence ?

R : Non, ce contrôle est un pouvoir de contrôle négatif. Le pouvoir positif du Président de la République, que recouvre cette expression, c’est le pouvoir d’expression publique du Président. C’est la possibilité pour le Président de donner son avis, d’engager le débat, de faire prendre des initiatives, ce sont les présidences ouvertes.

Cette expression a été mise au jour par le Président Mário Soares, Le Président Jorge Sampaio la complète en évoquant magistrature d’influence et d’initiative. C’est l’idée qu’il incombe au Président de dynamiser le débat public, de mettre à  l’agenda les questions fondamentales de la communauté, de maintenir la surveillance pour les défis qui pourraient s’annoncer ; mais toujours au-dessus de la politique quotidienne.

Q : Est-ce à  dire que l’influence française se retrouve plus dans l’architecture de la Constitution Portugaise que dans une volonté affichée des constituants de créer un régime dont la pratique se confondrait avec celle du régime français ?

R : Même pas, il n’y pas eu d’influence. La Constitution Française de 1958 ne nous a aidés qu’à  vendre, entre guillemets, l’idée de ce régime mixte. « Est-ce que cela fonctionne, y a-t-il d’autres exemples ? Oui, c’est la France et c’est bien plus compliqué ».

C’était l’idée qu’il était possible d’avoir un régime démocratique, fondamentalement parlementaire, mais avec un Président de la République qui ne soit pas virtuel, avec des pouvoirs effectifs. Nous avons évacué le système français étant donné son incohérence qui est d’avoir deux têtes pour un seul exécutif, génératrice de conflits entre majorités. Chez nous, il n’y a qu’une majorité, c’est celle du Gouvernement.

Lorsque le système français se trouve en situation de concordance de majorités, il fonctionne au prix de l’effacement du Premier Ministre ; quand il y n’y plus cette concordance on se retrouve dans une situation schizophrénique : ni le Gouvernement peut faire ce qu’il veut et donc ne sera pas responsable des promesses qu’il a faites, ni le Président ne peut faire son mandat parce que son Gouvernement n’est pas en accord avec le programme sur lequel le Président a été élu. C’est pour cela que j’ai été en 1976 de ceux qui ne voulaient pas d’un système politique à  la française.

Paulo José Canelas Rapaz est docteur en Science Politique

Pour citer cet article :

Paulo José Canelas Rapaz « Le Président de la République et le régime politique portugais - Entretiens », Jus Politicum, n°10 [https://juspoliticum.com/articles/le-president-de-la-republique-et-le-regime-politique-portugais-entretiens-736]