Le statut juridique de la déclaration de guerre
La rhétorique de la guerre a envahi tous les discours, en particulier politiques, alors pourtant qu’elle est absente du vocabulaire juridique. Ce décalage résulte d’une évolution sémantique mais surtout juridique, dont les premières manifestations se révèlent peu après la Première Guerre mondiale et qui culmine dans l’interdiction générale de l’emploi de la force énoncée dans la Charte des Nations Unies. La Première Guerre mondiale marque en ce sens un point de renversement, d’une époque où la guerre était non seulement encadrée par le droit mais également tolérée dans son principe à une époque où elle est en principe prohibée. Avec cette prohibition disparurent également – du moins du paysage juridique – de nombreuses institutions légales impliquées par ou associées à la « guerre » au sens du droit, et en premier lieu l’acte qui traditionnellement la constituait : la déclaration de guerre. Cet article propose un retour sur l’institution désormais obsolète de la déclaration de guerre, depuis la perspective d’une époque où mener la « guerre » et préalablement la déclarer ne constituaient pas, en soi, des actes internationalement illicites.
The rhetoric of war, pervasive especially in political discourse, is everywhere – except in the language of the law. This discrepancy is the result of a semantic but also a legal shift, the first steps of which were taken shortly after the First World War and which culminated in the general prohibition of the use of force enshrined in the UN Charta. The First World War marks in that sense a point of reversal, from a time when war was not only framed by the law but also tolerated in its principle to a time when it is in principle prohibited. This prohibition erased – at least from the legal landscape – many institutions implied by or associated with “war” in the legal sense, first and foremost the act that traditionally instated it: the declaration of war. This paper offers an insight into the nowadays obsolete legal institution of the declaration of war, from the vantage point of a time when both waging “war” and previously declaring it did not yet constitute, per se, internationally wrongful acts.
« Autrefois, rien n’était si simple que de distinguer la paix de la guerre ; la guerre, c’était la force, tout usage, tout emploi de la force. Mais aujourd’hui, la définition en est devenue presque impossible. On bombarde des villes, sans être en guerre avec leurs possesseurs ». Ces mots pourraient dater d’hier, d’aujourd’hui, encore plus de demain. C’est en 1883 qu’ils ont été prononcés.
Les lignes entre l’état de paix et l’état de guerre se sont brouillées. À tel point que le vocabulaire de la guerre est omniprésent et sert à caractériser des situations pourtant très dissemblables. Le 16 novembre 2015 devant le parlement français réuni en Congrès à Versailles, le Président de la République François Hollande ouvrait son discours en déclarant que « la France est en guerre ». Ces mots ont suffi pour ouvrir un grand débat, bien au-delà des frontières nationales, dans le monde politique mais aussi celui des juristes, dans les journaux et plus largement dans l’opinion publique sur l’exactitude du propos du Président, le terme de « guerre » suscitant chez certains les plus grandes réserves. Dans le même temps, ce sont pourtant aussi ces mêmes journaux et acteurs politiques qui recourent au vocabulaire de la guerre dans toutes sortes de situations de la plus grande variété. On a ainsi pu lire que le Président russe Poutine considérait que la Turquie avait « déclaré la guerre » à la Russie en abattant l’avion de combat russe qui se rendait en Syrie ; qu’aussi bien la mafia new-yorkaise que le groupe d’« hacktivistes » Anonymous auraient « déclaré la guerre à Daech » ; que la communauté internationale devait « accepter » la déclaration de guerre par Daech ; et le magazine Newsweek titrait que « Obama calls on Congress to formally declare war on ISIS », alors que la War Powers Resolution distingue explicitement le cas où l’intervention des forces armées américaines intervient sur autorisation par le Congrès de celui où elle fondée sur une déclaration de guerre formelle, et que la demande du Président américain entrait dans la première catégorie. Ces exemples, relevés au hasard d’un balayage des titres de presse, révèlent l’étrange banalisation de la guerre, à laquelle on donne toutes sortes de significations, et de sa déclaration. Le paradoxe est que, en droit, ni l’une ni l’autre n’ont plus d’existence. Ce sont aujourd’hui des expressions du langage courant, fortement présentes dans le vocabulaire des journalistes, mais plus dans celui des juristes. Ces derniers savent bien que si le monde des faits a peu changé, celui du droit en revanche a subi de profondes mutations.
La Première Guerre mondiale marqua à cet égard, et concernant le sujet dont il sera question ici, un triple tournant. D’abord, c’est la dernière guerre qui s’est déroulée dans le contexte d’un droit international qui admettait encore la licéité de principe de la guerre comme moyen de règlement des conflits, tout en encadrant dans une certaine mesure son ouverture et sa conduite. Ensuite, c’est la dernière grande guerre menée de manière « traditionnelle », véritablement dans le combat d’homme à homme, avant que l’évolution des moyens et le progrès, si on peut l’appeler ainsi, des techniques n’aient fait entrer progressivement la conduite des hostilités dans une tout autre dimension. Enfin, le premier conflit mondial s’est caractérisé par une recrudescence remarquable de la déclaration de guerre, après que sa pratique fut tombée dans une relative désuétude, et avant de disparaître de nouveau, progressivement mais cette fois définitivement, pour les deux raisons précédentes. À partir de 1919 en effet, conséquence directe de ce conflit et de son issue, la guerre en tant qu’institution juridique a été peu à peu bannie du droit qui régit les relations interétatiques.
Le premier jalon a été posé, de manière encore flottante, par le pacte de la Société des Nations de 1919, en vertu duquel les États parties acceptaient « certaines obligations de ne pas recourir à la guerre ». Le Pacte donnait ainsi un cadre multilatéral à la gestion d’un différend naissant entre États, avec l’objectif de désamorcer celui-ci, mais il reste que la guerre, tout désapprouvée qu’elle était moralement, n’était pas illicite en toute circonstance ; bien au contraire, puisque son déclenchement régulier était plutôt subordonné à l’accomplissement de certaines procédures. Le Pacte Briand-Kellogg de 1928 en revanche énonça pour la première fois sans équivoque l’interdiction de principe de la guerre. Elle lui vaut le véritable slogan, conformément à l’expression employée par le ministre des affaires étrangères Briand lui-même, d’après laquelle il aurait mis la guerre « hors la loi », formule impropre s’il en est puisque, d’une part, le « outlaw » au sens traditionnel est un individu et que, d’autre part, peu d’institutions sont autant « dans la loi », saisies par le droit, que la guerre. Il reste que les quinze États parties initiaux y « déclarent solennellement au nom de leurs peuples respectifs qu’[ils] condamnent le recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux et y renoncent en tant qu’instrument de politique nationale dans leurs relations mutuelle », tout en aménageant deux exceptions que sont le droit à la légitime défense, consacré dans le préambule, et l’action collective armée prévue à l’article 16. Enfin, bien que le Pacte soit formellement toujours en vigueur, il a été consolidé mais pour partie aussi supplanté après le deuxième conflit mondial par la Charte des Nations Unies, certaines dispositions du Pacte de 1928 paraissant incompatibles avec celle-ci. Elle engage en effet plus radicalement les membres de l’Organisation des Nations Unies à s’abstenir « de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts de la Charte ». L’interdiction est ainsi renforcée, puisque contrairement au Pacte de 1928 qui n’interdisait que la « guerre » – il s’agissait là d’ailleurs d’un choix sémantique délibéré –, c’est maintenant l’emploi de la « force » et sa menace qui sont prohibés, tout en laissant subsister deux délicates et souvent controversées exceptions : celle de légitime défense et le mécanisme de sécurité collective en vertu du chapitre VII de la Charte. Non seulement la guerre est donc bien illicite, mais encore l’interdiction du recours à la force ou de sa menace fait-elle partie des normes impératives, auxquelles aucune dérogation, de quelque nature ou de quelque manière que ce soit, n’est admise.
Les phénomènes sociaux, pourtant, n’ont pas changé, si bien que la seule différence entre la guerre de jadis et celle d’aujourd’hui est que la première était appelée telle et traitée comme telle par le droit, tandis que la guerre d’aujourd’hui est enveloppée dans un autre vocabulaire, qui a des répercussions sur la manière dont le droit se saisit ou peut se saisir de ces situations. Ainsi par exemple, lorsqu’un député de l’Assemblée nationale avait soulevé en décembre 1990 la question de l’implication parlementaire dans une déclaration de guerre, le Premier Ministre Michel Rocard avait répondu que les rapports que la France entretenait avec le Koweït n’étaient pas ceux d’une « guerre », mais d’une « opération de sécurité collective » au sens de la Charte des Nations Unies. De la même manière, l’intervention des forces françaises en Libye avait été qualifiée par le Premier Ministre François Fillon, en 2011, d’« opération de protection des populations civiles, une opération de recours légitime à la force ». Plus généralement, c’est l’expression de « conflit armé international » qui s’est substituée à celle de « guerre ». Elle englobe évidemment ce qu’était la guerre au sens traditionnel, tout en la dépassant, en s’étendant à d’autres types de situations. Celles-ci, comme le rappelle par exemple le Manuel du droit des conflits armés publié par le Ministère de la Défense, doivent cependant atteindre « un certain seuil de violence » pour être qualifiées de conflits armés. Ces situations sont distinctes des conflits armés internes, tout comme la « guerre » du droit traditionnel était menée entre belligérants, c’est-à-dire entre des États, et était à ce titre à distinguer de ce qu’on appelait la guerre civile ou privée – encore que les lignes entre le conflit international et interne soient de plus en plus brouillées et donnent naissance à des situations hybrides qu’une tentative de qualification peine à appréhender. De la même manière, ce qui distingue la guerre au sens traditionnel de certaines situations d’emploi de la force autorisées par le droit international est bien souvent peu clair : la situation qui se réalise par ce qui est qualifié d’« agression armée », à laquelle un État peut alors répondre en exerçant le droit de légitime défense que lui reconnaît l’article 51 de la Charte des Nations Unies, est-elle vraiment autre chose que ce qu’on appelait jadis une guerre ? Et que faire de la « guerre contre le terrorisme », à laquelle la Cour suprême des États-Unis estime qu’est applicable l’article 3 commun aux conventions de Genève, qui régissent expressément les conflits armés ? Ou encore les actions de sécurité collective avec emploi de la force armée, déclenchées par une qualification parfaitement discrétionnaire par le Conseil de sécurité d’une situation comme étant une « menace contre la paix » sont-elles autre chose qu’une guerre ? Un curieux phénomène s’est d’ailleurs révélé au fil de la pratique, à savoir l’extension extraordinaire de ce qui intuitivement ne paraît pas être la guerre – c’est-à-dire cette « menace contre la paix » qui signifie bien que la paix, seulement menacée, demeure encore –, qui s’est réalisée aux dépens des deux autres situations du chapitre VII de la Charte dont la qualification relève du Conseil de sécurité et qui pour leur part, intuitivement, paraissent être la guerre : l’agression, et la rupture de la paix. Voilà qui semble bien caractériser la guerre et, pourtant, c’est entièrement vers ce qui semble ne pas en être que s’est porté l’enjeu de la qualification.
La distinction peut de toutes les façons paraître largement factice, en ce qu’il y a correspondance substantielle entre les situations. Deux éléments caractéristiques sont en effet constants. D’abord, la guerre, tout comme le conflit armé international d’aujourd’hui, revêt un caractère international, le rapport qu’elle crée est donc interétatique. Ensuite, ce conflit entre États est caractérisé par des opérations militaires. On voit bien cette correspondance dans la définition du conflit armé qu’a donnée le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie : un « conflit armé existe chaque fois qu’il y a recours à la force armée entre États ou un conflit armé prolongé entre les autorités gouvernementales et des groupes armés organisés ou entre de tels groupes au sein d’un État ». L’imagination ne perçoit pas de différence essentielle entre cette situation et ce qu’on appelait autrefois la guerre. Mais pour le juriste toute la nuance réside dans le glissement sémantique. Les difficultés qu’il soulève résultent pour partie de l’évolution des formes par lesquelles s’exprime une guerre contemporaine – escalade de violence, invasions ouvertes menées sous des prétextes non seulement légitimes, mais licites (légitime défense, intervention sollicitée, etc.). Ces formes ont radié la guerre de jadis de l’ordre international : l’institution est devenue obsolète. Ce glissement sémantique traduit un glissement de mentalité, qui met à l’écart l’institution de la « guerre » et, partant, l’appellation qu’on donnait au régime juridique qui lui était applicable, ce « droit de la guerre ». Et logiquement, dernier maillon de la chaîne, l’acte qui traditionnellement déclenchait son application.
La guerre en effet, au sens traditionnel, obéissait à un formalisme très rigoureux. Aujourd’hui, l’ouverture et la cessation des hostilités sont davantage flottants, et même fuyants, y compris fuyant le droit : pas de règle absolument précise, pas même de règle absolument certaine à leur sujet. Le conflit armé international est un fait juridique international, tout comme l’était ce qu’on appelait la guerre, un fait juridique qui se constate, se qualifie, qualification à laquelle sont ensuite attachés des effets légaux. Il est en effet constitué, et donc constatable, à partir du recours effectif aux armes. Mais il y manque une chose, une chose déterminante : l’élément de volonté, l’intention dans le conflit armé international s’est diluée ; ne reste plus que le fait juridique, et le droit qu’on lui applique. La guerre au contraire, la guerre au sens traditionnel, et telle que l’appréhendait le droit de la guerre traditionnel, comportait un éminent élément d’intention ; elle procédait même tout entière d’une intention. Cette intention était formalisée et énoncée dans un acte juridique : la déclaration de guerre.
Mais la guerre au sens du droit étant une institution désormais obsolète et l’emploi de la force illicite, on ne déclare plus la première, pas plus évidemment qu’on ne déclare les situations substantiellement équivalentes. À une autre époque toutefois, en particulier à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, la déclaration de guerre avait fait l’objet d’un nombre étonnant d’études, notamment en France et en Allemagne. À notre connaissance aucune de celles-ci ne l’avait cependant abordée véritablement sous l’angle de la théorie de l’acte juridique, se concentrant davantage tantôt sur la seule question des implications de l’état de guerre, tantôt sur celle de la régularité de la guerre sans déclaration préalable. C’est pourtant en abordant initialement la déclaration de guerre en tant qu’acte juridique qu’on saisit le plus complètement ce qu’était l’institution : de quelle catégorie d’actes relève-t-elle ? Quels sont les effets qui en résultent ? Le droit international subordonne-t-il la licéité de la guerre à un avertissement préalable donné sous forme de déclaration de guerre ? Nature (I), effets (II) et enfin valeur de l’acte (III), telles sont dès lors les questions qu’on se propose de traiter ici.
I. Nature : acte unilatéral étatique
A. Imputation à l’État
Paradoxalement, parce qu’elle a aujourd’hui totalement disparu des relations internationales, la déclaration de guerre reste l’acte unilatéral étatique par excellence, soit un comportement imputable à un État seul, et que le droit international traite comme l’expression de sa volonté. C’est cette volonté qui le caractérise comme un acte juridique, mais un acte juridique par essence international : bien que la déclaration de guerre produise des effets légaux également dans l’ordre interne, ceux-ci ne sont que les corollaires, ou en quelque sorte l’extension, des effets produits dans l’ordre international, desquels ils sont intrinsèquement dépendants.
La caractérisation de l’acte comme étant d’origine étatique est fondamentale, ou l’était du moins à l’époque où la déclaration de guerre avait encore tout son sens. Elle circonscrit le mécanisme d’imputation à l’État, et en cela permet en particulier de distinguer ce qu’on appelait jadis la guerre publique de la guerre privée, ou la guerre interétatique de la guerre civile, distinction qui a aujourd’hui un équivalent dans les expressions de conflit armé international et conflit armé interne. On voit d’ailleurs le plein effet de cette dernière distinction dans l’arrêt rendu par le Tribunal pénal international pour l’Ex-Yougoslavie dans l’affaire Tadić déjà mentionnée, où se posait la question de savoir si le Tribunal était compétent pour se prononcer sur les crimes allégués pour lesquels Tadić était poursuivi, dès lors que le Statut du Tribunal conditionne sa compétence par l’existence d’un conflit armé, international pour certaines infractions, indifféremment international ou interne pour d’autres.
La distinction originaire entre la guerre publique et la guerre privée est à rattacher à l’idée que la guerre traditionnelle, celle à laquelle s’attachait alors un régime juridique spécifique (voir infra, II.), est une relation par essence interétatique. On la trouve déjà exprimée chez Rousseau, qui tenait qu’elle est
… une relation d’État à État, dans laquelle les particuliers ne sont ennemis qu’accidentellement, non point comme hommes, ni même comme citoyens mais comme soldats […]. Chaque État ne peut avoir pour ennemis que d’autres États, et non pas des hommes, attendu qu’entre choses de diverses natures on ne peut fixer aucun vrai rapport.
Dès cette première précision qui identifie la déclaration de guerre comme un acte unilatéral étatique, précision somme toute assez banale du point de vue du droit international d’il y a un siècle, se révèle cependant toute l’ambivalence d’un droit, avec ses institutions et les règles qui les gouvernent, qui peut ne pas être en adéquation avec nombre de situations réelles actuelles, et partant incapable de les traiter. À supposer qu’ils eussent existé au début du XXe siècle, comment en effet aurait-on qualifié et traité les rapports d’un État avec un Daech ou un Al-Qaïda ? Le malaise aurait assurément été le même qu’aujourd’hui : dès lors que ces organisations ne sont pas, en toute rigueur, des États, les affrontements qui matérialisent la lutte contre toutes sortes de groupes terroristes n’auraient pas été des guerres au sens strict du droit. Et pourtant.
Mais cette complexité étant étrangère au monde de la Première Guerre mondiale, l’enjeu de l’imputation de la déclaration de guerre résidait ailleurs. Si un État déclarait la guerre, cette dernière était nécessairement interétatique : telle est la nature de la déclaration de guerre. Notons également que la qualification de la déclaration comme acte unilatéral étatique, et partant sa validité et son efficacité, est parfaitement indépendante de l’identité de l’autorité compétente dans l’ordre interne. C’est l’État, sujet du droit international, qui déclare la guerre, par l’intermédiaire évidemment des organes internes compétents pour engager internationalement l’État. Mais lesquels de ces organes internes sont habilités à agir au nom de l’État, c’est là une question de seules procédures constitutionnelles, qui n’intéresse nullement le droit international, sous la seule réserve que l’autorité de qui émane la déclaration ne soit pas manifestement incompétente aux yeux de son destinataire.
B. Inconditionnalité et automaticité
Acte unilatéral par excellence, a-t-on écrit au début de ce développement, car la déclaration de guerre est l’un de ces rares actes juridiques dans l’ordre international qui est apte à produire des effets de droit par la seule volonté de son auteur, indépendamment d’une combinaison avec d’autres actes unilatéraux imputables à d’autres États. Les actes unilatéraux étatiques se divisent en effet en deux catégories : ceux de la première, les plus rares, sont inconditionnels en ce qu’ils produisent automatiquement, par eux-mêmes, les effets qu’ils visent. Tel est par exemple le cas de la déclaration par laquelle un État reconnaît un autre : il atteste ainsi, à son égard, l’existence d’une situation de fait, avec pour effet, produit inconditionnellement, d’être engagé à appliquer les règles attachées à l’existence de cette situation. C’est encore le cas d’une déclaration facultative de juridiction obligatoire de la Cour internationale de Justice, en vertu de l’article 36 § 2 de son Statut, dont le fonctionnement est tel que par sa seule déclaration l’État devient partie au système de juridiction obligatoire, sans qu’il soit besoin d’un acte complémentaire extérieur à lui, qui accepterait cette déclaration. De manière symétrique, l’État ne peut être libéré du système que par une autre déclaration par laquelle il se désengage. Les actes unilatéraux de la seconde catégorie, plus fréquents, sont au contraire conditionnels, en ce que la naissance des effets qu’ils visent à produire est conditionnée par la réaction de ceux des sujets à qui l’acte pourrait être opposé. La production d’effets dépend donc dans ce cas d’un autre acte unilatéral en réaction au premier. En dépit de cette particularité, celui-ci reste bien un acte unilatéral en ce qu’il est destiné à produire des effets de droit, indépendamment de la question de savoir s’il peut les produit d’ores et déjà ou pas encore, et qu’il est imputable à un seul sujet du droit international. Sa teneur en revanche n’est rien d’autre qu’une prétention subjective, dont la production d’effets est en quelque sorte différée, suspendue à la condition de l’expression d’une volonté autre, laquelle peut déclencher ces effets légaux ou au contraire les empêcher définitivement, du moins dans les rapports intersubjectifs entre les deux États émetteurs. Le terrain d’élection de ce type d’acte est l’occupation d’un espace libre mais susceptible d’appropriation, ou d’un territoire contesté. L’État qui occupe un tel espace n’exprime rien d’autre qu’une prétention subjective, qui ne lui donne en aucune manière un titre territorial sur l’espace revendiqué. De deux choses l’une : si un autre État, qui se dispute avec le premier l’espace contesté, proteste expressément contre l’occupation, celle-ci ne pourra produire aucun effet légal et le territoire restera contesté ; si cependant il accepte l’occupation par le premier, ou même reste seulement passif dès lors qu’une réaction était exigée, le silence constituant dans ce cas un acquiescement, alors le comportement de l’État occupant – acte unilatéral par lequel il prétendait constituer une situation juridique individuelle – produira effectivement l’effet qu’il lui destinait : l’appropriation de l’espace concerné, par le jeu croisé des actes unilatéraux que sont le comportement initial et la réaction de l’autre État, devient opposable à celui-ci, qui devra en tirer les conséquences que le droit attache à cette situation. On perçoit nettement que le second acte unilatéral, pris en réaction à l’acte-prétention du premier État, a une teneur nécessairement binaire en ce qu’il ne peut, en substance, énoncer que l’une des deux réponses possibles : puisque le premier est une prétention unilatérale de constitution d’une situation juridique, d’un droit ou d’une obligation, voire d’une règle, le second ne peut être qu’une acceptation de celle-ci, ou un refus.
Ces quelques indications suffisent pour classer la déclaration de guerre dans l’une de ces deux catégories. La pratique des États pourrait pourtant prêter à confusion. On observe en effet dans de nombreux cas qu’une déclaration de guerre restait sans réponse, mais qu’elle était quasiment aussitôt notifiée à d’autres États, qu’ils soient directement concernés en vertu d’un traité d’alliance qui les engageait à entrer eux-mêmes en guerre, ou qu’ils le soient indirectement, auquel cas ils pouvaient déclarer leur neutralité. Ainsi, lorsque l’Allemagne déclara la guerre à la France en 1914, celle-ci adressa dès le lendemain une note diplomatique aux Puissances, leur indiquant que
Le gouvernement impérial allemand […] a déclaré la guerre à la France le 3 août 1914 à 18h45 [on note toutefois que le 2 août, les troupes allemandes avaient dès la veille passé le frontière et donc violé l’indépendance et l’intégrité territoriale de la France]. Le gouvernement de la République se voit, dans ces conditions, obligé de son côté de recourir aux armes. Il a en conséquence l’honneur de faire savoir […] au gouvernement de … que l’état de guerre existe entre la France et l’Allemagne à dater du 3 août 1914 à 18h45.
Il s’agit là d’une notification de l’état de guerre et on y lit bien que la France, destinataire de la déclaration de l’Allemagne, ne fait et ne peut d’ailleurs qu’en prendre acte. D’autres cas sont en revanche plus troubles, un État, après avoir déclaré la guerre, se trouvant lui aussi destinataire d’une déclaration réciproque. L’exemple le plus spectaculaire de la Première Guerre mondiale est formé des déclarations de guerre successives à l’Empire ottoman de l’Empire russe (1er novembre 1914), puis de la Serbie (2 novembre) et enfin de la France et du Royaume-Uni (5 novembre), auxquelles l’Empire ottoman répondit le 11 novembre en déclarant le jihad à l’ensemble des Alliés. La Deuxième Guerre mondiale est plus riche en exemples de déclarations de guerre croisées : le Japon déclara la guerre aux États-Unis – on reviendra sur ce cas particulier –, au Royaume-Uni, à l’Australie, à la Nouvelle-Zélande et à l’Afrique du Sud le 7 décembre 1941, et le lendemain ces États-là, sans l’Afrique du Sud mais avec le renfort d’autres encore, déclarèrent la guerre au Japon. De la même manière, une correspondance croisée du 11 décembre 1941 fait état de la déclaration de guerre de l’Allemagne et de l’Italie aux États-Unis, et inversement de celle des États-Unis à ces deux États. Enfin, le 12 décembre 1941, la Bulgarie déclara la guerre aux États-Unis et au Royaume-Uni, et le lendemain le Royaume-Uni répondit par sa propre déclaration à la Bulgarie. Croisement de déclarations réciproques, mais cette réciprocité n’a aucune valeur d’un point de vue juridique. L’intersubjectivité qui caractérise si fortement le droit international trouve en effet dans la déclaration de guerre l’une de ses rares limites, car c’est bien cet unilatéralisme exclusif qui la caractérise. On le confirmera par la suite, elle n’appelle aucune réaction pour produire ses effets, elle les déploie automatiquement, par la seule volonté de l’État déclarant. On n’imagine pas d’ailleurs un État déclarerant formellement la guerre à un autre et cet autre ayant le loisir de répondre d’après l’alternative acceptation ou refus. L’hypothèse plongerait dans l’absurde : conçoit-on que la guerre ou au contraire son absence dépendrait de la volonté de celui auquel elle aurait été déclarée, plutôt que de la volonté du déclarant ? Ni prétention de guerre, ni invitation à la guerre, la déclaration de guerre n’a besoin d’aucune réaction pour produire des effets de droit.
II. Effets : formalisation du passage de l’état de paix à l’état de guerre
Ces effets sont multiples, mais tous se déclinent à partir d’une majeure : la déclaration de guerre constitue l’état de guerre (A), déclenchant par là l’application du régime juridique propre à la guerre (B).
A. Constitution d’une nouvelle situation juridique
a. Effet constitutif
L’expression « déclaration de guerre » peut au premier abord paraître trompeuse, donnant à penser que l’acte aurait valeur déclarative, qu’il se bornerait à enregistrer, à prendre acte d’une situation existante qu’il ne ferait que constater formellement. Nonobstant certaines curiosités concernant les modalités des déclarations de guerre, sur lesquelles on reviendra, une seule analyse, péremptoire et univoque, s’impose : la déclaration de guerre ne déclare en aucune manière une situation juridique préexistante, elle constitue au contraire une situation juridique nouvelle, celle de l’état de guerre. « The law recognises a state of peace and a state of war, but […] it knows nothing of an intermediate state which is neither the one thing nor the other – neither peace nor war », et la déclaration de guerre est précisément cet acte formel, le seul, par lequel se réalise simultanément la rupture de l’état de paix et l’entrée dans l’état de guerre.
Il existe d’ailleurs un État, l’Australie, dont la réglementation fait nettement apparaître la distinction entre l’effet constitutif et déclaratif d’une déclaration relative à la guerre, en ce que les compétences paraissent réparties différemment selon qu’il s’agit de déclarer la guerre ou de déclarer l’état de guerre. La constitution de 1901 est toutefois parfaitement muette sur l’autorité compétente pour déclarer la guerre, ce qui est, d’un côté, cohérent avec la prohibition du recours à la force ancrée dans la Charte des Nations Unies ; cependant que, d’un autre côté, il est généralement admis par la doctrine, et la pratique l’a indiqué également, que cette compétence appartient au Premier Ministre (avec ou sans participation parlementaire, question plus âprement débattue). Dans le même temps, on infère du Defence Act de 1903 que la compétence de déclarer l’état de guerre appartient au Gouverneur-général, sans implication quelconque du parlement. L’état de guerre ou, plus justement, le « temps de guerre » (« time of war ») d’après les termes de cette loi, est défini comme « any time during which a state of war actually exists, and includes the time between the issue of a proclamation of the existence of war or of danger thereof and the issue of a proclamation declaring that the war or danger thereof, declared in the prior proclamation, no longer exists ». Cette définition ainsi que l’habilitation différenciée pour la déclaration du « temps de guerre » tiennent compte avec netteté de la distinction indiquée ci-dessus entre l’acte constitutif et l’acte déclaratif, et mettent en évidence l’effet proprement constitutif d’une déclaration de guerre. La déclaration de l’état ou du « temps » de guerre quant à elle n’a qu’un effet déclaratif, et peut n’avoir que cet effet-là puisque l’état est déjà constitué, que ce soit formellement, par une déclaration, ou matériellement, par l’ouverture des hostilités.
L’effet constitutif de la déclaration de guerre soulève une question voisine, symétrique même, bien qu’elle ait l’allure d’une digression en ce qu’elle dépasse le champ du sujet à traiter : puisque la déclaration de guerre constitue l’état de guerre, par quel acte cet état est-il « dé-constitué » ? À l’édiction de l’acte constitutif doit nécessairement correspondre un acte symétrique « dé-constitutif », ou plutôt constitutif d’une nouvelle situation juridique qui se substitue à la précédente. Mais lequel ? On connaît bien le mécanisme du droit administratif par exemple, où une situation ou règle juridique, ou encore un droit ou une obligation constitué(e) par un acte unilatéral, à moins que n’intervienne une règle supérieure qui prime sur lui, ne peut être modifié(e) ou abrogé(e) que par un autre acte unilatéral, émanant en principe du même auteur. Mais imagine-t-on un tel parallélisme des compétences et des formes dans l’ordre international, qui exigerait alors, pour que la paix soit, une déclaration unilatérale de celui des belligérants qui aurait initialement déclaré la guerre, et de lui seul ? L’hypothèse n’a pas de viabilité pratique. On pourrait alors envisager la reddition sans condition des troupes, soit la capitulation, quand bien même sa nature (un acte juridique ?) nous semble incertaine. Il reste que, de fait, elle met en toute hypothèse fin à la guerre, qui ne peut exister qu’en se nourrissant du rapport au moins potentiellement belligérant entre deux États, exprimé par des actes d’hostilités. Si l’un des deux rend les armes, s’avoue vaincu, et fait ainsi savoir qu’il n’est plus en mesure de combattre, alors la guerre se disloque. D’un point de vue juridique cependant, l’état de guerre demeure, et on a par exemple vu être exercé le droit de prise même après la capitulation allemande du 8 mai 1945. Il faut donc chercher ailleurs l’acte en mesure de le dé-constituer en lui substituant l’état de paix, cette fois du côté des techniques conventionnelles. En aucun cas toutefois ne peut-il s’agir de l’armistice ou du cessez-le feu, conventions militaires qui ne sont qu’une cessation des hostilités de plus ou moins longue durée, parfois même indéterminée. Trêves temporaires, ni l’un ni l’autre ne met donc fin, d’un point de vue juridique, à l’état de guerre. Le traité de paix en revanche produit assurément cet effet, et c’est même son principal effet. La dissymétrie de la nature des actes, l’un unilatéral et l’autre conventionnel, n’est pas gênante, d’autant moins que le droit international ignore la hiérarchie des actes. Elle marque une fois de plus le règne de l’intersubjectivisme et du consensualisme dans l’ordre juridique international, au point parfois de frôler la bizarrerie contre-intuitive : la volonté d’un seul suffit pour déclencher une guerre, mais il faut au moins deux volontés, concordantes qui plus est, pour la finir. C’est au demeurant d’un consensualisme fort curieux qu’il s’agit ici, d’abord parce qu’il paraît radicalement incompatible avec la force qui précède immédiatement cet accord de volontés qui, pour conclure le traité, doivent être libres et qu’on prétend donc telles. Ensuite parce que, par essence, une guerre dessine habituellement un vainqueur et un vaincu et que, sans compter que la réciprocité est alors au mieux factice (ce qui n’est toutefois pas véritablement gênant, dès lors qu’aucune règle n’impose l’équilibre parfait des engagements conventionnels), le premier est alors en mesure d’imposer sa volonté au second en configurant comme il l’entend la teneur du traité, l’infériorité du vaincu ne laissant à celui-ci guère d’autre choix que de l’accepter. Limite dangereusement ténue, dans ce cas, avec les hypothèses de nullité d’un traité envisagées par les articles 51 et 52 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, en vertu desquels est dépourvue de tout effet juridique l’expression du consentement d’un État à être lié par un traité qui a été obtenue « au moyen d’actes ou de menaces dirigés » contre le représentant de l’État (article 51), tout comme est « nul tout traité dont la conclusion a été obtenue par la menace ou l’emploi de la force » en violation des principes de la Charte des Nations Unies (article 52). La confection d’un traité de paix est souvent bien loin, en effet, de la procédure habituelle de préparation et de conclusion d’un traité, où chaque État participant à la négociation est en mesure de défendre ses intérêts, et surtout de le faire librement et – c’est du moins le principe – en tant qu’égal des autres États. Le droit international pourtant ne s’émeut pas de la bizarrerie qu’est le traité de paix dans le contexte d’un consensualisme pourtant affiché, et c’est bien le traité de paix qui met fin par excellence à la guerre, quelque déséquilibré qu’il puisse se révéler au demeurant – on pense en particulier à celui de Versailles à l’issue de la Première Guerre mondiale. On souligne une particularité ici, à savoir la symétrie imparfaite entre la portée des deux actes : l’acte « dé-constitutif » n’est pas porté sur un autre acte juridique mais sur une situation, un état. C’est que le traité de paix, en toute rigueur, n’est pas véritablement dé-constitutif, ou plutôt il ne l’est qu’incidemment : son effet principal est au contraire proprement constitutif d’une nouvelle situation juridique dont la naissance fait nécessairement cesser en droit la précédente. Il n’y a dès lors aucune étrangeté dans le fait que le traité de paix ne mette pas fin à l’acte juridique qu’est la déclaration de guerre, dans quel cas on pourrait parler d’abrogation ou d’extinction. Il dé-constitue plutôt la situation juridique qu’est l’état de guerre, en vertu du simple jeu de la succession des actes juridiques, par lequel la constitution d’une nouvelle situation, l’état de paix, se substitue à la situation constituée précédemment, l’état de guerre.
b. Effet immédiat ou différé : distinction entre déclaration de guerre pure et simple, déclaration conditionnelle et ultimatum
La déclaration de guerre constitue en principe immédiatement la nouvelle situation juridique. Cette affirmation quelque peu abstraite se révèle très nettement dans la pratique des États, en particulier dans le choix des formules employées. L’une des déclarations les plus remarquablement formulées à cet égard est celle des États-Unis à l’Empire britannique en 1812 : « Be it enacted by the Senate and House of Representatives of the United States of America in Congress assembled, That war be and is hereby declared to exist between the United Kingdom of Great Britain and Ireland and the dependencies thereof, and the United States of America and their territories” : « que la guerre soit » – elle n’était donc pas encore ; « et qu’elle est par le présent acte déclarée exister » – elle existe juridiquement à compter de l’acte pris, par la seule force légale de la déclaration faite. L’immédiateté de la constitution de l’état de guerre se perçoit également, parmi d’autres exemples, dans la déclaration faite par l’Allemagne à la France le 3 août 1914. L’ambassadeur d’Allemagne remit en effet au président du Conseil des Ministres la note suivante : « Je suis chargé, et j’ai l’honneur de faire connaître à Votre Excellence qu’en présence de ces agressions, l’Empire allemand se considère en état de guerre avec la France, du fait de cette dernière puissance ». La formule employée, d’après laquelle l’Allemagne « se considère » en état de guerre, est bien révélatrice de l’effet ex nunc de la déclaration par laquelle est constitué l’état de guerre.
Il reste quelques curiosités historiques, qui témoignent d’une incompréhension de l’effet immédiatement constitutif d’une déclaration de guerre, ou d’une complexité factuelle telle que le moment précis de la constitution de l’état de guerre est incertain, ou encore l’attachement des États à la solennité d’un formalisme pourtant parfois inutile. Le cas le plus étrange mais aussi intéressant d’un point de vue juridique est sans doute la déclaration de guerre de 1941 entre les États-Unis et le Japon. L’attaque de Pearl Harbor est trop célèbre pour paraître nécessiter un rappel, mais ses circonstances précises, pour partie méconnues, méritent qu’on en souligne l’agencement temporel. Le Japon en effet avait habilement exploité le décalage horaire entre Tokyo, Washington et Hawaï, minutant avec la plus grande précision chaque segment de l’opération d’ensemble, qui se serait déroulée en bonne et due forme si des incompétences et difficultés techniques n’avaient pas compromis la réalisation de son intention. Ainsi, le 6 décembre, le Ministre des Affaires étrangères japonais envoya à l’ambassadeur du Japon à Washington un document codé contenant quatorze points, que l’ambassadeur était chargé de remettre au secrétaire d’État américain le lendemain, 7 décembre, à 13 heures précises, soit 7 heures 30 à Hawaï, heure à laquelle était prévue le début de l’attaque. Mais l’ambassade du Japon prit du retard en raison de difficultés rencontrées dans le décryptage du message, moyennant quoi le document ne fut remis ni à l’heure ni dans les conditions prévues. Les services américains de renseignement avaient cependant déjà intercepté le message et étaient parvenus à le décoder bien avant l’ambassade du Japon. Restait un seul point des quatorze que les services de renseignement ne réussirent pas à décrypter : le tout dernier – celui contenant la déclaration de guerre. À près de 6h30, heure d’Hawaï, soit une heure avant le début prévu des bombardements, le général George Marshall, à la lecture du message pourtant incomplètement décrypté, n’en tira pas moins la conviction qu’une attaque se préparait. Par télégramme il donna aussitôt l’alerte aux bases américaines situées aux Philippines, à Panama, à San Diego et à Pearl Harbor, mais de nouvelles défaillances techniques retardèrent l’acheminement du message et l’alerte n’arriva que plusieurs heures après le début des bombardements. D’après la chronologie minutieusement orchestrée par le Japon, son premier escadron se préparait en effet depuis le petit matin, pour un décollage à partir de 6h. Les premières frappes aériennes eurent lieu à 7h53 précisément, soit, si la chronologie s’était déroulée telle qu’elle avait été prévue et n’avait pas été compromise par une succession de défaillances, après que les États-Unis auraient pris connaissance de la déclaration de guerre par le Japon. Il reste qu’elle a bien été faite, préalablement à l’attaque, mais sans avoir été intégralement décryptée. Doit-on considérer, dans ces conditions, qu’elle n’a pas été valablement faite, en raison d’un manque de publicité ? Et si oui, à qui alors imputer ce défaut de publicité, dès lors que le décodage du point le plus important du document, la déclaration de guerre, échoua aussi bien à l’ambassade du Japon que chez les services américains de renseignement ? L’imputer aux États-Unis, qui avaient intercepté le message à temps et étaient donc, en principe, en mesure de prendre connaissance de la déclaration avant les bombardements, impliquerait que, en droit, et contrairement à l’affirmation habituelle, l’attaque par le Japon était bien précédée d’une déclaration de guerre en bonne et due forme, qu’elle était donc intervenue dans le contexte d’un état de guerre déjà constitué et non pas, comme on le prétend, de manière déloyale, voire irrégulière. L’imputer au contraire au Japon reviendrait en réalité à faire peser sur un État déclarant la guerre la charge d’attendre, d’une manière ou d’une autre, une confirmation de la bonne prise de connaissance par l’État destinataire. On voit alors qu’on en viendrait par là à renverser l’analyse donnée dans le développement précédent, d’après laquelle une déclaration de guerre est un acte unilatéral inconditionnel, qui produit ses effets légaux par lui-même et en toute hypothèse indépendamment d’une quelconque réaction de l’autre État. Il reste, dans le cas présent, que le Congrès américain adopta une résolution conjointe le 8 décembre par laquelle les États-Unis déclarèrent la guerre au Japon. Mais alors, à quel moment l’état de guerre entre les deux États était-il constitué ? Au moment de la transmission par l’ambassade du Japon du message imparfaitement décrypté ? Au moment des premiers bombardements ? Ou seulement le 8 décembre par la déclaration américaine ? La complexité des événements est telle que les tribunaux américains donnèrent une analyse variable d’une juridiction à l’autre. Certaines ignorèrent tout bonnement la déclaration de guerre formelle par le Japon et considérèrent que l’état de guerre avait été constitué par l’attaque matérielle ; la plupart estimèrent cependant que l’état de guerre n’avait été constitué que par la résolution adoptée par le Congrès américain. Conformément aux précisions apportées dans les développements précédents, la réponse exacte semble se situer à un moment encore différent : l’état de guerre était constitué, avec effet immédiat, dès le moment où le document contenant la déclaration de guerre était entre les mains des autorités compétentes américaines. La déclaration de guerre des États-Unis quant à elle, contenue dans la résolution adoptée par le Congrès, ne peut alors, au mieux, être analysée que comme un acte déclaratif : surabondante et donc inutile d’un point de vue juridique pour faire produire ses effets légaux à la déclaration japonaise, elle ne fait que prendre acte d’un état déjà constitué.
Au regard de l’analyse qui précède, on peut cependant être troublé par la distinction habituellement opérée entre la déclaration de guerre dite pure et simple et la déclaration conditionnelle. Elle est ancrée de longue date dans les esprits, et on la trouve ainsi chez Grotius, Pufendorf, Suarez, ou encore Vitoria. Vattel par exemple écrivait que
… lorsqu’on a demandé inutilement justice, on peut en venir à la déclaration de guerre, qui est alors pure et simple. Mais si on le juge à propos, pour n’en pas faire à deux fois, on peut joindre à la demande du droit […] une déclaration de guerre conditionnelle, en déclarant que l’on va commencer la guerre si l’on n’obtient pas incessamment satisfaction sur tel sujet. Et alors il n’est pas nécessaire de déclarer encore la guerre purement et simplement ; la déclaration conditionnelle suffit, si l’Ennemi ne donne pas satisfaction sans délai.
Grotius quant à lui, pour qui la déclaration de guerre est exigée par le droit des gens (on y reviendra, voir infra III), tenait que la déclaration pure et simple est celle qui se fait « lorsque celui à qui l’on déclare la guerre a déjà pris les armes contre nous, ou a commis des choses qui méritent punition », qu’elle est au contraire conditionnelle lorsque l’État émetteur la joint à une demande solennelle des choses dues, et que déclarer purement et simplement la guerre si satisfaction n’est pas obtenue serait une « surabondance du droit ».
C’est cette même conception de deux modalités possibles de déclaration de guerre que reflète également la troisième Convention de la Haye de 1907 relative à l’ouverture des hostilités. Elle dispose dans son article premier que « Les Puissances contractantes reconnaissent que les hostilités entre elles ne doivent pas commencer sans un avertissement préalable et non équivoque, qui aura, soit la forme d’une déclaration de guerre motivée, soit celle d’un ultimatum avec déclaration de guerre conditionnelle ». La première branche de l’alternative, la « déclaration de guerre motivée », correspond à la déclaration pure et simple qui constitue immédiatement l’état de guerre tel que développé ci-dessus ; la production d’effets légaux du second type de déclaration par contre dépend de la réalisation d’une condition, laquelle, la formule de l’article le met bien en évidence, est énoncée dans l’ultimatum. Il s’agit donc dans ce cas d’une déclaration avec condition suspensive, qui est énoncée, dans sa substance, dans l’ultimatum : de la satisfaction des conditions qu’il formule dépend alors l’« activation » de la déclaration de guerre jointe.
Ce que la formule fait très justement apparaître (« ultimatum avec déclaration de guerre ») est que la déclaration accompagne l’ultimatum. Les deux sont certes énoncés dans le même instrumentum, mais il s’agit d’actes distincts, quand bien même l’efficacité de l’un est conditionnée par celle de l’autre. On lit cependant chez de nombreux auteurs une confusion sur ce point, consistant à assimiler l’ultimatum à la déclaration de guerre, si bien que la substance et la portée de l’un et de l’autre coïncident. Charles Rousseau par exemple, tout en donnant par ailleurs une définition exacte de l’ultimatum, écrivait ainsi que l’ultimatum peut se présenter « soit comme une déclaration de guerre conditionnelle […], soit comme une déclaration avec menace assortie d’une sommation à terme ». Seule la seconde proposition est exacte, en ce sens que l’ultimatum « exprime la dernière concession posée par l’une des parties en présence pour poursuivre les débats engagés et prévenir une rupture définitive ». Acte distinct d’une éventuelle déclaration de guerre, il résume la substance de la situation actuelle, énonce une sommation visant l’obtention de certaines satisfactions et formule habituellement les conséquences attachées à la non-satisfaction des conditions posées. En ce sens, c’est donc un rappel pressant des obligations existantes, par essence « coercitif » en ce sens qu’il porte la menace des conséquences qu’en tirera l’État s’il estime que le destinataire s’obstine dans leur inexécution. Peu importe, à vrai dire, que l’ultimatum formule expressément cette menace : en ce qu’il est un appel urgent au retour à ce que l’État estime être la légalité, compromise selon lui par le comportement de l’État destinataire, il porte intrinsèquement la virtualité des conséquences d’une violation persistante. Il reste, et c’est l’élément déterminant, que l’ultimatum ne fait naître en lui-même aucune nouvelle obligation, aucune nouvelle situation juridique ; il ne fait que déclarer une situation juridique existante et énoncer ce qu’elle devrait être selon l’État qui la déclare, en rappelant les obligations existantes. Cette teneur propre et distincte empêche toute assimilation à la déclaration de guerre qui, elle, fait bien naître une situation juridique nouvelle, l’état de guerre, ainsi que les droits et obligations nouveaux qui en découlent. Ce qui caractérise en revanche l’ultimatum, nous semble-t-il, est qu’il fait naître dans la déclaration de guerre un droit et une obligation réflexe virtuels, celui d’ouvrir de manière licite les hostilités et, réflexivement, de se considérer en état de guerre. De virtuels, ces droit et obligation deviendront réels si les satisfactions demandées ne sont pas accordées, l’ultimatum étant en ce sens analysé comme une sorte de « proposition de guerre qui, suivant l’accueil fait par l’adversaire, devient une déclaration véritable ». La formule appelle toutefois une correction, en ce que ce n’est pas tant la guerre qui ferait l’objet de la proposition par un État et que son destinataire pourrait alors accepter ou refuser : c’est au contraire le maintien de relations pacifiques qu’on offre, dans ce qui s’apparente davantage à une proposition coercitive de paix. En effet, à défaut d’exécution des conditions de maintien de la paix, la déclaration de guerre attachée et même suspendue à l’ultimatum sera automatiquement activée, et son activation opérera immédiatement le passage de l’état de paix à l’état de guerre, sans qu’il soit alors besoin de formuler une déclaration distincte.
Activation automatique, a-t-on écrit, mais encore le jeu de cette automaticité exige-t-il que les satisfactions demandées le soient sans équivoque, aussi bien dans leur substance que dans le temps. Autrement dit, pour qu’une sommation soit un ultimatum au sens propre, dispensant dès lors l’État, en cas d’inexécution, de déclarer purement et simplement la guerre, elle doit indiquer un délai d’exécution. La pratique des États n’est cependant pas de la plus grande rigueur, ni d’ailleurs la qualification par les juristes de leurs comportements, et on traite ainsi d’ultimatums nombre de demandes qui n’en sont pas. Calvo, notamment, dans la définition qu’il donne de l’ultimatum, indiquait qu’il est le plus souvent assorti d’un délai mais qu’il peut ne pas l’être ; de ce second cas son analyse inférait que l’ultimatum n’est alors pas une déclaration de guerre, assimilation dont on a déjà souligné le caractère erroné. Quant aux États, leur pratique est variable. Ainsi, par exemple, la note de l’Autriche-Hongrie au gouvernement serbe du 23 juillet 1914 était-elle bien un ultimatum, en ce qu’elle énonçait à son extrême fin que « le gouvernement impérial et royal attend la réponse du gouvernement royal au plus tard jusqu’au samedi 25 de ce mois à six heures du soir » – et c’est en effet exactement à ces date et heure que la réponse serbe fut remise. L’Autriche-Hongrie, sans aucune obligation en ce sens dès lors que l’ultimatum contenait déjà la déclaration de guerre, qui n’attendait plus que d’être « activée », répondit pourtant à la note serbe par une longue note du 27 juillet qui exposait à la Serbie les raisons pour lesquelles sa réponse n’était à ses yeux pas satisfaisante. Le lendemain, 28 juillet, suivit une très brève note qui tirait les conclusions de l’inexécution des demandes austro-hongroises du 23 juillet :
Le gouvernement royal serbe n’ayant pas donné une réponse favorable à la Note que le ministre d’Autriche-Hongrie lui a remise le 23/10 juillet 1914, le gouvernement impérial et royal se voit obligé de pourvoir lui-même à la protection de ses droits et intérêts, et de recourir dans ce but à la force des armes. L’Autriche-Hongrie se considère donc, dès ce moment, en état de guerre avec la Serbie.
L’Allemagne en revanche, dans les deux guerres mondiales, se dispensa de préciser un délai dans ses notes à la Belgique du 2 août 1914 et du 10 mai 1940. La formule employée a pourtant tout l’allure d’un ultimatum, énonçant que
… si la Belgique se comporte d’une façon hostile contre les troupes allemandes, et particulièrement, fait des difficultés à leur marche en avant par la résistance des fortifications de la Meuse ou par des destructions de routes, chemins de fer, tunnels ou autres ouvrages d’art, l’Allemagne sera obligée, à regret, de considérer la Belgique en ennemie. Dans ce cas, l’Allemagne ne pourrait prendre aucun engagement vis-à-vis du Royaume, mais elle devrait laisser le règlement ultérieur des deux États l’un vis-à-vis de l’autre à la décision des armes.
L’absence de délai disqualifie en toute rigueur la note d’ultimatum et signifie alors que l’ouverture des hostilités, pour être licite, devait être précédée d’une déclaration de guerre pure et simple. La Belgique, sans pourtant être tenue par aucun délai d’exécution, répondit à la note de l’Allemagne dès le 3 août, refusant de satisfaire aux demandes qui lui étaient faites et soulignant que « l’atteinte à son indépendance dont la menace le gouvernement allemand constituerait une flagrante violation du droit des gens ». Elle fut envahie par l’Allemagne dès le lendemain, sans avertissement préalable. L’Angleterre quant à elle avait adressé à ce sujet un ultimatum en bonne et due forme à l’Allemagne le 4 août 1914, lui demandant de respecter la neutralité de la Belgique et indiquant que « l’ultimatum expire à minuit ». À la suite de l’invasion de la Belgique par l’Allemagne, l’Angleterre publia le 5 août à 0h15 précisément une note faisant connaître la déclaration de guerre à l’Allemagne :
[P]ar suite du rejet sommaire par le gouvernement allemand de la requête à lui adressée par le gouvernement de Sa Majesté réclamant l’assurance que la neutralité de la Belgique serait respectée, l’ambassadeur de Sa Majesté a reçu ses passeports et le gouvernement de Sa Majesté a déclaré au gouvernement allemand que l’état de guerre existait entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne, à compter du 4 août, 11 heures du soir.
c. L’état de guerre sans guerre matérialisée ?
Reste une dernière question, qu’on se bornera ici à esquisser. La déclaration de guerre constituant l’état de guerre, on peut en effet se demander si celui-ci doit être matériellement réalisé. L’imagination associe instinctivement l’état de guerre à la conduite d’opérations militaires, mais il s’agit pourtant là de deux choses relevant d’ordres différents. L’état de guerre désigne une situation juridique, auquel le droit attache un régime spécifique, tandis que les hostilités sont toutes les opérations matérielles menées dans cette situation et qui, pour être licites, doivent être conformes aux règles applicables pendant l’état de guerre. Il s’ensuit qu’on peut tout à fait, d’un point de vue intellectuel, dissocier l’état de guerre des opérations militaires matérielles et, partant, concevoir un état de guerre formellement constitué par une déclaration qui n’est pour autant pas matérialisé. Il faudrait sans doute veiller, cependant, à ne pas en concevoir une acception trop rigide. Par exemple, la Russie et le Japon seraient-ils encore en état de guerre, simplement parce qu’ils n’ont jamais conclu de traité de paix après la Deuxième Guerre mondiale et alors qu’il n’existe plus entre eux de belligérance ? Ou ne devrait-on pas considérer qu’une déclaration de guerre non suivie d’hostilités, ou la cessation des hostilités, après l’écoulement d’un certain délai, rend la déclaration caduque ? Il reste que cette inaction consécutive à la déclaration de la guerre s’est produite exactement dans ce qu’on a appelé la « drôle de guerre », ou en anglais « phoney war », la fausse guerre, et en allemand « Sitzkrieg », la guerre assise, qui désigne la période initiale de la Deuxième Guerre mondiale, huit mois s’étant écoulés entre la déclaration de guerre à l’Allemagne par la France et le Royaume-Uni le 3 septembre 1939 et l’assaut de l’armée allemande du 10 mai 1940, huit mois pendant lesquels, pour la plus grande partie, les Alliés attendaient retranchés derrière la ligne Maginot, tandis que les troupes allemandes étaient elles-mêmes retranchées non loin de là derrière la ligne Siegfried. En dépit d’une telle période d’attente, à durée potentiellement indéterminée et pendant laquelle les citoyens des deux États belligérants peuvent ne pas ressentir du tout l’« anormalité » qu’est le temps de guerre par rapport à la normalité du temps de paix, il reste que l’élément déterminant, le seul d’un point de vue juridique, est l’état de guerre et non pas sa réalisation matérielle. L’application du régime juridique afférent n’est donc pas, en principe du moins, tributaire de l’ouverture effective des hostilités, et Bluntschli écrivait ainsi que « la déclaration de guerre ouvre la guerre même lorsque les hostilités n’ont pas commencé ».
B. Automaticité de l’application d’un régime spécifique
La déclaration de guerre est en effet un acte-condition, sa seule édiction déclenchant automatiquement l’application d’un régime juridique prédéterminé : « Elle a ses lois, ses conditions légales d’action, comme l’état de paix a les siennes ». En ce qu’elle constitue l’état de guerre, elle produit une modification de trois types de rapports de droit : d’abord, entre les États aussi bien belligérants que non-belligérants ; ensuite entre un État belligérant et les ressortissants d’un autre État belligérant ; enfin entre les ressortissants des États belligérants. Dans l’ordre international s’applique alors le jus in bello, composé de l’ensemble des règles qui se substituent à celles de l’état de paix. Outre les règles coutumières, à l’époque de la Première Guerre mondiale il s’agissait d’une part de ce qu’on appelle le « droit de La Haye », c’est-à-dire les conventions de 1899 et 1907 issues des conférences sur la paix de La Haye, qui régissent l’ouverture et la conduite des hostilités entre les belligérants (encore que la première, l’ouverture des hostilités, relève davantage du jus ad bellum ou de ce qu’on appelle plutôt aujourd’hui le jus contra bellum) et encadrent, voire restreignent les méthodes de guerre : interdiction, par exemple, de l’utilisation des munitions à balles expansives ou se fragmentant, ainsi que des baïonnettes à dents de scie, encadrement plus serré du droit des forces navales de bombarder certaines cibles, réglementation de l’utilisation des mines sous-marines, restriction du droit de capture, etc. On note en particulier la convention (III) de La Haye relative à l’ouverture des hostilités de 1907, la convention (IV) de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et la convention (V) de La Haye sur les Puissances neutres en cas de guerre, toutes de 1907, venant parfois modifier des traités déjà existants depuis la première conférence de La Haye. D’autre part et surtout, le jus in bello désigne ce qu’on appelle aujourd’hui le droit humanitaire, mais qui au début du XXe siècle était encore assez fortement sous-développé, constitué essentiellement, outre les règles coutumières, de la convention de Genève de 1906 pour l’amélioration du sort des blessés et malades dans les armées en campagne.
Cet ensemble composite fut profondément reconsidéré et révisé aussi bien à l’issue de la Première que de la Deuxième Guerre mondiale, l’une comme l’autre ayant mis en évidence l’insuffisance du dispositif existant, notamment en termes de protection des victimes de guerre. C’est ainsi qu’est né le « droit de Genève », à savoir les quatre conventions de Genève qui constituent le noyau dur du droit humanitaire actuel et qui protègent les personnes ne combattant plus, en particulier les soldats, les blessés et les prisonniers de guerre, ainsi que les civils et leurs biens. Mais s’il s’agissait, aujourd’hui, d’identifier le régime dont l’application serait déclenchée par une déclaration de guerre, en supposant qu’elle puisse encore être faite licitement, on y verrait figurer des domaines qui, sans doute, n’avaient pas même été pensés en termes d’encadrement juridique au début du siècle dernier. Ainsi a-t-on approfondi l’interdiction de certaines armes jugées inhumaines ou provoquant des traumatismes excessifs, prohibé la participation des mineurs de moins de dix-huit ans dans les conflits armés, réglementé la maîtrise des armements en interdisant ou limitant l’utilisation de certaines armes (mines antipersonnel, armes chimiques et bactériologique, armes incendiaires, etc.), mais aussi conçu la nécessité de protéger l’environnement, de sauvegarder les biens culturels, etc.
Il n’y a pas lieu de dresser ici l’inventaire exhaustif des règles composant le régime juridique applicable à l’état de guerre et, aujourd’hui, à l’état de conflit armé. Ce qui est déterminant est l’enjeu de son application. « La conscience implique la connaissance », écrivait en 1887 Pierre de Fourny et, en effet, puisque l’état de guerre, par l’effet automatique de la déclaration, emporte substitution au droit de la paix du droit de la guerre et du droit de la neutralité, toute la question est donc de déterminer avec précision le moment où s’opère cette substitution, qui a des incidences aussi bien dans l’ordre interne que dans l’ordre international. Ainsi, par exemple, s’agissant du droit interne, doit-on traiter un étranger « normalement », c’est-à-dire tel que l’impose le droit en vigueur en temps de paix, ou en tant que « sujet ennemi » ? Et à partir de quel moment précisément les droits et la protection que lui confère son statut d’étranger sont-ils suspendus ? De la même manière, s’agissant du droit international cette fois, une prise est-elle licite ou illicite, dès lors que le droit de prise n’existe qu’en état de guerre ? Les réponses tiennent, on le voit, au moment précis où s’est produit le basculement d’un état vers l’autre. Mais le brouillage des lignes entre l’état de paix et l’état de guerre, ainsi qu’entre l’application du régime « normal » et celui spécifique à la guerre/au conflit armé a été mis en évidence avec force dans la décision Amin v. Brown rendue en 2005 par la High Court of Justice du Royaume-Uni, où la Chancery Division de la juridiction avait à décider si la requérante, une ressortissante irakienne, avait qualité pour agir devant une juridiction britannique, compte tenu de l’engagement des forces armées de cet État en Irak et de l’état qui en résulterait (la guerre ? le conflit armé ?). Autrement dit, sa qualité pour agir dépendait de son propre statut, lequel statut dépendait lui-même de l’état juridique que constituaient les rapports actuels entre le Royaume-Uni et l’Irak : état de paix ou état de guerre ? Simple étrangère (« alien ») ou sujet ennemi ? La juridiction considéra que le droit contemporain ne saurait exiger qu’un état de guerre eût été formellement déclaré, et que l’emploi de la force en Irak par les forces armées britanniques était au demeurant sanctionné par les Nations Unies (l’une des deux exceptions, donc, que permet la Charte des Nations Unies à l’interdiction du recours à la force). Elle observa en outre qu’il appartient exclusivement aux autorités exécutives de trancher la question de savoir si l’état de guerre est constitué ; or, la position officielle affichée avec constance par le gouvernement britannique était que le Royaume-Uni n’était pas en « guerre » contre l’Irak. Par ailleurs, de manière davantage subsidiaire, elle sembla considérer comme archaïque le statut de « sujet ennemi », institution de l’état de ce qui était jadis la guerre, lorsqu’elle observa que l’incapacité des sujets ennemis était une règle du droit anglais se rapportant aux lois et coutumes traditionnelles de la guerre, et qu’il n’y avait pas lieu de transposer ce traitement réservé aux sujets ennemis au conflit armé contemporain n’impliquant pas la guerre « au sens technique ».
La question, que la guerre ait été déclarée ou non, reconnue ou non, a cependant perdu une partie de l’importance qu’elle revêtait au siècle dernier : l’article 2 commun aux conventions de Genève de 1949 précise ainsi que « la présente Convention s’appliquera en cas de guerre déclarée ou de tout autre conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs des hautes parties contractantes, même si l’état de guerre n’est pas reconnu par l’une d’elles » (la formule est d’ailleurs curieuse compte tenu de ce que l’interdiction quasiment absolue de l’emploi était déjà posée, rendant par là improbable, puisque illicite, l’hypothèse d’une guerre qui serait expressément déclarée). Ensuite, le droit issu des conventions de La Haye, qui s’applique expressément en cas de guerre, est entretemps indifféremment appliqué aux situations de conflit armé international, qui ne sont pourtant généralement pas constituées par une déclaration formelle. Enfin, l’application du droit international humanitaire a été étendue progressivement à toutes sortes de situations qui ne sont pas resserrées autour de ce qu’on aurait appelé autrefois la « guerre ». L’application du régime spécifique à la guerre ou au conflit armé international est donc aujourd’hui déconnectée de l’existence d’une déclaration de guerre en bonne et due forme, telle qu’on l’entendait encore jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. Il reste que celle-ci était fort utile, le critère alternatif – et aujourd’hui exclusif – du premier acte d’hostilité n’étant pas de la plus grande fiabilité dès lors qu’une guerre ou un conflit armé résulte fréquemment d’une escalade de tensions et violences, parmi lesquelles il peut ne pas être aisé de déterminer l’acte « initial » constituant l’état de guerre ou de conflit armé.
III. Valeur : Pas de guerre sans déclaration préalable ?
Du point de vue de la théorie des actes unilatéraux se pose une ultime question : l’acte dont il s’agit est-il conditionné ou non par une règle internationale supérieure ? Celle-ci, si elle existe, peut être permissive, prohibitive ou prescriptive, et la question revient alors à demander s’il existe une règle dans l’ordre international qui oblige les États, pour que la guerre conduite soit licite, à formuler préalablement une déclaration. On précise au passage que la formule fréquemment employée d’après laquelle la déclaration de guerre aurait un « caractère obligatoire » ou au contraire facultatif, ou celle d’une « obligation » de déclarer la guerre n’ont aucun sens. La question n’est pas de savoir si la déclaration est obligatoire ou non – elle ne l’est évidemment pas –, mais s’il peut exister véritablement une guerre au sens du droit lorsque l’ouverture des hostilités n’a pas été précédée d’une déclaration : la situation factuelle qui résulte des opérations matérielles peut-t-elle être saisie par le droit en tant que « guerre » si elle n’a pas fait l’objet d’une déclaration préalable ? Et si elle peut l’être, l’est-elle en tant que guerre licite ou, du fait de l’absence de déclaration, de guerre illicite ? Voilà les questions auxquelles laquelle il s’agira ici d’esquisser une réponse.
Celle de la très vaste majorité des auteurs de l’Antiquité jusqu’au Moyen-Âge semble avoir été que la déclaration était une condition formelle sine qua non pour qu’une guerre fût juste, certains estimant même qu’une simple déclaration ne suffisait pas, mais qu’il fallait encore accorder à l’adversaire un délai avant de recourir aux armes. Pufendorf considérait ainsi que des hostilités déclenchées sans déclaration préalable ne seraient que « courses et purs brigandage » ; Rayneval développait cette comparaison en écrivant qu’« une guerre sans déclaration préalable est un véritable brigandage, c’est la guerre des Pirates et des Flibustiers » et, pour Heffter, « la bonne foi disparaîtrait, pour faire place à un système d’isolement et de crainte mutuelle, si les nations avaient à redouter à chaque instant et sans avis préalable le déclenchement de la guerre ». La fin du XIXe siècle et les toutes premières années du XXe virent un nombre important d’articles, de monographies et d’ouvrages sur la guerre et en particulier sa déclaration. À l’exception de quelques voix dissidentes, parfois notables, la vaste majorité des auteurs francophones et plus largement continentaux s’alignaient sur les positions indiquées ci-dessus, justifiant souvent extensivement la condition formelle d’une déclaration de guerre par des considérations morales et pratiques, qui sont certes très convaincantes au soutien de l’argument qu’une guerre devrait être précédée d’une déclaration, mais qui n’exposent pas pourquoi, en droit, elle ne serait licite qu’à cette condition. La doctrine anglo-américaine maintenait au contraire largement sa réserve traditionnelle, voire son franc rejet de la thèse qu’une guerre, pour être régulière, devrait être préalablement déclarée. Tandis que Kent énonçait sobrement que « war may begin with mutual hostilities », Hall était plus insistant : « The date of the commencement of a war can be perfectly defined by the first act of hostility », considérant par conséquent que « any sort of previous declaration […] is an empty formality unless an enemy must be given time and opportunity to put himself in a state of defence, and it is needless to say that no one asserts such quixotism to be obligatory ». Cette approche sans doute davantage réaliste s’observe au demeurant aussi dans certaines déclarations de guerre de 1914, qui font apparaître que la constitution de l’état de guerre résulte tout autant de l’ouverture des hostilités que d’une déclaration en bonne et due forme. On lit ainsi par exemple dans la note adressée le 24 juillet 1914 par l’Autriche-Hongrie à la Russie que, « vu l’attitude menaçante prise par la Russie dans le conflit entre la Monarchie austro-hongroise et la Serbie et en présence du fait qu’en suite de ce conflit la Russie […] a cru devoir ouvrir les hostilités contre l’Allemagne et que celle-ci se trouve par conséquent en état de guerre avec ladite puissance, l’Autriche-Hongrie se considère également en état de guerre avec la Russie à partir du présent moment ».
Il ne saurait être question ici d’ajouter au débat ancien et passionné des conditions de justice de la guerre et de son déclenchement, d’autant que le droit en vigueur au temps de la Première guerre mondiale était passablement clair s’agissant au moins du second point (B). Mais comprendre pourquoi la question de l’exigence d’une déclaration pour mener une guerre régulière a suscité tant de débat appelle au préalable quelques précisions sur la contradiction entre l’essence de la guerre, qui est intrinsèquement une forme de justice privée, et ce qu’on dit être sa régularité, qui résulterait formellement d’une déclaration pourtant péremptoire (A).
A. Position du problème : concilier les conditions de régularité de la guerre et l’unilatéralisme « péremptoire » de son déclenchement
La question de savoir s’il existe une norme de droit international en vertu de laquelle une guerre ne serait licite qu’à la condition d’avoir été préalablement déclarée ramène en réalité aux fondements de la guerre et à la légitimité de ses causes – causes « justes », si l’on veut. C’est en effet à elles que, depuis toujours semble-t-il, la déclaration de guerre est liée, quelle que soit au demeurant la forme qu’elle a prise à travers les époques et la plus ou moins grande solennité qu’on y a attaché. Mais il y a, profondément ancrée dans les esprits, cette conception d’après laquelle la guerre (régulière) réagit à une violation préalable, qu’elle est l’ultime moyen disponible, après que les moyens pacifiques ont échoué, pour tenter d’obtenir la satisfaction des choses dues. C’est bien ce qu’énonçait déjà en substance Cicéron lorsqu’il écrivait « Nullum bellum justum habetur nisi denunciatum, nisi indictum, nisi de repetitis rebus », qu’on propose de traduire de la manière suivante : « nulle guerre n’est réputée juste si elle n’est pas annoncée, si elle n’est pas déclarée, et si elle n’est pas précédée d’une réclamation des choses dues ». Les choses restant dues, voilà la cause juste de la guerre, laquelle est elle-même la condition substantielle de sa licéité. Sa déclaration préalable à l’ouverture des hostilités est, quant à elle, la condition formelle de la licéité de son déclenchement. On voit alors que la seconde est intrinsèquement liée à la première, en ce que la déclaration de guerre a pour fondement la cause juste, autrement dit l’injustice subie et qu’on cherche à redresser. On a d’ailleurs fréquemment fait valoir qu’une déclaration en bonne et due forme doit énoncer clairement la non-satisfaction des choses dues – le motif de la guerre – et, de manière absolument univoque, le remède par lequel on entend poursuivre leur satisfaction – la guerre. Cette conception se révèle d’ailleurs dans certaines déclarations de guerre – pas toutes, loin de là –, et on peut par exemple lire ce qui suit dans la note remise par l’ambassadeur d’Allemagne à Saint-Pétersbourg, par laquelle l’Allemagne déclarait en 1914 la guerre à la Russie :
Le gouvernement impérial s’est efforcé dès les débuts de la crise de la mener à une solution pacifique. […] [Mais] la Russie […] procéda à la mobilisation de la totalité de ses forces de terre et de mer. À la suite de cette mesure menaçante motivée par aucun présage militaire de la part de l’Allemagne, l’Empire allemand s’est trouvé vis-à-vis d’un danger grave et imminent. Si le gouvernement impérial eut manqué de parer à ce péril, il aurait compromis la sécurité et l’existence même de l’Allemagne. Par conséquent, le gouvernement allemand se vit forcé de s’adresser au gouvernement de Sa Majesté l’Empereur de toutes les Russies en insistant sur la cessation desdits actes militaires. La Russie ayant refusé de faire droit à cette demande et ayant manifesté par ce refus que son action était dirigée contre l’Allemagne, j’ai l’honneur, d’ordre de mon gouvernement, de faire savoir à Votre Excellence ce qui suit : Sa Majesté l’Empereur mon auguste Souverain au nom de l’Empire, relevant le défi, se considère en état de guerre avec la Russie.
Le lien étroit entre le motif de la guerre et sa déclaration est d’autant plus apparent dans le cas d’une déclaration de guerre conditionnelle à l’appui d’un ultimatum : celui-ci réclame les choses dues, celle-là implique, voire explicite leur inexécution et en tire les conséquences. Rayneval écrivait ainsi que « lorsque tout espoir de conciliation est perdu, il faut, pour établir légalement l’état de guerre, la faire précéder d’une déclaration ou d’un manifeste : ce préalable est nécessaire pour faire connaître la cause et la justice des hostilités ».
Qu’une guerre, pour être régulière, doive avoir une cause juste et être déclarée préalablement, tenons-le pour le moment pour un postulat. Mais qui opère ce contrôle de sa « justice » substantielle et formelle ? On perçoit alors plus nettement que la question de la déclaration de guerre se rattache à un dilemme plus vaste, celui de la justice privée, qui est l’un des plus puissants paradoxes inhérents au droit international. Ses règles obligent les États, il n’y a aujourd’hui plus grand monde pour le contester ; dans le même temps, la bonne exécution ou au contraire l’inexécution par les États de leurs obligations, la licéité ou au contraire l’illicéité de leurs comportements est très largement, en raison du caractère décentralisé de l’ordre juridique international, une question qui relève de l’auto-appréciation des États mêmes. Les contre-mesures du droit international général en sont l’une des meilleures illustrations : mesures coercitives par excellence en ce qu’elles visent à conduire un État défaillant à revenir à la légalité, elles sont donc fondées sur la commission d’un fait illicite antérieur, qu’elles cherchent à faire cesser. Or, et là est le paradoxe, hormis certains régimes spécifiques équipés d’une juridiction obligatoire, l’appréciation du caractère illicite du comportement reproché que les contre-mesures prétendent vouloir faire cesser n’appartient à nul autre que l’État lui-même qui entend agir en contre-mesure. Certes sous le contrôle a posteriori des autres États, puisque ceux-ci peuvent mettre en cause la validité des contre-mesures, s’ils estiment qu’elles sont prises sans fondement. L’édiction de contre-mesures n’est en ce sens pas l’expression d’un pouvoir discrétionnaire, mais il reste que c’est un pouvoir dont le déclenchement est « péremptoire », avec comme seule conséquence possible l’engagement de sa responsabilité par l’État pour le caractère illicite de son action.
Tout aussi péremptoire est la déclaration de guerre, et la question des causes légitimes de la guerre et de la licéité de son déclenchement fait encore davantage pénétrer dans les eaux troubles de cet ordre juridique où les États, bien souvent, à défaut d’autorité compétente pour statuer objectivement, sont juges de leur propre cause. Difficiles, dans ces conditions, de parler de régularité de la guerre, si elle est attestée par ceux-là mêmes qui la conduisent. Le paradoxe apparaît d’autant plus nettement, selon les mots de Peter Haggenmacher dans son ouvrage magistral consacré à Grotius et la doctrine de la guerre juste, au regard de « l’obligation, mise à la charge tant des particuliers que des États, de ne jamais poursuivre leur droit que par un recours à l’autorité judiciaire : cette obligation n’est-elle pas de toute nécessité battue en brèche par la guerre ? ». On reviendra dans un instant sur la théorie développée par Grotius, mais on aurait tort de penser que cette conception s’attache à une tout autre époque. Pierre de Fourny publiait par exemple en 1887 un petit livret dans lequel il exposait une « proposition de loi concernant l’exercice de la prérogative du Président de la République et du Parlement en matière de déclaration de guerre », celle qu’il ferait s’il était député ou sénateur, animé par la conviction que
La nation qui, la première, entrera dans la voie du retour au droit des gens, et en insérera les principes et les règles dans ses lois, en instituant, comme les anciens Romains, un tribunal, une cour féciale pour juger des justes causes d’une guerre avant de l’entreprendre, cette nation se sauvera elle-même, et les autres avec elle.
Cette proposition imaginée dispose, entre autres, que ni le chef d l’État ni le parlement ne pourrait déclarer la guerre sans jugement préalable par une autorité juridictionnelle qui établirait ainsi « la justice en cas de guerre ». Autrement dit, à une appréciation subjective d’une situation juridique, qui n’est qu’une prétention de juste cause de la guerre, devrait se substituer un jugement objectif, seul en mesure de constater que les choses prétendument dues le sont effectivement, qu’il existe donc bien un droit à exécuter et, corollaire de cette constatation, de sanctionner le déclenchement de la guerre destinée à obtenir satisfaction. S’agissant des individus soumis au droit objectif et à la puissance de l’État cette exigence se tient parfaitement. Elle est plus délicate pour les États, dont la caractéristique essentielle est la souveraineté en vertu de laquelle leur volonté, pour ainsi dire, ne se subordonne que par leur volonté. Aucune instance ne peut leur imposer sa décision indépendamment de leur volonté, aucune instance ne peut même juger de leurs comportements sans leur volonté. Le système des Nations Unies en est un bon exemple, en dépit du non-respect flagrant de son droit et des décisions adoptées par certains de ses organes. Mais si le Conseil de sécurité a le pouvoir d’autoriser l’emploi de la force par les États dans un cas donné, sur le fondement du chapitre VII, rendant ainsi licites des opérations qui autrement seraient une violation de certains des principes les plus fondamentaux de la Charte, c’est bien parce qu’il a reçu cette habilitation par les États, qui en sont les créateurs, et que ceux-ci se sont engagés à respecter les règles posées par la Charte. Du temps de Grotius toutefois aucune instance comparable n’existait, peu importe qu’elle soit exécutive ou juridictionnelle du moment qu’elle peut rendre des décisions objectives qui s’imposent aux États. C’est là que Grotius fait intervenir un argument habile, nouvelle pièce dans son édifice de la guerre juste, et que, comme l’analyse Peter Haggenmacher, il « croit pouvoir sauver le principe du jugement préalable, en établissant un système assez particulier de compétence judiciaire », qui consiste à répartir celle-ci successivement entre l’État prétendument défaillant et celui qui s’estime privé de son droit, produisant ainsi un fort douteux dédoublement fonctionnel. Dans un premier temps en effet, le fait même d’être débiteur d’une obligation dont l’exécution est réclamée (n’est-ce pas là ce qu’on appellerait un ultimatum ?) rend l’État « juge », en quelque sorte de lui-même, et la sentence réside alors dans la décision de donner satisfaction (avec la curiosité, dans ce cas, qu’une unique décision serait à la fois le substitut de sentence judiciaire et son exécution), ou au contraire de refuser celle-ci. Dans ce dernier cas, et c’est le second temps, la compétence de statuer bascule vers l’État qui s’estime privé de son droit, dont le jugement s’exprime alors au moyen de la déclaration de guerre. On le voit, dans ce système la teneur de la déclaration de guerre est chargée doublement, en ce sens qu’elle est simultanément l’expression substantielle d’une sentence et l’acte par lequel est sanctionnée – sorte d’exécution d’office –, l’exécution de ses conséquences, laquelle sera menée par la guerre. Ingénieuse mais aussi curieuse construction, et peu convaincante également. Mais les apparences sont sauves, moyennant un procédé quelque peu acrobatique qui « régularise » la guerre et son déclenchement : au contraire d’un unilatéralisme arbitraire, l’une et l’autre sont fondés sur un jugement. Mais que ce jugement ne soit ni objectif ni celui d’un tiers impartial est manifeste, il est aussi arbitraire qu’il l’a toujours été et l’est resté, et est en toute hypothèse péremptoire.
B. Droit positif : tentative d’identification d’une norme juridique conditionnant la licéité du déclenchement de la guerre à sa déclaration préalable
Toute la difficulté se déplace alors vers la recherche de la norme internationale qui énoncerait l’exigence d’un avertissement préalable à tout acte d’hostilité. Si le droit conventionnel fournit une réponse claire (a), tout en ayant l’inconvénient de n’obliger que ceux des États qui sont parties au traité, il est beaucoup plus malaisé de conclure avec certitude à l’existence d’une telle exigence dans le droit coutumier (b).
a. Droit conventionnel
Deux périodes peuvent ici être distinguées, la date charnière étant celle de l’entrée en vigueur de la Charte des Nations Unies. Au moment où les États s’engagent dans le premier conflit mondial en tout cas, le droit positif est univoque : la convention (III) de La Haye sur l’ouverture des hostilités, adoptée en 1907, déclare ainsi dès son préambule que « pour la sécurité des relations pacifiques, il importe que les hostilités ne commencent pas sans un avertissement préalable », et dispose dans son article premier que « Les Puissances contractantes reconnaissent que les hostilités entre elles ne doivent pas commencer sans un avertissement préalable et non équivoque, qui aura, soit la forme d’une déclaration de guerre motivée, soit celle d’un ultimatum avec déclaration de guerre conditionnelle ». À titre anecdotique, on signale qu’exactement un an plus tôt paraissait un article à la Revue générale de droit international public intitulé « La déclaration de guerre – est-elle requise par le droit positif ? », question à laquelle l’auteur répondait alors fermement que non, tout en le regrettant et appelant à ce qu’une telle exigence soit inscrite dans le droit international. Un an plus tard c’était donc chose faite. Tous les États impliqués dans la Première Guerre mondiale n’étaient pas parties à la convention au moment de son commencement, mais un nombre important tout de même. Ainsi de l’Allemagne (1909), de la Belgique (1910), des États-Unis (1909), de la Russie (1909), de la France (1910), et de l’Autriche et de la Hongrie. D’autres au contraire avaient signé mais pas ratifié la convention, en particulier la Serbie, l’Italie, la Bulgarie et le Monténégro. On signale également une curiosité, à savoir l’adhésion des Îles Fidji et de l’Afrique du Sud, respectivement en 1973 et 1978. Pourtant le pacte Briand-Kellogg et surtout la Charte des Nations Unies avaient vu le jour entretemps. On peut y voir, d’une part, un doute sur le réalisme de l’interdiction absolue de l’emploi de la force et, d’autre part, que la pratique des États, en déclarant ou en ne déclarant pas la guerre avant de déclencher les hostilités, n’est pas concluante – on aura à y revenir au sujet du droit coutumier : même dans les années 1970 et alors que les États sont soumis à la prohibition de se faire ce qu’on appelait la « guerre », certains souscrivent encore à l’obligation de la déclarer avant de l’engager. Il reste qu’une telle déclaration constituerait tout bonnement un fait internationalement illicite, tout autant que la guerre elle-même hors le cas de l’une des deux échappatoires prévues par la Charte. On l’a dit, celle-ci a tout simplement banni la guerre des institutions du droit international moderne, en l’interdisant de manière quasiment absolue. C’est là la deuxième période qu’on annonçait dans le droit positif, celle qui s’ouvre avec le basculement dans le régime de la Charte. La prohibition de l’emploi de la force ou de sa menace n’a certainement pas simplifié l’état du droit s’agissant de la guerre elle-même, qu’on ne peut cependant plus appeler ainsi, moyennant quoi l’analyse de nombre de situations plonge dans des zones grises juridiques. Elle a en revanche considérablement simplifié l’état du droit s’agissant plus spécifiquement de la déclaration de guerre, puisqu’il se renverse exactement par rapport à ce qu’il était sous le régime de la convention de 1907 : au contraire d’être une condition formelle du déclenchement des hostilités, les États ne peuvent plus déclarer la guerre sans risquer d’engager leur responsabilité.
b. Droit coutumier
Reste à voir si on détecterait dans le droit coutumier une norme qui énoncerait en substance ce que dispose l’article premier de la troisième convention de La Haye de 1907. On l’a déjà indiqué, les auteurs étaient nettement divisés à ce sujet, mais aucun, à notre connaissance, n’a mené d’« enquête » approfondie à la recherche de cette norme coutumière. Celle-ci résulterait en effet de la conjonction de deux choses, annoncées déjà par l’article 38 § 1 b) du Statut de la Cour internationale de Justice : une « pratique générale acceptée comme étant le droit ». Autrement dit, il faudrait pouvoir identifier chez les États un comportement raisonnablement cohérent au sens où, en situation de guerre, ils déclareraient préalablement celle-ci avec une relative constance (pratique générale). En outre, et c’est là l’autre exigence pour que de simples comportements émerge une règle, cette pratique doit être animée par la volonté de l’instituer en règle, ou encore, s’il s’agit plutôt dans une perspective rétrospective d’établir l’existence de la règle, l’élément de volonté chez les États doit alors correspondre à leur conviction d’obéir à une règle déjà constituée (opinio juris). Ni l’un ni l’autre cependant ne s’identifie aisément.
S’agissant de la pratique étatique, elle a été fort variable au fil des siècles, et la déclaration de guerre a elle aussi été chargée de sens très variables. On renvoie le plus souvent à la pratique des Romains, pour qui une guerre n’était régulière que si elle était précédée d’une déclaration. Celle-ci résultait d’une procédure solennelle faisant intervenir les féciaux, qui consistait dans un premier temps à demander satisfaction (rerum repetitio). Si celle-ci n’était pas obtenue les dieux étaient pris à témoins de l’injustice subie (testatio deorum), étape essentielle afin d’attester la juste cause de la guerre dont la déclaration suivrait. Le collège des féciaux soumettait alors la question au Sénat, seul compétent pour décider la guerre. Sa décision prise, le chef du collège procédait enfin à la déclaration proprement dite (indictio belli, ou denunciato belli), en jetant simultanément une lance dans le territoire de l’adversaire. Les récits donnés de la cérémonie féciale sont variables et plus ou moins colorés, mais on trouve dans tous la succession de ces trois étapes et l’idée dominante que la guerre ne saurait être régulièrement déclarée que si les dieux ont été rendus témoins de sa juste cause, au risque sinon de s’attirer leur courroux. Cet usage ancien s’est transmis aux peuples modernes sous des formes variées, si bien qu’à partir du XIIe siècle la déclaration de guerre intervenait avant l’ouverture des hostilités dans quasiment chaque conflit. Cette généralisation s’explique par l’abondance des guerres privées et par l’éthique chevaleresque, la déclaration de guerre étant alors associée par les auteurs au défi : elle aurait la même fonction et le même effet que de jeter son gant à son adversaire et le provoquer ainsi en duel. Mais les traditions féodales et les guerres privées disparurent, et avec elles leur déclaration. Ce n’est qu’au XVIIe siècle qu’elle réapparut avec une relative fréquence, mais sans véritable cohérence. Elle semble prendre toute son ampleur vers le milieu du XIXe siècle, même si la pratique n’était là non plus ni parfaitement constante ni absolue, de nombreuses guerres étant menées sans déclaration préalable, ou en tout cas engagées avant une déclaration en bonne et due forme. La doctrine cependant reste très nettement divisée au sujet de l’existence dans le droit coutumier de l’exigence de déclarer la guerre avant de l’engager : on l’a dit, les auteurs francophones considéraient très largement qu’une telle exigence existait, tandis que les auteurs anglophones la niaient traditionnellement. Le commencement de la dernière grande guerre avant le premier conflit mondial, en 1904, entre le Japon et la Russie, par l’attaque surprise menée par des torpilleurs japonais à Port Arthur avant que la guerre ne fut formellement déclarée, suscita cependant une vive émotion et la troisième convention de La Haye de 1907 en est le produit direct. Cet aperçu bref et non exhaustif fait apparaître une pratique fluctuante, qui n’est cependant pas en soi un obstacle à la formation ou au maintien, dans le droit coutumier, d’une exigence de déclaration préalable avant l’engagement des hostilités. C’est ce qu’indiquera aussi bien plus tard Cour internationale de Justice :
… pour qu’une règle soit coutumièrement établie, la pratique correspondante [n’a pas à] être rigoureusement conforme à cette règle. Il […] paraît suffisant, pour déduire l’existence de règles coutumières, que les États y conforment leur conduite d’une manière générale et qu’ils traitent eux-mêmes les comportements non conformes à la règle en question comme des violations de celle-ci et non pas comme des manifestations de la reconnaissance d’une règle nouvelle. Si un État agit d’une manière apparemment inconciliable avec une règle reconnue, mais défend sa conduite en invoquant des exceptions ou justifications contenues dans la règle elle-même, il en résulte une confirmation plutôt qu’un affaiblissement de la règle, et cela que l’attitude de cet État puisse ou non se justifier en fait sur cette base.
L’approche est rationnelle, au risque sinon d’ignorer radicalement la dimension éminemment opportuniste dans le choix de leurs comportements que font les États, chaque violation se transformant alors en élément destiné à conduire au renversement de la règle. Elle se vérifie aussi au regard de l’attitude des États qui, s’agissant de l’interdiction du recours à la force, ne contestent jamais la règle elle-même, mais tentent plutôt de justifier leurs comportements douteux ou même flagrants en invoquant les exceptions prévues par la Charte ou d’autres motifs qui excluraient l’illicéité, tels que l’intervention sollicitée. Dans ces conditions, les guerres engagées sans déclaration préalable ne peuvent donc servir à elles seules d’argument au soutien de la thèse de l’inexistence d’une exigence coutumière de déclaration préalable.
L’analyse devient cependant bien plus trouble s’agissant de l’opinio juris au soutien de la règle : l’engagement de la guerre plus que n’importe quel autre domaine résiste à une identification univoque de la motivation des États. Qu’il s’agisse de guerres déclarées ou au contraire engagées par surprise, les raisons qui ont animé le choix que font les États peuvent être multiples, et témoigner aussi bien en faveur de l’existence de la règle que de son inexistence, et même de son inutilité. Les déclarations de guerre des Romains, on l’a vu, étaient profondément ancrées dans la doctrine de la guerre juste, et étaient en ce sens destinées à se rendre les dieux favorables. Dès lors qu’on a établi cependant que dans l’ordre international ce sont en définitive les États eux-mêmes qui sont juges de la justice de leur entreprise, n’est-il pas factice d’ériger la déclaration de la guerre en condition formelle de son juste engagement ? De manière plus souple, on peut alors invoquer l’idée de loyauté, qu’on exprimerait aujourd’hui par le principe de bonne foi. Mais à vrai dire, c’est là davantage une question de légitimité de la guerre que de sa licéité. Grotius soulignait en ce sens le caractère « honnête et louable » de l’attitude consistant à déclarer la guerre préalablement à tout acte d’hostilité, et Bynkershoek écrivait de la même manière que « les nations et les princes dotés de quelque fierté ne sont en général pas disposés à conduire une guerre sans l’avoir déclarée préalablement, en ce qu’ils souhaitent par une attaque ouverte rendre leur victoire plus honorable et glorieuse ». La gloire, certes, mais aussi le pragmatisme justifie la pratique. Rappelons-nous en effet que les guerres dont nous parlons étaient d’une époque où le combat se menait d’homme à homme, combat qui exigeait par nature une mobilisation préalable. Déclarer formellement la guerre, en tant que l’adversaire était par là averti, servait donc aussi tout bonnement à assurer que commençassent les préparatifs du combat, combat qui exigeait un important support matériel et le temps nécessaire pour déplacer les troupes aux frontières. On observe incidemment que le changement de « vitesse » de la guerre et des techniques par lesquelles elle est aujourd’hui menée rendent assez vaine cette préoccupation. Dans le même temps, cet aspect peut être exactement renversé et imaginé, pour une raison tout aussi pragmatique, au soutien du choix des États de ne pas déclarer la guerre avant d’attaquer l’adversaire. La guerre est l’ultima ratio pour obtenir satisfaction, il s’agit donc de la gagner. Attaquer étant toujours plus favorable que d’être attaqué, la meilleure stratégie est partant de le faire sans en donner l’avertissement. Cette approche froidement instrumentale – en un sens similaire, un auteur resté anonyme observait sobrement qu’« il faut être pacifique, mais non dupe » – est diamétralement opposée à la courtoisie qu’on peut invoquer par ailleurs, mais elle peut tout autant expliquer le choix des États que le font les considérations d’honnêteté et de loyauté.
On le voit, s’interroger sur ce qui animait les États en déclarant ou en ne déclarant pas la guerre est indissociable des fonctions de la déclaration de guerre, qui peuvent être sans rapport avec l’existence ou le souhait d’une norme coutumière qui en ferait une exigence préalable à l’ouverture des hostilités. Il faut en effet veiller à ne pas confondre la fonction d’une institution et le caractère obligatoire que le droit peut lui attacher : si une norme juridique, assurément, doit avoir une fonction, une utilité, au risque sinon d’être arbitraire, inversement toute institution ou mécanisme utile ou fonctionnel ne saurait pour cette seule raison être rattaché à une règle juridique. Ce que commande la loyauté ou l’honnêteté est une chose, ce qu’exige le droit en est une autre. La seule fonction véritablement juridique de la déclaration de guerre est de permettre d’identifier avec exactitude le moment où est constitué l’état de guerre. Mais celui-ci est tout autant constitué par l’ouverture des hostilités et dans ces conditions il paraîtrait quelque peu artificiel, et même déraisonnable, au nom d’une exigence que poserait le droit coutumier, de ne considérer comme guerres au sens du droit que celles qui auraient été préalablement déclarées, et inversement de nier ou refuser que le régime juridique de la guerre s’applique à celles qui ne l’auraient pas été. Pourtant, même les auteurs qui tiennent qu’une déclaration est nécessaire pour que la guerre qui suit soit régulière n’en tirent que la conséquence qu’« on doit blâmer » les États qui engagent les hostilités sans avertissement préalable et se bornent à considérer que les actes accomplis dans une telle situation auraient « un caractère douteux ». À vrai dire, le débat est d’école : jamais un État n’a vu sa responsabilité internationale engagée pour n’avoir pas formellement déclaré la guerre avant d’ouvrir les hostilités.
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Au terme de cet examen, il apparaît qu’on ne peut sans doute comprendre l’institution de la déclaration de guerre qu’en la replaçant dans un autre temps, où la guerre n’était pas par principe illicite et où l’« art » de la guerre ignorait les techniques d’aujourd’hui. Elle avait alors tout son sens et son utilité, à défaut peut-être d’être une exigence du droit coutumier alors en vigueur. Mais la profonde évolution d’une part du droit international et d’autre part et surtout de la conduite des conflits semblent avoir rendu caduque cette institution traditionnelle. Dans le même temps, on ne peut qu’être troublé par certains comportements étatiques actuels, dans lesquels le droit de jadis aurait certainement vu une déclaration de guerre. Comment comprendre, par exemple, la résolution 758 votée le décembre 2014 par la House of Representatives des États-Unis ? Les députés y « condamnent […] l’agression de l’Ukraine par la Russie », enjoignent la Russie de « cesser son annexion illicite de la Crimée » et demandent avec insistance au Président Obama d’examiner
le dispositif, l’état d’alerte et les responsabilités des forces armées des États-Unis, ainsi que des forces des autres membres de l’OTAN, afin de déterminer si les contributions et les actions des unes et des autres suffisent à satisfaire aux obligations de la légitime défense collective au sens de l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord, et de préciser les mesures requises pour remédier à toute déficience.
On y trouve tous les éléments de la déclaration de guerre pratiquée traditionnellement, et dans lesquels les auteurs voyaient alors son contenu indispensable : énonciation de ce que l’État perçoit comme étant une violation, demande de cessation du comportement en cause, et annonce des conséquences qui seraient tirées d’une inexécution. N’a-t-on pas là, d’après l’acception traditionnelle, un ultimatum, auquel est attachée une déclaration de guerre dont l’activation ne dépendrait que de la réaction de la Russie ? La résolution toutefois est enveloppée dans l’appel au mécanisme de sécurité collective de l’OTAN qui, de la même manière que la légitime défense et l’action décidée par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, est devenue la justification par excellence invoquée à l’appui de guerres qui, en droit, ne peuvent plus dire leur nom. Si bien qu’on en vient à se demander, tout en étant conscient de formuler là une impossibilité logique, si les profondes évolutions du droit à partir de la Première Guerre mondiale, et en particulier l’interdiction progressive et désormais générale de l’emploi de la force, n’auraient pas rendu plus nécessaire que jamais l’exigence d’un avertissement non équivoque avant la commission des premiers faits d’hostilité.
Andrea Hamann est Professeur de droit public à l’Université de Strasbourg, où elle dirige le Master 2 EUCOR Droits européens – Droit comparé. Elle est l’auteur d’une thèse sur Le contentieux de la mise en conformité dans le règlement des différends de l’O.M.C. (Brill, 2014), qui a été récompensée par le Prix Suzanne Bastid de la Société française pour le droit international et le Prix Georges Scelle de la Chancellerie des Universités de Paris.
Pour citer cet article :
Andrea Hamann « Le statut juridique de la déclaration de guerre », Jus Politicum, n°15 [https://juspoliticum.com/articles/Le-statut-juridique-de-la-declaration-de-guerre]