La France a vécu en 2012 les 50 ans de l’élection de son Président au suffrage universel. Le cinquantenaire coïncidait avec la dixième élection de la 5e République, une élection d’alternance qui a attesté l’attachement des Français à  ce rituel en même temps qu’elle confirmait la banalisation d’un exercice appelé à  se renouveler tous les cinq ans et dont ils mesurent de plus en plus les limites. L’anniversaire a été l’occasion d’un certain renouveau de la réflexion doctrinale, ce dont on se réjouit tant le principe de l’élection populaire avait fini par devenir un dogme réputant hérétique toute opinion critique.

L’ouvrage intitulé « La désignation du chef de l’État. Regards croisés dans le temps et dans l’espace », publié sous la direction d’Anne-Marie Le Pourhiet dans la collection Colloques et Essais de la Fondation Varenne, est le fruit d’un colloque organisé à  Rennes le 31 mai 2012. Peu de temps auparavant, un autre colloque organisé à  La Rochelle par Stéphane Pinon et conclu par Guy Carcassonne avait porté sur le même sujet et les thèmes d’intervention très proches avaient abouti sensiblement aux mêmes conclusions. Le présent ouvrage est organisé en trois parties consacrées aux Aspects historiques (pp.21-99), aux Aspects comparés (pp.101-181), et à  La permanence et le regain du débat en France (pp.183-220). La préface de Francis Delpérée vient rappeler que l’élection populaire s’inscrit dans le cadre fixé par la Constitution, et qu’« en France comme ailleurs c’est la Constitution qui fait le chef de l’État ». Ce constat rassurant confirme que l’élection s’inscrit dans un cadre de droit, sans faire oublier que si notre Constitution est présidentielle c’est d’abord et avant tout au sens où depuis 1958 c’est en large part le Président qui fait la Constitution.

La partie historique évoque quatre périodes décisives pour l’élection populaire du Président. Remontant à  la période révolutionnaire, François Saint Bonnet ( Genitum, non factum. La désignation du chef de l’État (1799-1815) ) traite de la direction de l’État entre 1799 et 1815 à  travers les pensées de Sieyès et de Constant. On voit émerger chez ces deux auteurs, entre la fin du Directoire et la seconde Restauration, la figure du pouvoir neutre, « un chef de l’État qui ne soit pas… une institution « agissante ». Un chef de l’État qui ait une fonction… quasi judiciaire ». Si elle prend chez Sieyès la forme d’un Grand Électeur protecteur de la Constitution, et chez Constant celle du pouvoir royal, l’essentiel chez ces deux auteurs est que cette figure soit de nature à  « incarner » la communauté nationale, ce qui pose la question de sa désignation. Or dans la conception républicaine l’élection (le factum) confère la puissance de gouverner, mais elle ne permet pas d’engendrer (le genitum) une figure d’incarnation, en sorte que Sieyès en est conduit à  imaginer un processus de désignation d’une extrême complexité. Quant à  la monarchie constitutionnelle qui a les faveurs de Constant, elle est devenue partisane et n’incarne plus ce pouvoir modérateur auquel aspirent les libéraux.

Lorsqu’avec la proclamation du suffrage universel en 1848 se pose la question de la structure de l’exécutif, il n’est plus question de pouvoir neutre. Adoptée en novembre, l’élection populaire du Président figure déjà  dans le projet de mai, et ainsi que l’explique Frédéric Lambert ( L’élection présidentielle de 1848 : débat et expériences ), désormais « l’on croit avoir « réglé le problème « jusqu’à  présent non résolu » (Rémusat) de l’histoire constitutionnelle, celui de l’organisation du pouvoir exécutif ; l’énigme enfin déchiffrée de la mortalité des régimes politiques ». Par stratégie, monarchistes et libéraux emboitent le pas aux républicains dans la communion à  cette « seule idée nouvelle qui n’est pas exhumée du patrimoine national ». Des précautions sont certes prises afin de brider ce nouveau roi électif que les constituants voient en « automate » tenu par sa responsabilité, mais ils ne mesurent pas à  quel point l’élection directe bouleverse « le circuit traditionnel de la représentation politique, caractérisé par une distance entre représentants et représentés ». On connaît la suite. Louis Napoléon Bonaparte saura se faire l’élu de tous, transcendant opinions et classes, et désormais c’est devant le peuple qu’il répondra de ses actes. Un principe de responsabilité auquel on ne peut lui reprocher d’avoir été infidèle le jour venu de faire sauter le verrou que la constitution avait cru poser contre le pouvoir personnel. Ce coup d’État va traumatiser la mémoire républicaine, occultant ce qui a été finalement le grand apport de 1848 au droit constitutionnel, à  savoir l’entrée en démocratie d’un constitutionnalisme français jusqu’alors teinté d’orléanisme.

La contribution de Jacky Hummel ( Les figures weimariennes d’un « monarque parlementaire élu ». Sur la désignation populaire du président du Reich (1919-1933) ) souligne l’influence du modèle weimarien sur la 5e république. Car comme a pu le dire Philippe Lauvaux, il y a dans notre constitution une « strate weimarienne ». Après l’effondrement du Reich Wilhelmien, l’élection populaire du chef de l’État visait à  « conjurer une neutralisation de la fonction présidentielle ». Le modèle dualiste permettait de rétablir une « figure républicanisée de l’Empereur disparu ». Alors qu’à  la Constituante Preuss influencé par Robert Redslob cherche surtout à  équilibrer le Parlement par une instance démocratique élue, Max Weber voit dans l’élection populaire « la forme de sélection démocratique des chefs la mieux adaptée aux conditions de la démocratie plébiscitaire de masse ».

Autorité « instituée par le peuple pour surveiller le jeu parlementaire » (Burdeau), le président est en puissance une figure plébiscitaire, habilitée à  gouverner par le référendum, et responsable devant la nation. Ainsi que l’avait souligné Carl Schmitt, le président du Reich « possède une position qui, au regard de la personnalité de son titulaire, peut aller du tout au rien et se modifier considérablement à  chaque nouvelle élection ». En 1925, les Allemands élisent le vieux Maréchal Hindenburg, figure représentative de la monarchie révolue, qui incarne à  leurs yeux l’unité nationale face au Parlement reflet des divisions sociales. Jacky Hummel décrit l’évolution de la présidence dans un sens de plus en plus actif, et met en perspective cette évolution avec les analyses doctrinales de Schmitt, opposant à  la « constitution des professeurs » sa « constitution de réserve dont le Président élu serait l’acteur majeur », jusqu’à  ce qu’Hitler vienne satisfaire d’une toute autre façon ses aspirations autoritaires. Après l’expérience de 1848, on est enclin à  conclure à  la fatalité d’une dérive autoritaire de la présidence élective dans le cadre parlementaire. Mais ainsi que le rappelle Jacky Hummel, à  Weimar c’est surtout la culture démocratique et parlementaire qui manquait.

La contribution de Jean-Eric Gicquel est consacrée à  la réforme de 1962 ( 1958-1962 : L’hésitation en France ). La question posée est de savoir si la réforme de 1962 a « transformé le régime » ou simplement « officialisé une tournure présidentialiste prise depuis 1958 ». Pour y répondre, Jean-Eric Gicquel rappelle « les obstacles au principe d’une élection populaire du chef de l’État en 1958 », en notamment l’hostilité personnelle de De Gaulle à  une formule qui laissait la part belle aux partis. Dans leurs interventions, Pierre Brunet et Frédéric Rouvillois soulignent au contraire son attachement de longue date à  l’élection populaire du chef de l’État. Les juristes ont tendance à  voir là  un enjeu de dogmatique constitutionnelle, mais pour De Gaulle il s‘agissait d’une question de pure contingence, l’important étant à  ses yeux de donner son chef à  l’État. Ce qui en 1958 n’était ni nécessaire ni possible l’était devenu en 1962, le reste pour De Gaulle était littérature.

La révision de 1962 de donne aucun pouvoir nouveau au Président, ce qui conduit Jean-Eric Gicquel à  considérer que l’essentiel tient dans la pratique du pouvoir par le Général, et qu’il officialise en 1962 une « République du guide » qu’il pratique en réalité depuis l’origine. Finalement, c’est en 1969, avec le choix de Pompidou contre Poher, que la France opte définitivement pour une vision active de la présidence. Il est de bon ton aujourd’hui de moquer la candidature d’Alain Poher, mais la France n’a pas été moins dirigée sous le gouvernorat de Raymond Barre, nommé par un Président « représentant » en 1976 moins du tiers des Français, que sous le principat à  83 % de Jacques Chirac.

La seconde partie consacrée aux Aspects comparés évoque successivement l’Italie, le Portugal et la Russie. S’il est question de l’Italie, c’est parce qu’en 1947 les constituants rejettent l’élection directe du président ( Alessandro Giacone, l’élection et les pouvoirs du président de la République italienne : le débat à  l’assemblée constituante ). Il était instructif de comprendre les raisons qui ont pu conduire à  écarter ce choix.

Selon la formule d’Alessandro Giacone, « la présidence de la République est apparue d’emblée comme l’institution dont l’interprétation était la plus compliquée sur le plan juridique, entre le modèle du « pouvoir neutre », cher à  Benjamin Constant, et celui du « recours en cas de crise » de la Constitution de Weimar ». L’ombre de Mussolini continue de planer en 1947, et si l’on s’accorde sur le principe d’une présidence renforcée, personne ne souhaite que le président ait un pouvoir de gouvernement. L’un des enjeux centraux du débat est la question du fascisme. Faut-il pour empêcher son retour renforcer le parlementarisme, ou au contraire mettre en place une présidence forte ? Finalement, la Constituante opte en faveur d’un parlementarisme régulé afin d’assurer la stabilité des gouvernements. Le projet élaboré prévoit que « le chef de l’État ne gouverne pas… mais les attributions qui lui sont conférées par la constitution lui donnent de nombreuses occasions pour exercer la mission d’équilibre et de coordination qui est la sienne ».

L’élection populaire du chef de l’État est rejetée en séance publique. Les démocrates-chrétiens craignent un retour du césarisme. On oppose également l’insuffisance des candidats crédibles et l’immaturité des électeurs. De surcroît, l’Italie est multipartisane, et l’élection directe requiert le bipartisme. Enfin, l’élection directe opposera le Nord et le Sud de la péninsule. Finalement, le mode d’élection qui apparaît le mieux adapté pour désigner le « grand régulateur du jeu constitutionnel » est celui du suffrage indirect, par un collège électoral composé des membres des deux chambres et des délégués régionaux à  la majorité des deux tiers.

Alessandro Giacone évoque ensuite les élections présidentielles (12) qui ont eu lieu depuis 1946. Si certains accouchements ont eu lieu dans la douleur, il reste que « l’élection présidentielle… est l’un des moments-clés de la vie politique italienne. La plupart d’entre elles ont été âprement combattues... Dès lors, il n’est pas étonnant que le choix du chef de l’État ait souvent abouti à  une redéfinition des équilibres politiques et à  un changement de gouvernement… sans disposer du pouvoir exécutif, le président de la République joue un rôle important dans la vie politique ».

Vue de France, l’élection populaire du Président portugais dont Oscar Ferreira expose le parcours depuis sa première instauration en 1918 ( L’élection au suffrage direct du Président au Portugal : renforcer et contenir le pouvoir modérateur en république (1911-2011) ) apparaît comme un anti-modèle. La République a succédé en 1911 à  la Monarchie, et le choix initial de l’élection parlementaire ayant conduit à  une présidence faible c’est la figure d’un pouvoir modérateur suffisamment fort pour protéger les institutions qui dès 1918 va imposer l’élection populaire. La conception portugaise du pouvoir modérateur est une combinaison du pouvoir neutre de Constant, « chargé simplement de veiller au respect de la constitution… exclu du gouvernement », et du pouvoir conservateur de Royer-Collard, « arbitrant des conflits entre les partis politiques… représentant seul l’intérêt général, pouvant, le cas échéant et de façon vertueuse, se saisir du pouvoir dictatorial afin de redresser l’État ». La présidence actuelle est l’héritière de ce legs.

Pour la décrire, Oscar Ferreira évoque l’image d’une « présidence castrense », mot dérivé du castrum romain, désignant à  la fois les murs extérieurs de la cité et l’enceinte fortifiée où se réfugier en cas de danger. L’originalité réside dans le fait que la principale cause d’instabilité du régime républicain est attribuée à  l’ « ochlocratie », c’est-à -dire le pouvoir de la foule. En quelque sorte, c’est pour se protéger de lui-même que le peuple va remettre sa propre garde entre les mains d’une figure tutélaire qu’il se choisit. De façon significative, les présidents élus entre 1918 et 1986 sont tous des militaires, et en 1976 c’est le Mouvement des Forces Armées qui impose l’élection populaire dans la constitution. Face au risque de fracturation résultant de l’élection parlementaire à  la proportionnelle, la présidence est la garantie de la stabilité des institutions.

L’article 120 de la Constitution portugaise souligne la fonction modératrice de la présidence. L’élection confère l’autorité mais pas le pouvoir. Les Portugais dissocient l’élection présidentielle et les législatives, qui se déroulent en premier. D’une façon générale, « tout est mis en œuvre dans le but de soustraire les présidentielles à  l’influence des partis et pour les mettre, au contraire, sous la coupe des citoyens ». L’élection en 1986 d’un Mario Soares renvoyant sa carte du PS imposera durablement cette conception d’une présidence modératrice dont le rôle principal est de faciliter la constitution d’une majorité de gouvernement.

La contribution de Jean-Pierre Massias est intitulé « Les Présidences en Europe de l’Est » . La transition démocratique des années 1990 a généré des constitutions d’une diversité extrême. Partant d’une ossature parlementaire commune, une typologie simple conduit à  distinguer les régimes où le président est élu par les parlementaires, aux compétences limitées (Hongrie…) ou plus étendues (Moldavie), et celles où il est élu au suffrage universel direct, aux compétences limitées (Pologne…) ou étendues (Russie). Mais plutôt que de rentrer dans une étude globale qui aurait nécessité d’étudier la transition démocratique de chaque État, l’article est consacré à  la Russie, qui présente le plus d’intérêt dans une étude consacrée aux effets de l’élection populaire du Président.

Ainsi que le souligne Jean-Pierre Massias, le droit constitutionnel transitionnel est un droit de la rupture, de la reconstruction et de la pluralité. À cet égard le rôle reconnu à  la Présidence s’est avéré essentiel, l’hypothèse avancée étant que « plus les constituants, en raison de leur méfiance spécifique, ont limité le rôle de la présidence et plus elle s’est affirmée comme un soutien à  une véritable démocratisation, tandis qu’a contrario, les présidences renforcées ont généré des blocages, voire des régressions démocratiques ». Ce que confirme l’exemple Russe.

Dans la stratégie de Michaël Gorbatchev, l’institution présidentielle devait permettre d’opérer le transfert du pouvoir politique du Secrétaire général du PC à  une institution constitutionnelle démocratique, et d’assurer ainsi la transition « de l’Etat-parti à  l’État institution ». Au départ, ce sont les députés qui élisent le président, mais dès 1991 Eltsine, qui a fait de la présidence « l’élément clef (de sa) stratégie de conquête de pouvoir », obtient par referendum l’élection populaire, et il se fait élire dans la foulée. Sitôt en place, il œuvre à  la liquidation de l’ancien système. Le « conflit constituant » qui entre 1991 et 1993 oppose le Président et le Parlement, chacun préparant son propre projet, tourne à  l’avantage du premier, qui impose sa « constitution de vainqueur » réservant « une place centrale au président ». Politiquement irresponsable, il dispose de vastes compétences. Ce modèle à  hégémonie présidentielle va essaimer dans les républiques de l’ex-URSS.

Dans un pays habitué à  l’autorité, une présidence forte n’avait rien d’inattendu. Mais ainsi que l’expose la seconde partie de l’article, l’institution présidentielle a eu des effets destructeurs. Politiquement « impotent », Eltsine a su néanmoins mobiliser « les moyens considérables offerts par le texte constitutionnel afin de contrebalancer la fragilité de sa situation politique ». Mais en choisissant de gouverner sans le Parlement, il a remis en cause le caractère parlementaire des institutions et la séparation des pouvoirs consacrés par la Constitution. Président « omnipotent », Poutine s’est quant à  lui servi de la Présidence « comme un appui pour la reconquête de l’autorité publique », à  travers la « déconstruction du fédéralisme » et l’« anéantissement progressif du pluralisme politique ». La conclusion, sans appel, est que « dans les États marqués par le pouvoir impérial et soviétique, il n’est pas de véritable rupture démocratique sans régime parlementaire ».

La troisième partie de l’ouvrage est consacrée à  « La permanence et le regain du débat en France ». Dans une courte tribune, Philippe Beneton voit dans l’élection populaire du Président Une élection à  conserver , et Pierre Mazeaud Une erreur sur laquelle on ne reviendra pas . Jetant quant à  lui un « Regard sceptique sur la nécessité de l’élection présidentielle », Pierre Brunet analyse les arguments qui ont pu être avancés pour justifier l’élection populaire du président. Si la vulgate gaulliste a imposé la thèse selon laquelle elle était nécessaire pour donner son autorité au président, progressivement cette thèse a été « battue en brèche par une autre, aujourd’hui largement répandue au sein de la doctrine constitutionnaliste, qui cherche à  mettre au jour une nécessité de cette élection au regard du rôle que joue le Président dans la Constitution actuelle et à  la place qu’il y occupe. Selon cette thèse… la nature de ses fonctions… rendrait son élection nécessaire ». C’est cette thèse « séduisante » selon laquelle l’élection populaire serait inhérente au système constitutionnel, et donc indiscutable, que conteste Pierre Brunet.

L’exposé souligne l’imprécision de l’argumentation. S’agissant des pouvoirs présidentiels, rien n’est dit précisément de ceux (referendum, dissolution, article 16… ?) qui imposeraient l’élection populaire, sachant que tous ces pouvoirs ont été mis en œuvre avant la réforme de 1962. Quant aux notions de « pouvoir » ou de « puissance » invoquées pour justifier l’élection populaire du président, ce sont des notions politiques qui ne sont pas définies juridiquement, « alors que la thèse de la justification de l’élection par la puissance se veut juridique ». La même imprécision règne à  propos de la fonction présidentielle. Le président doit-il être élu parce qu’il est chef de l’État, représentant, ou chef de gouvernement ? Évoquant en particulier la fonction de représentation, Pierre Brunet souligne ainsi que beaucoup de chefs d’État sont représentants de la nation sans être élus, et qu’« on pourrait presque se fonder sur ces exemples, ou sur les dispositions de la Constitution, pour considérer que le Président ne doit surtout pas être élu afin de ne pas confondre sa fonction de représentant iconique avec celle des représentants censés vouloir juridiquement et politiquement pour la nation ».

La thèse de la justification de l’élection par la puissance est généralement confortée par les exemples étrangers alors même que ces exemples étrangers viennent a contrario « conforter la thèse selon laquelle « l’élection ne fait pas la puissance » ». Reprenant un à  un ces exemples, Pierre Brunet montre que l’élection populaire du Président répond en chaque cas à  une nécessité particulière, en sorte que « dire que le mode de désignation d’un organe dépend de la nature des pouvoirs qui lui sont confiés est… peu instructif ». Autrement dit, l’élection populaire du président n’a rien d’une nécessité qui découlerait du rôle que lui assigne la Constitution. Elle résulte d’un choix politique, ce qui « conduit inévitablement à  se poser la question non plus de la nécessité institutionnelle de cette élection mais des avantages politiques qu’on en tire ou en attend et des coûts qu’elle peut induire. C’est une autre affaire ». C’est donc dans le registre politique, et non dans celui de la théorie du droit, qu’avec Arnaud Le Pillouer Pierre Brunet a choisi en 2012 d’engager le débat sur la nécessité de l’élection présidentielle.

Pour terminer, Frédéric Rouvillois avance « Trois bonnes raisons de préférer l’élection du Président au suffrage universel direct ». La première vise à  « donner une tête à  l’État », selon la formule de De Gaulle : « Les notables préféreront toujours Paul Deschanel à  Clemenceau, et Jules Grévy à  Gambetta ». Pour Frédéric Rouvillois, l’élection du chef de l’État est la « colonne vertébrale du système tout entier ». La seconde raison consiste à  lui « donner les moyens d’agir ». Il y a là  un paradoxe au sens où s’il est « dépendant des partis pour se faire élire, le Président ne l’est plus lorsqu’il s’agit de gouverner ». Enfin, l’élection populaire du président permet de « conforter le sentiment national » en instituant un « lien étroit, personnel, entre le Président et son peuple ». L’élection faite du président « le représentant unique d’une nation qui…, par cette incarnation, retrouve… une unité perdue avec l’abolition de la royauté ».

De fait la démocratie exige aujourd'hui l’élection populaire de celui qui conduit l’État. C’est ce que n’avait pas su faire le régime républicain en France, et c’est ce que réalise à  sa façon la réforme de 1962. Dans les démocraties parlementaires qui nous entourent, les électeurs choisissent eux-mêmes leur chef de gouvernement lors de l’élection législative. Il est certain que la suppression de l’élection populaire du chef de l’État ne nous ferait pas passer d’un coup du présidentialisme à  ce type primo ministériel, et par ailleurs la perspective d’une réforme du mode d’élection du chef de l’État soulève la question difficile de la préservation de la stabilité gouvernementale. Mais doit-on s’interdire de réfléchir à  une élection de plus en plus personnalisée qui produit autant de frustrations qu’elle a suscité de promesses, qui occulte une élection législative pour laquelle les électeurs ne se déplacent plus et qui transforme le Premier ministre en collaborateur soumis ? Il y a d’autant plus urgence à  le faire que, comme le souligne Anne-Marie Le Pourhiet dans sa conclusion, la cohérence quinquennale que nous connaissons depuis 2002 repose sur du sable, et que nous vivons sous la menace d’une crise constitutionnelle majeure qui peut surgir à  tout moment. La doctrine constitutionnelle française vient de passer 40 ans à  s’occuper de justice constitutionnelle, le temps est venu pour elle de s’intéresser à  nouveau à  la structure de l’exécutif.

Pierre-Henri Prélot est Professeur de droit public à  l'Université de Cergy-Pontoise.

Pour citer cet article :

Pierre-Henri Prélot « Anne-Marie Le Pourhiet (dir.), La désignation du chef de l’Etat. Regards croisés dans le temps et dans l’espace , Fondation Varenne Coll. Colloques et essais, LGDJ, 2012, 224 p », Jus Politicum, n°11 [https://juspoliticum.com/articles/anne-marie-le-pourhiet-(dir.)-la-designation-du-chef-de-l'etat.-regards-croises-dans-le-temps-et-dans-l'espace-fondation-varenne-coll.-colloques-et-essais-lgdj-2012-224-p-788]