De l’État de droit libéral à l’État de droit social. Critique et transformation de l’État de droit chez Hermann Heller
Cette contribution analyse ce qui se cache derrière le concept d’« État de droit social » élaboré par Heller dans le contexte spécifique de la République de Weimar. Heller fait à cette époque partie de ces juristes qui critiquent la conception libérale du droit pour lui opposer une conception sociale qui tienne compte des inégalités socio-économiques. Mais, pour Heller, cela ne signifie pas pour autant qu’il faille se débarrasser de l’Etat de droit libéral ; il s’agit plutôt de l’élever à un stade supérieur, qu’il appelle la « démocratie sociale », puis à partir de 1929 « l’État de droit social » - une position qui, dans un contexte de crise de la démocratie, avait une portée éminemment politique.
This article analyzes the genesis and meaning of the concept of a “social rule of law” (sozialer Rechtsstaat) which Heller put forward in the particular context of The Weimar Republic. Heller was at this time one of the jurists who criticized the liberal ideal of law. He instead promoted a social conception that would take socio-economic inequalities into consideration. However, this did not imply eliminating the rule of law; it was rather a question of extending it or elevating it to a higher point – which he called “social democracy” and from 1929, “social rule of law”. In the context of the crisis of democracy, this kind of statement clearly had a political dimension.
Hermann Heller (1891-1933) ne fut pas seulement un théoricien de l’État et un des principaux protagonistes, avec Carl Schmitt ou Hans Kelsen, de la querelle des méthodes au sein du droit public weimarien. Il fut aussi, et à double titre, un juriste social-démocrate : sur le plan politique, par son engagement au SPD et sa défense de la République de Weimar, mais également sur un plan théorique. Certains de ces textes peuvent ainsi être lus comme le témoignage de l’élaboration d’une pensée juridique socialiste, déjà en germe depuis la fin du xixe siècle chez des juristes comme Anton Menger et Karl Renner, mais qui s’affirme et se cristallise sous Weimar, portée par une nouvelle génération de juristes. Cette contribution se propose ainsi de montrer que la fameuse formule de l’« État de droit social » (« sozialer Rechtsstaat ») reprise dans la Loi Fondamentale de 1949et celle, antérieure dans les textes de Heller, de la « démocratie sociale » (« soziale Demokratie »), peuvent être interprétées comme des traductions ou manifestations conceptuelles – avec d’autres, comme le « droit social » (soziales Recht) ou la « démocratie collective » (kollektive Demokratie) – d’une nouvelle culture juridique qui tente, dans une perspective réformiste, de penser la transformation sociale par le droit. Ces conceptions ont en commun d’adopter une approche critique du système juridique hérité des xviiie et xixe siècles tout en procédant à une (re)valorisation inédite du droit au sein de la social-démocratie qui impliquait une prise de distance par rapport au marxisme.
Les réflexions de Heller, tout comme celles de ses collègues, ne peuvent bien évidemment être analysées indépendamment du contexte weimarien. D’une part, la combinaison des mutations socio-économiques et de la crise intellectuelle entamées depuis la fin du xixe siècle et du bouleversement politique et social de 1918-1919 avait clairement créé un terreau favorable à l’élaboration de concepts juridiques nouveaux. D’autre part, ces réflexions – a fortiori dès qu’il est question d’État de droit et de démocratie et à mesure que se multiplient et s’intensifient les attaques contre la démocratie weimarienne – se retrouvent inévitablement porteuses d’enjeux politiques : au début des années 1930, se réclamer du Rechtsstaat (État de droit), même sous la forme de « l’État de droit social » était aussi, au-delà de toute construction théorique, un acte politique de défense de la République.
Les caractéristiques des textes sur lesquels s’appuie la lecture de Heller proposée ici sont à cet égard assez révélatrices. Il s’agit d’une part de textes tel que Rechtsstaat oder Diktatur (État de droit ou dictature), qui se donnent aussi à lire comme une prise de position dans le débat politique weimarien, et d’autre part de réflexions relevant de l’histoire des idées que l’on trouve notamment dans Die politischen Ideenkreise der Gegenwart (Les idées politiques du temps présent) en 1926 ou encore dans « Grundrechte und Grundpflichten » (« Droits et devoirs fondamentaux »), texte publié en 1924 qui accorde une large place à l’histoire des droits fondamentaux. Ces derniers textes sont globalement peu mis en avant dans les études sur Heller. Pourtant, l’histoire des idées – une histoire des idées à forte dimension critique, qui vise à chercher des réponses à la crise d’orientation du présent – fait chez Heller fonction d’« arsenal » de sa pensée politique et constitue donc une entrée essentielle pour appréhender sa conception de l’État de droit dans toute sa complexité. Celle-ci est en effet loin de se réduire à un simple antagonisme entre « État de droit libéral » et « État de droit social ». Au-delà de sa critique parfois sans concession du droit en vigueur, Heller est en réalité loin de purement et simplement abandonner l’État de droit libéral au nom de l’avènement de la société socialiste. C’est ce positionnement particulier de Heller dans le contexte weimarien qu’il s’agit ici d’éclairer dans ses enjeux à la fois théoriques et éminemment politiques.
I. Analyse et critique de l’État de droit libéral
Pour cerner ce qui se cache derrière « l’État de droit social » de Heller, il faut commencer par exposer comment et pourquoi celui-ci critique la conception du droit dominante jusque sous Weimar et qui avait trouvé sa traduction dans le Bürgerliches Gesetzbuch (Code civil), entré en vigueur seulement en 1900 après un long processus d’élaboration : la conception libérale, dont les racines remontent à la théorie du droit naturel. Dans le cadre de sa reconstruction « idéaltypique » de « l’idée libérale » (« der liberale Ideenkreis ») dans les Politische Ideenkreise der Gegenwart, Heller explique que la première caractéristique de cette dernière est sa vision foncièrement individualiste de l’Homme : l’individu est un « atome raisonnable » (« Vernunftatom ») libre, « planant » au-dessus des conditions sociales. C’est cette conception qui domine dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Du côté allemand, Kant en est le parfait représentant, de même que Humboldt. Avec sa maxime de « l’assurance de la liberté selon la loi » (« Gewissheit der gesetzmäßigen Freiheit »), ce dernier a pour Heller parfaitement résumé l’idéal de « l’État de droit libéral » (« liberaler Rechtssstaat ») ou du « pur État de droit » (« den reinen Rechtsstaat ») : l’État se contente de garantir la liberté juridique formelle et la sécurité juridique.
Comme le rappelle Heller, l’émergence de cet État de droit libéral est indissociable de l’ascension de la bourgeoisie et de ses aspirations à l’autonomie. La corrélation étroite entre liberté juridique et liberté économique se traduit dans les piliers de l’État de droit libéral que sont la liberté commerciale, la liberté contractuelle, la propriété privée et le droit successoral – autant de principes juridiques entérinés par le BGB. Il faut noter ici que cette analyse de Heller n’a rien d’original : on la trouvait déjà, avant Weimar, chez des auteurs comme Otto von Gierke (1841-1921) ou Anton Menger. De même, le terme péjoratif d’« atomistisch » (« atomiste ») qu’utilise Heller pour décrire la conception libérale de l’individu était récurrent sous la plume de ses contemporains, y compris chez des juristes de l’autre bord politique comme Heinrich Triepel, un autre protagoniste de la querelle des méthodes, ou le néo-hégélien Julius Binder. Heller note d’ailleurs que le rejet de la conception du citoyen comme atome isolé abstrait est aussi un élément central de la conception fasciste de l’État corporatiste. Même si elle prend des formes et débouche sur des conclusions très différentes, la critique de l’individualisme libéral fait ainsi partie des topoï des discours juridiques weimariens.
Venons-en donc maintenant à ce qui conduit Heller à critiquer cette conception libérale du droit. Le problème, explique-t-il en 1926, vient de ce que produisent la liberté et l’égalité juridiques formelles dans une société de classes marquée par les inégalités socio-économiques : la domination de ceux qui détiennent le pouvoir économique ou, pour reprendre les termes de Heller lui-même, « un droit matériellement inégal » pour les plus faibles économiquement. Le diagnostic est formulé encore plus drastiquement – et également en des termes plus politiques – deux ans plus tard : « en l’absence d’homogénéité sociale, l’égalité formelle la plus radicale se transforme en l’inégalité la plus radicale et la démocratie formelle en dictature de la classe dominante ». Là encore, Heller est à cette époque loin d’être le seul à procéder à cette mise au jour critique, dans la tradition marxienne, des intérêts que sert le droit en vigueur – en l’occurrence ceux de la classe dominante, la bourgeoisie – et des rapports de domination que masquent les principes d’égalité et de liberté juridiques. Les points communs avec Gustav Radbruch, en particulier – la liberté contractuelle, écrivait ce dernier, signifie de fait la sujétion de ceux qui sont en situation d’infériorité sociale au diktat des puissants – sont évidents. Pour illustrer les paradoxes de l’idée libérale de l’égalité, Heller se réfère d’ailleurs comme son collègue avant lui à Anatole France et sa phrase sur la « majestueuse égalité des lois » qui interdit au riche comme au pauvre de voler du pain et de mendier au coin des rues.
L’originalité de Heller réside davantage dans la manière dont il analyse et critique cette contradiction entre forme juridique et réalité sociale. Elle n’est en effet pas présentée comme une conséquence inévitable de l’idée libérale, contenue en germe dans le départ, mais comme le résultat d’un processus historique ayant mené à une transformation de la fonction sociale de la liberté et de l’égalité juridiques : ce qui était au départ un bienfait est devenu un « fléau » pour les plus faibles. Dès 1926 et avant de développer ensuite cette analyse de façon encore plus critique dans ses textes de la fin de la République de Weimar, Heller constate ainsi un processus de dégénérescence (« Degeneration ») de l’État de droit libéral dont il situe le début après la révolution de 1848. La liberté et l’égalité, explique-t-il, constituaient bien au départ une idée juridique matérielle à visée émancipatrice. Mais à partir du milieu du xixe siècle, la bourgeoisie, à la fois « saturée » après avoir atteint son objectif de sécurité économique et politique et effrayée par les revendications du prolétariat, a abandonné cet idéal : le « Bürger », le citoyen respectueux de la légalité, est devenu un « Bourgeois » à l’horizon étriqué, incapable de remettre en question des normes juridiques qu’il a absolutisées. L’État de droit s’est ainsi vu peu à peu « vidé de sa substance » (« entleert ») pour finalement se réduire à la simple maxime de la légalité formelle, déconnectée du contenu du droit et de l’idée de justice. Heller voit l’aboutissement de ce processus dans le positivisme juridique de Laband puis de Kelsen.
Face à cette évolution et aux inégalités produites et reproduites par la conception libérale du droit dans la société de classes, Heller n’hésite pas à formuler en 1930 un jugement qui semble sans appel : l’État de droit libéral n’est « plus à la hauteur de la tâche actuelle ». Mais si l’État de droit libéral de la bourgeoisie est condamné, par quoi faut-il le remplacer ?
II. Quelle alternative à l’État de droit libéral ?
« Démocratie sociale » et « État de droit social » chez Heller
Entre 1926 et 1932, Heller utilise différentes formules pour qualifier la nouvelle conception du droit qu’il oppose à l’idée libérale. Dans les Politische Ideenkreise der Gegenwart, il est ainsi plusieurs fois question de « démocratie sociale » (« soziale Demokratie »), un concept clairement opposé à l’idée libérale et rattaché à l’idée socialiste. Dans sa reconstruction de la genèse de l’idée socialiste, qu’il fait remonter à Fichte, Heller oppose également l’État de droit libéral à « l’État social et économique ». L’opposition entre « sozialer Rechtsstaat » et « liberaler Rechtsstaat » n’apparaît quant à elle qu’à partir de 1929 – dans Rechtsstaat und Diktatur, puis dans le discours « Freiheit und Form in der Reichsverfassung ». Même si ce changement terminologique n’est pas sans importance, nous y reviendrons, on aurait cependant tort d’y voir le signe d’une rupture ou d’une inflexion majeure dans la pensée de Heller. Il faut au contraire souligner ici la continuité de son raisonnement. Ainsi, la formule de Rechtsstaat und Diktatur régulièrement citée comme définition de l’État de droit social : « l’extension de l’idée matérielle d’État de droit à l’ordre du travail et des biens » (« Ausdehnung des materiellen Rechtsstaatsgedankens auf die Arbeits- und Güterordnung »), est en fait présentée dans le texte comme la « revendication de la démocratie sociale ». On se situe toujours dans le cadre d’une réflexion sur les transformations de l’ordre juridique et l’émergence d’un nouveau type de droit, « social » (Sozialrecht) – une réflexion qui, dans les textes considérés ici, n’a jamais une dimension purement prescriptive, mais se présente toujours comme une analyse de transformations déjà en cours dans le cadre de la démocratie weimarienne.
Comme il a été dit plus haut, la vision individualiste de l’Homme constitue la base de l’idée libérale du droit. En revanche, la « démocratie sociale » repose sur une conception fondamentalement différente : son point de départ n’est pas « le sujet de droit formellement égal [aux autres] », mais doit être « l’homme en tant que totalité physique et psychologique », en tant qu’il est « déterminé par ses possibilités sociales, notamment économiques et individuelles ». En d’autres termes, il s’agit de prendre enfin en compte dans le droit la réalité socio-économique – Heller parle d’ailleurs de « tournant réaliste » (« Wirklichkeitswendung ») de la démocratie sociale, et donc de prendre en compte les inégalités et les situations de dépendance sociale afin de permettre une organisation « juste » (« gerecht ») des rapports socio-économiques. Cette importance fondamentale de l’idée ou de l’image de l’homme dans le droit comme base du système juridique fut sous Weimar théorisée notamment par Gustav Radbruch et Hugo Sinzheimer, et la nécessité de prendre en compte « l’individu socialisé » (« das vergesellschaftete Individuum ») est au cœur des réflexions de tous les juristes sociaux-démocrates sur la transformation du droit.
La remise en cause du paradigme individualiste libéral ne reste évidemment pas sans conséquences sur le plan des normes juridiques. En effet, comme Heller le résume dans le chapitre consacré à l’idée socialiste dans Die politischen Ideenkreise der Gegenwart, elle implique rien moins que la « transformation de l’ordre juridico-privé du travail et des biens en ordre juridico-public ». Cela signifie que les sphères du travail et de l’économie cessent de relever uniquement du droit privé, mais sont reconnues comme relevant de l’intérêt public ; de même, les droits ne sont plus considérés comme servant seulement un intérêt individuel, mais comme ayant une fonction sociale. Dès 1924, Heller prône ainsi un renversement de perspective en matière de conception des droits fondamentaux : les libertés ne doivent plus être conçues comme des « droits naturels » (« Naturrechte ») de l’individu préexistant à toute organisation sociale, mais comme des « droits culturels » (« Kulturrechte ») issus de la communauté et garantis par l’État, ce qui légitime, comme dans le cas de la propriété, de restreindre leur jouissance au nom de l’intérêt social. On voit bien ici que ce que décrit Heller n’est pas simplement de l’ordre d’un changement de contenu ou d’un ajout ou complément au droit existant, mais qu’il est bien question d’une transformation structurelle du droit. Une fois encore, Heller n’est pas le seul à faire alors cette analyse. L’inversion du rapport entre droit public et droit privé est ainsi un topos de la pensée juridique weimarienne : on le retrouve non seulement chez d’autres sociaux-démocrates comme Renner, Sinzheimer Radbruch, mais de façon générale dans tous les discours de l’époque sur le renouvellement du droit. Les réflexions des juristes sociaux-démocrates comme Heller se distinguent toutefois par l’accent mis sur le problème des inégalités sociales et les questions de droit du travail.
Dès le tournant du siècle, des juristes comme Otto Gierke ou encore Karl Renner avaient démontré dans leurs travaux qu’une transformation de l’ordre juridique libéral était de fait déjà en cours. La thèse défendue par Renner dès 1904 dans Die soziale Funktion der Rechtsinstitute insbesondere des Eigentums était ainsi que la signification et la fonction du droit, en l’occurrence du droit de la propriété, pouvaient évoluer même en l’absence de modifications de la norme juridique elle-même : la propriété était par exemple toujours garantie par le BGB, alors que, dans les faits, elle était de plus en plus restreinte par de nouvelles dispositions juridiques connexes comme que la législation sur les baux ou encore les assurances sociales. Il est d’ailleurs difficile de penser que Heller n’a pas lu Karl Renner quand il évoque en 1926 un processus de « changement de signification de l’institution juridique » (« Bedeutungswandel des Rechtsinstituts ») et notamment du droit de la propriété. La preuve que « nous sommes bien au beau milieu de cette transformation », Heller la voit surtout dans les nouvelles dispositions juridiques introduites en 1918-1919, et notamment dans la partie « vie économique » (les articles 151 à 165) de la constitution du Reich du 11 août 1919. En matière de droit du travail, Heller cite le décret du 23 novembre 1918 sur les conventions collectives, avec lequel le contrat de travail a quitté la sphère du droit privé. Heller insiste sur la portée considérable de ce profond bouleversement (« tiefgehende Umwälzung ») faisant émerger « un nouveau droit social » (ein neues Sozialrecht) qui constitue un « tout nouveau domaine du droit ». Il évoque bien sûr aussi le novateur article 165, qui ancrait dans le droit constitutionnel le principe paritaire dans la réglementation des salaires et des conditions de travail entre syndicats et patronat (§ 1) et prévoyait (§ 2) la mise en place de conseils d’ouvriers à plusieurs niveaux – dans les usines, au niveau des districts et enfin au niveau du Reich –, faisant ainsi une place dans le cadre de la démocratie parlementaire au principe des conseils (Rätegedanke), qui avait joué un rôle central dans la phase révolutionnaire. Concernant la propriété, l’incarnation par excellence de l’État de droit libéral de la bourgeoisie, Heller souligne à quel point celle-ci, tout en étant garantie par la Constitution, se trouve en même temps restreinte, « minée » ou « sapée » par d’autres articles : l’article 151 : « L’organisation de la vie économique doit correspondre aux principes de justice dans le but de garantir une existence digne pour tous », dans lequel Heller voit la « réalisation de l’idée éthique du socialisme » ; les articles 155 et 156, qui ouvraient au moins partiellement la voie à une socialisation ou collectivisation (Vergesellschaftung) de l’économie ; la formule « propriété oblige » (« Eigentum verpflichtet »), enfin, de l’article 153, qui venait nuancer la garantie de propriété pourtant proclamée dans la première phrase de ce même article. Pour Heller, et pour de nombreux juristes weimariens, cette dernière formule montre bien que la propriété a perdu son caractère inviolable et sacré : elle ne sert plus seulement à satisfaire un besoin individuel, mais a une fonction sociale (« soziale Aufgabe »).
Que ce soit sa conception des droits fondamentaux et son analyse de la Constitution de Weimar, la reconstruction idéaltypique de l’idée socialiste ou encore le concept même d’« État de droit social », tout indique que, chez Heller, la transformation du système juridique passe avant tout par l’intervention de l’État. Cela n’est pas si surprenant compte tenu de son ancrage disciplinaire dans le droit public et la théorie de l’État. S’il évoque au détour d’un paragraphe les réflexions menées par ses contemporains sur les conseils et autres organes d’autogestion de l’économie (Selbstverwaltung), Heller ne semble ainsi pas s’intéresser spécifiquement à la conception développée par Sinzheimer d’un droit social produit et organisé de façon autonome par les forces sociales – une idée qu’on retrouve à l’époque aussi dans le concept de « démocratie collective » (« kollektive Demokratie ») d’Ernst Fraenkel, qui mettait en avant le rôle croissant des organisations et groupes sociaux dans l’administration du droit et la formation de la volonté politique. De façon générale, Heller ne va pas aussi loin que d’autres ni dans la théorisation, ni dans l’analyse du fonctionnement concret dans les différents domaines (droit du travail, etc.) de cet autre type de droit « social » reposant sur la prise en compte des rapports sociaux et le primat de l’intérêt collectif. La convergence des discours n’en reste pas moins indéniable. D’ailleurs, quand Franz L. Neumann reprend à son compte le concept de « sozialer Rechtsstaat » en 1930, il en voit bien les fondements dans ces mêmes articles de la Constitution évoqués par Heller et fait du développement du contenu social de la seconde partie de la Constitution la tâche centrale de la théorie de l’État socialiste.
Ce qu’il faut maintenant analyser de plus près, c’est la manière dont s’articule chez Heller cette nouvelle « démocratie sociale » ou cet « État de droit social » avec l’État de droit libéral : en effet, et c’est là ce qui fait l’intérêt et l’originalité de sa pensée, a fortiori dans le contexte de la République de Weimar, le rapport entre les deux est loin de se réduire à un simple antagonisme.
III. Transformer l’État de droit libéral, mais sans le détruire :
l’enjeu de « l’État de droit social »
A. La perspective réformiste de Heller
Comprendre cette articulation suppose de s’attarder tout d’abord sur la valorisation du droit et de l’État à l’œuvre dans les textes de Heller – une évidence pour un juriste, pourrait-on objecter, mais beaucoup moins pour un social-démocrate. Dans la perspective de Marx et Engels, le droit et l’État devaient en effet être considérés comme des formes idéologiques de la domination de la bourgeoisie sur le prolétariat. Le droit et l’État étaient donc par nature un droit et un État « de classe » et la fin du capitalisme devait nécessairement entraîner leur disparition. Ce n’est pas un hasard si avant Weimar, on ne trouve pratiquement aucune référence positive à l’État de droit chez les sociaux-démocrates, même si la doxa marxiste était déjà contestée depuis le tournant du siècle au sein de l’aile révisionniste autour d’Eduard Bernstein. Heller, lui, n’hésite pas à la remettre franchement en cause. Dans son ouvrage Sozialismus und Nation et lors de son affrontement avec le juriste austro-marxiste Max Adler au congrès des Jeunes socialistes à Iéna en 1925, il dénonce ainsi la confusion entre État (Staat) et État de classe (Klassenstaat ) dans laquelle tombent selon lui les tenants de la thèse de la mort de l’État (Absterben des Staates) à l’avènement du socialisme. Heller est en certain : la disparition de l’État de classe ne signifiera pas celle de l’État. Il va même jusqu’à fustiger un « utopisme libéralo-anarchiste » potentiellement dangereux : si l’idée d’une société sans domination (« herrschaftslose Gesellschaft ») peut faire sens en tant que « promesse prophétique » (« prophetische Verheißung »), elle ne vaut rien en tant que finalité politique. « Le socialisme », affirme-t-il de façon assez provocatrice, « n’est pas l’abolition, mais l’ennoblissement de l’État ». Sozialismus und Nation contient par ailleurs des considérations révélatrices de l’importance du droit dans la conception du socialisme de Heller. Il y explique notamment que la véritable essence du socialisme, son ultime justification, réside dans l’idée de « justice sociale » (« gesellschaftliche Gerechtigkeit ») et « la volonté de créer […] une communauté juste », tout le problème étant de parvenir à passer d’une justice formelle à une justice matérielle.
Au vu de cette réévaluation de l’État et du droit, il n’est pas surprenant que dans les réflexions que Heller consacre spécifiquement à la constitution de 1919, les nouvelles dispositions juridiques évoquées plus haut (art. 165, etc.) apparaissent comme un moyen d’envisager la réalisation graduelle du socialisme par des voies réformistes – une conception qui avait le mérite d’être en cohérence avec la pratique politique réelle du SPD dans le cadre de la démocratie parlementaire. Cela ne va certes pas sans ambivalences, que l’on retrouve aussi chez d’autres juristes réformistes comme Radbruch ou Fraenkel, liées à l’écart subsistant entre ce qui avait déjà été conquis – la démocratie – et ce qui restait à conquérir – le socialisme. Heller en était parfaitement conscient, parlant lui-même d’une « attitude partagée » ou d’un « dilemme » (« zwiespältige Haltung ») du socialisme envers la démocratie politique (concept qui désigne chez lui la démocratie parlementaire d’observance libérale) : celle-ci apparaît d’un côté comme le cadre indispensable pour mener le combat pour une démocratie sociale et doit à ce titre absolument être défendue, mais elle est aussi synonyme d’un droit matériellement inégal auquel l’idée socialiste déclare la guerre. Il distingue en outre plusieurs fois l’« idée sociale » de l’« idée socialiste », notamment dans son article de 1924 sur les droits fondamentaux : l’idée « sociale » correspond au principe de l’intervention de l’État dans l’économie libérale, alors que le socialisme suppose la collectivisation de la propriété ; les dispositions constitutionnelles concernant la propriété relèvent donc de la première, et non de la seconde. De même, en 1926, il écrit que le nouveau droit du travail est encore loin de signifier le dépassement (« Überwindung ») de la forme capitaliste du travail. On est alors tenté de penser que la pleine réalisation de l’idée socialiste présuppose d’aller au-delà de l’ordre constitutionnel weimarien qui ne pourrait être que transitoire. Mais, dans le même temps, Heller présente bien la « démocratie sociale » (« soziale Demokratie ») comme la traduction de l’idée « socialiste » par rapport à la démocratie libérale. Dans son essai de 1924 sur les droits fondamentaux, il apparaît même persuadé que même si l’on reste dans le cadre d’un ordre capitaliste, la Constitution de 1919 offre bien « les leviers juridiques » (« die verfassungsrechtlichen Hebel ») pour transformer l’ordre social. Deux ans plus tard, il se montre toujours optimiste : les tendances de l’idée socialiste, estime-t-il, sont « dans une certaine mesure » déjà devenues réalité et la voie est ouverte vers un « renversement anticapitaliste de l’ordre des biens » dans le cadre de la Constitution.
B. La continuité entre État de droit libéral et État de droit social
Cette logique réformiste suggère déjà que la démocratie sociale ne se construit pas simplement contre l’État de droit libéral. Les deux apparaissent au contraire inextricablement liés, et c’est la démocratie qui constitue le trait d’union entre les deux. Dans ses Politische Ideenkreise der Gegenwart, Heller distingue certes, comme nombre de ses contemporains, l’idée libérale et l’idée démocratique. Mais c’est pour mieux relativiser cette distinction en affirmant qu’elles ont les mêmes racines du point de vue de l’histoire des idées : selon lui, le but du libéralisme n’a jamais été « la simple légalité » (« bloße Gesetzesmäßigkeit »), mais toujours la légalité « décidée et contrôlée démocratiquement » (« demokratisch mitbeschlossene und kontrollierte Gesetzesmäßigkeit »). En réalité, comme Heller le répète toujours dans ce même texte, « le libéralisme et le socialisme sont deux moments de l’évolution de la démocratie » ayant chacun une fonction sociale différente : le libéralisme a correspondu à l’émancipation de la bourgeoisie, avant que le prolétariat ne fasse sienne la revendication de la démocratie sous la forme de la « démocratie sociale » au service de sa propre émancipation. C’est ce moment de bascule qui marque en même temps le début de la dégénérescence de l’État de droit libéral.
Mais cette continuité entre démocratie libérale et sociale ne relève pas de la simple succession historique. Il s’agit aussi d’une continuité ou plutôt d’une contiguïté d’ordre conceptuel. Le lexique employé par Heller est à cet égard tout à fait significatif. Il utilise ainsi plusieurs fois l’adjectif « folgerichtig » (logique, conséquent) pour décrire le rapport entre les deux : « l’idée sociale est la continuation logique de la démocratie politique vers la démocratie économique » ; la revendication d’égalité de la classe ouvrière s’inscrit dans « l’évolution logique de la démocratie ». On peut également citer à nouveau ici la revendication d’une « extension » (« Ausdehnung ») de l’idée matérielle d’État de droit à l’ordre du travail et des biens. Un autre exemple intéressant est l’emploi du verbe umbauen, formé du verbe bauen, construire, et du préverbe um qui indique un changement, une transformation, et signifiant donc au sens littéral : faire des transformations dans une construction. Autrement dit, quand Heller déclare que l’objectif est de « umbauen » (par défaut, on traduira ce verbe par « transformer ») l’État de droit libéral en un État de droit socialiste, il n’est pas question de faire table rase du premier, mais bien de le transformer tout en conservant les fondements, ou plutôt les fondations, si l’on file la métaphore de la construction. En fait, on pourrait dire qu’il s’agit davantage d’aller jusqu’au bout de la logique initiale de l’État de droit libéral en redonnant tout leur sens à des principes vidés de leur substance à partir du milieu du xixe siècle, mais sans jamais abandonner les principes que sont les droits de l’individu et la sécurité juridique. Heller ne laisse aucun doute sur ce point, et ce bien avant que la République et ces mêmes principes ne soient menacés : les idées libérales ont beau avoir perdu leur actualité, écrit-il ainsi en 1926, elles ont produit
un grand nombre d’institutions qui sont sans le moindre doute ancrées si solidement dans notre culture commune qu’elles ne pourront que disparaître avec elle. Même une communauté socialiste devra construire sur ses fondements et reconnaître les droits de l’individu.
Heller n’hésite d’ailleurs pas à affirmer que Marx lui-même avait conscience du lien entre droit naturel et revendications socialistes. Cet attachement aux principe libéraux et notamment à la sécurité juridique est aussi à mettre en relation avec la conception de l’État de Heller : comme il l’oppose à Max Adler dans Sozialismus und Nation, l’existence ne se réduit pas à l’économie ; elle peut être entravée par d’autres facteurs que socio-économiques et c’est pourquoi l’État restera toujours nécessaire.
État de droit libéral et social apparaissent donc liés par un socle culturel commun. Le discours de Heller a ainsi le mérite de pas laisser place à l’ambiguïté que pouvait faire naître l’insistance sur la fonction sociale des droits et le primat du droit public quant au statut des libertés individuelles dans le cadre de la réalisation du droit social.
C. Dimension stratégique du recours au concept de Rechtsstaat
Quand Heller proclame en 1932 son attachement à l’État de droit – il faut transformer (umbauen) l’État de droit libéral, mais pas se débarrasser (beseitigen) de l’État de droit en tant que tel –, il est évident qu’au vu de la crise dans laquelle est plongée la République, l’enjeu n’est pas simplement théorique, mais aussi clairement politique. De fait, l’idée d’une démocratie sociale s’inscrit dès le texte de 1928 « Politische Demokratie und soziale Homogenität », où il analyse la crise de la démocratie parlementaire, dans une stratégie de défense de la République face à ceux qui, à l’instar de Carl Schmitt, affirmaient que le système parlementaire avait vécu. Pour Heller, la crise trouve sa source dans les disparités socio-économiques. Un minimum d’homogénéité sociale est en effet une condition indispensable au bon fonctionnement de la démocratie. La démocratie sociale, grâce à sa prise en compte de ces mêmes disparités, apparaît alors comme une solution pour résoudre la crise de la démocratie politique (ou libérale) sans pour autant sortir du cadre démocratique et constitutionnel. De même, ce n’est sans doute pas un hasard si l’apparition de l’expression même d’« État de droit social », qui explicite sur le plan lexical davantage que celle de « démocratie sociale » la continuité avec l’État de droit libéral, coïncide chronologiquement avec le début de la crise politique et institutionnelle de la dernière phase de la République de Weimar, quand il s’avère que la bourgeoisie est disposée à se suicider, pour reprendre les termes de Heller, en abandonnant « son » État de droit pour le fascisme. Dans ce contexte, le « sozialer Rechtsstaat » présenté dans « Rechtsstaat oder Diktatur » comme une alternative au fascisme fait figure à double titre de ce qu’on appellerait en allemand un « Kampfbegriff », un « concept de combat » : d’une part, il s’agit d’un « contre-feu conceptuel » allumé contre les juristes qui refusent l’interprétation proposée par les sociaux-démocrates des droits fondamentaux et ne voient dans la deuxième partie de la Constitution qu’une décision en faveur de l’État de droit libéral bourgeois, mais, d’autre part, il sonne aussi comme un appel à défendre l’héritage culturel des Lumières. La dimension prescriptive et stratégique du concept est ici évidente. Heller n’est d’ailleurs pas le seul juriste social-démocrate à invoquer l’État de droit dans les dernières années de la République où, à un optimisme – naïf ? – quant aux possibilités offertes par l’avènement de la République (un optimisme encore bien présent, comme on l’a vu, en 1926), succède une phase défensive de repli sur la défense de l’État de droit à mesure que la République s’enfonce dans la crise. On peut citer ici Radbruch, affirmant en 1932 que la tâche du socialisme est d’abord de défendre les conquêtes de l’État de droit, ou encore l’éditorial plein de pathos rédigé par Fraenkel pour la revue Die Justiz en mai 1932 Celui-ci yrappelle que « si les républicains allemands s’efforcent de construire un barrage pour endiguer la vague de barbarie qui déferle sur nous, ils le font surtout pour conserver les conquêtes que nous devons à l’ère libérale ». Comme Heller le nota lui-même en 1932, ce n’était pas le moindre des paradoxes que l’État de droit, la forme de vie étatique de la bourgeoisie, ne fût plus défendu que par la social-démocratie.
Conclusion
Il est tentant, dans un contexte où fleurissent les comparaisons entre la situation politique actuelle et la crise de la démocratie de l’entre-deux-guerres, de s’interroger en conclusion de cette lecture partielle de l’œuvre de Heller sur l’actualité de sa pensée. Le risque est toutefois grand de décontextualiser et donc de dénaturer et/ou d’instrumentaliser des réflexions qui sont pourtant, nous l’avons vu, indissociablement liées aux enjeux spécifiques du « moment Weimar » : tenter de penser le socialisme dans le cadre du nouvel ordre constitutionnel, puis défendre celui-ci. D’ailleurs, dans sa Staatslehre parue de manière posthume en 1934, une fois ce moment passé, Heller ne parle plus de « sozialer Rechtsstaat ». On pourrait certes objecter que cet ouvrage théorique n’a ni le même statut ni le même objet que les textes analysés ici. Mais le désenchantement par rapport à l’État de droit social transparaît aussi chez Franz Neumann : en 1934, prenant acte de l’échec de la stratégie fondée sur l’idée de « l’État de droit social », ce dernier critique rétrospectivement l’aveuglement des sociaux-démocrates qui, du fait de leur foi dans l’État de droit, n’ont pas pris conscience de la « collision » entre démocratie et État de droit.
Alors que l’accroissement des inégalités sociales joue indéniablement un rôle essentiel dans la fragilisation, voire la remise en cause actuelle de la démocratie représentative, il est néanmoins difficile de nier la pertinence des réflexions de Heller sur le minimum d’homogénéité nécessaire au fonctionnement de la démocratie, par exemple, et de la problématique qui est au cœur des textes que nous avons analysés : penser la transformation de l’État de droit démocratique sans pour autant le détruire ou, pour reprendre les termes de Marcus Llanque, « non pas dépasser l’État de droit, mais l’élever à un niveau supérieur ». Mais au-delà de comparaisons toujours hasardeuses, lire Heller aujourd’hui, c’est finalement peut-être surtout faire sienne l’exigence d’une approche critique du droit comme une construction historique et culturelle dont il faut analyser les présupposés et la fonction politique et sociale – une approche qui préserve de toute sanctification ou absolutisation de normes juridiques qui peuvent perdre leur sens initial tout en reconnaissant le potentiel du droit pour l’émancipation des individus et de la transformation sociale.
Nathalie Le Bouëdec
Nathalie Le Bouëdec, docteur en études germaniques, maître de conférences en civilisation allemande à l’université de Bourgogne Franche-Comté. Auteur d’une thèse sur Gustav Radbruch et de plusieurs articles sur les juristes de gauche et la justice sous la République de Weimar. Ses recherches actuelles portent sur la démocratisation de la justice ouest-allemande dans l’après-guerre et plus particulièrement sur les relations entre la justice et les médias. Principales publications : Gustav Radbruch, juriste de gauche sous la République de Weimar, Québec, Presses de l’université Laval, 2011 ; « Transitions démocratiques et transformations des élites en Allemagne au xxe siècle » dossier thématique codirigé avec Fritz Taubert, Allemagne d’aujourd'hui, no 208, avril-juin 2014 ; « Das “Miteinanderreden” in der Demokratie lernen: Vermittlungsversuche zwischen Justiz und Presse in der frühen Nachkriegszeit », in N. Colin, P. Farges, F. Taubert (dir.), Annäherung durch Konflikt: Mittler und Vermittlung, Heidelberg, Synchron, 2017, p. 213-224 ; « Héritage(s) de Weimar. Éclairages historiques sur l'interdiction des partis politiques dans le droit constitutionnel allemand », in J. Hummel (dir.), Les partis politiques et l'ordre constitutionnel. Histoire(s) et théorie(s) comparées, Paris, Mare & Martin, 2018, p. 183-205 ; « Die westdeutschen Juristen und der Nürnberger Juristenprozess: Analyse einer (Nicht-?)Rezeption », Comparativ. Zeitschrift für Globalgeschichte und vergleichende Gesellschaftsforschung, 26 (4), 2016: The Nuremberg Trials. New Perspectives on the Professions, p. 87-103.
Pour citer cet article :
Nathalie Le Bouëdec « De l’État de droit libéral à l’État de droit social. Critique et transformation de l’État de droit chez Hermann Heller », Jus Politicum, n°23 [https://juspoliticum.com/articles/De-l-Etat-de-droit-liberal-a-l-Etat-de-droit-social-Critique-et-transformation-de-l-Etat-de-droit-chez-Hermann-Heller]