Dans le présent article, on s’efforce de montrer qu’il n’existe pas une volonté générale dans le Contrat social, mais trois versions successives. C’est parce que chacune de ces versions conduit à un échec que Rousseau se trouve contraint de reformuler la notion sur de nouvelles bases. D’abord radicalement individualiste, la volonté générale se teinte ensuite d’une forme d’autocontrainte morale : c’est parce que l’individu, en tant que législateur, statue sur lui-même en tant que sujet que « la volonté générale est toujours droite ». Mais, devant la persistance des divergences d’opinion, une troisième version de la volonté générale conduit la collectivité à dicter autoritairement sa loi à la conscience individuelle, et à dénoncer toute forme d’opposition comme illégitime. En cela, la volonté générale s’oppose trait pour trait au modèle anglais de la délibération parlementaire : héritier des débats relatifs à la mise en accusation des ministres, au XVIIe siècle, le débat public anglais peut être caractérisé comme un procès symbolique du pouvoir, dans lequel la majorité gouvernementale assume le rôle de la défense, tandis que l’opposition transcrit symboliquement celui de l’accusation. Loin de vouloir rendre le conflit impossible, par la recherche d’une méthode qui permettrait de dégager une volonté impartiale par construction, le débat public anglais, par le jeu de la responsabilité, a au contraire conduit à l’assumer pleinement.