Conclusion
Cette contribution propose, non pas seulement une synthèse de la journée organisée à l’Assemblée Nationale le 23 juin 2011 par le Centre d'études constitutionnelles et politiques (CECP) de l’Université Panthéon-Assas (Paris II) sur « Le Parlement et le nouveau droit parlementaire après la révision constitutionnelle de 2008 », mais également une vision prospective des conséquences que la révision constitutionnelle de 2008 pourrait avoir sur le travail parlementaire. L’impact de la première pourrait dépasser les premières évolutions observables du second et, consécutivement, faire naître une nouvelle conception du parlementarisme en France. L’auteur évalue ainsi les nouvelles pratiques parlementaires, présentes ou à venir, en matière de contrôle, de relations avec le gouvernement, ou encore sur le fonctionnement et la collaboration des deux chambres du Parlement français.
Concluding RemarksThis article does not only propose a summary of the symposium on “Parliament and new trends of parliamentary law since the constitutional reform of 2008” - which took place in the French National Assembly and was organized by the Center for constitutional and policy studies (CECP) of the University Panthéon-Assas (Paris II) –, but also a pragmatic prospective analysis of the main consequences of the constitutional reform of Parliamentary procedure. The constitutional reform may lead to a new conception of French parliamentarism, which exceeds the current new practices of parliamentary workings. In the light of this, the author assesses several new trends of parliamentary procedure, such as the evolution of parliamentary control and the relationships between the both chambers of French
SchlußwortDas französische Parlament eignet sich zögerlich die neuen Möglichkeiten die ihm die Verfassungsrevision von 2008 gegeben hat, an. Dieser Prozess vollzieht sich, wie zu erwarten war, relativ langsam. In vielerlei Hinsicht bleibt die für die Fünfte Republik eigentümliche Unterwerfung und relative Passivität der Parlamentsmehrheit noch spürbar. Doch werden nach und nach neue Akzente gesetzt. Mehr noch : die Verfassungsreform von 2008 öffnet Perspektiven für eine wirkliche Verstärkung des französischen Parlaments.
Merci Monsieur le Président, Merci Cher Olivier,
Oui j’ai été conseiller d’un Premier ministre, mais c’était il y a 20 ans, il y a prescription. D’autant plus que dans l’intervalle, l’institution a changé, elle a beaucoup changé, au point de nous réunir aujourd’hui pour parler du Parlement et du nouveau droit parlementaire. C’est dire que mon expérience ancienne est totalement dépassée.
La première partie de la discussion m’a laissé un peu inquiet, en ceci que là où le sujet portait sur le Parlement, j’ai eu le sentiment de beaucoup entendre parler de l’Assemblée nationale et fort peu du Sénat.
Heureusement, dans la seconde partie, Jean-Eric Gicquel et Julie Benetti notamment mais pas exclusivement, ont rappelé, ont attiré l’attention sur un certain nombre de singularités sénatoriales qui méritent d’autant plus d’examen selon moi que l’on ne peut pas exclure que le Sénat d’aujourd’hui soit l’Assemblée de demain. Je veux dire par là que le fait majoritaire est certes un acquis, vraisemblablement durable, mais qu’un seul groupe ait à lui seul la majorité absolue de l’Assemblée nationale n’est pas une situation naturelle. Elle ne s’est produite somme toute qu’assez rarement. Elle a été amplifiée, si j’ose dire, par la création de l’UMP se substituant au RPR et à l’UDF. Mais d’abord, il n’est pas certain, il n’est pas acquis que cette unité subsiste à l’épreuve du temps, et ensuite, quand bien même résisterait-elle, il n’est pas certain qu’un seul groupe, quel qu’il soit, puisse avoir durablement la majorité, de sorte que tout ce qui se passe au Sénat mériterait d’être médité du coté du Palais Bourbon parce qu’on peut y voir une préfiguration, un apprentissage de choses que l’Assemblée pourrait avoir à découvrir rapidement.
Par ailleurs, j’ai été tout à fait séduit par l’idée, mise d’entrée dans la discussion par Armel Le Divellec, de cette fin du parlementarisme négatif. Oui, je crois que l’observation est juste. Cette fin est maladroite, cela va être l’un des éléments de mon propos. Cette fin est maladroite, cette fin est incertaine, cette fin débouchera sur quelque chose que l’on ne connaît pas encore tout à fait précisément. Mais je trouve qu’il y a quelque chose de très juste dans le double diagnostic d’une part d’un parlementarisme négatif, et d’autre part de ce que celui-ci avance peut-être vers sa fin.
Comme il en va de même de ce colloque, je ne vais pas abuser de votre patience et je pense que le Président n’aura pas besoin de me rappeler à la discipline du quart d’heure. Je vais donc aller vite pour essayer de dresser cette synthèse que dans un moment d’inattention j’ai accepté de faire à la demande d’Armel.
Vous savez, l’avantage des proverbes chinois c’est qu’on peut toujours en inventer puisqu’il est très difficile d’aller vérifier leur existence. Mais il y en a un, que j’ai entendu il y a fort longtemps, qui était utilisé par des mouvements féministes dans les années 70 et 80 qui disait « Quand sur 10 pas on en a fait 9, il reste à accomplir la moitié du chemin ». J’ai envie de m’en inspirer ici, non pas, rassurez-vous en vous disant la partie de chemin accomplie la première et la seconde partie du chemin, mais plutôt en observant qu’est à l’œuvre, ce que j’appellerai, du fait de cette révision de 2008, une véritable acculturation progressive de la révision, laquelle peut ouvrir, car il est déjà temps de passer à la suite, sur de nouvelles perspectives.
Commençons par l’acculturation progressive.
Oui, petit à petit, les parlementaires, sans même en avoir toujours conscience, vont peut-être évoluer vers une nouvelle culture du Parlement. Chacun sait que celle qui fut longtemps la leur, en gros depuis les années 70, pourra être abandonnée, à mes yeux, sans le moindre regret, sans la moindre nostalgie. Cette culture d’asservissement, de servitude de la part des parlementaires, de caporalisme, d’autoritarisme de la part du Gouvernement, gagnerait à disparaître, ou plus exactement, nous gagnerions tous à ce qu’elle disparaisse.
Il n’en demeure pas moins que, bien sûr, elle fut si ancrée que demeurent des phénomènes bien naturels d’hystérésis. Oui, les mauvaises habitudes ont la vie dure, Olivier Beaud le rappelait à l’instant. Mais en même temps, il y a d’ores et déjà , des acquis qui sont, me semble-t-il, sensibles.
Que les mauvaises habitudes aient la vie dure, peut se constater très facilement. Hugues Portelli en a dressé un tableau saisissant dans les réflexes mécaniquement majoritaires qui se manifestent aussi bien à l’Assemblée qu’au Sénat, et Julie Benetti l’a rappelé. Franchement, qu’y a-t-il de plus indécent, de plus honteux à proprement parler, que ces séances d’ordre du jour à la disposition de l’opposition auxquelles la majorité ne participe pas ? Ce décalage, cette possibilité de réserver les votes d’une part, ce mépris affiché par la majorité à l’égard, non pas de l’opposition, mais de l’institution parlementaire elle-même, sont purement et simplement insupportables.
De manière plus détaillée, et toujours au titre des mauvaises habitudes, je dois dire que j’ai été stupéfait de découvrir qu’un rapporteur pouvait, en séance, retirer un amendement de la Commission. Quelle drôle de conception que celle-ci, conception patrimoniale dans laquelle c’est le rapporteur qui serait propriétaire des travaux de la commission ? Quand la Commission a voté, qu’un amendement a été adopté par celle-ci, il devient l’amendement de la Commission. Il n’est pas l’amendement du rapporteur, il n’est pas l’amendement du Président, quels qu’en aient pu être les auteurs initiaux.
Et donc cette commodité qui, sur un simple clin d’œil appuyé du Gouvernement, peut permettre à un rapporteur ou à un Président de retirer un amendement qui pourtant avait été adopté par la Commission, est, elle aussi, à mettre sur le compte, me semble-t-il, de ces très mauvaises manières, heureusement déjà vieilles, et dont j’espère qu’elles dépériront rapidement.
Reste néanmoins qu’il y a d’ores et déjà des acquis sensibles. On glose sur les études d’impact, et parfois on les raille. C’est vrai qu’elles sont de qualité très inégale. C’est vrai qu’il en est qui sont parfaitement affligeantes. C’est vrai que les parlementaires en font un usage… mesuré. Néanmoins, elles occupent une place qui ne va cesser de croître et qui est déjà très importante. Car il ne faut pas oublier, surtout dans le monde dans lequel nous vivons, que, aujourd’hui, les parlementaires ne sont plus seuls concernés par l’élaboration de la loi. S’il y a des gens qui, eux, ont parfaitement et tout de suite compris l’intérêt des études d’impact, ce sont bien tous les partenaires extérieurs, lobbies, associations, groupes de pression en tout genre. Et il n’y a dans ma bouche aucune péjoration lorsque j’évoque les uns et les autres. Eux se sont saisis des études d’impact, et en renvoient le contenu tant au Gouvernement qu’au Parlement dans l’influence qu’ils tentent d’exercer sur le déroulement du processus.
On a déjà dit ce qu’il y avait à dire sur le renforcement du rôle des commissions, qui, lui aussi, est un acquis déjà substantiel. Le fait que les parlementaires aient retrouvé tout simplement le chemin des commissions, que beaucoup d’entre eux avaient oublié, est en soi un élément plutôt bénéfique. Alors certes il se paie de quelques dérèglements – aujourd’hui on bavarde en commission ; il y a parfois, dit-on, du brouhaha en commission qui n’existait pas naguère –, il reste qu’au moins y a-t-il des parlementaires, ce qui après tout n’est pas forcément mauvais.
Enfin, comment n’être pas frappé par certaines des statistiques qu’a rappelées Damien Chamussy ? Elles sont spectaculaires. Mais ce qu’il y a de plus spectaculaire dans les statistiques qu’il a données et qui pour moi est le plus intéressant, c’est le hiatus qu’il a lui-même observé entre les statistiques de 2009-2010 et les statistiques 2010-2011. On ne peut pas en faire la somme. Il faut bien les distinguer comme il l’a fait, parce que l’on mesure alors que la deuxième année est déjà sensiblement meilleure que la première.
Quand même, le triplement du temps, du délai entre le dépôt et l’inscription à l’ordre du jour, ça n’est pas tout à fait rien. Passer d’une moyenne de 53 jours à une moyenne de 150 jours, 150 jours cela fait à peu près 5 mois, et 5 mois ça commence à devenir raisonnable. Les commissions ont eu le temps de travailler, les parlementaires ont eu le temps de réfléchir, de consulter, de méditer. Dans le meilleur des cas, ils auraient même eu le temps de se concerter avec le Gouvernement, mais là , il ne faut pas trop rêver.
Ces statistiques sont quand même très éclairantes, et surtout j’y insiste, leur décalage d’une année sur l’autre. Je voudrais être sûr, mais en tout cas j’espère que les mêmes statistiques, dans un an, dans deux ans, confirmeront la tendance, sauf qu’évidemment la session parlementaire qui s’ouvrira en octobre 2011 pour se terminer en juin 2012 sera peut-être un cas particulier difficile à extrapoler.
Donc, oui, il y a une acculturation progressive. Petit à petit, des choses changent. Pas aussi vite que nous le souhaiterions tous, pas aussi bien que nous pouvions l’espérer, pas aussi profondément que l’on pourrait le parier, n’empêche que ça bouge. Il y a eu tant de mauvaises habitudes encroûtées pendant si longtemps qu’il faut bien admettre qu’un minimum de temps soit nécessaire pour secouer toute cette gangue, pour faire tomber quelques plaques, quelques scléroses et qu’enfin le Parlement aille vers où, tous, nous souhaitons le voir se diriger.
Mais d’ores et déjà , ce qui est acquis trace, me semble-t-il, ou permet de tracer un certain nombre de perspectives nouvelles.
J’irai très vite, pour ne pas abuser du temps, là encore, mais on peut très bien améliorer encore la fonction législative, et si vous me permettez l’expression, doper utilement la fonction de contrôle.
Sur la fonction législative, d’abord j’ai un espoir qui est que peut-être un jour adoptera-t-on un système du type de la commission de la chambre tout entière dans lequel le premier débat parlementaire serait un débat en séance publique sur l’étude d’impact. Non pas sur le projet de loi, mais sur l’étude d’impact. Ce qui, me semble-t-il, ne serait pas du tout déraisonnable et permettrait, au contraire, de véritablement s’interroger sur l’opportunité de légiférer et le sens dans lequel on doit le faire.
Ensuite, je vais avancer l’idée, apparemment seulement, paradoxale selon laquelle peut-être verra-t-on se développer le temps limite programmé, à la demande de l’opposition elle-même. En effet, des règles parfaitement superflues, selon moi, et en tout cas extrêmement discutables, ont été ajoutées dans le règlement avec ces limitations à 2 minutes, à 5 minutes selon les cas, lorsque le temps n’est pas programmé, qui introduisent des contraintes pesantes, qui certes peuvent être allégées par un bon Président de séance, mais qui introduisent néanmoins des contraintes pesantes dont majorité et opposition sont également les victimes. Au contraire, le temps législatif programmé présente au moins cette vertu, et elle est grande, de permettre à chacun de se définir sa propre stratégie – mettre l’accent sur la discussion générale ou au contraire sur les amendements, choisir les amendements auxquels on veut consacrer du temps – et c’est là une souplesse qui gagnerait, me semble-t-il à être plus largement exploitée.
De la même manière, j’espère que viendra le moment où Assemblée nationale et Sénat prendront véritablement conscience chacune de l’existence de l’autre. Car enfin, la constance avec laquelle chaque chambre, dans son coin, inscrit à son ordre du jour des propositions de loi, les adopte dans l’enthousiasme, sans se soucier le moins du monde de savoir si, une fois transmises dans l’autre chambre, elles pourront être inscrites à l’ordre du jour, a quelque chose d’un peu infantile. Et l’infantilisme venant de la part de deux institutions aussi anciennes a quelque chose d’inquiétant. Espérons qu’elles finiront par en sortir et que peut-être, une coordination entre les parlementaires, je dirais presque une commission mixte permanente et non plus seulement paritaire, permettrait d’essayer de faire du travail utile plutôt que du travail réduit à un simple affichage.
Quant à la fonction de contrôle, et je terminerai par là , j’ai été, comme vous tous certainement, très sensible à la subtilité du paradoxe que Pierre Avril a mis en lumière. Oui, c’est vrai, aujourd’hui le contrôle s’exerce davantage dans la législation. Et ce que l’on continue d’appeler le contrôle devrait davantage être le moment de la coopération. Le problème, c’est que les parlementaires ne l’ont pas encore tous compris. L’autre problème, c’est que le Conseil constitutionnel n’y a rien compris. Comme assez souvent d’ailleurs en matière de fonctionnement interne des institutions parlementaires, c’est un sujet sur lequel, à mon avis, un peu de formation permanente ne messiérait pas. Peut-être est-ce dû à la composition du Conseil, je l’ignore, mais toujours est-il que dès qu’il s’agit de logique profonde du fonctionnement de l’institution parlementaire, il y a comme une faille du côté du Pavillon Montpensier.
Il n’en demeure pas moins, en tout état de cause, que, aussi longtemps que les assemblées n’auront pas réfléchi, comme je l’ai déjà dit souvent, non plus avec des juristes puisque tout le travail juridique possible a été fait, mais désormais avec des spécialistes de la communication pour rechercher les moyens de valoriser, pour les parlementaires eux-mêmes, les tâches de contrôle, celles si ne se trouveront qu’insuffisamment exercées. Et cela a été dit. Hugues Portelli et Jean-Eric Gicquel y ont fait allusion. Il faut valoriser, dans l’intérêt des parlementaires eux-mêmes, les tâches de contrôle, afin que ceux-là aient envie de se saisir de celles-ci.
Enfin, ce serait d’autant plus utile que maintenant le Conseil constitutionnel, du fait de la QPC, intervient positivement dans la législation en obligeant le Parlement à faire son travail. Curieusement d’ailleurs, vous aurez sans doute noté que le Parlement ne parait pas du tout lui en vouloir. Au contraire, il en serait même plutôt satisfait, ne serait-ce que parce que cela permet de surmonter tel ou tel blocage, telle ou telle réticence en provenance du Gouvernement.
Alors je terminerai en disant, justement à propos du Gouvernement, un mot, un dernier.
Tout bien considéré, en 2011, faut-il conserver l’incompatibilité entre les fonctions gouvernementales et les fonctions parlementaires ? Elle a joué un rôle éminent en 1958 et dans les lustres qui ont suivi. Aujourd’hui, je crois qu’elle est devenue contreproductive. Je ne suis pas encore totalement persuadé, je ne demande qu’à l’être, mais je pense plutôt qu’il faudrait y mettre fin.
Et j’y verrais plusieurs avantages. D’abord, par les temps qui courent, l’opinion pourrait être sensible à l’économie budgétaire que cela permettrait, laquelle du coup pourrait être mise à profit pour doubler certaines fonctions ministérielles, chaque ministre ayant un secrétaire d’Etat, de sorte que ce secrétaire d’Etat, comme cela se fait dans un certains nombre de démocraties étrangères, puisse effectivement consacrer tout le temps nécessaire au travail législatif, accessoirement aussi au travail européen. Ce qui aujourd’hui n’est pas fait. Finalement, cette incompatibilité qui fut fondatrice sous la Ve République me parait être à bout de souffle et devenue contreproductive. Ce n’est pas la première des marques initiales de la Ve République à connaître ce sort là , mais je ne pouvais pas ne pas la mentionner pour terminer.
Guy Carcassonne est professeur à l’Université Paris Ouest Nanterre-La Défense. Ancien conseiller au cabinet du Premier ministre (1988-1991), il est membre du comité de rédaction de la revue Pouvoirs. Il a été membre de la commission de réflexion sur le statut pénal du chef de l’État. Il est l’auteur de nombreux articles sur les sujets constitutionnels dans des revues françaises et étrangères, de La constitution commentée (Le Seuil, 10e édition 2011) et d’une Histoire de la Ve République (en collaboration avec Jean-Jacques Chevallier et Olivier Duhamel), Armand Colin, 12e édition 2009.
Pour citer cet article :
Guy Carcassonne « Conclusion », Jus Politicum, n°6 [https://juspoliticum.com/articles/conclusion-378]