Élise Frêlon, Le Parlement de Bordeaux et la « loi » (1451-1547), préface d’Albert Rigaudière, Paris, De Boccard, « Romanité et modernité du droit », 2011, IX-738 p.
Élise Frêlon,
Le Parlement de Bordeaux et la « loi » (1451-1547)
, préface d’Albert Rigaudière, Paris, De Boccard, « Romanité et modernité du droit », 2011, IX-738 p.
Cette étude s’inscrit dans un renouvellement historiographique de première importance, celui mené depuis maintenant plus de trente ans par des historiens et historiens du droit au sujet de la genèse de l’État, de la construction de la souveraineté et de l’élaboration du pouvoir législatif royal, depuis le XIIIème siècle jusqu’aux commencements de l’ère moderne. Ce renouvellement doit beaucoup à Albert Rigaudière qui, par ses propres publications aussi bien que par les thèses nombreuses qu’il a fait soutenir et publier, a contribué de façon décisive à modifier en profondeur la connaissance que les historiens du droit – et donc leurs collègues des autres disciplines – avaient du Moyen ge en général et du droit public médiéval en particulier. Parce que l’histoire du droit a d’abord le droit pour objet - le droit en tant que culture et non en tant que technique - on doit regarder comme salutaire l’entreprise menée par nos collègues médiévistes pour revisiter les concepts de souveraineté, de loi, d’État etc. Par cette entreprise collective menée au sujet de l’ère médiévale, des historiens du droit ont contribué au développement des sciences sociales, dont relève le droit, bien davantage que ne l’ont fait des décennies d’histoire des institutions trop descriptive et/ou insuffisamment thématique.
L’ouvrage d’Élise Frêlon, fruit d’une thèse d’histoire du droit soutenue en 2006, apporte une précieuse contribution à la connaissance de la genèse de l’ordre juridique médiéval à la veille de la modernité. Plus précisément, il vise à analyser le processus d’élaboration des normes à travers les relations complexes que la monarchie entretient avec un de ses principaux parlements de province. Le choix du Parlement de Bordeaux et les dates retenues pour l’étude s’imposaient pour deux raisons au moins. D’abord parce que, comme l’indique l’auteur en introduction, les Parlements de province, avant l’avènement de l’absolutisme, sont les parents pauvres de la recherche universitaire. L’historiographie se désintéresse d’ordinaire du rôle des compagnies à la fin du Moyen ge dans la mesure où elle reste obnubilée par la crise politique des XVII-XVIIIème siècles : l’absolutisme monarchique aurait été, avant tout, malade de ses Parlements qui auraient contrarié son souhait d’exercer et/ou d’imposer une souveraineté législative déliée. Ainsi fait-on l’impasse sur ce qui motiva la création des Parlements : instituer sur le territoire reconquis (en l’occurrence à la domination anglaise) un corps susceptible d’exercer au nom et pour le roi des prérogatives qu’il lui a consenties. Troisième Parlement par ordre de création, deuxième compagnie de province après Toulouse, le choix du Parlement bordelais s’imposait pour élargir le spectre de nos connaissances relatives à l’élaboration des normes juridiques sur un territoire où la diffusion du pouvoir par le droit s’avérait délicate en raison de l’éloignement géographique d’avec la capitale et en raison d’un Moyen Age qui répugne par principe, au nom des privilèges, des libertés, des coutumes, à se soumettre à une « législation » uniforme. Nous voici au cœur de la thématique de l’ouvrage comme l’indique son titre volontairement neutre et prudent (Le Parlement de Bordeaux et la « loi ») et qui ne préjuge pas, précisément, d’une souveraineté législative sans partage au profit du monarque. Le lecteur devra en effet s’efforcer de faire abstraction des thèses bodiniennes et révolutionnaires au prisme desquelles s’analyse d’ordinaire le pouvoir législatif comme étant la première marque d’une souveraineté dont un seul organe (le roi puis la nation) serait le détenteur jaloux. À l’époque envisagée, celle du dernier siècle de l’ère médiévale, la souveraineté, reconquise aux puissances étrangères (querelle de l’imperium) et imposée aux féodaux, ne saurait avoir la loi comme seul canal et, surtout, cette loi ne saurait être l’expression du seul monarque. La royauté mélange ce que nous nommons aujourd’hui les pouvoirs parce qu’elle reste judiciaire du point de vue de sa légitimité (en témoigne la main du sacre) et de ses fonctions : le soulagement des sujets, le salut des âmes sont autant d’impératifs à la « législation » ; ils la guident. Par conséquent le pouvoir normatif royal, parce qu’il reste mêlé de justice, aime à prendre appui sur des parlements qui sont à son image : juges et ordonnateurs. Les fonctions des compagnies sont tout aussi mêlées que celles du monarque qui les institua comme prolongement de son conseil, comme partie intégrante du corps de la monarchie. Réduire, comme le souligne l’auteur, les parlements au seul aspect de la juridiction serait anachronique et réducteur du rôle joué par des officiers que la monarchie associe à son œuvre législative. Le mot loi est à juste titre employé dans le titre entre guillemets afin d’obvier au reproche d’anachronisme qu’on pourrait lui adresser. Ce sont à la vérité les actes royaux – des grandes aux petites lettres patentes - qui font l’objet du livre, sachant qu’il n’existe précisément pas de typologie fixe, déterminée, de ce que pourraient être les « lois » des derniers rois du Moyen ge. Ce sont aussi les actes des parlements avant même que ne soit reconnu par la doctrine un pouvoir réglementaire, la police prolongeant ici la justice. C’est donc dans un sens générique, qui échappe aux catégorisations, que la « loi » est ici envisagée. Tout l’objet de l’ouvrage est de nous convaincre que le parlement bordelais, au premier siècle de sa création, avant que François Ier mais surtout Louis XII ne manifestent une autorité qui achemine la royauté vers l’absolutisme, participe au pouvoir normatif qu’il contribue par là même à révéler et qu’il assoit au double profit de sa province et de la monarchie. Le plan de l’ouvrage opte pour ce faire en faveur d’une approche juridico-thématique rigoureuse même si c’est au détriment d’une chronologie que les non spécialistes auront peut-être un peu de difficulté à démêler et à reconstituer faute d’une annexe ; elle eut été la bienvenue ; elle aurait pu utilement, sous forme de tableau, nous offrir un récapitulatif des règnes ainsi qu’une statistique des actes étudiés en fonction de leur nature.
En deux parties l’auteur nous montre que le Parlement de Bordeaux est au cœur de l’avènement du pouvoir normatif à la veille des temps modernes : en tant qu’auteur, en tant que gardien.
I - La première partie (« Le Parlement de Bordeaux « auteur de la loi », p. 27-360) part du constat classique et connu que le roi médiéval ne saurait être à lui seul auteur de la loi. Certes, depuis le renouveau « législatif » du XIIIème siècle, on se plaît à affirmer en théorie que le monarque détient les prérogatives impériales, et qu’à ce titre ce qui plaît au roi a force de loi (quod principi placuit legis habet vigorem). Titulaire de la plena potestas et de l’auctoritas romaines, nul ne songe en son royaume à lui contester la prééminence de son pouvoir d’impulser des normes au nom d’un commun profit, lequel puise aux sources de sa souveraineté d’origine judiciaire. Seulement, et tout particulièrement au sortir de la guerre de Cent Ans, le roi n’est pas assez puissant pour élaborer et imposer seul sa « loi ». Il y répugnerait d’ailleurs en ces temps de gouvernement par conseil. Raisons pour lesquelles les parlementaires bordelais, qui portent encore le titre de conseillers du roi, sont, à l’instar de ceux de Paris et de Toulouse, « associés » à l’élaboration du pouvoir normatif royal (chapitre I, p. 31 s.). Le roi sollicite tout naturellement les conseils de ses « amés et féaulx » qu’il a délégués en Guyenne pour exercer ses prérogatives en son nom (il associe ainsi ses parlementaires bordelais aux missions diplomatiques avec le Royaume d’Espagne). Mais en outre les officiers pèsent sur l’élaboration des normes (ce que l’auteur appelle « l’association spontanée » à la « législation ») en prenant l’initiative de porter à la connaissance du roi des remontrances, requêtes et supplications (p. 51 s.). Le lecteur sera surpris de découvrir, à ce stade des développements, des remontrances auxquelles il était peu accoutumé. Elles ne sont pas seulement la conséquence d’un contrôle des lettres patentes ; elles sont d’un autre genre que les traditionnelles remontrances « politiques » si célèbres des XVII-XVIIIème siècle. L’auteur nous convainc, pièces à l’appui, que certaines remontrances ne résultent pas d’une vérification des actes royaux. Elles sont, de l’initiative des parlementaires, « l’exposé d’une ou plusieurs situations constatées, adressé au roi afin que celui-ci soit à même de légiférer en conséquence » (p. 56). Comme en témoigne l’assimilation et/ou la confusion des termes utilisés (« plaignants et remontrants » cf. p. 59) nous sommes ici à la frontière, extrêmement poreuse en cette fin de Moyen ge, entre la justice et la législation. Il peut à première vue apparaître incongru que ce qui s’assimile à du contentieux soit étudié au titre de la « législation » (y compris avec des guillemets). En outre, les remontrances, au sens de plaintes, ne visent-elles pas d’abord à solliciter l’édiction d’un acte (à supposer qu’il soit rendu) qui, a priori, ne saurait être impersonnel et général comme l’est une « loi » ? Cette interrogation nous porte à penser que l’auteur eut été inspiré de consacrer davantage de développements à ce qu’il entend par l’emploi de ce mot « lois », sachant que l’anachronisme volontaire parasite l’entendement. À la vérité ce sont les actes royaux dans leur ensemble, dès lors qu’ils sont enregistrés au parlement, que l’auteur étudie sous l’appellation trop restrictive de « lois ». Sachant que ce que nous nommerions aujourd’hui les actes individuels (petites lettres patentes) côtoient dans les registres ce que nous assimilerions aujourd’hui à des lois (grandes lettres patentes), l’auteur estime pouvoir et/ou devoir les traiter simultanément comme la manifestation, sous toutes ses formes, du pouvoir normatif royal. La thèse récente de Frédéric F. Martin, Justice et Législation sous le règne de Louis XI (Paris, LGDJ, 2010) lève d’ailleurs les éventuels griefs dans la mesure où elle procède de même, par l’analyse conjointe de tous les actes royaux, qu’ils soient ou non assimilables, suivant un vocabulaire qui n’avait pas encore cours, à des lois, des actes de gouvernement ou d’administration. On regrettera seulement qu’Élise Frêlon ne nous mette pas plus en garde et ne mentionne qu’incidemment (par ex. p. 97-98) cette possible confusion des mots et des concepts. Ces remarques valent d’autant plus pour ce qui concerne les requêtes et supplications étudiées à la suite des remontrances. D’abord parce que la requête ou la supplication (les termes sont souvent utilisés conjointement) a pour objet, non pas seulement de porter à la connaissance du monarque, mais bien de formuler une demande précise : ne sommes-nous pas là dans un champ d’activités exclusivement judiciaire, quand bien même cette juridiction fût gracieuse ? Le fait que sur tous les actes royaux enregistrés, les parlementaires soient, selon l’auteur, à l’origine de trente-sept d’entre eux (seize suite à des requêtes et supplications et vingt et un suite à des remontrances spontanées) n’efface pas le sentiment que les développements, malgré la confusion entre justice et législation, n’insistent pas assez ou ne cherchent pas assez à départir, si tant est que la chose soit possible, ce qui relève de la mesure d’ordre général et impersonnel et ce qui concerne d’abord des mesures d’ordre individuel, particulier, qu’ils soient pris en faveur de personnes physiques ou morales. Ces interrogations, liées au fait que le lecteur contemporain est intellectuellement façonné par le principe de séparation, voire de cloisonnement, entre ce qui relève du législatif, du judiciaire et du réglementaire, commencent à s’estomper à la lecture du second chapitre consacré à la « correction de la législation royale » (p. 101-154). En vérifiant tous les actes royaux qu’on veut bien lui transmettre, sans distinction entre les différentes lettres patentes, le parlement bordelais occupe une place de premier choix dans le processus d’élaboration des normes. Il y participe en vertu de son devoir de conseil, en vertu d’une science qu’il partage avec le souverain, et suivant la logique d’un roi plus justicier que législateur. La validité de ses normes dépend de la vérification par ses officiers provinciaux. C’est ici que l’ouvrage fait fond sur les remontrances « classiques », qui sont un droit et un devoir en ces temps de « droit gouvernement » et de recherche de « commun profit » ; de telles remontrances, avant que d’être les instruments d’une opposition au pouvoir royal, sont les moyens d’une collaboration étroite entre le roi et ses compagnies. Si le monarque ne corrige pas son acte initial nonobstant des remontrances, les parlementaires pourront toujours, de leur propre chef, y introduire des corrections. Tel est l’objet des modifications et exceptions (p. 115 s.), que Ferrière définira comme des adoucissements ou des limitations apportées à la « législation » royale. Ainsi apprend-on que sur 525 actes royaux, quarante-sept ont été enregistrés moyennant modifications et exceptions, ces dernières ayant tendance à se multiplier à compter du règne de François Ier. Par son œuvre de correction des actes royaux, le parlement ne se contente pas de défendre ses prérogatives (contre le Conseil du roi, un gouverneur, un autre Parlement, etc.), il cherche d’abord à asseoir le juste pouvoir du monarque, en lui signalant par exemple les « incommodités » d’un impôt, en l’incitant à améliorer l’administration de sa justice (p. 135 s.). Il ne manque pas, enfin, de souligner la prééminence du pouvoir royal à l’égard des pouvoirs anciens : seigneuries, villes (p. 146 s.).
Les officiers bordelais ne se sentent-ils pas investis de prérogatives qu’ils partageraient avec le souverain lorsque, d’eux-mêmes, ils produisent des normes ? Cette interrogation fait l’objet d’un troisième chapitre particulièrement novateur (« Élaboration d’une « législation » parlementaire », p. 155 s.). À une époque où la « législation » royale est relativement rare, il revient en effet aux parlementaires de policer la province où ils sont juges, administrateurs et, par voie de conséquence, prescripteurs. Fallait-il parler d’une « législation » parlementaire ? La question demeure en suspend dans la mesure où, une nouvelle fois, le pouvoir normatif parlementaire existe bel et bien en dehors des lettres royales sans que l’on puisse le réduire à une fonction strictement juridictionnelle et/ou réglementaire. Les prescriptions des officiers, à l’instar de celles de leur roi, sont précisément mêlées de justice et d’administration, raison pour lesquelles elles deviendront célèbres, à l’ère moderne, comme la traduction d’un pouvoir de police. Le grand mérite de l’ouvrage est, plus concrètement, de nous présenter dans le détail ces attributions de police avant la reconnaissance officielle du pouvoir règlementaire des Parlements. Que les décisions soient prises sur requêtes (p. 157 s.) ou de propre mouvement (p. 183 s.), elles nous informent sur les compétences particulièrement vastes du Parlement bordelais qui, concrètement, quotidiennement, détient et exerce le pouvoir en Guyenne. Les pages nombreuses consacrées au domaine d’intervention de la police parlementaire (p. 204 s.) offrent en outre une photographie pittoresque de cette France des XVème et XVIème siècles ; aménagement des voies de communication terrestres et fluviales, ordre et salubrité publics, police économique, police rigoureuse des mœurs et de la religion : les compétences semblent universelles dans la mesure où le but d’utilité publique et/ou l’impératif de justice qui est ici recherché ne saurait être restreint, de façon limitative, à quelques objets.
II - Le roi impulse la « loi » - du moins ses normes – mais la mise en forme de cette prérogative souveraine nécessite le secours, les lumières et la collaboration de ses parlements. L’effectivité des normes est conditionnée par le rôle de « gardien de la loi » qu’exerce le Parlement de Bordeaux dans son ressort et auquel l’ouvrage consacre naturellement sa seconde partie (p. 359 s.). La loi serait lettre morte si elle n’était conservée et diffusée. Les formalités nécessaires à la vie, à la circulation de la loi autorisent ainsi à relativiser l’idée selon laquelle la loi parfaite serait celle qu’exprime la seule volonté royale.
Au titre de la conservation (chapitre Ier p. 361 s.) l’auteur détaille, à partir de sources presque toutes inédites, les différentes formalités auxquelles sont soumis les actes royaux. Dès la procédure de présentation de ces derniers (p. 362 s.), on constate que les officiers sont soucieux de sécurité juridique. La présentation dans des délais raisonnables est obligatoire sous peine de « surannation » et le contrôle de l’authenticité des actes est scrupuleusement organisé (p. 371 s.). Comme l’avait prévu l’article 70 de l’ordonnance de 1493, les parlementaires sont ensuite invités à vérifier les actes royaux, qu’il s’agisse des petites ou des grandes lettres patentes. Ici pourront prendre place les remontrances dont il était question plus haut et dont il faut garder à l’esprit que, à cette époque, elles ne visent pas à l’obstruction et/ou à l’opposition politique mais bien davantage à éviter que la volonté du roi ne soit surprise. C’est dans l’intérêt même du souverain que les parlementaires vérifient par exemple si celui-ci n’a pas été abusé par l’obreption ou la subreption, notamment eu égard aux petites lettres patentes. Quant aux grandes lettres patentes, elles ne doivent pas être contra ius, c’est-à -dire contre le droit et/ou la justice, les deux termes étant pour l’heure encore synonymes. C’est ainsi, par exemple, que la compagnie s’inquiète des « inconvénients » ou « dommaiges » que sont susceptibles de créer les édits de François Ier lorsqu’ils multiplient les offices ; c’est ainsi encore que les magistrats recommandent la prudence au monarque lorsque ses normes sont susceptibles de heurter trop violemment les coutumes et privilèges de la Province (p. 411 s.). Le fait que les parlementaires vérifient les « traités » avec les monarchies étrangères ou le Saint-Siège témoigne du fait que cette formalité se distingue clairement d’une simple activité judiciaire à laquelle voudront les cantonner les rois de l’absolutisme. L’enregistrement des actes royaux est l’ultime formalité, que l’auteur distingue à juste titre de la vérification, cette dernière ne préjugeant pas de la simple transcription des actes sur les registres parlementaires. Transcription dont l’auteur tire un enseignement que le lecteur eut aimé découvrir un peu plus tôt. En effet, les magistrats recopient tous les actes royaux (du moins jusqu’en 1499) sans les classer, sans opérer de distinction nette entre petites et grandes lettres. Voici administrée la preuve qu’il n’existe pas encore de typologie pour la « législation » royale et qui justifie que l’ouvrage étudie, sous ce terme, tous les actes (p. 432 s.).
Au titre de la diffusion de la législation royale (chapitre II p. 489 s.), l’auteur nous rappelle une dernière fois que la souveraineté du Prince, ou plus exactement la positivité de ses normes ne saurait être réduite à son bon plaisir. Formellement, son pouvoir serait anéanti si les Parlements ne consentaient pas à la publication des actes royaux (p. 492 s.) et s’ils n’en faisaient pas observer l’application (p. 534 s.). D’ailleurs la similitude est frappante entre la diffusion de la législation royale et la diffusion des actes pris par le Parlement (chapitre III, p. 571 s.), tant et si bien qu’ « hormis leurs auteurs, tout paraît prêter à confusion entre les ordonnances du Roi et celles de ses représentants » (p. 643).
Ce livre suscitera de multiples et fécondes interrogations sur la façon dont s’établit un ordre juridique dans le temps et l’espace. Cette plongée dans l’ère médiévale nous dépayse intellectuellement. Elle nous force à revisiter nos croyances. À commencer par celle qui consiste à penser que la loi, précisément, serait l’expression de la seule volonté du souverain, qu’il soit le roi avant 1789 ou la nation passée cette date, le propre de la Révolution étant d’avoir simplement transféré la titulature de la souveraineté législative depuis un corps concret vers un corps abstrait. Nous voici contraints de remettre en cause cette fiction juridique qui veut, depuis les thèses absolutistes, que la loi soit la première marque d’une souveraineté déliée. Nous autres, modernes, avons en effet tendance à fétichiser une loi considérée comme parfaite dès lors qu’elle serait sortie toute faite de la bouche d’un roi (n’est-il pas la « loi animée » ?) ou de la volonté générale de la nation, sachant que cette volonté est supposée ne pouvoir errer. Tout cela est relatif et doit être relativisé. La loi, comme en témoigne la construction de l’ordre juridique étudié par l’auteur, doit pouvoir errer. Elle doit évoluer, être négociée depuis sa formulation jusqu’à sa publication, raisons pour lesquelles elle n’est pas la loi telle que nous pouvons encore l’entendre aujourd’hui. Le Parlement est un lien : il fait tenir la volonté royale dans le cadre d’un ordre entendu comme juste, conforme à un ordre naturel dont il rappelle continuellement l’observation. Ce lien est un adoucissement : le Parlement veille, tant que la monarchie y consent, à ce que la volonté qu’expriment les lettres royales n’opprime pas les sujets et les états.
Grégoire Bigot est Professeur d’Histoire du droit de l’Université de Nantes et Membre junior de l’Institut universitaire de France.
Pour citer cet article :
Grégoire Bigot « Élise Frêlon, Le Parlement de Bordeaux et la « loi » (1451-1547), préface d’Albert Rigaudière, Paris, De Boccard, « Romanité et modernité du droit », 2011, IX-738 p. », Jus Politicum, n°9 [https://juspoliticum.com/articles/Elise-Frelon-Le-Parlement-de-Bordeaux-et-la-loi-1451-1547-preface-d-Albert-Rigaudiere-Paris-De-Boccard-Romanite-et-modernite-du-droit-2011-IX-738-p]