La Forme du gouvernement (Regeringsform) du Royaume de Suède de 1720 - complétée par le Règlement intérieur de la Diète de 1723 -, en vigueur jusqu'en 1772, doit être considérée comme la première constitution formelle moderne dans l'histoire de l'Europe continentale. Souvent méconnue par les juristes et historiens étrangers, elle servit de fondement juridique au modèle constitutionnel suédois durant l'ère de la liberté (Frihetstiden), au cours de laquelle ce pays connut une expérience très originale de parlementarisme particulièrement sophistiqué tant au plan juridique que politique. Fondé sur un principe d'unité de pouvoir au profit des états et au détriment du principe monarchique, la Constitution de 1720 permit une sorte de parlementarisme absolu, à  l'antipode du modèle britannique. Sa fin abrupte ne doit cependant pas faire oublier que cette expérience fut structurante pour les développements ultérieurs du droit constitutionnel suédois jusqu'à  nos jours.

The Swedish Constitution of 1720 as the First Written Constitution of Liberty in Continental Europe - The antitype of the Parliamentary System in Europe, An Opposite to the British ModelThe Swedish Constitution of 1720, also known as "The form of the government of Sweden" (Regeringsform), along with the “Rules of procedure of the Diet” of 1723, has to be considered as the first modern formal constitution in the history of Continental Europe. This much overlooked constitution established the legal basis of the constitutional model during the Swedish Age of Liberty (Frihetstiden), which constituted a sophisticated and original experience in parliamentarism. The Swedish Constitution of 1720 was indeed founded on the principle of the unity of power in favour of the estates to the detriment of the monarchic principle, and therefore presented a model of an absolute parliamientarism, quite to the opposite of the British model. The sudden end of this constitution should not lead us to underestimate its structural consequences on Swedish constitutional law up to the present date.

Die schwedische Verfassung von 1720, erste geschriebene Verfassung der Freiheit im kontinentalen EuropaDie Regeringsform für das schwedische Konigreich von 1720 - ergänzt durch die Geschäftsordnung des Parlaments von 1723 - muss als die erste moderne Verfassung im formellen Sinne in der Geschichte des kontinentalen Europas gelten. Sie diente als effektive Rechtsgrundlage der schwedischen Verfassungsordnung während der sog. ,,Ära der Freiheit" (Frihetstiden) bis 1772. In jener Zeit praktizierte Schweden einen eigentümlichen, in juristischer sowie politischer Hinsicht besonders raffinierten Parlamentarismus. Auf dem Prinzip der Einheit der Staatsgewalt zugunsten der Stände ruhend, bildete die Verfassung von 1720 den Rahmen für die Entwicklung eines ,,absoluten Parlamentarismus", ja als eine Art Antipode zum damaligen britischen Modell. Trotz seines brutalen Ende ist diese Verfassung von grossem Einfluss auf die spätere Entwicklung des schwedischen Verfassungsrechts gewesen.

La liberté gagnée dégénéra souvent en licence. Le régime finit par se teinter d’oppression insidieuse. Sous le coup du sabot de Pégase de l’Ordre équestre, au sortir du cauchemar carolin, l’Ère de la Liberté avait été vécue comme un verre d’eau dans le désert. Le régime se posa alors comme la chimère la plus brillante. Il ne tarda pas à  se découvrir pour ce qu’il était : un monstre hectique, vétilleux et inefficace. Ce système de gouvernement, qui avait son prestige, s’était avéré à  la longue pour la Suède un luxe dangereux.

  • L’ardir primiero è in qualche parte estinto, non v’è più libertà .

    Métastase, Catone in Utica (1728), I, 1.

    (qu’a mis en musique Niklas von Höpken,

    frère d’Anders Johan, le président de chancellerie)

ANNEXE : Paul-Henry Mallet, éditeur scientifique et traducteur de la Forme de Gouvernement de Suède

Ce n’est pas l’édition et la traduction procurées par lui, à  Copenhague, en 1756, de la Forme de Gouvernement de Suède – traduction qui demeure la seule en français - qui a fait passer Mallet, à  la postérité, mais la parution, la même année, de l’ouvrage par lequel il faisait découvrir l’Edda à  l’Europe.

Paul-Henry Mallet (1730-1807), Genevois, se rencontre un agnat au neuvième degré de Mallet du Pan. Ce dernier tenait ce nom de du Pan de sa mère ; Paul-Henry eut d’ailleurs pour femme une du Pan. L’un et l’autre sont parents de ces célèbres Mallet de la banque, famille toujours représentée, dont l’établissement à  Paris remonte à  1713, ce qui en fait le plus ancien de la place. Tous reconnaissent pour aïeul souchier un marchand drapier et bonnetier de Rouen qui s’expatria et gagna la Genève de Calvin. Il y fut reçu habitant en 1558, bourgeois en 1566 et dès 1594 fut élu – indéniable consécration - au Conseil des Deux-Cents. Ascension remarquable, si l’on songe qu’à  l’ère pré contemporaine encore le Genevois sans conteste le plus marqué au coin du génie, Rousseau, célébré de toute l’Europe, proscrit par l’ordre établi et banni (en 1762) de Genève, n’en était pas citoyen. Il n’avait que la qualité de natif.

Paul-Henry, après avoir fait son droit, dut à  un hasard heureux, en 1752, d’être appelé à  Copenhague, comme la Baumelle (le jeune afficionado de Montesquieu) trois ans auparavant, pour y professer les lettres françaises à  l’académie, comprenez l’université. Bernstorf, le grand ministre, appréciait Mallet. Ils devaient devenir amis. Bernstorf fut le premier (mais non pas le seul) à  lui suggérer d’écrire une histoire de Danemark. Paul-Henry commença d’en rédiger l’introduction, ambitieux préliminaire, qui parut, à  Copenhague, pour la première partie en 1755 et la seconde, l’année suivante (le premier tome de l’histoire proprement dite sera publié en 1758). L’édition la plus souvent citée, parce que plus complète, est la troisième, datée de 1787. La seconde partie se compose – là  est plus précisément le titre de gloire - de l’édition commentée et la traduction en français de l’Edda, l’antique épopée norroise, qu’avait préservée l’Athènes des glaces. « Cet ouvrage, supérieur à  l’attente de ses amis et de ses protecteurs qui lui avaient demandé de l’entreprendre, établit dans toute l’Europe la réputation de son jeune auteur » (Sismondi). Ceci lui valu cette année même d’être appelé à  enseigner, pour un lustre, les belles lettres au prince royal de Danemark, le futur et malheureux Christian VII (qui sera frappé d’insanité sévère). L’ouvrage fut immédiatement traduit en danois, et le sera en 1770 – l’année même du voyage d’Alfieri en Suède - en anglais par le chapelain de George III, sous le titre, concis et judicieux, de Northern Antiquities. L’édition de l’Edda et son propylée ont fait époque. Elle a mérité de passer à  la postérité par les lueurs que son auteur a prodiguées à  l’Europe sur la plus ancienne histoire, les vieux mythes et l’épopée de la Scandinavie. Ce n’est pas déprécier Paul-Henry Mallet que de dire qu’il fut un vulgarisateur car il est de tout premier ordre. Sans ce ferment jamais Lessing ou Herder n’auraient pu s’engouer sérieusement pour les grandes épopées germaniques. Le paradoxe n’est pas sans charme de ces auteurs d’exception qui n’eurent de cesse, combien à  juste titre, de contester l’influence démesurée du français en Allemagne et ont découvert dans le texte l’épopée scandinave grâce au patient labeur d’un Suisse roman. L’historien genevois fut de ceux qui commencèrent de tirer du fatras l’étude des antiquités nordiques, que déshonoraient les élucubrations, celles même dont en Suède Dalin fit un carnage. S’il n’était pas de ces esprits puissants qui aplanissent les voies, il rendit un peu moins raboteux le chemin difficile qui aboutit à  la Deutsche Mythologie de Jacob Grimm.

En 1760, Mallet rentra dans sa petite patrie. En 1764, il fut élu au Conseil des Deux-Cents, fonctions qui étaient viagères, et dureront pour lui autant que l’oligarchie. Un édit de pacification eut lieu cette année là . La république de Genève durant tout le XVIIIe siècle a tenu l’Europe en haleine avec le spectacle de ses dissensions intestines (les révolutions de 1738 et 1782 en particulier sont fameuses). Ce régime, embrevé fortement par les querelles de parti, a cultivé plus d’un rapport - comme il n’échappait alors à  personne - avec celui de l’Ère de la Liberté en Suède. Mallet marqua d’emblée ses sympathies pour le parti conservateur, celui appelé des négatifs, qui maniaient la férule et résistaient aux progressifs (dont était à  la même époque De Lolme), eux-mêmes sous le fouet des démagogues.

À Genève, une missive de la Sémiramis du Nord l’atteignit. Le professeur décline l’offre. L’impératrice obtint plus tard, cette fois pour deux de ses petits-fils, un autre Genevois, l’ineffable La Harpe. Mallet s’épargna ainsi pas mal de désillusions. Sa décision de ne pas quitter Genève pour la Russie allait le conduire bientôt, de façon un peu inattendue, à  découvrir l’Angleterre. Ce bref séjour, sans s’arrêter à  une péripétie qui devait appeler chez lui un pincement de cœur, aboutit à  une cascade de commandes. Non seulement la reine consort, qui venait de se marier, le pressa de composer (comme l’épouse d’un Guelfe) une histoire de la maison de Brunswick, mais le landgrave de Hesse-Cassel, oncle par alliance de George III, en agit de même pour la sienne. Notre faiseur ne tarda pas à  faire un séjour à  Cassel pour « prendre mesure », comme il dit avec abandon. Il en profita pour faire au saut au Danemark.

Enfin, il put accomplir le voyage de la Mecque. Il y partagea le pain et le sel avec la fleur des Lumières. Il se lia à  l’incontournable Suard, vrai poste d’aiguillage, chez qui, jeune homme, Benjamin Constant – un Lausannois – fera vingt ans plus tard deux séjours, sans oublier, en 1786-87, celui de Belle de Zuylen (van Tuyll), la future Mme de Charière. Suard fut le dernier à  survivre à  Mallet. Mais revenons aux fastidieux chantiers auquel, séduit par les pensions qui y étaient attachées, allait s’atteler ce Roman découvreur des aèdes du Nord, délaissant par là  son champ d’étude de prédilection. Ces deux très grandes races méritaient bien que l’on poursuive les recherches. Scheid (éditeur de Leibniz et d’Eckhart) pour les Guelfes venait d’en donner dix ans auparavant l’exemple ; de même encore la maison de Mecklembourg, qui fera aussi à  Mallet une soumission, - dernière dynastie slave régnante de l’Europe - à  laquelle appartenait la souveraine qui lança ce train de commandes . Après tout Voltaire (qui venait d’avoir cessé d’être historiographe de France) n’a-t-il pas entrepris des annales à  la demande d’une princesse de l’Allemagne ? Cependant Paul Henry Mallet en était accablé. C’était avant tout un homme de lettres, et il s’était voué aux scaldes et à  la philologie ancienne scandinave. Comme enchaîné à  ces travaux, il succomba sous le défaut d’une qualité : son talent pour la compilation. Ces trois ouvrages historiques « à  la demande » connurent la publication ; cependant seuls les deux premiers ont été achevés. Il paraît que notre historien n’en était pas bien content. Du moins y gagna-t-il son lot de pensions.

Lorsque la Révolution française commença d’exporter ses principes, en 1792, Paul-Henry Mallet, qui portait la « tare » de ses sympathies négatives, dut quitter Genève. Mallet était résident du landgrave de Hesse-Cassel auprès du canton de Berne ; il trouva refuge à  Rolle, ville sujette de Berne (Rolle où le caricaturiste devancier de Töpffer, Dunker, régnicole de la Suède, avait obtenu le droit de bourgeoisie). Cette république, l’une des quatre patriciennes de la Suisse, promettait d’être le dernier rempart de la liberté helvétique. Elle le fut, avec l’un de ses avoyers. Mallet ne devait revenir que huit ou neuf ans plus tard dans sa patrie, devenue, en 1798, le chef lieu du département du Léman. En 1803, année où une autre Genevoise fut frappée de proscription, – c’est alors que Mme de Staël entreprend son voyage d’Allemagne - notre historien fait paraître (il faut bien vivre) l’abrégé à  la fois et la continuation du grand ouvrage de Müller, le Tacite de la Suisse. Ensuite, en 1805, il donne une histoire de la Ligue Hanséatique, beau sujet, en porte-à -faux dès 1806-1807 avec la fulmination des décrets de Berlin et de Milan. Alors se mit en place le système continental. De tout ce temps, l’Hypathie du siècle, maintenue à  distance comme une pestiférée, se voyait réduite à  errer à  travers l’Europe, dont elle fit son lazaret, plantant comme Agar dans le désert d’incertains tabernacles dans ce qui restait de société pensante. En 1806, le Royaume-Uni fut donc déclaré en état de blocus sur terre. De toutes, la pension britannique (servie à  Mallet) était la plus généreuse. Cette même année, le Hesse-Cassel avait été rayé des cartes, payant de son indépendance ses liens étroits à  l’époque avec la Prusse – prémonition d’un autre anéantissement, celui là  définitif, et dont les causes seront inverses. Ce fut un jeu pour la maison détrônée d’éteindre l’autre pension sur ce prétexte. Il ne resta plus de secours que du Danemark, où d’ailleurs l’Electeur avait trouvé refuge. En 1807, le Danemark fut contraint à  son tour de s’enfermer dans le système de l’asphyxie universelle. Il subit alors des représailles foudroyantes de la part du Royaume-Uni, qui firent grande impression en Europe. Le dernier secours qu’en recevait Mallet fut durablement interrompu. Mallet n’avait eu en numéraire pour subsistance que ces pensions expirantes et des droits d’auteur mal servis ou en voie d’exténuation. Il fut réduit à  vendre sa maison de campagne avec sa ferme, fruit de ses labeurs, et mourut dans une grande gêne en 1807. L’année même, Sismondi composa son éloge.

Jean-Paul Lepetit

[FIN]

Pour citer cet article :

Jean-Paul Lepetit « La Constitution suédoise de 1720 – Première constitution écrite de la liberté en Europe continentale (Partie 6) », Jus Politicum, n°9 [https://juspoliticum.com/articles/La-Constitution-suedoise-de-1720-Premiere-constitution-ecrite-de-la-liberte-en-Europe-continentale-Partie-6]