La solidarité gouvernementale sous la Vème République est le produit de très nombreux facteurs interdépendants que l'on peut regrouper en quatre séries distinctes : l'organisation juridique, la pratique suivie, les effets de long terme et la conjoncture politique. Cet agencement met en place une cohésion globale satisfaisante entre les ministres même si une pression individualiste reste constamment présente. La solidarité gouvernementale a favorisé d'une part l'apparition d'une nouvelle convention qui proscrit désormais aux ministres de mettre en péril l'ensemble gouvernemental et a, d'autre part, modelé la responsabilité politique des ministres qui s'avère être dorénavant essentiellement individuelle.

Constitutional "solidarity" amongst minister on the Fifth republic

In the Fifth republic, political solidarity amongst cabinet ministers results form several independant causes : the law, the practice, some long term effects, and the political circumstances. This results in a satisfactory degree of political cohesion, although there is still some pressure on individuals. Government solidarity has favored a new convention of the constitution : ministers should not put the government as a whole at risk. At the same time, it has shaped ministers’ political accountability, which is now essentially individual.

Die ,,Kollegialverantwortung'' der Regierung in der französischen Fünften Republik

Die ,,Kollegialverantwortung'' der Regierung (solidarité gouvernementale) ist, unter der französischen Fünften Republik das Produkt zahlreicher wechselseitig voneinander abhängiger Faktoren, die sich in vier Gruppen einordnen lassen : die rechtliche Organisation, die Verfassungspraxis, die langfristigen Wirkungen und die jeweilige politische Konjunktur. Dieses Prinzip ermöglicht einen befriedigenden Zusammenhalt der Minister untereinander, auch wenn individualistische Neigungen weiterhin bestehen bleiben. Die Kollegialverantwortung hat zudem die Bildung einer Verfassungspraxis gefördert, nach der es den Ministern verboten ist, die gesamte Regierung in Gefahr zu bringen. Sie hat ferner eine nunmehr in erster Linie individuelle Verantwortlichkeit der Minister vor dem Parlament hervorgebracht.

L'actualité politique place régulièrement sur le devant de la scène le thème de la solidarité gouvernementale. A chacune de ces occasions, et malgré la rudesse de son style, Jean-Pierre Chevènement est cité. Très rares sont cependant les analyses qui constatent à  quel point cette citation est représentative d'une réalité nouvelle et propre à  la Vème République : les ministres sont soit soumis, soit rejetés du gouvernement (sous la forme d'une démission ou d'un renvoi). Le sujet de la solidarité gouvernementale n'est d'ailleurs que peu traité et hormis quelques développements incidents ou historiques, l'évolution de la solidarité ministérielle dans le temps ou une théorisation de la question n'apparaît pas clairement. C'est pourquoi il semble curieux que chacun comprenne de quoi il est question sans que la solidarité gouvernementale soit clairement définie.
L'expression n'est d'ailleurs pas fixée puisque la «solidarité ministérielle» côtoie la «solidarité gouvernementale».

Plus surprenant encore, la solidarité gouvernementale ne se manifeste pas de façon visible. Elle est désormais présumée et n'apparaît qu'en creux ; c'est lorsqu'elle n'existe plus que l'on découvre son absence et que ses conséquences se font ressentir (une déclaration fracassante, la disparition d'un ministre ou du gouvernement entier ne passe jamais inaperçue). Cette invisibilité n'est pas, comme nous le verrons, due à  un manque d'indicateurs mais au contraire à  leur trop grande profusion et surtout, à  l'invisibilité des plus essentiels : les facteurs conjoncturels. Cette discrétion s'explique d'abord par une raison d'ordre médiatique -les trains à  l'heure n'intéressent personne- et parce que l'on se préoccupe généralement davantage des dysfonctionnements que de ce qui remplit correctement son office. La deuxième raison de cette invisibilité est dictée par la nature même de la vie politique qui est, comme le disent les mathématiciens, un "jeu à  information incomplète" ce qui signifie que chaque acteur a tout intérêt à  conserver ses cartes secrètes aussi longtemps qu'il le peut. Ceci implique que chaque acteur, analyste ou commentateur aura une vision personnelle de la situation, qu'il fera sa propre estimation et évaluera le degré de la cohésion gouvernementale selon les informations qu'il possède.

Dans un sens commun, la solidarité peut être envisagée sous trois angles distincts : premièrement, elle peut être définie comme un rapport existant entre des personnes qui, ayant une communauté d'intérêts, sont liées les unes aux autres ; une illustration de cette forme de solidarité serait l'esprit de corps. Deuxièmement, la solidarité comprend un rapport d'interdépendance entre les choses : la solidarité entre deux phénomènes. Troisièmement, la solidarité intègre le sentiment d'un devoir moral envers les autres membres d'un groupe, fondé sur l'identité de situation, d'intérêts : agir par solidarité, faire preuve de solidarité.

Dans le champ juridique, la solidarité correspond à  des notions distinctes, ce à  l'intérieur même des ensembles que forment le droit public et le droit privé.

Ainsi en droit de la famille, la solidarité est un "impératif d'entraide qui, dans l'épreuve, soumet réciproquement les plus proches parents et alliés à  des devoirs élémentaires de secours et d'assistance" et se matérialise par exemple par une obligation alimentaire. D'un point de vue plus général, cette forme de solidarité existe sous la forme d'un "lien moral, d'un esprit de famille qui rassemble toute la parenté autour de ses valeurs communes (nom de famille, honneur, traditions)". Cette solidarité familiale est donc composée de liens dont la valeur est très variable allant de la morale à  l'obligation légale en cas de besoin. Le fondement de cette solidarité n'est pas la volonté librement exprimée, mais la naissance. Sans entrer ici dans des développements qui dépassent le cadre de cette étude, nous verrons qu'à  bien des égards la solidarité gouvernementale peut être comparée à  la solidarité familiale.

Le terme solidarité est également employé dans le code civil, mais le sens qui est donné à  cette solidarité est très différent : "il y a solidarité de la part des débiteurs, lorsqu'ils sont obligés à  une même chose, de manière que chacun puisse être contraint pour la totalité, et que le payement fait par un seul libère les autres envers le créancier" (art. 1200). Dans ce cadre, la solidarité est une contrainte complètement détachée de la morale, issue le plus souvent d'un contrat et donc d'une volonté explicite.

En droit public, la solidarité peut être comprise comme un lien d'entraide qui se traduit sous la forme générale de solidarité nationale (il existe de plus au plan international une réalité parallèle très floue : la solidarité internationale). La solidarité nationale est un lien d'assistance entre les membres d'une même communauté, elle peut se caractériser par un "impôt de solidarité", impôt exceptionnel destiné à  permettre à  l'Etat de faire face à  une situation de crise (impôt de solidarité nationale de 1945), de financer un secteur de l'économie particulièrement frappé par la conjoncture (impôt "sécheresse" de 1976), un régime social déficitaire ou une catégorie de la population (journée de solidarité, loi du 30 juin 2004, art. 2).

Existe enfin en droit constitutionnel la notion de solidarité ministérielle ou gouvernementale. Des différentes définitions de la solidarité gouvernementale dont nous disposons, il ressort que celle-ci est une spécificité des régimes parlementaires, qu'elle est une obligation pour les différents ministres d'agir de concert après une prise de décision -normalement commune- qui reste confidentielle. Une fois cette décision prise, les opinions dissidentes doivent s'effacer soit en étant tues par ceux qui ont des réticences, soit parce que les ministres qui ne peuvent l'accepter sont poussés à  la démission. Cette obligation d'union est liée à  la responsabilité collective du gouvernement devant le Parlement.

Au regard de ces définitions et des emplois effectués aujourd'hui, il n'existe pas de différence notable entre les expressions "solidarité ministérielle" et "solidarité gouvernementale". D'un point de vue chronologique cependant, la première expression est apparue dès la restauration, alors que la seconde ne s'est répandue qu'avec l'affirmation lente et progressive du "gouvernement" intitulé comme tel, c'est-à -dire durant la première moitié du XXème siècle. Ces deux expressions coexistent depuis lors et sont régulièrement employées comme synonymes. Pourtant depuis l'affirmation du "gouvernement" dans la constitution de la Vème République, la "solidarité gouvernementale" est employée plus fréquemment, spécialement dans le milieu journalistique. La "solidarité ministérielle" est manifestement plus ancrée dans le cadre juridique et universitaire où elle perdure encore, conservée en l'état, comme cristallisée et consacrée par le temps. Malgré cette assimilation commune des deux expressions, nous emploierons "solidarité gouvernementale" car cette expression se focalise sur l'institution et non sur ceux qui la composent, ceci sous-entendant qu'il existe désormais une liaison entre un ministre et l'institution, et non plus uniquement un lien "horizontal" entre les ministres.

Par ailleurs, si de prime abord le sujet semble se prêter particulièrement à  la méthode comparative et que la Grande-Bretagne est une référence incontournable du régime parlementaire, une approche un peu plus poussée jette un doute sur la pertinence d'une comparaison entre la France et le Royaume-Uni sur ce point. En Grande-Bretagne en effet, les modalités du recrutement gouvernemental diffèrent profondément de celles de la France, l'appartenance au Parlement étant un préalable indispensable, ce qui entraîne une double responsabilité du ministre devant les électeurs et devant le gouvernement. D'autre part la structure gouvernementale britannique pléthorique et agencée en cercles concentriques, ne correspond pas à  l'organisation retenue en France. Enfin, la dyarchie de l'exécutif n'existe pas en Grande-Bretagne. Ces trois principaux écueils différentiels peuvent certes être franchis mais il faudrait pour ce faire de longs prolégomènes qui dépassent largement le thème de la solidarité gouvernementale ; il en irait de même avec d'autres pays et pour ces raisons, cette recherche se limitera à  la France.

Nous remarquerons que la création de la Vème République a façonné un nouvel environnement au sein duquel une forme de solidarité originale s'est épanouie qui se concrétise par une responsabilité disciplinaire individuelle des ministres. L'objet de cette solidarité gouvernementale est de protéger le gouvernement contre les inévitables comportements individualistes des ministres. Cela se traduit matériellement en une convention graduée en trois temps : soumission, démission, disparition. Ces deux derniers temps créent une discipline comportementale entre les ministres caractérisée par la non agression et l'assistance conditionnée. Dans cet agencement de fait, l'importance du mécanisme de responsabilité solidaire du gouvernement (art. 49.1, 49.2 et 49.3 C) est résiduelle.

Comme pour l'émergence d'autres phénomènes sous la Vème République, il est difficile de dire a posteriori si l'émergence de la solidarité gouvernementale telle qu'elle se présente aujourd'hui était "imprévisible ou inéluctable". La méthode d'analyse retenue par Jean-Luc Parodi, la combinatoire institutionnelle, est utile mais elle ne permet d'expliquer que partiellement la solidarité gouvernementale sous sa forme actuelle. Pour appréhender plus précisément celle-ci, il faut l'aborder selon quatre grilles de lectures distinctes. Nous montrerons que la solidarité gouvernementale de la Vème République repose sur les effets cumulés d'une quadruple combinatoire : institutionnelle (juridique), pratique (humaine), temporelle (effets de long terme) et conjoncturelle (effets électoraux). De plus, et dès lors qu'est formé un quadripode, nous verrons que l'ensemble n'est équilibré que si chaque pilier est stable ou, autrement dit, que l'ensemble peut devenir bancal par la faiblesse d'un seul. A ce jour, les trois premiers piliers sont stables alors que le dernier, la conjoncture politique, est régulièrement modifié. C'est donc de la conjoncture politique que dépend l'équilibre de l'ensemble de la solidarité gouvernementale sous la Vème République.

Pour appréhender ces diverses dimensions, il faut dans un premier temps revenir sur cette création empirique originale et ses conséquences (I) pour constater ensuite que la solidarité gouvernementale est globalement stable du fait d'évolutions successives et en dépit de la conjoncture politique mouvante (II).

I. Les effets d'un agencement empirique : création d'une équipe et répression des dissidences

L'apparition d'une nouvelle forme de solidarité entre les ministres sous la Vème République est largement inconsciente comme l'indique son absence tant dans la doctrine que dans les débats fondateurs de la Vème République. Durant l'élaboration de l'actuelle constitution, aucune mention n'a été faite de la solidarité gouvernementale : l'expression n'est utilisée nulle part et le concept n'est ni défini, ni employé. Il en va de même dans les débats du Comité consultatif constitutionnel ainsi que dans ceux du Conseil d'Etat des 25 et 26 août 1958. Si Michel Debré présente longuement au Conseil d'Etat le fait majoritaire et s'il aborde des questions connexes à  la solidarité gouvernementale comme l'incompatibilité de l'art. 23 ou la stabilité du gouvernement, il ignore totalement la cohésion des ministres. Lors de sa présentation de la constitution place de la République, le général de Gaulle fit de même. Il apparaît ainsi que l'attachement des ministres à  l'institution gouvernementale est le fruit d'une sorte de hasard qui n'avait été ni souhaité ni rejeté par les fondateurs de la Vème République. Ce développement est dû autant à  l'existence d'un cadre juridique favorable (A) qu'à  une pratique coercitive constante (B).

A. La combinatoire juridique : un cadre favorable à  la cohésion

Dans le texte constitutionnel, les différents moyens mis au service de l'exécutif ont eu pour conséquence secondaire de créer un cadre propice à  l'apparition d'une forme inédite de solidarité entre les ministres. Cette solidarité nouvelle, que nous retiendrons sous le nom de solidarité gouvernementale, doit être distinguée des anciennes formes de solidarité entre les ministres par le fait que les ministres sont désormais fidèles non plus à  un allié ou à  quelques amis, mais à  une institution collégiale, ce qui justifie cette appellation. Elle se caractérise par la présence d'un chef (au moins) doté de pouvoirs forts et d'une équipe dont les membres ont chacun une fonction déterminée. Deux dimensions peuvent ici être utilement différenciées : certaines prérogatives sont ostensibles -et dans une certaine mesure ostentatoires-, elles modèlent la solidarité gouvernementale principalement au moment de la formation du gouvernement, d'autres sont plus discrètes mais elles jouent un rôle d'aiguillon au quotidien.

1. Les mécanismes ostensibles en faveur d'une solidarité entre les ministres

a. Le principe de responsabilité solidaire des ministres : de l'inefficacité à  l'utilité résiduelle

Faute de pouvoir la développer ici plus avant, admettons à  ce stade l'hypothèse suivante : entre la Révolution et 1875 les ministres ne pouvaient développer aucune solidarité entre eux. Ceci s'explique par l'absence de responsabilité solidaire devant les chambres, par l'absence d'un véritable chef de gouvernement, par la responsabilité individuelle des ministres devant le chef d'Etat, par le manque enfin d'une politique commune, faute de lieu de rencontre institutionnalisé.

L'année 1875 marque de ce point de vue un tournant car le principe de la responsabilité solidaire fut proclamé. Cependant ce principe n'étant accompagné d'aucun mécanisme instituant une équipe gouvernementale solide et disciplinée autour d'un chef raisonnablement puissant, il ne put engendrer aucune solidarité véritable entre les divers éléments de ce groupe hétérogène. La proclamation du principe de responsabilité solidaire des ministres devant le Parlement eut pour effet la chute de nombreux gouvernements du fait de la faute d'un seul d'entre eux. Il arriva même que des ministres agissent contre le gouvernement auquel ils participaient dans le but d'obtenir une promotion dans le suivant. Dans ces conditions, le système instauré s'analyse comme une responsabilité collective qui avait pour effet d'affaiblir le gouvernement devant le Parlement sans aucunement souder les ministres entre eux.

Ancré dans les textes depuis 1875, le principe de la responsabilité solidaire des ministres fut ensuite maintenu en 1958 comme il l'avait été en 1946. Il peut être mis en œuvre en régime parlementaire par trois procédures : la question de confiance, la motion de censure et l'interpellation. Sous la Vème République, cette dernière fut supprimée. Quant aux deux autres, elles furent aménagées pour assurer une plus grande stabilité au gouvernement. Les résultats de ces réformes sont connus : une seule motion de censure a pu faire chuter un gouvernement en 50 ans et aucune question de confiance n'y est parvenue.

Ces instruments sont classiques et déjà  largement décryptés mais ils appellent quelques commentaires spécifiques concernant la solidarité. La question de confiance sert désormais à  rediscipliner une majorité devenue rétive ou à  remettre un gouvernement en marche après de trop longues discussions, bref à  réinstaurer l'ordre. Auparavant utiliser une question de confiance indiquait à  tous les divisions gouvernementales et laissait prévoir la fin prochaine d'une solidarité éphémère.

Quant à  la motion de censure, elle ne fait plus guère trembler les gouvernements : rares sont ceux qui peuvent mathématiquement y succomber et plus rares encore sont les probabilités statistiques de chute. Certes la menace n'a pas totalement disparu mais elle n'est plus de nature à  créer au sein d'un gouvernement des dissensions telles que celui-ci pourrait être amené à  imploser sous le coup d'une intimidation.

La responsabilité solidaire des ministres est désormais également sous l'influence de la nouveauté constituée par l'article 49 alinéa 3. Celle-ci est doublement intéressante au plan de la solidarité gouvernementale : d'une part elle permet d'éviter au gouvernement de trop grandes et trop longues tensions en son sein comme au Parlement, et d'autre part, elle réaffirme l'autorité du Premier ministre.

Si l'on considère que certaines tensions au Parlement sont le résultat de dissensions gouvernementales, le 49.3 permet de résoudre ce type de crise car la charge médiatique du 49.3 est à  imputer au seul Premier ministre, qui évacue ainsi les querelles internes et offre à  la crise une résolution rapide et selon un risque mesuré. En effet, la majorité n'a plus à  voter pour un texte qu'elle n'approuve que du bout des lèvres, voire qu'elle ne soutient pas. Les députés, spécialement en cas de coalition, pourront alors se dégager partiellement de leur responsabilité en la rejetant sur le gouvernement et en désapprouvant publiquement sa politique sans pour autant rompre la coalition. Cette liberté de parole, implicitement et temporairement conférée par l'utilisation du 49.3, permet d'évacuer des colères parlementaires qui n'auront plus alors à  s'exprimer sur des ministres qui pourront se défausser sur le premier d'entre eux. Les doutes et ressentiments ministériels suivront, plus discrètement, la même voie.

Dans le même esprit, le vote bloqué sanctionnera des compromis jugés bons dans l'ensemble mais dont il vaut mieux éviter de discuter publiquement le détail.

Par conséquent l'article 49 qui affirme aujourd'hui la responsabilité solidaire du gouvernement reste constamment présent en arrière plan mais son utilité est largement neutralisée. De plus, cette responsabilité solidaire est parfaitement insuffisante en elle-même pour assurer une cohésion entre les ministres. La pacification des relations entre les ministres dans un premier temps et le soutien des uns envers les autres ensuite ont donc d'autres raisons.

b. Les nominations ministérielles érigent un cadre pacificateur

La nomination des membres du gouvernement, généralement collective, a été considérablement modifiée par la Vème République. Selon cette nouvelle organisation, aucune intervention du Parlement n'est sollicitée et l'influence de celui-ci n'est désormais qu'indirecte. Cela a deux conséquences : un éventuel morcellement partisan de l'Assemblée ne serait pas nécessairement retranscrit dans la composition gouvernementale (infra) et des ministres peuvent être nommés alors même qu'ils sont néophytes en politique. Cette apparition de ministres "techniciens" tend à  pacifier les relations entre les ministres. Tous les ministres en effet ne peuvent envisager l'avenir de la même façon : les techniciens qui voudront poursuivre une carrière politique devront, sauf rares exceptions, passer par le suffrage universel ; les politiques, élus dans le passé, pourront, eux, être promus après leur fonction. De cette dissociation il ressort que tous ne doivent pas s'attirer les bonnes grâces des mêmes et que la compétition entre ministres en est allégée d'autant.

Une hiérarchie ministérielle a en outre été instaurée. Curieusement, cette hiérarchie ministérielle tend à  renforcer la solidarité gouvernementale car elle concrétise par le protocole, le poids politique tant des personnalités que des partis ou fractions qu'ils représentent. Le rang protocolaire est donc une concrétisation juridique des équilibres politiques. L'indication de ces valeurs respectives crée une rigidité salutaire dans le système car lorsque la valeur respective des ministres est uniquement politique, il n'est pas exclu que la compétition entre eux puisse prendre la forme de coups bas et de chausse-trapes. Dès lors qu'une valeur est fixée à  chacun, la compétition n'est pas suspendue mais elle est remplacée par une compétition de plus long terme qui se concrétisera lors de la composition gouvernementale suivante. Certes, une relation directe au Président de la République -ou au Premier ministre- peut toujours interférer avec l'ordre établi, mais il n'en reste pas moins que la hiérarchie officielle est fixée et qu'elle apporte à  tous l'assurance de ne pas monter ou descendre dans l'immédiat. Cette règle simple apporte donc une sûreté à  l'ensemble et contribue à  la pacification des relations ministérielles.

D'autre part l'interdiction de cumul entre le mandat parlementaire et la fonction ministérielle, posée par l'article 23, contraint chaque ministre à  un choix. Ce choix était jusqu'à  la réforme de juillet 2008 risqué car le retour au Parlement n'était pas toujours aisé ce qui incitait bien sûr chacun à  prolonger la durée du gouvernement. C'est évidemment pour cette raison, un peu à  l'image de Cortez brûlant ses vaisseaux, que fut institué l'art. 23 après de longs débats. Mais l'objectif de Michel Debré de n'avoir qu'un gouvernement par législature ne s'étant pas réalisé, il est apparu nécessaire d'assurer un retour des membres du gouvernement au Parlement. Ce retour facilité par la réforme de 2008 (nouvel art. 25 C) apporte une atteinte potentielle à  la solidarité gouvernementale en permettant des démissions plus aisées. La solidarité gouvernementale ne devrait cependant pas spécialement pâtir de cette réforme car elle est désormais assurée par plusieurs autres éléments (infra).

c. Une variété de fins de mandats qui incite à  la prudence

Une autre nouveauté opérée par la Vème dans le cadre des mandats ministériels est l'introduction de la formule sibylline "et met fin à  leurs fonctions" dans l'article 8. Cet ajout par rapport au texte de 1946 comble une lacune et précise qu'un parallélisme des formes doit être respecté entre la nomination et la cessation des fonctions gouvernementales. De plus, si la proposition formelle du Premier ministre reste nécessaire pour mettre fin à  la fonction d'un ministre, il n'est pas nécessaire que ce dernier l'approuve.

En termes de solidarité cette modification a engendré deux conséquences fondamentales : d'une part, des ministres peuvent désormais être renvoyés et, d'autre part, ce renvoi ne met plus en péril l'ensemble de l'institution. Ces deux novations cruciales sont issues autant de cette disposition que de la pratique.

Dès lors que la révocation existe, il faut que le Premier ministre, en premier lieu, l'emploie car comme n'importe quel capitaine, il doit changer régulièrement les planches de son navire qui nuisent à  sa bonne marche ou qui peuvent atteindre à  sa flottabilité. C'est un travail doublement nécessaire car il accroît l'autorité du chef et assure la stabilité générale. Reste que cette œuvre accomplie, il est souvent délicat pour un observateur extérieur de connaître la cause exacte ayant motivé l'exclusion du ministre : s'agit-il d'une incompétence, d'un manquement à  la solidarité, d'une trop forte individualité ? Le flou entretenu en la matière, s'il nuit à  l'analyse, permet précisément au système de fonctionner.

Sans entrer ici dans le détail des fins de mandats des ministres sous la Vème ou dans les difficultés que comprend l'élaboration d'une typologie, il faut simplement constater qu'en la matière des formules très diverses existent, allant du rappel à  l'ordre à  la révocation pure et simple. Cette très large palette contribue à  créer une imprécision -tant juridique que politique- dont profitent les différents acteurs dès lors que dans la confusion, les vrais désaccords restent tus. La confusion instaurée pacifie donc considérablement le renvoi, la démission ou la mise à  l'écart ; quant à  la gradation des mesures, elle permet une grande souplesse.

D'un point de vue chronologique, les premières formules employées ont été les plus fracassantes et les plus dissuasives. Une fois les esprits marqués, il a été possible de mettre en œuvre d'autres formes plus discrètes et bien plus souples (sans pour autant que les anciennes formules soient abandonnées). D'un point de vue quantitatif, les formules les plus discrètes sont désormais préférées aux solutions de rupture tragique car chacun peut en retirer davantage de bénéfices. D'autre part, la fréquence faible -mais pas inexistante- des renvois ministériels sert d'aiguillon constant aux ministres à  qui l'on rappelle alors les règles du jeu. Constatons cependant que les ministres ne sont absolument pas égaux face aux pressions ; la responsabilité individuelle de chaque ministre dépend bien plus de son poids politique relatif que d'une norme.

La seule véritable nouveauté de la Vème République en la matière est très représentative : quelle que soit la forme et la raison du renvoi, le Parlement est systématiquement exclu de cette décision.

L'exemple qui marqua le plus les esprits fut celui d'Antoine Pinay, renvoyé en janvier 1960 quelques semaines après l'introduction mémorable du nouveau franc dont il était l'initiateur. Ce renvoi, motivé par une opposition au général de Gaulle sur des décisions dans le secteur pétrolier, fut d'autant plus médiatique que l'intéressé fit savoir par la presse qu'il n'était pas démissionnaire. La révocation fut employée ensuite régulièrement contre ceux qui se démarquaient trop du gouvernement. Furent ainsi renvoyés Jean-Jacques Servan Schreiber en 1974 pour sa critique de la politique nucléaire, Louis de Guiringaud en 1978 pour sa gestion contestée de la crise libanaise, et Jean-Pierre Soisson en 1992 pour son élection en région grâce aux voix du FN. Il faut par ailleurs signaler que certaines de ces révocations furent effectuées par l'Elysée et que d'autres le furent à  la demande de Matignon; preuve qu'il ne faut rebuter aucune de ces deux autorités.

Une autre formule employée est celle du remaniement gouvernemental qui sanctionne simultanément plusieurs ministres. En l'espèce, l'exemple le plus marquant fut celui du remaniement de février 1960 mettant fin aux fonctions de Jacques Soustelle et Bernard Cornut-Gentille tous deux hostiles à  la politique algérienne du gouvernement. Une autre forme plus douce du remaniement est le débarquement de la nef gouvernementale de certains ministres à  l'occasion d'un changement formel de gouvernement sans éviction du Premier ministre. Bien sûr, le manquement à  la solidarité gouvernementale n'est qu'une raison parmi d'autres de laisser de côté des ministres ; il s'agit même souvent d'une raison secondaire, la première étant l'incapacité à  obtenir des résultats dans son domaine. La nouveauté réside cependant dans le fait que le manque de solidarité peut être retenu au nombre des critères de sanction d'un ministre, comme l'indique clairement le renvoi de Jean-Jacques Servan-Schreiber.

Parallèlement à  ces révocations, la démission est ouverte à  tous les ministres. Mais, si sur le plan juridique, la distinction est claire, au plan politique, elle offre une opacité propre à  de multiples supputations. En effet, l’incitation à  la démission est souvent flagrante mais elle peut aussi, à  l'inverse, être la conséquence d'un refus de la politique gouvernementale par un ministre. Si la multiplicité des motifs de démission et le secret qui entoure certaines d'entre elles rend l'analyse impossible, il faut constater que cette souplesse arrondit bien des angles. C'est évidemment le cas des démissions pour raisons personnelles, mais les démissions effectuées pour exercer un mandat électif peuvent parfois cacher un désaccord plus profond.

Il faut enfin examiner à  part le cas du ministre "bouc émissaire" car la forme de la fin de sa fonction (démission ou renvoi) importe peu. Le maintien de cette forme ancienne de responsabilité individuelle n'était pas certain si l'on considère à  la fois le maintien de la responsabilité solidaire, la fin des questions de confiance individuelle depuis la IVème et l'instauration d'une entité gouvernementale pourvue d'un chef responsable. L'usage n'est en fait que résiduel, mais le fort symbolisme qui s'y attache ainsi que son caractère nécessairement médiatique, le font paraître assez fréquent. Ces sacrifices individuels de ministres sont pourtant rares et s'étalent dans le temps, les derniers en date sont Alain Savary en 1984, Charles Hernu en 1985, Alain Devaquet en 1986 et Alain Madelin en 1995.

Le principe du bouc émissaire est simple : il faut utiliser le ministre comme fusible avant que la contagion ne gagne le corps gouvernemental entier. C'est pourquoi ce sacrifice doit être effectué de préférence avec l'assentiment de celui qui est renvoyé. Si, en effet, le sacrifié venait à  rappeler aux médias que tous les ministres étaient en accord avec sa politique, que le gouvernement était solidaire de son action avant -et même pendant- la crise, le gouvernement dans son entier continuerait d'être menacé. Par son silence, l'ex-ministre fait preuve vis à  vis du gouvernement d'une forme tout à  fait spécifique de solidarité. Le Premier ministre confronté à  une situation de ce type devra donc faire preuve de volontarisme et de persuasion.

Dans un autre registre, certains départs s'effectuent de façon consensuelle comme autant de "divorces par consentements mutuels". Les motifs des ruptures de ce type sont divers et restent souvent secrets. L'importance quantitative de ces ruptures indique que chacun possède un intérêt à  ce que le ministre quitte discrètement le gouvernement : le ministre s'il ne souhaite pas obérer son futur politique et le Premier ministre qui n'a aucun intérêt à  attirer l'attention sur ce départ. Cette forme est assez nouvelle. Sous les républiques antérieures, un ministre avait plus d'intérêt à  quitter le gouvernement en provoquant un chahut tel qu'il pourrait le faire chuter puis tenter de participer au suivant.

Enfin, la forme la moins contraignante du maintien de la solidarité gouvernementale sera celle du rappel à  l'ordre. Celui-ci aura valeur de coup de semonce et devra être considéré comme le début potentiel de l'escalade coercitive. Michel Noir et François Léotard ne s'y sont d'ailleurs pas trompés et s'ils sont entrés en conflit avec le Premier ministre au mois de mai 1987, ils se soumirent au début du mois de juin "en rentrant dans le rang". Aucune tentative d'inventaire des rappels à  l'ordre ne sera ici entreprise ; les exemples sont innombrables et ils font régulièrement les titres des journaux. Ceux-ci ne doivent pas retenir l'attention plus que nécessaire, ils sont assimilables à  de l'écume et non à  des vagues de fond. Ces comportements digressifs sont ordinaires dans une équipe, ils n'atteignent plus la solidarité gouvernementale.

Le général de Gaulle avait fixé cette gradation dès 1962. En effet, après avoir renvoyé Antoine Pinay en janvier 1960 et procédé à  un remaniement en février de la même année, il poussa en 1962 ses ministres à  se prononcer sur l'utilisation de l'art. 11 pour l'élection du Président de la République au suffrage universel. Il leur accorda une semaine de réflexion au bout de laquelle les ministres en désaccord devaient démissionner. Pierre Sudreau indiqua au général qu'il était opposé à  l'utilisation de l'art. 11 mais il refusa l'alternative en ne se rendant pas au conseil des ministres. Il fut mis fin à  ses fonctions le 16 octobre 1962.

Ainsi, l'hétérogénéité des formes de fins de mandats ministériels et la création d'une gradation dans les sanctions ont formé une nouvelle obligation de solidarité qui s'impose aux ministres : il faut qu'ils se soumettent à  cette discipline ou qu'ils se démettent, à  défaut ils sont certains de disparaître.

2. Les mécanismes discrets et quotidiens qui confortent la solidarité gouvernementale

Plusieurs prérogatives de la gestion gouvernementale quotidienne, comme le contreseing ou les diverses directions qui lui sont attribuées, concourent à  faire du Premier ministre un dirigeant respecté par les autres ministres. De plus, des lieux existent désormais pour coordonner les actions ministérielles. Ces attributions contribuent à  la construction d'une solidarité gouvernementale en instituant un dirigeant respecté et craint car doté de pouvoirs.

Par les premières phrases des articles 20 et 21 "le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation (…) le Premier ministre dirige l'action du gouvernement", un chef est institué à  la tête de l'action gouvernementale. Certes l'apparition du rôle de "Premier ministre" remonte à  l'ancien régime -Richelieu et Mazarin ayant rempli cet emploi-, mais la fonction a pris un tour nouveau avec la Vème République. Dans cette optique, le Premier ministre a cinq missions : la direction de l'action gouvernementale, la direction de l'administration, la direction de la défense, la direction de la législation ainsi que la direction d'un nouveau pouvoir réglementaire autonome. Bien sûr, une part de ces fonctions existait auparavant mais la rupture est réelle sur de nombreux points et c'est spécialement sur la notion de direction d'équipe que la rupture semble la plus marquée. Or l'institution d'un dirigeant est une condition sine qua non pour l'apparition d'une solidarité gouvernementale car il ne peut y avoir de travail en grande équipe sans un dirigeant ayant de l'autorité. La force du suffrage universel n'étant réservée qu'au seul chef de l'Etat, le Premier ministre trouve dans ces divers pouvoirs les moyens d'imposer ses vues aux autres ministres. Certes il ne suffit pas qu'un Premier ministre ait des pouvoirs pour qu'il dispose de subordonnés obéissants, mais une pratique constante en la matière y a raisonnablement pourvu.

Le contreseing est un mécanisme ancien dont la justification a été modifiée par l'action du temps et l'évolution générale des institutions. Dans le passé, il s'agissait de faire endosser la responsabilité d'un acte du chef de l'Etat par un ministre responsable ; cette utilisation n'a évidemment pas disparu. Cependant, le contreseing a pris en outre un sens nouveau avec l'apparition d'un second contreseing : celui des actes du Premier ministre par les ministres (art. 22). Cette nouveauté, qui n'a soulevé aucun débat lors de son introduction en 1958, a pour effet de renforcer la cohésion entre le Premier ministre et chacun des ministres. Si en effet l'un d'eux faisait mine de vouloir résister, il pourrait en subir de graves conséquences. Cet article contribue donc à  la centralisation, et de ce fait à  la coordination, des actions gouvernementales. Quant au contreseing "résiduel" des ministres sur les actes du Président de la République, son action doit être vue avant tout comme une marque de soumission des ministres au chef de l'Etat. Si un ministre refuse cette sujétion, la voie de la démission puis du renvoi, lui est grande ouverte.

Les lieux où s'élabore la politique gouvernementale sous la Vème République sont à  géométrie variable selon la période politique et les titulaires des offices. Qu'il s'agisse du conseil des ministres ou des conseils de cabinet (restreints ou étendus), la règle reste sensiblement la même : certains ne font que suggérer et demander alors que d'autres vont décider. Au premier rang de ces derniers figure évidemment le Président de la République lorsqu'il est en harmonie politique avec la majorité au Parlement ; à  défaut, c'est au Premier ministre que revient ce pouvoir. Le ministre des finances peut quant à  lui intervenir de façon déterminante sur presque tous les sujets et il est un acteur essentiel de la prise de décision. En dehors de ces trois décideurs, le poids de chaque ministre est à  l'avenant.

Quel que soit le lieu retenu et le formalisme qui s'y attache, l'élaboration et la décision sont placées sous le sceau du secret indispensable à  la cohésion gouvernementale, il serait en effet destructeur que chaque ministre officialise ses opinions dissidentes. Ce principe du secret des délibérations est d'ailleurs présent depuis les origines de la IIIème République, les procès-verbaux (non publiés) du conseil des ministres n'étant apparus qu'avec la IVème.

L'emploi de ces instances, et spécialement du conseil des ministres, diffère selon les individus et le conseil semble osciller entre une chambre d'enregistrement des volontés présidentielles et un lieu de délibération plus ouvert. Cependant une fois la porte du conseil franchie, la décision -même minoritaire- devient la décision de tous, affirme la solidarité de chacun et s'impose aux institutions. Cette fiction de collégialité est un principe indispensable à  la bonne marche de l'ensemble et ne s'est véritablement imposée qu'avec la Vème République, alors même que le cadre juridique n'a pas évolué de manière décisive. Cette évolution essentielle tient largement au fait que des décisions peuvent être imposées aux ministres par un dirigeant qu'il soit Président de la République ou Premier ministre. Ainsi, une pratique d'"hyperprésidentialisation" ne modifierait pas l'équilibre général de la solidarité gouvernementale, il faut et il suffit qu'il existe un dirigeant ; la fonction est à  cet égard moins essentielle que les pouvoirs effectifs. Dans ce nouveau contexte, la seule présence d'un ministre prend une nouvelle signification : s'il ne se démarque pas de la décision prise en conseil des ministres, c'est qu'il l'accepte. La solidarité gouvernementale est donc affirmée et affichée publiquement toutes les semaines à  la sortie de l'Elysée.

B. Une pratique coercitive constante poussant à  une solidarité spécifique

En matière de solidarité gouvernementale, la pratique doit être étudiée attentivement car "aucune règle écrite ne peut tenir lieu de volonté politique". Plus précisément, la pratique politique et la règle juridique sont en liens constants et se nourrissent mutuellement dans un équilibre dynamique, équilibre dont l'analyse est rendue complexe par les modifications introduites par les choix des électeurs (infra II). En l'espèce, le cadre juridique dessiné a rendu possible l'apparition de la solidarité gouvernementale et la pratique a majoritairement tendu dans le même sens (l'exception à  cette règle étant l'absence des programmes de gouvernement, ceux-ci étant tombés en désuétude).

1. Une pratique constante : réfréner les individualités pour favoriser l'équipe gouvernementale

Comme toujours dans le cadre de l'élaboration d'une pratique, les personnalités en présence modèlent fondamentalement l'objet d'étude. Pour l'évolution de la solidarité gouvernementale, l'exemple de la IXème législature (1988-1993) est particulièrement éclairant : à  conditions juridiques égales, à  rapport des forces au Parlement identique et à  personnel gouvernemental comparable, la réalité de la solidarité gouvernementale fut notablement différente. Le changement le plus évident dans cette période tient à  la personne du Premier ministre : en effet, Michel Rocard, Edith Cresson et Pierre Bérégovoy entretenaient des relations différentes tant avec le Président qu'avec leurs ministres. Cette variation principale eut des effets essentiels sur la solidarité du gouvernement d'Edith Cresson dont il faut bien reconnaître qu'elle n'a pas obtenu les effets des autres Premiers ministres de la même législature.

Cependant, et malgré les distinctions qui peuvent être effectuées quant aux résultats obtenus par tel ou tel, la volonté des Présidents et des Premiers ministres reste la même : obtenir une forte solidarité au sein du gouvernement. Pour ce faire, l'évolution générale de la Vème République a largement apporté sa contribution : la chute du gouvernement par la question de confiance ou la motion de censure est hypothétique et le Parlement ne constitue plus un obstacle insurmontable à  la volonté gouvernementale. Ces phénomènes sont évidemment cruciaux à  l'égard de la solidarité gouvernementale, mais il n'apparaît pas utile de les développer ici plus avant, tant ils sont développés par ailleurs. Aussi, nous nous attacherons davantage à  deux phénomènes moins étudiés dont l'influence sur la solidarité gouvernementale est tout aussi prépondérante : la composition du gouvernement et les règles non écrites concernant les relations inter-ministérielles.

Sur le fond, deux règles anciennes président à  la formation du gouvernement pour qu'une solidarité gouvernementale puisse être atteinte : l'unité et l'homogénéité.
L'unité de vue gouvernementale peut être atteinte par l'élaboration et l'exposé d'un programme de gouvernement. Cette unité est par ailleurs attaquée par l'existence de départements ministériels, chaque ministre ayant son propre point de vue déterminé par sa fonction. Cette division par spécialité peut -et doit- être aplanie par les arbitrages du Premier ministre. L'unité peut donc être atteinte sans difficulté insurmontable, même si l'homogénéité du gouvernement n'est pas parfaite. En ce qui concerne ce second pan, l'homogénéité de la composition du gouvernement, celle-ci peut être plus ardue à  atteindre, spécialement en cas de coalition. Cependant, au fil de la Vème République, l'homogénéité des gouvernements est plus grande comme en atteste la baisse globale des démissions ou des révocations politiques.

Une fois le gouvernement composé, son bon fonctionnement peut être attaqué par les domaines respectifs de chaque ministre. Les désaccords entre ministres sont de deux ordres : de ministère à  ministère (supra) et au sein des grands ministères. Pour ce qui est des désaccords au sein d'un grand ministère, l'ordre hiérarchique fixé dès l'origine indique les places respectives de chacun et apporte une grille générale de résolution des conflits. Ainsi, et plus généralement, la hiérarchie ministérielle issue du décret de nomination du gouvernement apporte une solution générale aux conflits de tous les jours qui peuvent miner la solidarité gouvernementale. La division du travail ministériel en secteurs prédéterminés et la hiérarchie gouvernementale sont donc des gages indispensables à  la solidarité gouvernementale là  où l'on pourrait penser qu'elles sont des facteurs de division, de frustration et d'individualisme.

Il convient enfin de signaler que la quantité de ministres entrants pour la première fois au gouvernement semble avoir une réelle influence sur sa solidarité. La solidarité est en effet un comportement collectif qu'il convient d'apprendre et qui ne semble pas être inné (contrairement à  l'individualisme). Un gouvernement composé de trop nombreux primo-arrivants serait soumis à  de nombreuses tensions durant ses premiers mois. Cela se manifeste par les fréquents remaniements (individuels ou par petits groupes) de début de mandature. Or le nombre de départs en début de mandature augmente encore lorsqu'une majorité revient au pouvoir après une longue absence. L'hypothèse que le comportement solidaire soit enseigné par les anciens aux nouveaux ministres est par ailleurs confirmée par plusieurs témoignages.

La réciprocité du partage des compétences entre les ministres et la responsabilisation de chaque ministre sont d'autres conditions nécessaires au maintien de la solidarité gouvernementale dans le temps. Cette pratique nouvelle qui rend chaque ministre responsable de sa gestion propre et qui lui offre un droit d'information sur les politiques menées par ses collègues, doit cependant être appliquée en considération des pouvoirs hiérarchiques du Président de la République, du Premier ministre et des quelques ministres dominants. Dans les faits, cette règle souffre quelques exceptions, certains ministres ayant des velléités interventionnistes dans la gestion des ministères qui ne leur sont pas dédiés. Lorsque le Premier ministre ne fait pas respecter la règle générale d'indépendance coordonnée de chaque ministre dans son propre ministère, les ministres visés peuvent choisir entre la soumission et la démission.

2. L'émergence d'une convention : être un ministre solidaire

En pratique, le système en vigueur aujourd'hui est finalement celui prôné et fixé comme règle par la IIIème République mais qui n'a jamais pu être atteint à  l'époque : concernant la politique générale, tous les ministres sont responsables ; en dehors de cette hypothèse, chacun est responsable de la gestion de son département. Dans ce cadre, il faut noter un autre changement important : un ministre doit avoir été solidaire du gouvernement passé pour pouvoir espérer participer au gouvernement suivant.

a. La nouvelle règle comportementale : non agression et assistance conditionnée

Des contraintes posées par le cadre juridique et de la pratique résulte une convention en matière de solidarité gouvernementale : la non agression et l'assistance conditionnée des ministres entre eux. Cette convention est exclusivement politique. Elle n'a qu'un but : éviter que les ministres, par un comportement individualiste, ne mettent en péril le gouvernement.

La solidarité gouvernementale telle qu'elle se pratique au jour le jour (et non pas dans sa forme extrême qu'est la responsabilité solidaire) est une forme tout à  fait spécifique de solidarité qui consiste à  ne nuire ni aux autres ni à  l'ensemble, mais qui n'impose pas spécialement l'entraide. Si l'expression n'était pas déjà  employée dans un autre sens, on pourrait dire qu'il s'agit d'une solidarité passive et non d'une solidarité active. Plus précisément, il est possible de définir la règle de la solidarité au sein du gouvernement par une double négation : non agression et non assistance. Concrètement, la tactique la plus répandue consiste à  affecter une indifférence assez marquée vis à  vis des autres départements ministériels, à  ne pas "faire de vagues" et à  laisser agir le Premier ministre sur la politique générale du gouvernement. Cet état de non agression et de non assistance ne signifie pas pour autant indifférence par rapport aux actions des autres ministres, il s'agit davantage d'un état de veille attentive pour pouvoir agir en tant que de besoin.

A cette norme générale, il convient d'apporter une exception qui ne s'applique qu'en cas de crise : la non agression et l'assistance temporaire. Sous la Vème République, un ministre ne doit en effet fournir assistance à  un autre ministre que lorsque le gouvernement entier est en danger du fait de l'action défaillante d'un ministre. Ces cas sont très rares et il existe de plus une tactique alternative particulièrement tentante : le sacrifice expiatoire du ministre fautif (supra).

b. Effectivité de la convention

Jouer contre la règle de la solidarité ainsi posée, c'est-à -dire principalement agresser un autre ministre ou se démarquer de l'opinion générale, constitue une prise de risque importante car c'est inciter sa hiérarchie au rappel à  l'ordre. Si le ministre refuse ensuite de se soumettre au rappel à  l'ordre en changeant de discours (tout au moins publiquement), la démission lui sera proposée et s'il la refuse, il s'engage vers un renvoi.

Si d'aventure un limogeage devait intervenir, cette sanction se concrétisera sur le long terme par l'impossibilité d'un rappel ultérieur au gouvernement. Ainsi à  la disparition de court terme du gouvernement, s'ajoutera celle, à  long terme, de l'institution gouvernementale. Cette règle ne souffre apparemment aucune exception sous la Vème République.

Pour éviter ces extrêmes, et parce que la démission permet tous les sous-entendus par son fonctionnement discret, la voie de l'abdication est favorisée en cas de désaccord persistant. Si la règle qui consiste à  démissionner en cas de divergence d'opinions est respectée, un retour au gouvernement sera possible comme en attestent les exemples de Maurice Schumann, Joseph Fontanet, Edgar Pisani, Edith Cresson, Michel Rocard, ou les précédents du "multirécidiviste" Jean-Pierre Chevènement. Ce retour au gouvernement après une démission n'a rien de nouveau, c'était même la règle sous les républiques antérieures, la nouveauté réside au contraire dans le fait qu'il s'agisse bien d'une option et non d'une certitude. Une estimation grossière fait en effet ressortir qu'une moitié seulement des ministres démissionnaires peuvent retrouver ensuite un maroquin. Cette probabilité pousse le ministre à  ne pas prendre sa décision à  la légère surtout s'il sait qu'un éventuel retour ne pourra s'effectuer qu'après une période de désert que traversera systématiquement le démissionnaire (souvent plusieurs années).

Malgré cette mise à  l'écart, le retour est possible et cela souligne le droit qu'ont les ministres de faire valoir leur point de vue, fût-ce en claquant la porte. Certains seront récompensés de leur honnêteté et de leur courage politique en revenant, et ce parfois même avec une promotion comme ce fut le cas pour Michel Rocard et Edith Cresson qui revinrent tous deux en obtenant le poste de Premier ministre ou comme l'attestent les retours au gouvernement de Jean-Pierre Chevènement dont les réapparitions furent toujours marquées par une progression dans la hiérarchie ministérielle.

Il convient d'ailleurs de signaler que parmi ses réapparitions au gouvernement, celle suite à  sa démission du poste de ministre la défense en 1991, est un peu à  part. Formellement il respecta en effet la règle en quittant cette fonction sans en être exclu ; un retour ultérieur était donc possible. La forme de sa démission cependant, et surtout la date très tardive, aurait pu choquer et laisser penser que si la règle avait été respectée, l'esprit avait été violé. Telle ne fut cependant pas l'interprétation retenue puisqu'il revint comme ministre de l'intérieur six ans plus tard, preuve supplémentaire que l'application de ces règles politiques est relative au poids politique individuel.

Tel est désormais le fonctionnement implicite en matière de solidarité gouvernementale. La gravité des peines appliquées correspond à  l'étendue de l'attaque effectuée : le rappel à  l'ordre est sans grande conséquence, la démission empêche dans environ un cas sur deux un retour, le renvoi implique un départ sans retour. Cette triple alternative a permis d'inverser la charge de la présomption par rapport au passé : désormais, le gouvernement est solidaire jusqu'à  preuve du contraire. Dès lors, la solidarité n'a pas à  être manifestée. Cette inversion de la perception par rapport aux républiques antérieures est une grande avancée en matière de solidarité et constitue un progrès considérable pour le fonctionnement général du gouvernement. Il faut toutefois garder à  l'esprit qu'il s'agit d'une forme très spécifique de solidarité basée principalement sur la non agression des ministres entre eux.

Dans cette optique, le changement opéré par rapport à  la solidarité ministérielle (avant 1958) est flagrant : la solidarité ministérielle était avant tout un mécanisme de coresponsabilité puisque tous les ministres pouvaient chuter pour la faute d'un seul. Désormais depuis 1958, la solidarité gouvernementale peut être en grande partie assimilée à  une pratique coercitive, à  une procédure disciplinaire dont l'objet est de contraindre un ministre pour d'une part, préserver l'ensemble d'une chute et pour assurer une cohérence interne, d'autre part.

Cette règle comportementale est bien une convention au sens où la définit Pierre Avril : il s'agit d'une norme non écrite et cette norme satisfait au test de Jennings. Cette règle ainsi posée répond par ailleurs à  d'autres critères introduits par Pierre Avril de façon indirecte au fil de son ouvrage : "les conventions introduisent une dimension quasi contractuelle dans l'application des règles constitutionnelles" (p. 110), "les normes de comportement que sont les conventions dépendent de la situation juridique" (p. 117), "la portée [d'une convention] n'est ni absolue ni immuable. Elle dépend en effet des conditions de sa mise en œuvre" (p. 116), "la convention naît des décisions prises par les acteurs politiques" (p. 123).

II. Les apports ambivalents du temps modèlent une solidarité gouvernementale à  éclipses

Alors que le droit et la pratique ont façonné un cadre largement favorable à  l'émergence puis au maintien de la solidarité gouvernementale, des effets de plus long terme ont apporté leur contribution stabilisatrice (A). Par conséquent parmi les quatre piliers identifiés dès le début de cette recherche, trois vont participer à  créer une solidarité gouvernementale efficace et vont donc contribuer à  former un gouvernement au sein duquel les ministres collaboreront et s'abstiendront à  la fois de comploter contre le gouvernement et d'agresser l'un d'entre eux. Malgré cette avancée notable et la stabilité globale atteinte, de nombreux facteurs conjoncturels peuvent pousser les ministres à  agir de façon individualiste (B). La force de ces éléments centrifuges est telle qu'elle peut temporairement atteindre la solidarité gouvernementale, l'équilibre global ne pouvant être atteint que par la stabilité simultanée des quatre piliers.

A. L'apport stabilisateur des effets de long terme

1. Le mode de scrutin : le socle de la solidarité gouvernementale

La condition qui est sans doute la plus essentielle à  la composition du gouvernement lui est extérieure, il s'agit du mode de scrutin retenu pour les élections législatives. Il est bien sûr possible sous la Vème République que le gouvernement ne soit pas l'exact reflet de l'Assemblée mais cette option a toujours un coût et mieux vaut respecter les équilibres dégagés par le suffrage universel.

Toute modification de notre mode de scrutin actuel vers une plus grande proportionnalisation pourrait donc atténuer la solidarité gouvernementale. Certes, celle-ci n'est pas véritablement menacée aujourd'hui et l'introduction d'une dose de proportionnelle, tant évoquée ces dernières années, ne modifierait sans doute pas la cohérence de l'ensemble. Sur le long terme cependant, les modes de scrutins ont toujours leur influence et celle-ci est bien connue : plus le scrutin proportionnel est prégnant plus la fragmentation de l'Assemblée est à  redouter. Accessoirement, le financement des partis politiques dépendant du nombre de voix obtenu et du nombre d'élus, l'introduction d'une dose de proportionnelle avantagerait aussi sur ce plan les petits partis. Ces modifications se retrouveraient mécaniquement retranscrites dans la composition du gouvernement même si des effets de seuil viendraient compenser ces inconvénients.

Quoi qu'il en soit, le mode de scrutin est essentiel à  la solidarité gouvernementale car il détermine à  lui seul une grande part du degré d'homogénéité de sa composition et donc de sa cohésion future.

Lorsque le mode de scrutin reste longtemps inchangé, ce critère semble perdre de son importance et n'apparaît être que secondaire. Il n'en est rien, ce critère reste le critère sur lequel repose la solidarité gouvernementale. L'exemple de l'élection de 1986 montre qu'il est cependant possible de supprimer cette base de la solidarité gouvernementale à  condition que cette suppression soit exceptionnelle et temporaire car ainsi ses effets funestes n'ont pas le temps d'entrer en action. A défaut, la solidarité sera progressivement, mais sûrement, réduite à  néant quelque efficaces que puissent être les autres moyens mis en œuvre pour inciter à  la solidarité.

2. Les consolidations imprévues et successives de l'ensemble

Trois consolidations imprévues se sont imposées avec le temps et participent aujourd'hui à  la définition de la Vème République telle que nous la connaissons, il s'agit du fait majoritaire, de la longévité gouvernementale et des alternances politiques. Chacun de ces éléments tend vers une plus grande affirmation de la solidarité des ministres entre eux. Ces phénomènes se sont accumulés lentement au fil des années et ils forment des strates successives qui solidifient l'ensemble déjà  dessiné par le droit et la pratique.

Si le fait majoritaire est utile à  l'Assemblée nationale, il assure également par sa présence la stabilité dans le temps de la solidarité gouvernementale. Sans fait majoritaire, les gouvernements seraient constitués de coalitions disparates et fluctuantes au gré des alliances, de partis faibles mais situés au centre de l'échiquier politique. La IIIème et surtout la IVème République avaient en ce domaine un handicap difficilement surmontable. La solidarité gouvernementale aurait peut-être pu apparaître et se maintenir sans le fait majoritaire (les toutes premières années de la Vème République font pencher en ce sens), mais cette présence simplifie et amplifie considérablement la donne. La bipolarisation de la vie politique française, accentuée encore par une tendance plus récente au bipartisme, participe aussi activement à  l'affirmation de la solidarité gouvernementale.

Les modifications effectuées lors de la création de la Vème République visant à  améliorer le fonctionnement gouvernemental et à  rationaliser le travail du Parlement ont fonctionné avec le succès que l'on sait. Parmi bien des conséquences, il convient de souligner l'augmentation de la longévité gouvernementale. Cette longévité des gouvernements a créé un phénomène de rareté de la fonction ministérielle, a diminué le turn-over et rend les fonctions ministérielles plus désirables que jamais. Or si chaque ministre souhaite intégrer le gouvernement puis y rester, la solidarité en est mécaniquement renforcée. La rareté et la longévité sont deux phénomènes qui s'entretiennent d'autant mieux que les ministres en place n'ont qu'une chance statistique mesurée de faire partie du gouvernement qui succédera à  celui auquel ils appartiennent, ce qui est le cas sous la Vème. Il faut pourtant tempérer cette affirmation en rappelant que la solidarité à  l'institution ne signifie pas la solidarité des ministres entre eux. Bien sûr, la solidarité à  l'ensemble gouvernemental n'est pas altruiste ; si chaque ministre agit solidairement c'est avant tout pour rester au gouvernement, et s'il le fait durer le plus longtemps possible c'est à  la fois pour profiter de l'instant présent et pour éviter le sort de ceux qui en sont sortis par la petite porte. Au plan du résultat global toutefois, peu importent les motivations de chacun, il suffit de constater que plusieurs phénomènes distincts se conjuguent et que le résultat de cette conjugaison est l'affirmation, toujours renforcée, de la solidarité gouvernementale.

Les alternances enfin, contribuent aux renforcements de long terme de la solidarité gouvernementale. La peur des ministres d'être renvoyés par les électeurs ainsi que la force d'une opposition crédible, créent des liens entre les ministres ainsi assiégés. Chaque alternance permet par ailleurs de renouveler les ministres et de séparer par un système de tamis successifs ceux qui pourront progresser dans la hiérarchie politique de ceux qui auront ainsi atteint leur apogée. Or parmi les critères de retour au gouvernement, celui de la solidarité avec le gouvernement antérieur s'est imposé.

B. L'influence désormais prédominante : la versatilité de la conjoncture politique

Comme nous venons de le voir, la solidarité gouvernementale sous la Vème République est la résultante globale de l'équilibre de quatre séries de facteurs interdépendants. Les facteurs des trois premières séries sont relativement stables dans le temps : le cadre juridique n'évolue que lentement, la pratique est déterminée pour une large part par les précédents, quant aux effets de long terme ils ne changent par définition que peu. Ces trois premières séries ont qui plus est, de facto, tendu vers une union toujours renforcée de la solidarité entre les ministres. Ainsi, la conjoncture politique globale va déterminer à  elle seule, le degré de cohésion générale du gouvernement. Cette dernière série, déterminante, a le défaut d'être évolutive ce qui engendre une solidarité gouvernementale apparemment très mouvante. Sur le long terme cependant, les troubles engendrés par la conjoncture ne suppriment pas la structure générale et sa stabilité globale. La difficulté d'analyse vient du fait que ces périodes d'instabilité sont particulièrement médiatisées et souvent importantes (comme à  l'approche des élections par exemple).

Par ailleurs, quelle que soit la conjoncture et quel que soit le système politique, le renforcement de la solidarité gouvernementale ne supprime pas les divisions de fond entre les ministres. Ces divisions sont de plusieurs ordres, elles peuvent être inhérentes à  la structure du régime parlementaire -comme c'est le cas lorsqu'existent des coalitions- ou voir le jour selon les décisions des électeurs. In fine sous la Vème République, ce sont donc les décisions des électeurs qui déterminent le plus un gouvernement vers la cohésion ou vers l'individualisme.

1. Les divisions ordinaires en régime parlementaire

Parmi les facteurs de division qui subsistent, un élément est constant et inévitable : chaque ministre doit assurer sa carrière et donc préparer son avenir dans un système compétitif. Tout l'objet des trois premières séries de facteurs était de compenser cet écueil incontournable en créant une union minimale -réelle ou artificielle- au sein d'une institution plurielle et divisée par essence. D'autres motifs de division s'ajoutent à  cet obstacle.

a. Le degré d'union interne de chaque parti du gouvernement

Si le gouvernement n'est pas une coalition de partis politiques, celui-ci n'en est pas moins divisé en diverses tendances et courants. Cette diversité parfaitement normale peut cependant prendre une tournure conflictuelle et tourner à  la confrontation. La situation du gouvernement de Villepin est à  cet égard exemplaire : les ministres villepinistes et sarkozystes se sont longtemps affrontés sans se défier ouvertement. L'opposition entre le numéro un et le numéro deux du gouvernement est devenue d'autant plus visible et réelle lorsque le second est revenu au gouvernement tout en dirigeant le parti de la majorité.

Cette situation peut être encore amplifiée lorsque deux candidats issus du même parti sont en concurrence pour une élection future. La division entre ministres balladuriens et chiraquiens en avait offert une parfaite illustration.

La pratique politique française préserve toutefois d'une redoutable division interne du gouvernement que l'on trouve parfois à  l'étranger lorsque le dauphin peut amener le Premier ministre en fonction à  se retirer. C'est évidemment le cas de Tony Blair poussé vers la sortie par Gordon Brown, comme Margaret Thatcher fut remplacée par John Major.

Les divisions de chaque parti se répercutent ensuite sur le gouvernement et leur nuisance sur la solidarité gouvernementale sera proportionnelle au poids du parti dans la coalition.

b. Les coalitions gouvernementales

Pour ce qui est des coalitions gouvernementales, la France est dans une position assez singulière d'une part car celles-ci sont fréquentes sans être pour autant systématiques et, d'autre part, car l'équilibre des forces au sein du gouvernement doit prendre en compte à  la fois le Président de la République et le Parlement.

Dans un premier temps il faut constater que les tensions au sein du gouvernement apparaîtront sous un jour différent selon que la coalition est forcée (pour cause de majorité relative) ou qu'elle est facultative, cette situation étant entièrement dépendante des résultats électoraux. Selon le cas, la charge de la solidarité ne pèse pas sur les mêmes. Si la coalition est forcée, la charge de la solidarité pèse sur tous les ministres, chacun devant faire des concessions pour maintenir la cohésion, source de l'existence du gouvernement. Si au contraire la coalition est facultative, qu'elle correspond à  une forme d'élégance, à  des remerciements ou à  une assurance sur le long terme, alors la charge de la cohésion pèse principalement -éventuellement uniquement- sur les ministres issus du parti minoritaire. Ces dernières coalitions sont nécessairement plus larges que les premières et, cumulant le handicap de la largeur de la majorité et celui du caractère facultatif, elles seront bien plus délicates à  discipliner que les coalitions étroites.
Indépendamment d'ailleurs de l'existence d'une coalition, la largeur de la majorité est, en soi, un critère qui influe sur la solidarité gouvernementale car une large majorité aura facilement tendance à  se diviser (ne serait-ce que parce qu'elle comprend plus de courants), alors qu'une majorité étroite sera forcée à  d'autant plus d'union que sa survie en dépend.

En coalition, le parti minoritaire est systématiquement contraint de se démarquer pour continuer à  faire vivre sa spécificité. Ces querelles internes à  la coalition étant toujours présentes, elles sont par conséquent canalisées et très ritualisées : d'une part le conflit doit être aussi intense que le permet la conjoncture politique et, d'autre part, le rôle de chacun dans le combat est défini par sa place dans le parti. Les ministres doivent non seulement s'exclure de cette guérilla, mais ils doivent -officiellement- la limiter en appelant à  l'union. Un ministre ne peut guerroyer car il est un porte-parole de son parti et toute dissension organisée ou relayée par lui remet obligatoirement en cause l'alliance dans son ensemble. Dans ce contexte de conflit inévitable et organisé, une rupture a cependant été opérée le 16 mai 2006 par le vote d'un tiers du groupe UDF d'une motion de censure contre le gouvernement auquel il participait. Il résulte de ce précédent qu'une alliance peut survivre à  ce vote, mais que les conséquences de moyen terme sont incalculables (la plus marquante est la division de l'UDF en MoDem et Nouveau Centre).

Du fait de cette contestation continue, les ministres du parti minoritaire doivent posséder des qualités d'acrobates, une des facettes de leur fonction étant d'assurer la solidité des liens avec le parti majoritaire tout en préservant la spécificité de la minorité. Dans cette fonction acrobatique, deux catégories de ministres se dessinent : ceux qui parviennent à  créer des liens entre les partis, et ceux qui n'y arrivent pas (et dont on pourrait par conséquent se passer). Au titre des premiers il convient de ranger Gilles de Robien qui a réussi à  maintenir une coalition facultative en place, alors qu'une règle avait pourtant été transgressée. Dans cette catégorie, il faut également intégrer Joshka Fischer qui a réussi à  maintenir les Verts allemands dans le gouvernement Schröder au prix d'un dangereux chantage. Au titre des seconds, doivent être classés tous les ministres dont la force de conviction personnelle ne suffit pas à  maintenir des liens entre deux partis de la majorité. Si un ministre d'un parti minoritaire échoue dans cette fonction, sa position sera moins bien assurée, preuve supplémentaire que sur les ministres issus du parti minoritaire pèsent plus de contraintes que sur les ministres issus du parti majoritaire. Cette dissociation entre les ministres qui réussissent à  créer des liens entre les partis et ceux qui échouent dans cette fonction souligne l'importance cruciale des acteurs politiques, ce indépendamment de la structure juridique et de la conjoncture politique dont l'influence respective ne doit pas pour autant être diminuée.

L'importance de la marge de manœuvre des acteurs est aussi largement déterminée par la conjoncture et c'est très certainement dans le cadre des coalitions facultatives que les influences combinées du Président de la République, du Premier ministre et des ministres -spécialement de ceux de la minorité- sur la solidarité gouvernementale trouvent le plus à  s'exprimer. Les marges de manœuvres individuelles sont en outre déterminées par des différences de traditions. Ainsi les gouvernements de gauche mettent d'ordinaire plus à  l'épreuve les coalitions gouvernementales que les gouvernements de droite. Ces habitudes ne sont pourtant pas figées comme en témoigne la place singulière de l'UDF sous le second mandat de Jacques Chirac : à  la participation très démarquée de François Bayrou s'opposa celle indéfectible de Gilles de Robien.

D'un point du vue technique, il faut au passage constater que l'article 49.3 (et dans une moindre mesure le vote bloqué), renforce la cohésion des coalitions car il permet à  chacun d'atteindre son principal objectif : le parti majoritaire peut agir et le parti minoritaire peut se démarquer sans avoir à  rompre l'alliance.

c. L'approche des élections

L'influence de l'approche des élections sur la solidarité gouvernementale doit également être évaluée. Or l'approche des élections se prête mal à  la généralisation car de nombreux critères entrent en jeu.

Le type de l'élection est crucial : l'élection présidentielle va tendre à  diviser les coalitions là  où les élections cantonales auront une influence mineure. Entre ces deux extrêmes, il faudra ensuite évaluer la situation au cas par cas en fonction des alliances et de la conjoncture du moment. La règle générale peut cependant être formulée de la façon suivante : l'approche d'élections nationales d'envergure tend à  diviser les ministres entre eux ; l'approche d'élections de second plan a une influence secondaire. A cette règle générale, on peut en ajouter une deuxième : plus les élections qui divisent sont proches, plus la division s'accroît.

D'autre part, une fois le premier tour passé, les différents partis politiques sont mécaniquement rapprochés les uns des autres par la perspective du second tour. Ce rapprochement général n'a pas nécessairement d'effet sur la solidarité gouvernementale puisque la tradition républicaine pousse à  la démission du gouvernement. Ainsi, selon la situation politique du moment et leur situation propre, les ministres sont tentés d'être solidaires (s'ils visent un nouveau poste) ou ils peuvent au contraire être incités à  régler leurs comptes (voir l'exemple d'Azouz Begag).

Par conséquent, s'il n'est pas aisé de déterminer à  l'avance comment l'approche des élections va influer sur la solidarité gouvernementale, il est en revanche essentiel de ne pas négliger la force de ce facteur, cause potentielle de véritables ravages (les divisions entre villepinistes et sarkozystes n'en furent qu'une illustration).

A toutes ces divisions classiques s'ajoutent celles inhérentes à  la Vème République.

2. Les scissions propres à  la Vème République

a. Les divisions dans le couple Président - Premier ministre

Le bicéphalisme de l'exécutif, caractéristique de la Vème République, peut être en lui-même une cause de division du gouvernement. Assez logiquement, le degré de division du couple Président - Premier ministre influence directement le degré de division du gouvernement et celui-ci agit tant sur les nominations des ministres que sur les décisions courantes. Une entente minimale doit par conséquent subsister même quand des ruptures existent. Ces scissions peuvent revêtir deux formes, une forme visible (la cohabitation) qui va curieusement souder le gouvernement, et une forme larvée (la cohabitation interne) qui va au contraire mettre la solidarité en péril.

La cohabitation a tendance à  unir les ministres alors même que l'opposition entre le Président de la République et le Premier ministre est affichée. Cette situation paradoxale s'explique précisément par cet affrontement constant qui force le gouvernement à  une coordination plus poussée qu'en temps de concordance des majorités. Le conseil des ministres étant le lieu de friction principal et institutionnel de la cohabitation, les éventuelles dissidences au sein du gouvernement doivent être désamorcées avant le mercredi, ce qui force la création de canaux d'aplanissement des opinions. Ainsi, la contrainte de l'affrontement constant a-t-elle pour vertu de liguer les ministres plus aisément que ne le fait une situation sans aiguillon régulier. Cette solidarité est spécifique, elle peut se résumer aisément : tous contre un. La conséquence de cette organisation est singulière : elle aboutit à  donner une importance fondamentale au conseil des ministres avant qu'il ne se tienne, pour réduire ensuite celui-ci à  son expression la plus formelle lors de son déroulement.

Une autre situation mérite d'être détaillée : la cohabitation interne. Cette particularité se présente lorsque le chef de l'Etat ne s'entend pas spécialement bien avec son Premier ministre alors qu'ils sont cependant de la même couleur politique. Deux exemples viennent immédiatement à  l'esprit : le premier gouvernement Chirac et le gouvernement Rocard.
Dans ces cas, la mésentente entre les deux autorités suprêmes met la solidarité gouvernementale à  rude épreuve, ne serait-ce qu'au niveau de la composition gouvernementale qui distingue les hommes du Président des hommes du Premier ministre.

En dehors des situations critiques où le gouvernement risque d'être renversé, le principe de non agression des ministres entre eux devient largement théorique et surtout médiatique : il n'importe pas de s'empêcher de critiquer, il faut principalement éviter d'être pris dans la posture de l'agresseur.

Ainsi, et contrairement à  ce que l'on pourrait penser de prime abord, la cohabitation interne met bien plus à  l'épreuve la solidarité gouvernementale que la cohabitation.

b. L'absence de programme de gouvernement

Le programme du gouvernement de l'art. 49 al. 1 a été conçu pour fixer des objectifs de travail au gouvernement et pour établir des comportements entre les membres de la coalition. Il devrait donc rapprocher les ministres en poussant à  la démission ceux qui sont en désaccord avec le programme ou avec son exécution. Une fois ce programme originel posé qu'adviendrait-il en cas de changement de cap ? Les ministres pourraient-ils s'opposer à  ce changement ? Dans un régime parlementaire ordinaire, les ministres n'auraient pas à  le faire car le nouveau programme devrait être exposé au Parlement qui trancherait la question. Mais sous la Vème République, il faut constater qu'il n'y a que bien peu de programmes. En effet, si l'art. 49 prévoit dans son premier alinéa une alternative entre le programme du gouvernement "ou éventuellement une déclaration de politique générale", il faut constater l'absence quantitative des programmes de gouvernement : sur les 32 utilisations faites de la question de confiance sous la Vème République, seules 5 furent effectuées sur un programme. De plus, le dernier Premier ministre à  avoir utilisé le programme de gouvernement est Pierre Mauroy en 1982, soit une absence totale depuis plus de 25 ans.

Cette faiblesse quantitative globale et la disparition plus générale du "programme" n'est d'ailleurs pas propre à  la scène parlementaire ainsi qu'en atteste la campagne présidentielle de Ségolène Royal en 2007 et son "pacte présidentiel". Une hypothèse peut être avancée quant à  cette absence : le programme engage trop. Ce mot revient en effet à  fixer des objectifs qui ne manqueront pas, en fin de mandat, d'être comparés à  la situation du moment. Dans ces conditions, il est bien plus prudent de s'engager non sur des objectifs mais sur des comportements, sur une éthique générale que reflète mieux le caractère très généraliste -et largement inexploitable- de la déclaration de politique générale. A la démarche par objectifs prévue par la constitution, s'est substituée une démarche comportementaliste qui, en terme de management et de gestion d'équipe, n'est ni productive ni motivante.

La disparition du programme s'explique aussi par le fait qu'un parti, et a fortiori une coalition, place le programme bien loin derrière les hommes dans l'ordre des préoccupations.

En l'absence de programme de gouvernement sur quels fondements s'élaborent les politiques et sur quelle base se gèrent les conflits ?
Concernant les coalitions, la réponse fut longtemps apportée par les accords mutuels de désistement entre partis du même bord politique vis à  vis du candidat placé en tête, "accords que l'on nomm[a], improprement, des primaires".
L'équilibrage entre les programmes des partis était ainsi défini par les choix des électeurs. Ces programmes de coalition tacites, fondés sur les programmes des partis, sont aujourd'hui incertains du fait de l'évolution radicale du système partisan. Quant aux programmes effectifs des gouvernements il s'avère désormais qu'ils ne sont plus fixés que par le Président de la République et/ou le Premier ministre ; la présidentialisation du régime et le bipartisme naissant poussent en ce sens. Les ministres sont fortement incités à  suivre.

Au-delà  d'un éventuel regret créé par l'absence d'un texte fondateur approuvé par le Parlement, le manque d'une référence pour trancher les litiges entre ministres peut se faire ressentir. Il apparaît malgré tout que la solidarité gouvernementale s'accommode aisément de cette lacune, qui d'ailleurs ne saurait tout prévoir ni tout prévenir, mais qui aurait tout de même le triple mérite de fixer une règle générale, de rehausser le prestige parlementaire et d'orienter les électeurs. Cette formalisation d'un accord gouvernemental serait d'autant plus pertinente qu'elle interviendrait nécessairement, aux termes de l'art. 49, après une délibération du conseil des ministres dont on pourrait espérer qu'il ne serait pas alors une instance d'enregistrement des volontés supérieures.

Quelles que soient ces contrariétés, il faut reconnaître que les partis politiques exploitent parfaitement ce flou qui est donc une forme de compromis dilatoire. A moyen terme -dès que les difficultés surgissent-, la confrontation entre partis est presque toujours emportée par le parti le plus fort mais cela n'a finalement qu'une faible importance car pendant le délai ainsi obtenu, les gouvernements auront pu vivre et agir.

La solidarité gouvernementale sous la Vème République se caractérise par une nouvelle convention qui proscrit aux ministres de mettre en péril l'ensemble gouvernemental. Cette convention prend la forme d'une procédure disciplinaire dont l'objet est double : protéger le gouvernement des inévitables comportements digressifs et sanctionner individuellement le ministre coupable.

Le mécanisme de responsabilité solidaire des ministres a certes été maintenu dans l'article 49 de la constitution mais son utilité actuelle est plus symbolique que réelle, les gouvernements n'étant plus véritablement menacés. La solidarité gouvernementale a donc pris une nouvelle forme et dans ce cadre, la responsabilité politique des ministres n'est plus véritablement collective mais est désormais essentiellement individuelle.

Au plan du résultat obtenu, celui-ci est radicalement différent des républiques antérieures puisque la cohésion des ministres entre eux est suffisante, tant pour l'action que pour le maintien du gouvernement.

D'un point de vue général, cette situation est tout à  fait satisfaisante car la solidarité gouvernementale ménage deux aspirations contraires : elle assure l'expression et la liberté individuelle des ministres, tout en maintenant une équipe raisonnablement soudée. Cette alchimie est d'autant plus remarquable qu'elle repose sur plusieurs équilibres empiriques distincts, et que l'un d'eux est déterminé par les décisions versatiles des électeurs.

Christophe de Nantois est docteur en droit de l'Université Paris X (Nanterre).

Pour citer cet article :

Christophe de Nantois « La solidarité gouvernementale sous la Vème République : se soumettre, se démettre ou disparaître », Jus Politicum, n°2 [https://juspoliticum.com/articles/La-solidarite-gouvernementale-sous-la-Veme-Republique-se-soumettre-se-demettre-ou-disparaitre]