Pour en finir avec la crise de la représentation
La notion de crise de la représentation, sans cesse invoquée aujourd’hui, repose sur une double illusion. Le malaise dont elle est censée rendre compte est en effet inhérent aux sociétés politiques modernes et n’implique aucune remise en cause des mécanismes représentatifs. Inhérent, car cette « crise » ne traduit pas une dégradation conjoncturelle mais une tension structurelle entre les diverses acceptions du terme « représenter ». Le système représentatif n’en est cependant pas affecté car on ne lui connaît pas d’alternative. Il tend même à se renforcer dans les faits, bien que son ambiguïté propre, conjuguée aux incertitudes qui affectent la notion de démocratie, brouillent les repères et rendent sa définition juridique de plus en plus difficile.
Let’s get it over with the so-called crisis of representationThe widely-held idea that there is a crisis in the representative system lies on a double illusion. The social malaise supposedly conveyed by this idea is in fact inherent to modern political societies and does not imply a questioning of the mechanism of the representation. Indeed, the so-called crisis does not show a conjectural degradation, but a structural tension between the different meanings of the verb “to represent”. The representative system cannot be affected because there is no other known alternative. In practice, it tends to be even reinforced, although its own ambiguity, combined with the uncertainty that affects the notion of democracy, confuses the issue and makes its juridical definition increasingly difficult.
Schluss mit dem Schlagwort der ,,Krise der Repräsentation'' !Die weit verbreitete Idee einer Krise der Repräsentation gründet auf einer doppelten Illusion. Das Unbehagen, das sie widerspiegeln soll, ist den modernen politischen Gesellschaften schlechthin inhärent und impliziert überhaupt keine Infragestellung der repräsentativen Mechanismen. Inhärent, weil diese ,,Krise'' keine konjunkturelle Verschlechterung, sondern eine strukturelle Spannung zwischen den verschiedenen Bedeutungen des Wortes ,,repräsentieren" ausdrückt. Das Repräsentativsystem wird dadurch jedoch nicht berührt, denn man kann ihm keine Alternative entgegenstellen. Ja, es verstärkt sich sogar in der Praxis, obwohl seine eigene Zwiespältigkeit und die Ungewissheit des Demokratiebegriffs seine juristische Definition immer schwieriger machen.
Dans la vulgate politico-journalistique qui tient aujourd’hui une place si considérable au sein de ce que l’on appelle traditionnellement Droit constitutionnel, peu de formules ont rencontré un succès égal à la « crise de la représentation ». Le phénomène, bien que déploré depuis des décennies, est généralement présenté comme caractéristique des temps présents. Regardé tantôt comme une cause, tantôt comme un symptôme, il se manifesterait d’abord par un accroissement considérable de l’abstention. Mais il traduirait plus profondément une désaffection croissante à l’égard du système politique, mesurée par les sondages et exprimée par le déferlement, sur Internet, des frustrations collectives et opinions dissidentes. Les citoyens auraient le sentiment d’être mal représentés – et l’on va voir que ces mots sont en effet particulièrement bien choisis pour exprimer un malaise. À la maladie ainsi diagnostiquée existeraient des remèdes : une meilleure représentativité ou le développement d’une démocratie participative.
Le discours présumé savant s’est également saisi de cette problématique. On ne saurait en effet opposer de façon simple un « droit constitutionnel » des politiciens et des journalistes au « droit constitutionnel » de la doctrine. Car, au-delà de différences évidentes – hélas plus marquées parfois dans la technicité du vocabulaire que dans la hauteur du propos – il est clair qu’existe une influence – évidemment à sens unique – de l’une sur l’autre. La « crise de la représentation » a ainsi été élevée au rang de sujet de colloques et de thèses, soutenues il est vrai avec des bonheurs divers.
Au premier niveau donc, la « crise de la représentation » est une variation sur un thème du sens commun, la comparaison sincèrement désolée entre le bon vieux temps et la décadence déplorable des temps actuels : jadis les représentés acceptaient la représentation parce que les représentants étaient représentatifs. Aujourd’hui il n’en est plus ainsi. Seul un retour à la représentativité des représentants serait de nature à restaurer la communion des représentés avec ceux-ci. Transposée au niveau « doctrinal », cette analyse va s’articuler autour de l’opposition entre le sens que les révolutionnaires avaient conféré à la représentation et que résume le mot de Barnave « Vouloir pour la Nation » d’une part, et le sens moderne, où ont disparu à la fois l’idée de volonté et celle de mandat représentatif d’autre part.
Or ces deux conceptions sont évidemment insoutenables. La première ne mérite même pas d’être réfutée : quel historien sérieux a jamais rencontré le bon vieux temps ? La seconde part de données effectives, mais l’usage qu’elle en fait est manifestement erroné. D’abord parce qu’elle se coule, sans en avoir conscience, dans le même schéma binaire : elle suppose un avant, où les concepts étaient connus et compris, et un après marqué par une perte des repères et une confusion intellectuelle croissante. Cette vision, fréquente en histoire constitutionnelle, n’est pas totalement fallacieuse ici, même si elle simplifie considérablement des réalités plus complexes, confuses et anciennes qu’on ne le croit d’ordinaire. Mais elle comporte le grave inconvénient de mettre en relation des phénomènes qui ne se situent pas sur le même plan. Car dans le premier cas on évoque une théorie juridique (les représentants veulent pour la Nation), qui produit des conséquences de droit, et dans le second une dissonance politico-affective (les représentants ne nous représentent pas), dont l’exacte portée demeure incertaine. Ce parallèle, en lui-même problématique, ne serait d’ailleurs démonstratif qu’à condition de supposer, tout à fait arbitrairement, que le postulat juridique ne suscitait autrefois aucun malaise et qu’il est aujourd’hui complètement obsolète, bref qu’à une représentation sans crise a succédé une crise sans représentation.
En outre, et plus généralement, parler de crise implique trois présupposés. Il faut d’abord admettre que la représentation existe, car on ne saurait être en crise sans exister. Il faut, deuxièmement, que l’on sache ce qu’est la représentation, car si l’on passe directement à l’examen de la crise, ses symptômes et ses remèdes, c’est que l’on a déjà identifié l’objet en crise. Enfin la thèse de la crise implique que le mal n’est pas inhérent à l’objet mais constitue au contraire un état pathologique dont la cause, externe, peut être découverte et supprimée. Or il paraît particulièrement difficile d’accepter ces présupposés dans le cas considéré. Certes on peut admettre que la représentation existe, ou du moins qu’il existe au moins une chose que l’on appelle « représentation ». Mais n’en existe-t-il pas plusieurs ? L’être et l’un étant convertibles, comme disait Aristote, la question de l’existence de l’objet n’est pas séparable de celle de sa nature. L’existence de plusieurs objets confondus sous le nom unique de représentation rendrait d’emblée problématique la thèse d’une crise de la représentation : s’il y a plusieurs représentations, y a-t-il plusieurs crises ? Crise de plusieurs, ou d’une seule ? L’hypothèse pathologique est également fragilisée : à l’idée d’une crise conjoncturelle il faudrait sans doute substituer la possibilité d’une tension structurelle entre les divers sens qu’assume le terme unique de représentation.
Ces remarques ne préjugent en rien des réponses à donner aux diverses questions que pose l’idée de représentation. Mais elles suggèrent une méthode. Il ne sert à rien de partir d’une définition de la représentation pour voir si elle correspond ou pas au réel ni d’interpréter comme une dérive tout ce qui n’entrerait pas dans un schéma préétabli. Une telle définition serait normative, explicitement ou implicitement. Dans la meilleure hypothèse – autrement dit si son caractère arbitraire était consciemment assumé – elle serait « stipulative » : elle offrirait une élucidation (partielle, car une élucidation complète du definiendum supposerait celle du definiens et impliquerait donc régression à l’infini) du langage de l’auteur. Une telle démarche, qui demeure à l’intérieur du langage, peut contribuer à éclaircir le débat mais non à faire progresser la compréhension du phénomène. La question ne porte en effet nullement sur le sens qu’un auteur accorde au terme « représentation », mais sur l’usage commun auquel un locuteur quelconque de la langue se réfère aujourd’hui, et qu’il emploie en pensant peut-être à tort comprendre et être compris. Cet usage n’étant manifestement pas unifié, il faut essayer de percevoir les diverses significations impliquées par les emplois distincts du terme. Une telle méthode, qui revient à déterminer le sens d’un mot par le sens des phrases où il s’inscrit, peut paraître aller à rebours de la démarche juridique qui implique de définir les termes pour construire des phrases ayant un sens et un sens juridique. Mais c’est précisément ce que l’on ne saurait faire ici sans supposer le problème résolu. Il convient donc d’abord, semble-t-il, de s’interroger sur les diverses significations qu’assume le mot « représentation » dans son emploi politico-juridique et sur leur articulation. La grille d’interprétation ainsi constituée sera mise à l’épreuve dans l’analyse de quelques questions contemporaines. Il apparaîtra ainsi que la crise supposée n’est pas de nature à remettre en cause le règne sans partage de la représentation. On conclura en montrant que l’histoire contrastée des concepts de représentation et de démocratie illustre une opposition pertinente pour la théorie constitutionnelle.
Comme beaucoup de mots français qui possèdent une terminaison en –tion, le terme « représentation » désigne à la fois un état (le fait d’être représenté) et un processus (le fait de représenter). Cette hésitation entre deux significations n’entraîne pas de contradiction, car l’état peut être le résultat (objectif) ou le but (subjectif) du processus. Mais elle provoque une tension potentielle, car l’état peut faire oublier le processus qui l’a engendré et le processus est susceptible de n’avoir pas de terme, si bien qu’il ne se transforme jamais en état. Dans le cas de la représentation, il semble à première vue que le processus de représentation définisse l’état de représentation, qui lui-même définit le représentant et lui confère son caractère représentatif. Mais on va voir que si, dans un ou deux sens du terme, c’est le processus de représentation qui rend le représentant représentatif, dans un autre c’est le caractère représentatif qui fait (ou du moins devrait faire) le représentant. On ne peut cependant commencer l’analyse en préjugeant de ses conclusions. La seule ressource est donc de se demander quels synonymes ou équivalents permettent de remplacer le mot « représentation » (entendu comme état-processus) dans les phrases où il est utilisé sans en altérer la valeur de vérité.
Il semble qu’on puisse en distinguer trois : la représentation est le fait ou l’action de tenir lieu, le fait ou l’action de porter la parole d’autrui, enfin le fait de ressembler (dans l’instant et dans la durée) à autrui. Ces trois points doivent être considérés en détail, dans leurs différences, leurs nuances, leurs éventuelles contradictions. Mais il est également nécessaire de prendre en compte la représentation considérée au sens étroit et précis de processus : ne pas le faire conduirait en effet à occulter la question de l’agent de la représentation, autrement dit de celui qui décide qui est représentant, qui est représenté, quels rapport existent entre eux et par conséquent ce qu’est la représentation. On doit observer qui est le sujet du verbe « représenter », et donc distinguer une représentation à la deuxième, à la première et à la troisième personne.
Dans un premier sens, le mot « représentation » peut donc être compris comme désignant le fait qu’un individu tient lieu d’un autre, autrement dit le remplace dans une fonction ou une activité que ce dernier n’accomplit pas lui-même. Il convient d’observer que cette faculté de tenir lieu, attribuée à certains individus, ne saurait être générale. Certes le mot « représenter » peut être employé absolument. Sous l’Ancien régime les Parlements représentent le roi. Il est également admis que le Roi représente le peuple. Bossuet dit par exemple que « tout l’État est en la personne du prince. En lui est la puissance. En lui est la volonté de tout le peuple ». Mais il n’en résulte pas que le roi dispose d’un mandat général : il ne représente ses sujets que dans la mesure où il prend des décisions qui, au niveau de l’État, engagent la collectivité. En revanche il ne vit pas, ne meurt pas, ne se marie pas, ne procède pas à un achat ou à une vente, n’engage pas un domestique, etc., à la place de ses sujets. Dans la théorie de la représentation qui prévaut sous la Constituante, les représentants veulent pour la Nation, mais seulement dans la mesure où ils adoptent des lois à sa place. En ce premier sens, la représentation est donc une relation trivalente : c’est le fait que x accomplisse z à la place de y.
Cette formule générale recouvre cependant divers cas de figure. Car, selon les rapports qui s’établissent entre les variables, tenir lieu peut être pris en plusieurs acceptions qui ne sont pas strictement équivalentes : suppléer, se substituer à ou faire exister.
Un individu supplée un autre s’il exécute à sa place une tâche que ce dernier est empêché d’accomplir pour des raisons conjoncturelles mais que, dans d’autres circonstances, il aurait pu accomplir lui-même. Le modèle canonique est le mandat ou procuration défini par l’article 1984 du Code civil où x reçoit mandat de y afin que celui-ci accomplisse en son lieu et place l’acte juridique z. Ainsi une personne qui ne peut voter aux élections donne procuration à une autre pour qu’elle vote en son nom. On peut étendre la formule à la représentation d’enfants en bas âge, d’aliénés ou d’incapables qui pourraient accomplir les actes opérés par leurs représentants s’ils étaient adultes, sains d’esprit ou jouissaient de la capacité juridique.
Deuxièmement tenir lieu peut équivaloir à se substituer à . Dans ce cas il y a véritablement dépossession : le représenté ne peut pas, même idéalement, prendre, ou plutôt reprendre, la place du représentant. La tâche z est accomplie au nom de l’individu y, mais elle ne peut l’être que par le représentant x. C’est en ce sens que les parlementaires prétendent, sous l’Ancien régime, représenter le roi, puisqu’ils considèrent que « représenté au Parlement par des « prêtres » [de la justice], le souverain est placé dans l’obligation de leur abandonner la régulation complète de la justice royale » et s’opposent aux évocations, aux appels, à la cassation devant le Conseil privé. Cette hypothèse a été illustrée plus récemment par la théorie du mandat représentatif. Les représentés ne peuvent annuler le mandat qu’ils sont censés avoir donné aux représentants, ni influencer ceux-ci dans l’exécution de celui-là . Ils ne peuvent pas non plus poursuivre en justice leurs représentants au motif que ceux-ci n’ont pas voté au Parlement dans le sens qui leur paraissait souhaitable. Un tel mandat, que l’on présente en général comme lié à la théorie de la souveraineté nationale, n’est pas logiquement incompatible avec l’idée de souveraineté du peuple, car il est possible de considérer que cette souveraineté se limite au pouvoir de désigner souverainement ses représentants. La prohibition du mandat impératif, posée par l’article 27 de la Constitution de 1958, implique d’ailleurs que les parlementaires disposent à l’époque contemporaine d’un mandat juridiquement représentatif.
Le troisième synonyme de tenir lieu est faire exister. Dans ce cas le représentant tient lieu d’une entité idéale qui ne préexiste pas à sa représentation mais au contraire n’existe que par celle-ci. Ce qui est représenté ne pouvant par hypothèse être présenté, le phénomène est à la lettre une représentation sans présentation. La théorie de la souveraineté nationale en est l’exemple canonique. Mais la théorie jacobine de la représentation, bien qu’avec des présupposés et des objectifs en principe inverses, illustre, comme l’a montré Lucien Jaume, le même schéma : la Convention épurée et le Comité de salut public représentent le peuple tel qu’il devrait être et non le peuple réel, susceptible de céder au fédéralisme, au modérantisme, etc.. Comme le proclame Billaud-Varenne, « il faut, pour ainsi dire, recréer le peuple qu’on veut rendre à la liberté ». La formule de Patrice Gueniffey, la « représentation d’un peuple qui n’existe pas encore, contre le peuple qui existe » résume parfaitement cette idée. Lénine reprendra la même logique : considérant que le prolétariat réel s’abandonne fatalement au réformisme et au trade-unionisme, il affirme que le parti communiste ne doit pas être un parti ouvrier, qui traduirait mécaniquement (et démocratiquement) les pesanteurs sociologiques des prolétaires, mais un parti de la classe ouvrière, c’est-à -dire de la vraie classe ouvrière telle que Marx l’a pensée et dont il a défini le rôle providentiel et prométhéen : accomplir, avec l’avènement de la société sans classes, la fin, aux deux sens du terme, de l’histoire. Avec ce troisième cas, la représentation au sens de tenir lieu atteint les limites du concept puisque l’entité que l’on dit représentée n’est qu’un être de langage, insusceptible par nature de contredire ses représentants : la représentation se confond ainsi avec la souveraineté.
Dans une seconde hypothèse, cependant, représenter n’est plus tenir lieu, mais porter la parole d’un individu ou d’un groupe d’individus. Cela suppose, dans le second cas, que le groupe ait quelque chose à dire, donc, comme le remarquait Georges Burdeau, qu’il « pense et veuille quelque chose ». D’autre part porter la parole n’a de sens que si la parole de quelqu’un est portée à un autre, susceptible de l’entendre et d’en tenir compte. On a donc de nouveau une relation trivalente : x est porte-parole de y auprès de z. À la différence de la précédente acception, qui peut s’incarner en un régime juridique, celle-ci a un sens politique et psychologique. Il serait en effet artificiel d’y rattacher le mandat impératif. Car le titulaire d’un mandat impératif porte la parole au sens où le facteur porte les lettres – comme un messager qui est censé délivrer le message mais pas le modifier ou l’interpréter. Le porteur de mandat impératif doit donc plutôt, malgré l’apparence, être rangé dans la catégorie précédente : il tient lieu des auteurs du message, mais au sens de suppléer – il leur évite de porter le message eux-mêmes – et non au sens de se substituer à . L’opposition des deux types de mandats se situe donc à l’intérieur de la première acception retenue et non dans la seconde. Autrement dit il faut prendre l’idée de porte-parole au sens d’avocat et non de porte-voix. Tel est bien le contenu psychologique de la notion de représentation prise ainsi : sera considéré comme le représentant d’un groupe humain (socioprofessionnel, linguistique, ethnique, religieux, etc.) celui qui fait valoir le point de vue de ce groupe auprès d’instances de décision. Quand des individus répondent à une question telle que : « Avez-vous l’impression d’être bien représentés ? », c’est à ce sens là que sondeurs et sondés font implicitement référence. Et les « personnes interrogées » répondent « oui » ou « non » selon qu’elles ont ou non l’impression que leur point de vue et leurs intérêts sont bien ou mal défendus là où les décisions sont prises. On peut d’ailleurs observer que la relation de représentation ainsi définie est susceptible d’être à double face. Dans ce cas le porte-parole devient un intermédiaire. Les Parlements d’Ancien régime se concevaient comme double représentant. Ainsi le Parlement de Bretagne déclare que « Le Parlement ne parle jamais à la Nation qu’au nom du Roi, et de même il ne parle jamais à son Roi qu’au nom de la Nation ». Les parlementaires des partis au pouvoir sont encore censés jouer ce rôle, bien qu’en pratique ils se fassent de moins en moins les avocats du pouvoir de crainte d’attirer sur eux le mécontentement endémique envers les gouvernants qui caractérise les sociétés contemporaines. Mais ils jouent ce rôle auprès des militants, quand il en reste.
Ce deuxième sens du mot « représentation » est également pertinent pour rendre compte de formules comme celle de l’article 24 alinéa 4 de la Constitution de 1958 aux termes duquel « Le Sénat (…) assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Représentation ne saurait en effet ici signifier tenir lieu ou vouloir pour. En tant que législateurs, les sénateurs veulent aussi pour la Nation et les députés aussi pour les collectivités territoriales. L’idée de ressemblance, que l’on va considérer plus loin, est également inadéquate : un sénateur ne ressemble en aucun sens concevable à une collectivité territoriale. On pourrait exiger que le Sénat ressemble aux collectivités, autrement dit qu’il compte en ses rangs un pourcentage de maires de grandes villes équivalents au pourcentage des habitants de celles-ci dans le pays ou une représentation équitable des représentants des communes, des départements et des régions, etc., mais cette idée – difficile à mettre en œuvre – n’a jusqu’ici, semble-t-il, guère été soutenue. Les sénateurs sont donc, ou sont présumés être, les porte-paroles des collectivités territoriales.
L’idée de « représentation des territoires », aujourd’hui fréquemment évoquée, peut s’analyser de la même manière : un territoire, même peu peuplé, mérite d’avoir des avocats, car il a, ou plus exactement on peut lui prêter, des intérêts : ne pas être dévasté par l’industrialisation ou le tourisme de masse, ne pas voir ses montagnes scalpées pour exploiter leurs matières premières, sa faune et sa flore massacrées. La question est cependant de savoir ce qu’il faut entendre par « on ». Ce pronom renvoie nécessairement aux idées de certains hommes, au nom desquelles ils veulent faire pression sur les décideurs. C’est donc une situation classique de représentation, à ceci près que la relation est particulièrement opaque : sur quelle base la représentativité (au sens d’aptitude à représenter) des individus qui prétendent parler au nom d’un territoire – qui ne saurait par hypothèse les désigner lui-même – peut-elle être appréciée ? D’autre part il n’existe aucune raison de limiter ce genre de représentation aux territoires. La référence à ceux-ci n’est pas une nécessité logique, mais seulement une transposition de l’idée de circonscription électorale, lieu traditionnel de la sélection des représentants. N’importe quelle réalité susceptible d’intéresser les hommes et notamment tous les êtres vivants pourraient se voir reconnaître un droit à la représentation ainsi entendue, par exemple les animaux domestiques.
Dans un troisième sens enfin la représentation désigne le fait de ressembler. La relation est ici bivalente, du moins en apparence : x ressemble à y. L’introduction de ce sens en politique, est, semble-t-il, plus récente que celle des deux précédents. Il s’est d’ailleurs surtout imposé à travers l’adjectif représentatif, ou plutôt grâce à la signification nouvelle qu’a reçue celui-ci. En effet à sa valeur traditionnelle « relatif à la représentation », qui se conserve aujourd’hui dans une formule telle que « régime représentatif » s’en est ajoutée une autre, véhiculée notamment par le vocabulaire des sondages et dont l’exemple canonique demeure l’ « échantillon représentatif ». Le mot signifie alors une relation d’homologie entre un macrocosme – une population donnée – et un microcosme une partie de cette population sélectionnée de telle manière que l’on puisse, en principe, extrapoler de son étude une connaissance approchée du tout. Le développement de ce thème est dû notamment à l’affirmation des revendications de minorités diverses, ce qui permet d’ailleurs de mieux comprendre la portée de l’idée. Le passage de la ressemblance à la représentation pourrait en effet, hors de ce contexte, sembler arbitraire : pourquoi un individu qui me ressemble – fait purement contingent, qui en lui-même n’implique rien – est-il nécessairement qualifié pour me représenter ? Parce que de la ressemblance est implicitement tirée une présomption de solidarité. Quelqu’un qui me ressemble connaît mes problèmes et ne me trahira pas : il est mon représentant légitime parce qu’il est présumé apte à me représenter.
Ce mixte précaire qui juxtapose l’objectivité de la ressemblance et la subjectivité de la confiance s’est avéré en pratique assez fort pour imposer la spécialisation en ce sens – car évidemment rien n’exclut qu’il soit utilisé en un autre – du terme « représentativité », aujourd’hui couramment opposé à « représentation » comme le fait de ressembler à ceux dont on tient lieu ou porte la parole s’oppose au fait de porter la parole ou de tenir lieu. Opposition relative d’ailleurs, non seulement en ce que l’adjectif représentatif renvoie indifféremment aux deux notions, mais plus généralement en ce que la représentativité est implicitement considérée comme la condition, nécessaire sinon suffisante, d’une bonne représentation : la première est donc contenue dans la seconde. Par conséquent il ne paraît pas artificiel de considérer que ressembler constitue un troisième sens de représentation plutôt que d’opposer les deux premiers à l’idée de représentativité.
Il convient maintenant d’examiner le deuxième volet du diptyque, celui qui oppose l’agent, qui définit la relation de représentation, au patient qui en est l’objet, le bénéficiaire, la victime ou le prétexte. Le premier cas à considérer est celui de la représentation à la deuxième personne, autrement dit celui où elle s’instaure par la phrase : « Tu (x) seras le représentant de y et tu (y) seras représenté par x ». Ce cas doit être considéré paradoxalement comme premier car il est seul compatible avec une fondation de la représentation en droit : la place du locuteur peut en effet être ici tenue par le constituant, le législateur ou le juge, tiers impartiaux. Un contrat, où représentant et représenté se choisissent mutuellement, est également possible. Dans les deux cas la parole des locuteurs (individus ou groupes idiomorphiques) a une valeur performative : elle crée la relation. Elle la crée d’abord en tant que type : elle définit juridiquement ce qu’est la relation, ses conditions, ses conséquences, ses limites et les formes requises pour sa concrétisation. Elle la crée ensuite en tant qu’occurrence en déterminant quelle relation particulière s’établit entre deux individus concrets, entre un individu et un groupe ou entre un groupe large et un groupe restreint. Ici l’institution d’une relation explicite présuppose que la notion a un sens, préalablement défini : elle implique en effet un régime juridique, qui ne saurait exister sans la médiation du langage. La représentation juridiquement organisée relève donc du premier sens distingué plus haut. Elle détermine en quoi x tient lieu de y pour certains actes, juridiquement définis, comme par exemple le fait de vouloir pour la Nation. En revanche la désignation d’un porte-parole par un groupe ou l’exigence d’un groupe qu’un individu se comporte comme son avocat supposent en principe le consentement mutuel des parties mais peuvent s’exercer en dehors de tout cadre juridique, voire contre lui, puisque le député défend sa circonscription alors qu’il est censé représenter la Nation. La ressemblance semble a priori exclue de ce schéma, dans la mesure où celle-ci est supposée exister antérieurement et objectivement, donc ne pouvoir être l’objet d’un accord de volontés. Cependant les représentés, dès lors qu’ils se considèrent comme tels, peuvent, en choisissant les représentants, considérer la ressemblance comme un critère de choix et observer (décréter ?) que certains sont plus ressemblants que les autres. La causalité est alors inversée : ce n’est pas la représentation qui fait d’un individu un représentant (tenant lieu ou porte-parole), mais la ressemblance qui est censée susciter et légitimer la représentation.
La représentation à la deuxième personne présente donc un caractère paradigmatique. Mais en tant que telle elle peut être imitée. C’est le cas dans la représentation à la première personne. Ici un individu, ou un groupe d’individus, revendique unilatéralement la qualité de représentant : « Je suis votre représentant ». Un tel représentant autodésigné n’a pas, par définition, de statut juridique, car si celui-ci existait il serait constaté et non proclamé. La nature de la représentation est également déterminée unilatéralement : l’individu se déclare tenant lieu, en un sens nécessairement vague, ou porte-parole. Il excipe ou non, selon l’opportunité, de sa ressemblance avec les individus qu’il prétend représenter. Le caractère politique de la démarche n’apparaît pas douteux. La Révolution française, qui ignorait la notion positive de parti, a connu cependant la lutte des individus et des groupes qui rivalisaient pour être les authentiques représentants, à la fois lieutenants et porte-paroles, du peuple. François Furet a montré que ce fut même l’un des facteurs majeurs de la dynamique révolutionnaire. Aujourd’hui le phénomène s’observe chez les associations et groupes de pression de tous ordres qui rivalisent pour se faire reconnaître comme représentants, et s’il se peut seuls représentants, de catégories sociales dont ils n’ont pourtant reçu aucun mandat exprès. Elle est également le fait des dictateurs qui, s’étant emparés du pouvoir par la force ou par hasard, s’affirment ensuite représentants légitimes des peuples qu’ils ont asservis. Les cas évoqués plus haut de gouvernants qui prétendent représenter une entité idéale, insusceptible par nature de donner un mandat quelconque (Constituants de 1789 ou Montagnards de 1793) entrent, il faut le remarquer, dans cette catégorie : la représentation au sens de faire exister est une représentation à la première personne si les représentants décrètent eux-mêmes l’existence de l’entité qu’ils affirment représenter.
A la différence des représentations en deuxième et première personne, qui ont une dimension performative ou plutôt, dans le second cas, affirment l’avoir la représentation en troisième personne est descriptive. Elle peut être vraie ou fausse. Deux hypothèses doivent cependant être distinguées.
Dans la première, un observateur extérieur constate que x représente y au sens de suppléer, se substituer à ou de porter la parole de, et cette affirmation est vérifiable dans la mesure où l’on peut établir si cette fonction de représentation est juridiquement organisée et si, dans une situation donnée, les formes requises ont été respectées. S’il s’agit d’une représentation non juridique – représentation des intérêts d’un groupe par un syndicat, représentation des intérêts d’une circonscription par un parlementaire – la relation est plus floue car elle n’est pas institutionnalisée. Il est cependant possible de porter un jugement sur sa réalité dans la mesure où existe un consensus relatif sur les indices qui permettent d’établir celle-ci : on essaiera par exemple d’apprécier si les individus « représentés » éprouvent ou non le sentiment de l’être.
Dans la seconde hypothèse, la réalité de la relation de représentation ne peut être établie. Deux cas de figure doivent être distingués. Le premier est celui où représenter veut dire faire exister. Car, on l’a déjà observé, une entité idéale ne saurait contester les conditions de sa représentation : elle est objet de discours mais ne saurait en être sujet. Qu’en est-il donc de la vérité de la proposition selon laquelle le roi et les membres de l’Assemblée nationale sont représentants de la Nation dans la Constitution de 1791 ? En un sens elle ne peut être que vraie, puisque celle-ci le dit. En un autre sens la proposition n’est ni vraie ni fausse puisqu’elle ne peut être établie par comparaison avec une réalité extralinguistique – ce qui est d’ailleurs le but de l’opération. L’affirmation de la relation de représentation est performative au sens propre mais également restrictif du terme : la proposition « la Constitution de 1791 dit que le roi est représentant » est vraie. Mais la proposition « le roi est représentant dans la Constitution de 1791 » ? Soit elle se ramène à la précédente, soit elle est aussi indémontrable qu’irréfutable dans la mesure où la qualité de représentant du roi n’est pas objectivement connaissable par un autre tour que la répétition de ce que dit la Constitution. La proposition n’est vraie qu’à l’intérieur du langage et sous réserve que l’on accepte ses conventions, autrement dit ce que le langage dit de lui-même. On pourrait être tenté de soutenir que, si le régime avait duré, l’effectivité du caractère représentatif du roi aurait pu être établie ou non par confrontation au réel. Mais cela revient à supposer qu’il existe des critères extralinguistiques (et extrajuridiques) de ce caractère représentatif. Or la chose est plus que douteuse, comme le montre en particulier la controverse relative au caractère représentatif du président de la Vème République.
D’ailleurs, au-delà de ce cas précis sur lequel on va revenir, il n’en est pas autrement de nos jours. Peut-on nier que les représentants – qui sont cités dans la Constitution de 1958, mais ne sont pas définis extensionnellement et ne le sont intensionnellement que de manière implicite comme si la chose allait de soi – représentent juridiquement les citoyens, au sens où ils votent les lois en leur lieu et place ? Non, évidemment. Il n’est pas juridiquement possible de démontrer le contraire : les représentants représentent les citoyens aussi en ce sens, même s’il est de bon ton de ne pas y insister, et pourraient d’ailleurs le représenter dans n’importe quel sens, connu ou inconnu, puisque personne n’est en mesure d’établir ce que représenter veut dire. Les représentants veulent pour les représentés aujourd’hui comme hier et comme demain – sauf révolution.
Mais alors pourquoi ces discours pathétiques sur la crise, ces appels à la représentativité salvatrice ? Ici se découvre une vérité capitale, évidente et cependant occultée : dans un système démocratique, il devient possible de constater que les représentants ne représentent pas, à condition toutefois de prendre le mot « représenter » dans des sens nouveaux et non juridiques – porter la parole, ressembler. Autrement dit on peut opérer cette constatation parce que les mots « représentation », « représentant », « représenter », ne sont plus cantonnés dans une acception technique mais assument la polysémie que revêtent ces termes pour le sens commun, et parce que les représentants ne sont plus censés représenter une entité idéale mais des hommes réels qui peuvent se dire – sans d’ailleurs que la signification de cette affirmation soit clairement définie – mal ou pas représentés. Cette évolution implique en tout cas une disjonction du point de vue objectif et du point de vue subjectif, autrement dit de la crise de la représentation et de la crise du mythe de la représentation, ou, si l’on préfère, en prenant successivement le même mot en deux sens différents, la crise de la représentation de la représentation. Cette disjonction des crises va d’ailleurs permettre de comprendre comment la crise du mythe est compatible avec le mythe de la crise.
Il existe une seconde hypothèse où la réalité de la représentation ne peut être établie objectivement : c’est l’hypothèse où représenter est pris au sens de ressembler. La difficulté tient ici à ce que la ressemblance est par nature relative à un point de vue donné. Si deux objets étaient ressemblants à tous les points de vue, ils ne feraient qu’un (principe des indiscernables). La relation de ressemblance est donc en réalité trivalente. Mais il serait insuffisant de dire que x ressemble à y du point de vue de z (où la variable z est mise, comme dans tous les autres cas, pour un individu humain). Il faut plutôt dire : x ressemble à y au point de vue z (où z est une qualité quelconque). En d’autres termes, la ressemblance n’est pas seulement subjective ce qui paraît à l’un ressemblant ne le paraît pas à l’autre , elle est également marquée d’une indétermination plus radicale, car rien ne permet de déterminer objectivement quel est le paramètre pertinent pour apprécier la ressemblance : celui-ci devra être construit. Il en résulte d’une part que la ressemblance n’est pas un donné mais un processus. Mais on doit surtout observer que là se trouve la limite indépassable du principe de représentativité : quels sont les critères à prendre en compte ? Doit-on considérer des catégories très générales, ou faut-il multiplier et croiser les catégories ? Un individu peut-il représenter quelqu’un d’autre que lui-même ? Peut-il arbitrer entre ses diverses déterminations et décider celle ou celles qui doivent prioritairement être représentées ? Ces questions ne sont ordinairement pas posées. C’est pourtant de leur solution, si elle est possible, que dépend, comme on le verra, l’élaboration d’une véritable représentativité.
Ces observations conduisent à mettre en évidence l’ambiguïté constitutive de la représentation envisagée comme ressemblance, autrement dit comme représentativité. Qui est le locuteur de la phrase « x ressemble à y au point de vue z, donc x représente y » ? S’il s’agit des représentés (y), la phrase traduit un sentiment de ressemblance subjective entre x et eux-mêmes, et donc d’une aptitude subjective de x à les représenter, qui devrait normalement se traduire chez eux par un sentiment subjectif d’être représentés. La représentation à la troisième personne se réduit alors à la représentation à la deuxième personne : elle est équivalente à la phrase « Tu (x) me représentes », et revient à investir les représentants du droit de tenir lieu et de porter la parole des représentés. L’objectivité de la ressemblance se dissout, pour ainsi dire, dans la subjectivité de l’adhésion. En revanche si la phrase est prononcée par un tiers, on est en présence d’un diagnostic, où la ressemblance objective – ou aptitude objective à représenter devient la condition suffisante de la représentation. Or cette idée ouvre inévitablement la porte à toutes les manipulations. Tel était le cas lorsque le parti communiste organisait en son sein une « concurrence différentielle » où, comme l’a montré Annie Kriegel, « la notion collective de représentativité » prévalait sur « la notion individuelle de capacité ». L’opération visait à ce que les instances dirigeantes du parti fussent composées d’individus présentant les profils sociaux adéquats pour manifester l’image idéale que l’organisation entendait donner d’elle-même, ce qui impliquait évidemment d’écarter toute spontanéité démocratique et conduisait à faire entériner par les militants des choix qu’ils n’avaient pas opérés et dont les critères n’étaient pas explicités. Tel est aussi le cas lorsqu’on nomme au gouvernement un individu censé exhiber un échantillon représentatif d’une communauté sans que celle-ci ait été en quelque manière consultée. Le but de l’opération n’est en effet pas douteux : offrir à cette communauté une satisfaction d’amour propre. Cette médaille a toutefois pour revers un message comminatoire, quoiqu’implicite : « Vous êtes représentés, donc vous devez être satisfaits. » Dans ces deux cas un objectif en principe louable se retourne en une pratique pour le moins ambiguë et dont le coût paraît bien supérieur aux avantages escomptés – si du moins l’on prend en compte les avantages des représentés et non ceux des responsables politiques qui tirent les ficelles. Cela confirme l’idée que seule une représentation subjective – c’est-à -dire une représentation à la deuxième personne – peut être considérée comme légitime. On ne saurait mélanger les genres : si l’on joue le jeu de l’affectivité, il faut exclure les vieilles méthodes, efficaces dans l’univers de la manipulation politique, mais directement contraires aux nouveaux idéaux proclamés.
En croisant les significations du mot « représentation » (au sens politico-juridique) et les instances d’énonciation de la relation représentative, on obtient donc un tableau complexe. Mais cette complexité ne doit pas masquer ses lignes de forces, qui semblent pouvoir être résumées de la manière suivante.
Premièrement, il va de soi qu’une pluralité de sens du mot « représentation » peut susciter des divergences dans les conditions de satisfaction des propositions qui le contiennent. Certes les trois sens peuvent converger : tel représentant au sens juridique de tenir lieu, c’est-à -dire qui vote les lois applicables à ceux qu’il représente, peut être le porte-parole de ceux-ci, c’est-à -dire défendre leurs intérêts, tout en leur ressemblant. Mais il peut arriver aussi qu’il tienne lieu de ses électeurs et soit leur porte-parole sans leur ressembler, ou leur ressembler sans être leur porte-parole, ou sans être ni ressemblant ni porte-parole. Il ne peut en revanche cesser de tenir juridiquement lieu en raison du caractère performatif du discours juridique : un représentant ne peut pas plus être dépouillé de sa qualité juridique – tant que la norme dont il tient celle-ci est en vigueur – qu’un triangle ne pourrait cesser d’avoir trois angles. Si toutefois on substitue à la signification juridique de la représentation l’acception psychologique du terme, il est parfaitement possible que le représentant ne soit pas représentatif : il suffit que les représentés déclarent ne pas se sentir représentés. Ce risque est d’autant plus grand que la notion de porte-parole est elle-même polysémique. Le représentant peut l’être objectivement mais pas subjectivement, on l’a vu. Mais le contraire est également possible : il peut être sincère mais pas efficace. Surtout on ne peut espérer que les intérêts de tous ses électeurs soient identiques : ils sont susceptibles d’être divergents, voire contradictoires. Au sens juridique, le représentant qui vote en faveur d’une loi représente aussi bien ceux de ses électeurs qui sont défavorables à celle-ci que ceux qui lui sont favorables. D’un point de vue psychologique il n’en est évidemment pas ainsi. Et la diversité des intérêts économiques, des sensibilités politiques, des choix envisageables en matière de « problèmes de société », rend extrêmement improbable l’idée d’électeurs tous unis derrière leur représentant.
Deuxièmement, la représentation est une relation et n’existe donc pas indépendamment de ses termes. Or les termes peuvent être mis en relation d’au moins deux manières : le représentant peut être explicitement dénommé tel et les compétences qu’il tire de cette qualité explicitement définies. Dans ce cas la signification du mot « représentation » se réduit aux compétences que reçoit le représentant. On peut schématiser ce rapport par la formule : représentant = individu x qui dispose par rapport à y d’une compétence z. Par exemple est représentant du peuple celui qui possède la compétence de vouloir juridiquement pour la Nation, c’est-à -dire d’adopter des normes générales communément appelées lois. Une telle définition n’est pas extensionnelle – elle ne dit pas quels individus possèdent cette compétence – mais elle fournit un critère qui permet en principe de les identifier. Observons que le mot « représentant » n’est ici qu’une abréviation : il n’y a rien de plus dans le definitum que dans le definiens. S’il existe une essence intemporelle ou mystique de la représentation, ce n’est pas ici qu’on la trouvera. Cependant les termes peuvent aussi recevoir un sens non de définitions explicites mais, comme tous les mots du langage naturel, de l’usage, anonyme et pragmatique. Ainsi le mot « représentation » possède la signification qui lui est empiriquement attribuée. Variable et polysémique, il acquiert plusieurs manières d’être vrai ou faux, ce qui rend évidemment obscures et ambiguës toutes les formules où il est employé sans autres précisions. D’autant que les modes d’énonciation des discours qui l’utilisent ne sont pas neutres. Selon qu’il est employé avec valeur performative en deuxième personne, revendicative en première personne ou descriptive en troisième, la signification du mot est différente : parfois institution (au double sens d’état et de processus), parfois appel à reconnaissance (couronnée ou non de succès), constat de ressemblance parfois neutre et parfois, sous une apparence de neutralité, instrument de manipulation.
La troisième remarque consiste à observer l’ambiguïté du thème de la représentativité. Convergent en ce concept (ou ce slogan) des phénomènes hétérogènes : d’une part la mutation de la représentation qui se transforme d’institution politique en relation psychosociologique, d’autre part l’illusion d’une transparence politique qui permettrait de mettre en œuvre une représentation si représentative qu’elle donnerait aux citoyens le sentiment de se gouverner eux-mêmes. On peut certes imaginer que, si l’absence de représentativité est la maladie – « crise de la représentation » – , la représentativité en constituerait le remède. L’ennui est que ce remède demeure verbal : on soutient que les citoyens seront satisfaits quand leurs représentants seront représentatifs, c’est-à -dire ressemblants, mais cette affirmation paraît arbitraire tant est grand le décalage entre la cause et l’effet supposé. On ne peut toutefois conclure sur ce point sans considérer la question de l’avenir de la représentation dans son ensemble. Il convient d’abord cependant de s’interroger : ne peut-on objecter aux remarques précédentes que, victimes d’un préjugé réductionniste, elles schématisent abusivement la réalité ? N’ignorent-elles pas la profondeur et les mystères de la notion de représentation ? On ne peut écarter ce soupçon sans mettre à l’épreuve la grille d’interprétation qui vient d’être esquissée en la confrontant à des problématiques qui n’ont pas servi à la construire.
Deux confrontations semblent envisageables. Il est possible de se demander si les trois sens qui ont été ici distingués épuisent véritablement le champ des significations du terme « représentation ». On peut également s’interroger sur la question de savoir si cette problématique permet d’éclairer certaines évolutions de la doctrine constitutionnelle française.
Quelques auteurs semblent admettre qu’il existerait une essence transhistorique de la représentation, sorte d’universel de l’existence sociale qui préexisterait à ses manifestations et dont les sociétés modernes auraient, par un mélange de présomption et d’ignorance, altéré les mécanismes – d’où la « crise ». La réduction du mot « représentation » à trois sens et trois modes d’énonciation laisserait ainsi échapper l’essentiel. On ne saurait réfuter ce genre de spéculations, puisqu’elles ont précisément pour ressort de soutenir que les paramètres déterminants – qu’elles saisissent par intuition – sont hors de portée d’une investigation rationnelle. Mais on peut en revanche examiner s’il est utile d’ajouter aux synonymes déjà retenus des termes comme incarnation, symbolisation ou personnification. Par commodité on les supposera équivalents, bien que des nuances puissent sans doute être introduites entre eux.
Quand on affirme qu’un représentant représente, ne veut-on pas dire qu’il incarne ? Qu’il symbolise ? Qu’il personnifie ? Ces mots, il est vrai, sont parfois employés tels quels. Ainsi le projet de Constitution de Pétain déclare en son article 10 : « Le Chef de l’État (…) personnifie la Nation et a la charge de ses destinées ». Plusieurs constitutions d’Afrique francophone déclarent que le chef de l’État « incarne l’unité nationale ». On pourrait donc penser que le choix de ces termes, préférés à représentation, suffit à montrer que les uns ne se réduisent pas à l’autre. Mais ne peut-on soutenir à l’inverse que le mot « représentation » est parfois senti comme une litote pour incarnation ? Ne faut-il pas l’entendre (ou symbolisation, ou personnification) dans certains usages de représentation, notamment quand celle-ci est évoquée comme un absolu et non comme une relation : par exemple quand « x représente » ou « x est représentant », sont donnés comme des propositions susceptibles d’avoir une signification sans qu’il soit nécessaire de préciser qui est représenté, auprès de qui et pour quoi faire.
L’incarnation ainsi distinguée ne serait-elle pas l’équivalent de ce que visait Carl Schmitt lorsqu’il développait la notion de Repräsentation comme opposée à celle de Vertretung ? On sait que pour lui, le second terme convient pour désigner la relation de droit privé définie au § 164 du Bürgerliches Gesetzbuch, alors que le premier, concept propre au droit public, est « une donnée existentielle » qui « ne peut être appréhendée par des subsomptions sous des normes générales ». « Représenter signifie rendre visible et actuel un être invisible par le truchement d’un être publiquement présent. » Toute réalité ne peut cependant, selon Schmitt, accéder à cette dignité. Seul un « genre supérieur d’être (…) est susceptible d’être élevé à l’être public ». Ce genre d’être supérieur est précisément « le fait qu’un peuple [existe] comme unité politique » par opposition à « l’existence naturelle d’un groupe humain vivant en commun d’une manière ou d’une autre ». Si les individus en viennent à préférer une autre forme d’organisation, « le sens d’une notion comme la représentation disparaît du même coup ».
A priori, l’idée semble claire. À mieux y réfléchir cependant, on ne peut que s’interroger sur sa véritable portée. Si la Repräsentation est une réalité existentielle et ne peut être produite par subsomption sous une norme, elle est un fait, qui ne peut être que constaté. Le phénomène ne saurait donc être le produit d’une démarche volontariste et juridique. Or, si l’on admet qu’il puisse exister, comment comprendre sa genèse ? « L’être invisible » préexiste-t-il à « l’être publiquement présent » – autrement dit l’unité du peuple suscite-t-elle le Repräsentant ? Ou bien est-ce lui qui, en paraissant, fait exister l’unité du peuple ? On peut sans doute admettre que, dans une monarchie héréditaire, la question ne se pose pas en ces termes dans la mesure où la légitimité monarchique peut être transmise : le nouveau roi la reçoit de son père, qui l’avait reçue du sien. Mais ni le chef charismatique ni le président élu ne peuvent, par hypothèse, hériter du pouvoir. Dès lors, de deux choses l’une. Soit l’individu est déjà au pouvoir. Il dit de lui-même « je suis représentant », ou l’on dit de lui « il est représentant ». Dans ce cas le représentant préexiste à la représentation. La situation peut engendrer une relation affective forte, mais l’ordre des facteurs prouve que celle-ci est un amour induit : le sentiment que le peuple a de son unité, de sa vocation, l’adulation du chef, si ces facteurs existent, sont la conséquence de la structure, non sa cause. Soit l’individu n’est pas au pouvoir. Dans ce cas les candidats à la Repräsentation seraient nombreux, et il faudrait choisir entre eux le meilleur unificateur du peuple. Comme il n’existe pas de critères objectifs pour établir cette qualité, on se retrouvera devant une classique compétition pour le pouvoir, au terme de laquelle ce n’est pas celui qui représente l’unité du peuple qui sera choisi, car on ne parviendra jamais à départager les candidats sur cette base, mais c’est celui qui l’emportera qui sera déclaré représenter l’unité du peuple. Cette affirmation arbitraire deviendra peut-être vraie – au sens où elle suscitera le sentiment qu’elle postule -, mais alors on retombe dans l’hypothèse précédente. Dans les deux cas le fait détermine le droit, le Repräsentant détermine la Repräsentation. La thèse schmittienne s’avère incompatible avec une représentation à la deuxième personne. Seul un pouvoir déjà là – qui ne saurait donc être qualifié de charismatique que par abus de langage, si du moins l’on entend par ce terme une relation où le charisme est la cause et non la conséquence du pouvoir peut engendrer le type de relation psycho-politique que décrit Schmitt. Un processus compétitif, juridique et a priori ne produit pas mécaniquement le Repräsentant et rend improbable la transfiguration ultérieure de l’élu en celui-ci. Un pouvoir sans partage (du moins en théorie), monarchie traditionnelle ou dictature, est le terreau nécessaire à la floraison de ce type de sentiment.
On voit mieux ainsi comment la Repräsentation de Carl Schmitt échappe à la problématique ici considérée sans toutefois la remettre en cause. Le Repräsentant n’est pas le porte-parole du peuple et ne lui ressemble pas nécessairement. Si le Repräsentant en tient lieu c’est à la manière des rois, ou des dictateurs qui organisent le culte de leur propre personnalité. Les deux cas, par ailleurs très différents, ont en commun que le consentement suit le pouvoir au lieu de le précéder. Réduite à cette acception la représentation demeure donc la justification purement verbale (ce qui ne signifie pas fictive, car le discours est susceptible d’engendrer des sentiments) d’un rapport de forces. En toute hypothèse la théorie de Schmitt n’est d’aucun secours puisque ce qu’elle vise ne saurait sans contradiction être le produit du droit. L’incarnation est un sentiment induit, non un concept juridique.
On le vérifie d’ailleurs a contrario en observant que l’un des synonymes évoqués plus haut pour remplacer le mot « représenter » suffit à rendre compte du résidu rationnel d’incarner, symboliser, personnifier : il s’agit de tenir lieu, avec la nuance de faire exister. Ce résidu est exactement ce qui demeure de la représentation (en cette acception) lorsque l’on prend conscience de ce que celle-ci est sans présentation, autrement dit qu’elle crée le représenté et ne saurait le refléter puisqu’il ne préexiste pas au processus. Ce détour par l’incarnation n’est cependant pas inutile car il permet de mieux percevoir l’ambiguïté de tous les termes qui visent à décrire le phénomène. Faire exister peut être senti comme voulant dire faire exister pour les sens, ou manifester, termes qui suggèrent l’idée de rendre sensible une réalité abstraite mais préexistante. Représenter au sens d’incarner peut donc servir à insinuer, sans le dire ouvertement, que la Nation est une réalité de nature mystique, cachée mais connue, abstraite mais non fictive, et qui aurait en somme le mode d’être des idéalités mathématiques – autrement dit assumer une forme de réalisme ontologique. Ainsi les mêmes mots peuvent servir tout à la fois à exprimer une réalité rationnelle – la Nation, bien que représentée, est une fiction – et un mystère laïc ou empreint d’une religiosité latente. Ambiguïté dont les potentialités manipulatoires n’ont pas besoin d’être soulignées. En deuxième personne, « Vous incarnez » ou « vous représentez » (en ce sens) ne sont parfois que des hyperboles pieuses, comme le fait de dire à l’empereur romain qu’il est un dieu. En première personne ces formules ont la valeur rhétorique d’une revendication de légitimité. Mais le sens d’une telle affirmation dépend évidemment du régime politique. Dans une démocratie elle est censée confirmer l’autorité morale de celui qui la prononce, non influer sur ses compétences juridiques. Elle n’a de portée que si les citoyens ratifient par l’élection cette prise de position et si la Constitution attribue des pouvoirs à celui qui est investi, et qui n’est pas nécessairement un représentant au sens traditionnel du terme. Dans un régime dictatorial ou totalitaire, c’est une information de menace, qui signifie implicitement l’abolition du droit en tant que limite à la volonté du chef mais évidemment pas en tant qu’instrument de celle-ci. En troisième personne, les mêmes significations sont présentes, mais cette fois il est clair qu’elles ont été reçues par la société : représentants et représentés sont appelés à en tenir compte.
C’est à la lumière de ces observations que doit être examinée une question aujourd’hui classique : le président de la Vème République est-il un représentant ? Revendiquée par le général de Gaulle, qui déclara dans sa conférence de presse du 9 septembre 1965 que le Président était et était seul « le représentant et le mandataire de la Nation tout entière » – sans que l’on sache exactement la signification qu’il donnait à la formule, et notamment s’il lui attribuait une portée juridique –, cette qualité a longtemps été contestée au chef de l’État. On sait qu’aujourd’hui l’opinion dominante est inverse, sans que l’on perçoive clairement pourquoi le regard a changé alors que la question se pose toujours dans les mêmes termes. Sans doute faut-il voir dans le fait de reconnaître maintenant au président de la République la qualité de représentant, comme l’écrit Bruno Daugeron, « une croyance sincère plus qu’une affirmation stratégique ». Il convient cependant d’observer que ce retournement n’aboutit nullement à donner au Président un objet x qui lui aurait été auparavant refusé. Le Président n’est pas devenu le représentant qu’il n’aurait pas été antérieurement. C’est l’extension du mot qui a été modifiée, puisqu’il s’applique maintenant à un objet auquel il ne s’appliquait pas, et sans que celui-ci ait changé. Mais cette modification extensionnelle a des implications intensionnelles : si le Président est juridiquement représentant, c’est que la définition juridique de la représentation a changé. N’est plus représentant celui qui veut pour la Nation, c’est-à -dire qui participe au pouvoir législatif. Ce caractère découle exclusivement du fait que le titulaire de la fonction est élu au suffrage universel direct.
On pourrait toutefois objecter à cette analyse que le président de la République, indépendamment de son mode de désignation et même s’il ne participe pas au pouvoir législatif, veut néanmoins pour la Nation (ou pour le peuple) lorsqu’il prend des décisions stratégiques pour l’avenir de la collectivité, comme par exemple le choix de développer l’énergie électronucléaire, même si celles-ci ne revêtent pas la forme de lois. Si l’on admet cette analyse, le Président est représentant sans que le sens du mot ait changé : il a seulement été étendu du domaine législatif au domaine exécutif. Mais la question est précisément de savoir s’il est légitime de nier la distinction entre volonté législative et volonté exécutive. Vouloir pour la Nation signifiait traditionnellement édicter des normes, générales, impersonnelles et durables, non effectuer des choix politiques, économiques, diplomatiques, etc., particuliers, conjoncturels, où l’acception de personnes, l’occasion, la prudence au sens aristotélicien du terme, voire le hasard, tiennent nécessairement une place considérable. Les premières étaient applicables aux citoyens, qui étaient censés les avoir adoptées eux-mêmes, alors que les seconds leur étaient seulement opposables. Pour les révolutionnaires, la distinction et la hiérarchisation des deux domaines étaient claires dans la mesure où ils tenaient l’exécutif pour un exécutant : il n’avait pas pour mission de vouloir, mais seulement de mettre en œuvre une volonté préexistante. La promotion de l’exécutif au rang de premier pouvoir, premier animateur de la vie collective, a-t-elle mis sur le même plan les deux types de volontés ? En un sens politique, la volonté législative se trouve souvent assujettie à la volonté de l’exécutif : celui-ci définit la politique du pays, conçoit les projets de loi comme des moyens au service de celle-ci et entretient un rapport hiérarchique avec sa majorité. En un sens juridique toutefois la volonté législative est, en principe, toujours la seule à faire loi. Si bien qu’une différence majeure subsiste entre les deux volontés : la volonté législative produit (comme la volonté judiciaire) des conséquences de droit, alors que la volonté exécutive ne produit que des conséquences de fait. Cette distinction – est-il besoin de le dire ? – n’oppose pas l’important à l’accessoire ou l’effectif à l’ineffectif : une décision de fait peut avoir de plus grandes conséquences, en bien ou en mal, qu’une décision de droit, et les deux peuvent être ou non suivies d’effet. Mais la distinction pose une différence de nature, que l’on peut décrire et qui, si l’on se place d’un point de vue normatif, doit certainement être maintenue : la décision de droit implique des procédures formalisées, un examen public, critique et contradictoire, caractères qui constituent des garanties fondamentales de la liberté politique, et que les décisions de fait sont loin de toujours présenter. En particulier le droit implique une identification de la parole juridique : on ne doit pas, idéalement du moins, avoir de doute sur le point de savoir si les mots utilisés ont ou non valeur de norme. Or comment savoir, en l’absence de procédure formalisée, si les propos d’un président de la République ont ou n’ont pas valeur juridique ? Tel discours, rédigé par un conseiller obscur et irresponsable, lu par le chef de l’État dans une circonstance donnée devant un public choisi a-t-il valeur normative ? Tel entretien télévisé à bâtons rompus ? Telle « petite phrase » dite en aparté et saisie par un micro baladeur ? Telle boutade, propos de comptoir, mouvement d’humeur, obiter dictum ? Telle confidence rendue publique par un journaliste indélicat ? Si le Président change d’avis et revient sur une décision antérieure, celle-ci crée-t-elle des droits acquis ? Autrement dit, la problématique du Président représentant devrait impliquer un statut juridique de la parole présidentielle. Mais cette question n’est justement pas posée.
En l’absence d’une telle réflexion, le vrai problème n’est donc pas de savoir ce que le représentant n’est plus (il n’est plus un individu qui participe au pouvoir législatif), ni même ce qu’il est (il est un élu), mais bien de déterminer quelle(s) conséquence(s) juridique(s) entraîne(nt) cette nouvelle définition de la représentation, et d’abord si elle en entraîne. Autrement dit la question se déplace du terrain du critère (quels caractères un individu doit-il posséder pour être subsumé sous le concept de représentant ?) vers celui de l’enjeu (quel changement cette nouvelle extension du terme entraîne-t-elle pour la notion de représentation ?). Question ouverte, car on peut lui donner deux réponses très différentes. La première, que l’on appellera thèse déclarative, affirme que l’attribution du titre de représentant est purement symbolique (au sens de platonique) : il ne faut voir dans la chose qu’un titre honorifique. La seconde, thèse prescriptive, tend au contraire à suggérer que cette reconnaissance est susceptible de produire des conséquences juridiques.
La première thèse ne soulève pas de difficultés. Pour de nombreux auteurs, il semble que « représentant » soit une épithète décorative, un sobriquet sympathique et sans conséquences, dont il serait à la fois inutile, mesquin et vaguement déplacé de contester l’usage au chef de l’État. Il faut cependant souligner le caractère paradoxal de cette idée, qui implique que l’attribution du titre de « représentant » au chef de l’État ne comporte aucun enjeu. Pas d’enjeu juridique, puisque dans un État de droit seules des compétences explicitement définies sont susceptibles de conférer des pouvoirs aux autorités publiques. Pas d’enjeu politique puisque l’influence dont jouit le président est antérieure à l’affirmation de son caractère représentatif (au sens de la représentation et non de la représentativité) et en constitue même la cause, nécessaire sinon suffisante. Si le Président dispose en pratique du pouvoir de suggérer une loi et même d’en imposer le vote, c’est parce qu’il s’appuie sur une majorité et que celle-ci est disciplinée – si disciplinée même que, pour les journalistes, le refus de certains parlementaires de voter où on leur dit de voter s’appelle une fronde et suscite l’étonnement, voire la réprobation. Comme le droit constitutionnel ne peut ni produire ni empêcher ce phénomène, on ne voit pas en quoi la présence ou l’absence d’un mot serait susceptible d’y changer quoi que ce soit. Que pourrait d’ailleurs signifier la représentation dont le chef de l’État serait investi ? Il ne tient pas lieu juridiquement et ne fait pas exister la Nation, puisqu’elle est censée déjà présente sous le nom de peuple. Admettre que ce dernier est incarné, symbolisé ou personnifié par lui équivaudrait en revanche à le renvoyer au statut de Nation et donc de fiction – point de vue soutenable mais apparemment non soutenu. S’il est porte-parole du peuple, auprès de qui l’est-il ? Des parlementaires, qui sont eux-mêmes et constitutionnellement représentants ? Auprès de l’autorité judiciaire ? Ou de lui-même ? Chacune de ces hypothèses pose plus de problème qu’elle n’en résout. Dire qu’il ressemble au peuple serait tout aussi problématique, car seule une assemblée peut être représentative en ce sens. Le Président étant un individu, il ne saurait ressembler simultanément à toutes les catégories ou sous-catégories, exclusives les unes des autres, qui composent le peuple. Même s’il est un « Français moyen » – voire très moyen – il ne ressemble qu’à un ectoplasme statistique et ne remplira pas toutes les attentes des citoyens, d’autant que celles-ci peuvent changer : à la longue par exemple un caractère sympa est susceptible d’apparaître comme agréable mais non suffisant, ou l’inverse. Il en résulte que l’allocation du nom de « représentant » au président de la République est possible – puisque, hors de l’univers artificiel du droit, les dénominations sont libres – mais ne signifie rien. L’appellation est donc purement honorifique, et bien d’autres pourraient être envisagées : s’il prenait à un président de la République la fantaisie de se voir appeler Lion de Juda, Mécanicien de la locomotive de l’Histoire, Génie des Carpates ou Grand Dépendeur d’andouilles, il pourrait se trouver sauf fronde une majorité prête à lui décerner cette qualité, et celle-ci n’aurait pas moins de portée que le titre de représentant. Autrement dit, on peut admettre que certains termes sont juridiquement explétifs, même si, dans d’autres contextes, ils ont traditionnellement une valeur juridique.
Faut-il dès lors préférer la thèse inverse et supposer que l’attribution de ce titre entraîne des conséquences ? À vrai dire personne ne le prétend aujourd’hui. L’idée sert tout au plus à (mal) rationaliser l’existant, comme on l’a vu dans le rapport de la « Commission de réflexion sur le statut pénal du président de la République ». Mais ce précédent ne pourrait-il justifier qu’il en soit autrement dans l’avenir ? Si tel était le cas, qu’impliquerait une telle évolution ? Elle signifierait que les compétences juridiques du chef de l’État sont modifiables par la seule grâce d’une opinion, doctrinale ou journalistique, que n’a sanctionnée aucune révision constitutionnelle et dont aucun texte n’établit le principe et les limites. Mais alors où s’arrêter ? Le Roi, en 1791, était représentant parce qu’il disposait d’un droit de veto. Le Président aura-t-il un droit de veto parce qu’il est représentant ? Le Président, seul élu de la France tout entière, jouissant coutumièrement du pouvoir de proposer la loi, pourrait-il, en tant qu’hyper-représentant, refuser d’en promulguer une ? Sa parole fait-elle loi ? On sait qu’elle meut déjà certains secteurs de la vie publique, depuis les médias jusqu’à la haute administration. Pourra-t-on l’invoquer dans un prétoire pour la solution d’un litige ? Pourrait-il, en mettant en œuvre l’article 16 ou non, rendre la justice à la place des juridictions ? Au nom des arguments invoqués pour justifier son immunité juridictionnelle, ne peut-on soutenir qu’il doit être déclaré irresponsable en toutes hypothèses, y compris en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ? Car, s’il en était accusé en fait, il n’en serait pas moins et toujours élu en droit, seul élu de la France tout entière, au suffrage universel direct, et représentant. Comment un représentant pourrait-il manquer à la représentation ? Un représentant, élu du peuple tout entier, peut-il voir sa responsabilité mise en cause autrement que par voie élective devant le peuple tout entier ? Ainsi, de proche en proche, on arriverait à une situation où il n’y aurait plus ni État de droit, ni séparation des pouvoirs, ni Constitution au sens du constitutionnalisme. Que cette évolution ne soit pas probable en fait n’enlève rien à ce constat : si l’on accepte de tirer d’une évolution purement coutumière, bénie par la doctrine mais qui n’a trouvée aucune consécration dans le droit positif écrit, des conséquences de droit sur les compétences des organes constitutionnels, l’idée de Constitution est virtuellement abolie.
Les incertitudes qui affectent aujourd’hui l’idée de représentation ne concernent cependant pas que le statut du chef de l’État. Nul évidemment ne conteste que les parlementaires soient représentants. Mais cela suffit-il pour déterminer ce que l’on entend par représentation ? Si tel n’est pas le cas, comment y parvenir ?
On pourrait être tenté de chercher la réponse à cette question dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, volontiers présentée depuis des années comme le vrai droit constitutionnel. Et en effet le Conseil a rencontré la question à travers le problème du découpage électoral. Dans sa célèbre décision 85-196 du 8 août 1985, il affirme que le congrès de Nouvelle-Calédonie « doit, pour être représentatif du territoire et de ses habitants, dans le respect de l’article 3 de la Constitution, être élu sur des bases essentiellement démographiques ; que, s’il ne s’ensuit pas que cette représentation doit être nécessairement proportionnelle à la population (…) ni qu’il ne puisse être tenu compte d’autres impératifs d’intérêt général (…) » (considérant 16).
Or la lettre même de ce texte montre que la question est de savoir à quelles conditions un organe délibérant peut être « représentatif du territoire et de ses habitants ». Le problème posé est donc celui de la représentativité, et si le mot « représentation » intervient ensuite, le démonstratif dont il est précédé montre que la représentation ici visée n’est rien d’autre que le fait d’être représentatif au sens de la représentativité. La question ici évoquée n’est donc nullement celle de savoir ce qu’est la représentation, mais seulement à quelles conditions le mode de désignation des représentants sera considéré comme respectueux des règles que le Conseil constitutionnel pose en même temps qu’il les applique. On ne saurait pourtant en déduire que le Conseil réduit la représentation à la représentativité. Non seulement cette réduction ôterait tout enjeu à la question – si les représentants n’avaient aucune fonction, le débat resterait symbolique – mais elle rendrait incompréhensible la référence à l’article 3 de la Constitution. En outre les formules utilisées par le Conseil fournissent un éclairage indirect sur la représentation : on représente des territoires, et pas seulement des habitants ; on représente les habitants, et pas seulement les électeurs ou les citoyens : par conséquent les étrangers, les enfants en bas âge, les citoyens privés de leurs droits civiques par décision de justice ou qui ont négligé de s’inscrire sur les listes électorales, les abstentionnistes sont représentés. Mais tout ceci, qui implique des changements considérables dans la théorie de la représentation, pose de complexes problèmes, entraîne ou devrait entraîner des conséquences de droit, n’est ni conceptualisé, ni discuté, ni même explicité. Ces manques illustrent jusqu’à la caricature le fait qu’une jurisprudence ne permet pas de faire l’économie d’une doctrine, car un juge ne répond qu’aux questions qui lui sont posées, en prenant grand soin de ne pas se lier les mains (l’adverbe « essentiellement » en témoigne ici), et ne dispose que de ses propres lumières. Les questions qui ne sont pas posées, les réponses qui exigeraient de prendre position sur les principes de manière claire, univoque et cohérente, ou qui dépassent la conjoncture et supposent la maîtrise de complexes problèmes théoriques demeurent donc en friche.
Malheureusement la doctrine n’est pas d’un plus grand secours en l’espèce, car elle aussi a tendance à tenir pour évidentes des choses qui pourtant ne le sont en rien. Il est ainsi tout à fait courant aujourd’hui de distinguer la fonction représentative du Parlement de sa fonction législative et de sa fonction de contrôle – c’est même devenu une banalité. Or cette banalité est elle-même problématique. Quand représenter était vouloir pour la Nation, on savait ce que représenter voulait dire. Mais dès lors que représenter s’oppose à légiférer, le mot se trouve pour ainsi dire reconduit à son mystère propre, celui d’une fonction qui n’implique ni « compétence ni pouvoir » et qui échappe ainsi au droit. Le sens traditionnel – tenir lieu de, vouloir pour – ne peut donc plus être retenu puisqu’il se trouve implicitement versé au compte de la fonction législative. Mais alors que signifie « représenter » ? Être porte-parole ? Auprès de qui ? Faut-il entendre que chaque député est le porte-parole de ses électeurs auprès de ses collègues, ou que l’Assemblée dans son ensemble est porte-parole des citoyens auprès de l’exécutif ? Que penser et que faire si ces porte-paroles ne sont pas entendus ? Qui porte la parole des électeurs qui n’ont pas voté pour l’élu ? Des citoyens qui ont atteint l’âge de la majorité ou ont été naturalisés depuis l’élection ? Plus généralement, les décisions prises dans les assemblées ne sont pas assimilables à des choix individuels. Définies a priori par l’existence d’une majorité au sens « organique » ou, au contraire, fruits d’alliances, retournements d’alliances, marchandages, défections, etc., les majorités qui adoptent les lois ne reflètent aucune réalité sociale extérieure à l’hémicycle, mais seulement des électeurs, individus abstraits qui n’ont pas exprimé d’opinion sur la question en débat à l’assemblée. Même si l’assemblée est représentative, les choix qu’elle opère ne traduisent la parole de personne et ne représentent donc jamais personne au deuxième sens du terme.
Les choses se compliquent encore si le Président est lui-même représentant : à quoi servent des représentants du peuple auprès d’un représentant du peuple ? Doit-on alors considérer que « représenter » signifie seulement ressembler ? Si tel est le cas, n’est-ce pas admettre que les élus qui ressemblent au peuple, c’est-à -dire qui ont en commun avec lui un certain nombre de caractères sélectionnés arbitrairement, sont une oligarchie temporaire, représentation objective qui justifie préventivement toutes leurs décisions et dispense de prendre en compte les sentiments réels des individus concrets, bref qui apparaît destinée à éviter plutôt qu’à mettre en œuvre l’idée de démocratie ? Astreints seulement à une grossière homologie avec un corps électoral réduit à une abstraction statistique, les parlementaires qui représentent jouissent d’une liberté de fait aussi grande que la liberté de droit dont jouissaient les représentants de 1791. La seule différence tient au discours qui légitime cette liberté : à la fin du XVIIIème siècle la liberté des élus se justifiait parce qu’ils étaient représentants, aujourd’hui la liberté des représentants se justifie parce qu’ils sont élus. La représentation se réalise mais aussi s’épuise dans l’élection.
Ainsi, dans la présentation banale qui est aujourd’hui proposée du rôle dévolu au Parlement, le sens du mot représenter est incertain : il a plusieurs sens, ou n’a plus de sens. Dans les deux cas on ne peut lui trouver d’autre substitut que lui-même : représenter, c’est représenter. Expression performative d’une réalité ineffable et qui cependant existe magiquement par le seul fait d’être proclamée (« Nous sommes, il est représentant(s) »), le mot ne peut plus admettre de synonyme : prétendre l’exprimer autrement que par lui-même c’est déjà ne plus s’incliner devant sa vertu, douter de son efficace, le nier, le déconstruire – bref s’en prendre aux vraies valeurs.
On soupçonne que cette absence ou (et ?) cette pluralité de sens sont un symptôme, mais aussi une commodité : dire aux citoyens qu’ils sont représentés absolument sans dire en quoi consiste cette représentation, sans spécifier ses conditions, ses conséquences, ses limites, n’est-ce pas suggérer que la démocratie s’épuise dans la représentation comme la représentation dans l’élection ? La démocratie représentative n’est plus démocratique bien que représentative, elle est démocratique parce que représentative. Au-delà le citoyen est invité à circuler après avoir voté, car il n’y a plus rien à voir.
Dans la question du sens de la représentation parlementaire comme dans la problématique du Président représentant, une même conclusion en forme d’alternative s’impose. Ou bien le titre de « représentant » appliqué au président de la République n’a aucun sens, ou c’est le droit constitutionnel qui n’en a plus. Ou bien la représentation dont sont investis les parlementaires n’a plus qu’un sens vague et mal défini, ou c’est la notion de démocratie représentative qui n’a plus de sens car elle se réduit au gouvernement représentatif instauré par les Constituants de 1791. On peut penser qu’il est préférable, dans les deux cas, d’adopter la première branche de l’alternative. Même dans cette hypothèse cependant une conséquence importante résulte de ces faits pour l’idée même de droit constitutionnel : celui-ci admet l’usage de termes dont personne ne maîtrise ni n’estime nécessaire de maîtriser la signification. Réduite à des platitudes, voire à des tautologies, la doctrine française ne sait plus donner une réponse claire, argumentée et cohérente à des questions aussi fondamentales que celles-ci : « Qu’est ce que la représentation ? », « Qu’est-ce que la démocratie ? ».
Les observations précédentes paraissent toutefois conduire à un autre diagnostic, paradoxal mais inévitable : la crise de la représentation et le triomphe de la représentation ne sont qu’une seule et même chose. Plusieurs observations convergent en ce sens.
La première consiste à mettre en évidence un mouvement profond de la doctrine constitutionnelle française, ou de ce qui en tient lieu, et que l’on pourrait appeler cycle de la représentation. Le postulat de départ, on l’a vu, est que la représentation est en crise. Pour répondre à cette crise, on avance la notion de représentativité, qui est censée y remédier. Mais dans le même temps on célèbre le triomphe de la logique majoritaire, considérée comme la principale conquête de la Vème République. La démocratie, dit-on, consiste à dégager une majorité – au sens d’équipe gouvernementale soutenue par plus de 50 % des membres de l’Assemblée nationale – qui est destinée à gouverner jusqu’à l’échéance électorale suivante. Cette équipe, dominée par le président de la République, est censée traduire la volonté majoritaire du peuple au nom duquel elle gouverne sans partage. On s’efforcera sans doute de lui donner une apparence représentative – au sens de la représentativité – en y faisant figurer un certain nombre de représentants issus de catégories tenues pour mal représentées. Mais ces représentants objectifs seront soumis, comme les autres, à la discipline arrêtée par les chefs de cette majorité et légitimée, dit-on, par la volonté majoritaire qui s’est exprimée dans les élections. Or un tel système, loin de traduire automatiquement la volonté implicite des représentés (à supposer que cette notion ait un sens) donne aux représentants d’une grosse moitié du pays la capacité juridique de vouloir pour le pays tout entier. Comment nommer ce phénomène sinon par le terme « représentation » pris dans son acception la plus traditionnelle ? Si la volonté de la majorité fait loi, au sens littéral, et si cette volonté diffère de celle d’une famille de la mafia temporairement victorieuse, comment en rendre compte sinon en posant que la volonté en question n’est pas celle des individus en cause mais celle des citoyens qui ont donné aux gouvernants mandat de les représenter ? On va donc de la représentation à la représentation. Le détour par la représentativité n’a qu’une fonction cosmétique : il donne l’illusion d’un changement possible, offre une satisfaction symbolique à quelques groupes négligés mais remuants – la représentation des groupes négligés mais non remuants n’intéressant visiblement personne –, permet de soutenir des thèses et d’organiser des colloques. Peut-être même permet-il d’ajouter une nuance glamour (exulto jubiloque referens) à l’aride problématique de la représentation. Mais, fondamentalement, tout cela revient à verser du vieux vin dans des outres hâtivement repeintes.
On ne saurait s’en étonner. Pour qu’il en aille autrement, il faudrait qu’il existe une alternative. Or la représentativité ne saurait à l’évidence en être une en raison des difficultés inhérentes au concept et parce que son entière réalisation, à la supposer possible, ne supprimerait pas la nécessité d’un recours à la représentation.
Le concept de représentativité se heurte en effet à des difficultés bien connues, quoique généralement minimisées pour les besoins de la cause. Pour qu’il soit appliqué au niveau des organes décisionnaires – car, bien entendu, l’existence d’organes purement consultatifs ne pose pas de problème – sans mettre à mal le principe « un homme, une voix », une représentation proportionnelle des « communautés » suppose que la société globale soit susceptible d’une division qui respecte les principes de contradiction et de tiers exclu : chaque individu doit être affilié à une communauté et à une seule. Or un tel résultat ne peut être atteint que par la création d’entités artificielles et conçues dans ce but. Il ne saurait en revanche être la traduction automatique de la spontanéité sociale. Même la représentation proportionnelle, qui pourrait sembler un contre-exemple – car les communautés qu’elle suppose, à savoir les partis politiques, sont artificielles mais n’ont pas été au départ créées pour constituer une matrice de représentativité – ne réfute pas cette affirmation. La représentation proportionnelle garantit en effet que tout individu pourra choisir entre les diverses offres présentes sur le marché électoral, mais nullement que toutes les opinions seront présentes sur ce marché. A fortiori, si l’on considère, au-delà des sensibilités politiques, déjà stylisées par nature, toutes les sensibilités sociales, corporatives, ethniques, religieuses, idéologiques, sexuelles, régionales, les tranches d’âge, les niveaux d’études, les profils psychologiques, etc., il est clair que le vécu des individus concrets – autrement dit ce que chacun d’entre eux voudrait voir représenté – ne se répartira pas spontanément entre des cases où tous pourraient trouver une place et une seule. Les êtres réels ont toujours une pluralité d’appartenance : une femme médecin est-elle femme ou médecin, un ouvrier à la retraite est-il ouvrier ou retraité, et ainsi de suite ? Et il ne manque certainement pas d’individus qui ne se reconnaissent pas dans les grandes catégories sociologiques et dont les particularités de tous ordres sont assez spécifiques pour susciter des communautés, mais trop rares pour avoir une pertinence statistique. Dès lors aucune classification à la fois objective et opératoire n’est concevable. Il faudrait donc que la nature des catégories, le seuil numérique à partir duquel elles sont prises en compte et, au moins dans les cas où les individus ne pourraient ou ne voudraient s’autodéfinir, leur répartition entre les catégories soit décidées autoritairement. Mais alors on offre aux décideurs un formidable pouvoir de manipulation. Le fait que seuls des États autoritaires aient mis en place des ébauches – ou des simulacres – de représentation corporative, sans disqualifier nécessairement le principe, suggère pour le moins que la chose ne va pas de soi. D’autre part on retrouve l’ambiguïté évoquée plus haut entre représentation objective et représentation subjective. La première ne produisant pas automatiquement la seconde, le sentiment d’être représenté serait loin d’être unanime. Or c’est justement à cette absence que la notion de représentativité était censée remédier.
Supposons même, contre toute vraisemblance, que le principe de représentativité puisse être mis en œuvre intégralement et de manière consensuelle. La communauté A représente 50 % de la population globale, la communauté B 30 % et la communauté C 20 %. Ces trois entités élisent donc 50, 30 et 20 % des représentants : jusqu’ici tout va bien. Mais si ces représentants prennent des décisions pour la société globale – s’il n’en est pas ainsi une partition de fait s’instaure entre les communautés et la société globale disparaît – soit le système risque d’être bloqué par l’obstruction des minorités, soit il faut avoir recours à une règle majoritaire qui ne garantit pas l’influence de chaque minorité et implique des compromis partisans exactement comme dans l’actuel système représentatif. Mais surtout quelle sera la nature du rapport entre les représentés de la communauté A et les représentants de la communauté A ? L’optimisme de principe tient apparemment pour acquis que le représentant d’une communauté sera nécessairement le porte-parole de cette communauté. Or, on l’a vu, la justesse de cette idée est fortement sujette à caution. Même si une communauté fait front contre les autres, elle est inévitablement traversée de clivages et d’antagonismes. Et si certains représentés ne se sentent pas subjectivement représentés par leurs représentants, ils n’en seront pas moins liés par les décisions prises par ces derniers en leur nom. Les représentants des communautés entretiennent donc avec celles-ci exactement les mêmes types de rapports que les représentants de la société globale avec la société globale. Ils leur ressemblent certes par hypothèse, ils sont leur porte-parole ou non selon la rencontre, mais en toute hypothèse ils tiennent lieu d’eux en ce sens qu’ils décident à leur place. On n’échappe pas si aisément à la représentation.
Enfin il faut observer, quoique la chose soit bien connue depuis les controverses sur la représentation proportionnelle à la fin du XIXème siècle, qu’un Parlement n’a pas seulement pour mission de représenter – au sens de réunir les porte-paroles de divers mouvements d’opinion – mais aussi de décider. Or toutes les décisions ne sont pas susceptibles d’être proportionnalisées. On ne peut pas abolir la peine de mort à 70 %, ou autoriser la ratification d’un traité à 55 %. On doit même constater que, formellement, toute décision législative s’achève par un choix entre adoption et rejet, quelles qu’aient été les tractations antérieures. À ce stade seule compte la majorité, et cette réalité ne serait en rien modifiée s’il existait une proportionnalité exacte entre voix aux élections et sièges au Parlement. Si les opinions minoritaires – politiques dans la représentation proportionnelle, communautaires (au sens large) dans un système qui mettrait en œuvre la représentativité – peuvent être exprimées, c’est seulement au moment de la délibération qui précède le vote. C’est d’ailleurs l’argument que les partisans de la représentation proportionnelle opposent à l’objection : ils reconnaissent que tous les points de vue ne peuvent l’emporter simultanément, mais jugent important que chacun ait pu être exposé, ce qui implique la présence dans l’assemblée de porte-paroles de toutes les sensibilités partisanes. Mais d’une part ceci revient à admettre le caractère utopique d’une expression efficace et directe de toutes les aspirations de tous les groupes ou individus : il faut choisir, et donc une représentation représentative fonctionne en dernière analyse comme une représentation tout court. D’autre part l’évolution du régime politique français ôte toute pertinence à l’argument tiré de la délibération, car le développement du système majoritaire aboutit à faire de la discussion parlementaire non plus une confrontation de points de vue mais la simple confirmation du fait que la majorité est majoritaire. On peut soutenir que le système demeure démocratique dans la mesure où c’est la majorité des électeurs qui a confié tous les pouvoirs pour une durée déterminée à un camp politique, et spécialement à son chef, après avoir pris connaissance de son programme. Mais dire que les décisions sont prises après une délibération où les points de vue divers des représentés sont exprimés par les représentants des diverses sensibilités devient purement formel, voire mensonger : ces décisions sont en fait prédéterminées par des mécanismes politico-juridiques dont la logique, qui ne retient de la représentation que l’idée de blanc-seing accordé aux élus, exclut en pratique la prise en compte des opinions des individus, groupes ou communautés supposés représentés par les représentants représentatifs. Il y a donc une contradiction, dont on évite en général de prendre conscience, entre les principes, également portés aux nues, de parlementarisme majoritaire et de représentativité.
Plus généralement, l’affirmation contemporaine de l’idée selon laquelle l’élection au suffrage universel direct constitue la condition nécessaire et suffisante de la démocratie implique un profond changement de l’usage des notions. L’équation démocratie = élection peut en effet être prise en deux sens différents. Naguère, elle signifiait que, pour être démocratique, un pouvoir devait être élu. Elle était une machine de guerre contre les pouvoirs non élus (dictatures et oligarchies de tous poils) ou disposant de prérogatives décisives sans être élus au suffrage universel direct (Sénat de la IIIème République). Elle signifie maintenant qu’un pouvoir est démocratique à la seule condition d’être élu. Dans ce changement d’accent se trouve impliquée une tentative pour résoudre la dissonance introduite dans la théorie constitutionnelle par l’idée de souveraineté populaire. Non bien sûr que cette notion soit remise en cause : nul ne la conteste, bien qu’on y fasse aujourd’hui plus rarement référence. Mais la dissonance n’était pas, comme on le croit naïvement, dans la substitution de l’adjectif populaire à l’adjectif national. Le mot « peuple », comme tout mot, n’a que le sens qu’on lui donne, et aurait pu être considéré comme simple synonyme de « Nation ». La dissonance tenait plutôt à ce que l’usage du mot « peuple » transforme (en principe) la démocratie d’imperium en regimen, la souveraineté d’imputation en souveraineté d’exercice : le peuple, maintenant défini comme un ensemble d’individus concrets, devient susceptible d’avoir et d’exprimer une volonté effective et pas seulement d’être représenté. La nouvelle conception de l’élection comme condition nécessaire et suffisante de la démocratie referme cette parenthèse. Le peuple n’a plus de volonté qu’électorale. Il objective et abdique celle-ci d’un même mouvement tous les cinq ans, exactement comme Rousseau l’avait reproché au peuple anglais dans un texte célèbre. Ainsi se trouve restaurée l’antique souveraineté nationale, seulement rebaptisée souveraineté populaire, et où la délibération parlementaire est remplacée par la décision exécutive.
L’équation démocratie = élection implique donc un retour en force de la représentation. Car pour que la démocratie puisse se réduire aux élections, il est indispensable d’admettre que la représentation est la démocratie dans l’intervalle entre celles-ci. Elle n’est plus un pis-aller, mais la variable d’ajustement qui permet de soutenir que le peuple est souverain mais n’a rien à dire, que la démocratie existe mais que les élites ont un droit subjectif à gouverner, ou que le citoyen doit obéir mais peut le faire sans avoir le sentiment de perdre la face – l’essentiel, c’est-à -dire les droits fondamentaux, étant garanti par des juges constitutionnels qui, bien que désignés par les représentants, sont déclarés indépendants de ceux-ci. La représentation a la force du mythe auquel tout le monde croit ou feint de croire, car représentants et représentés y ont intérêt, quoique pour des raisons différentes. Vu sous cet angle, les lamentations sur la « crise » et les leurres parfois agités (représentativité, « démocratie participative », « référendum d’initiative populaire »), témoignent plus de la force du principe représentatif que de sa fragilité. Par quoi en effet pourrait-on le remplacer ?
Ce triomphe de la représentation reçoit en outre une consécration ultime de ce qui devrait en principe en nier le fondement même. Car le principe démocratie = élection, généralement brandi comme un étendard, se trouve opportunément oublié lorsqu’il s’agit de justifier la légitimité du Conseil constitutionnel. Ici, comme chacun sait, le principe révolutionnaire – est représentant celui qui veut (la loi) pour la Nation –, ordinairement congédié, reprend du service. On pourrait penser que l’usage alternatif de critères incompatibles pour définir la représentation ne va pas sans problèmes. Or il n’en est rien, du moins si l’on en juge par certaines opinions ou thèses soutenues aujourd’hui et qui témoignent, au niveau le plus bas mais par là même significatif, d’une parfaite absence de complexes : on y trouve exprimée tout unanimement l’idée que le président de la République est représentant parce qu’élu et bien qu’il ne participe pas à l’élaboration de la loi, puis que les membres du Conseil constitutionnel sont représentants parce qu’ils participent à l’élaboration de la loi et bien qu’ils ne soient pas élus. Comment faire, dans ces conditions pour ne pas être représentant ? En apparence il suffit de ne pas être élu et de ne pas vouloir pour la Nation. Mais c’est une illusion, car comment un homme qui gouverne peut-il ne pas en quelque manière vouloir pour la Nation ? La tendance à absolutiser, au moins au niveau du langage, la relation de représentation, c’est-à -dire à occulter le fait que si le représentant tient lieu de, c’est pour l’accomplissement d’une tâche juridiquement définie, va dans ce sens. L’argument est sous-jacent dans le discours sur le Président représentant, même s’il n’est que supplétif, son élection au suffrage universel direct étant censée suffisante à elle seule pour trancher le débat. Vouloir pour peut d’autre part être adapté à n’importe quelle collectivité dès lors que le représenté n’est plus une entité abstraite explicitement conçue pour tenir ce rôle : le maire et le conseil municipal seraient représentants, même s’ils n’étaient pas élus, parce qu’ils veulent pour la commune, etc. Poussé à sa limite, le raisonnement permet d’aboutir à cette formulation ultime : un gouvernant est représentant parce qu’il gouverne, donc veut pour autrui, qu’il soit élu ou qu’il ne le soit pas. À force de multiplier les généralisations hâtives, les approximations et les solutions ad hoc, on en arrive inévitablement à ce que n’importe quoi marche. La représentation triomphe, mais dans quel état ! Peut-on encore tirer de cette notion d’autres conclusions que « Qui gouverne est légitime » ou « Les choses sont ce qu’elles sont » ?
Il n’est peut-être pas inutile d’observer pour conclure que, si les notions de démocratie et de représentation en viennent à se confondre, ce résultat est la conséquence de deux processus inverses. Les notions en cause ne sont en effet pas de même nature. Leur contraste permet d’illustrer une distinction entre deux types de concepts utilisés en droit constitutionnel et dont l’opposition est généralement occultée par l’usage naïf de la langue. Tout discours juridique est programmatique. Mais le rapport qu’il établit entre le programme – c’est-à -dire le langage – et la réalité, qui est à la fois son but et sa limite, varie. Dans certains cas on va du langage au réel, alors que c’est l’inverse dans les autres. L’opposition entre la démocratie et la représentation en est un exemple. Quand la démocratie cesse, à l’époque moderne, d’être une référence historique et un repoussoir – elle l’est encore chez Sieyès et Kant – elle n’est qu’une aspiration, un slogan, au mieux une idée vague. Cette idée va cependant peu à peu recevoir un certain contenu en s’incarnant dans des institutions. Mais la question de ce que recouvre exactement le terme ne recevra pas de réponse claire, et cela par l’effet d’une double insuffisance : non seulement la réalité ne tient pas les promesses de l’utopie, mais elle est elle-même, bien qu’incarnée, difficile à définir parce que complexe, floue et changeante en fonction des attentes diverses, parfois incompatibles, dont l’investit successivement l’évolution de la société. Cette incarnation inachevée, due à une sous-détermination de la réalité par le programme qui la nomme sans la produire ni même établir clairement ce qui est visé, fait que l’on discute encore aujourd’hui de ce qu’est ou peut être la démocratie.
Il en va autrement de la représentation, si du moins on considère celle-ci au sens défini par Sieyès lorsqu’il oppose démocratie à gouvernement représentatif. Ici l’idée n’a rien de vague, elle est un concept juridique, c’est-à -dire un objet constructible au sens que les mathématiciens intuitionnistes donnent à ce terme. L’objet visé n’est pas seulement postulé comme produit nécessaire d’un raisonnement. Il n’est pas une fiction juridique ou un postulat de la raison pratique comme la norme fondamentale chez Kelsen. Sa définition porte avec elle le moyen de le produire effectivement. Le modèle de Sieyès, repris par les Constituants, et qui n’est que superficiellement remis en cause par le jacobinisme triomphant, est applicable et a été appliqué, même si c’est seulement de manière rétrospective qu’il trouve, chez les grands maîtres de la doctrine publiciste française, une théorisation parfaitement achevée.
La distinction entre les deux types de concepts n’est donc pas une question de définition, mais plutôt, si l’on peut dire, de définition de la définition. Car la démocratie peut être définie, et de bien des manières. Elle peut l’être négativement comme gouvernement de tous, par opposition à gouvernement de quelques-uns ou gouvernement d’un seul. Tel était le sens du mot chez ses inventeurs grecs. Il l’est encore chez Kant. Celui-ci observe que cette tripartition est complète, car on ne saurait concevoir un quatrième terme. Mais il précise aussi qu’elle ne définit que la forme de la souveraineté (forma imperii) et non la forme du gouvernement (forma regiminis). Car la seconde n’existe que sous deux espèces : la forme républicaine et la forme despotique. Or « La démocratie est nécessairement despotisme, puisqu’elle établit un pouvoir exécutif contraire à la volonté générale ; tous pouvant y décider contre un seul dont l’avis est différent ; la volonté de tous n’y est donc pas celle de tous : ce qui est contradictoire et opposé à la liberté ». La réhabilitation de la démocratie supposera à l’inverse une définition positive de celle-ci comme forme de gouvernement. Mais, à la différence de l’opposition négative qui est extensionnelle et permet, grâce à un principe de quart exclu, d’identifier sans équivoque l’objet, la définition positive demeure intensionnelle. Dire que la démocratie est le gouvernement du peuple n’a en effet aucun sens clair et ne permet pas de subsumer un individu sous un concept tant qu’on n’a pas spécifié ce que l’on entend par gouvernement – démarche qui suppose entre autres de distinguer celui-ci de la souveraineté, donc de définir des institutions – et par peuple. Si bien que lorsque l’on en vient à parler de la démocratie comme d’un idéal, les définitions anciennes et stéréotypées sont en réalité caduques. Rituellement invoquées, elles ne donnent aucune lumière sur les réalités que le mot désigne et a fortiori sur les procédés qui permettraient de mettre en œuvre l’objectif ainsi proclamé. Descriptif et déterminé dans l’Antiquité, le concept de démocratie est donc devenu au XIXème siècle indéterminé et spéculatif. Il a été conçu comme devant s’incarner, mais sans que l’on sache exactement ce qui devait être incarné et sans que l’on puisse établir si ce qui a été incarné est vraiment la démocratie.
Or la notion de représentation a subi une évolution analogue dans le long terme mais inverse depuis la fin du XVIIIème siècle. Quand Sieyès ou Barnave parlent de représentation ou de gouvernement représentatif, ils savent ce qu’ils entendent par là et connaissent le processus à mettre en œuvre pour que le phénomène artificiel auquel ils se réfèrent devienne effectif. Leur démarche est également programmatique, mais le programme est défini. Il suffit de créer performativement des institutions susceptibles d’incarner les concepts. Ils sous-estiment toutefois les résistances sociales et idéologiques, les conflits d’intérêts entre les groupes et les pesanteurs du langage. Car le terme « représentation », choisi pour nommer le phénomène à construire, va s’avérer riche de potentialités nouvelles et imprévues. L’histoire ultérieure de la représentation se résume ainsi à une revanche du mot sur le concept. L’idée claire et distincte de gouvernement représentatif se trouvera infléchie, brouillée et finalement submergée par une pluralité de significations incompatibles avec la pensée d’origine. C’est d’ailleurs ce qui justifie le rejet de la méthode déductive traditionnelle en droit et impose de partir, comme on l’a fait ici, du mot et non du concept de représentation.
C’est ainsi qu’on est parvenu à la situation actuelle, où une définition unitaire de la représentation ne saurait être que tautologique – sans d’ailleurs que la quiétude de la doctrine en soit apparemment troublée. La définition de la démocratie n’est pas moins évanescente, et les relations qu’entretiennent ces deux idées floues ajoutent encore à la confusion. Que les politiques trouvent des avantages pragmatiques à la prolifération des ambiguïtés n’est pas pour étonner. Il est plus étrange que beaucoup de juristes paraissent s’en satisfaire. Le comble est que cette incapacité à savoir de quoi l’on parle se présente comme un programme : « répondre à la crise de la représentation ». Tâche urgente et grandiose, mais que l’on est par hypothèse hors d’état d’accomplir puisqu’on ne sait même pas – et pour cause ! – en quoi elle consiste.
Jean-Marie Denquin est Professeur de droit public à l’université Paris Ouest Nanterre La défense. Il a publié notamment 1958 : la genèse de la Ve République, PUF, 1988, La monarchie aléatoire, PUF, 2001, La politique et le langage, Michel Houdiard, 2007 et plusieurs articles dans Jus politicum.
Pour citer cet article :
Jean-Marie Denquin « Pour en finir avec la crise de la représentation », Jus Politicum, n°4 [https://juspoliticum.com/articles/Pour-en-finir-avec-la-crise-de-la-representation]