Les rapports entre gouvernement, groupes de la majorité et groupes d’opposition
En procédant à une rénovation profonde du travail parlementaire, la révision constitutionnelle de 2008 et l'ensemble des textes pris pour son application auguraient un changement des comportements entre les acteurs du jeu parlementaire (Gouvernement, groupes de la majorité et groupes d'opposition). Au terme d'un premier bilan, les règles nouvelles (ordre du jour partagé, discussion en séance publique sur le texte de la commission, journées mensuelles réservées, droit de tirage des commissions d'enquête,...) n'ont pas modifié les rapports politiques, la force des habitus l'ayant emporté, pour l'heure, sur les virtualités de la réforme
Relationships between government, the majority and the oppositionThe constitutional reform of 23rd July 2008 sought to achieve a substantial reorganisation of parliamentary business. It consequently aimed to bring about a change in the behaviours of the main actors of the parliamentary process (Government, the Majority, and the Opposition). However, a recent assessment of the implementation of the reform suggests that the new rules on parliamentary business haven't for the time being really modified the relationships between these key actors, despite the virtual impact of the constitutional reform.
Die Beziehungen zwischen Regierung, Parlamentsmehrheit und OppositionAngesichts der erheblichen Veränderungen die die Verfassungsreform von 2008 im Verfassungs- und Parlamentsrecht bewirkt hat, hätte man neue Verhalten der wichtigsten Akteure des Parlamentslebens (die Regierung, die Mehrheitsfraktionen und die Oppositionsfraktionen) erwartet. Eine erste Bilanz lässt jedoch eher auf die Kontinuität der politischen Verhältnisse schliessen : sowohl in der Festsetzung über die Tagesordnung, der Beratung von Gesetzentwürfen in den Ausschüssen und Untersuchungsausschüssen, usw... wurden die alten Verhaltensweisen im Wesentlichen fortgeführt.
Comment rendre compte du réel lorsque l’on n’est pas praticien du droit parlementaire ? S’il n’y avait eu l’immense plaisir de répondre à l’invitation des Professeurs Guillaume Drago et Armel Le Divellec que je remercie très sincèrement, je ne suis pas certaine que j’aurais pris le risque, de surcroît devant d’éminents spécialistes de la matière, de traiter un tel sujet qui relève plus, en première analyse au moins, de la vie parlementaire que du droit parlementaire proprement dit.
Comment apprécier en effet les rapports entre gouvernement, groupes de la majorité et groupes d’opposition, lorsque l’on n’est ni parlementaire, ni fonctionnaire des assemblées ? Déconstruire les apparences n’est pas chose aisée. Sauf à détenir un mandat parlementaire, l’universitaire ne siège pas en commission, il n’assiste pas aux réunions de groupe. Certes, il lit la presse, suit les chroniques constitutionnelles, analyse les statistiques, procède aussi par sondages auprès de fonctionnaires ou de parlementaires et je tiens à remercier tout particulièrement ici le député Jean-Jacques Urvoas pour son éclairage précieux ainsi que Georges Bergougnous, Philippe Bachschmidt et Gérald Sutter pour nos échanges féconds. De cette observation de la vie parlementaire, l’universitaire tire des intuitions, des sentiments, une opinion même, ce qui l’expose à confondre sa représentation du réel et le réel lui-même.
En même temps, l’étude de la pratique et des rapports entre les acteurs est un passage obligé pour tout chercheur qui s’intéresse au Parlement et au droit parlementaire. Comme l’avait si bien écrit Jean-Louis Pezant, le droit parlementaire est un droit politique « dans son essence même » (« Quel droit régit le Parlement ? », Pouvoirs, 1993, n° 64, p. 69), car s’il dérive des textes encadrant l’activité des assemblées, il est aussi défini par ceux là -même auxquels il s’applique. Détacher les règles écrites de leur environnement politique, ce serait donc à coup sûr passer sous silence tout ou partie de la réalité parlementaire, tant ici l’application des dispositions écrites est inséparable des « normes de conduite », comme les appelait Marcel Prélot (« Introduction au droit parlementaire », Politique, 1963, n° 21-24, p. 12), dont se dotent les acteurs du jeu parlementaire pour régler leurs rapports et leurs comportements.
Autrement dit, la règle de droit parlementaire décrit non pas nécessairement ce qui est, mais, selon les cas, ce qui pourrait ou devrait être. Ce droit parlementaire virtuel que définissent les textes se concrétise ou non dans la pratique selon l’application qui en est faite par les acteurs politiques. En d’autres termes, le droit parlementaire réel résulte, lui, d’une combinaison variable, concordante ou non, des règles écrites et de la pratique politique.
Ainsi, la révision de 2008 et l’ensemble des textes pris pour son application, en particulier les résolutions ayant modifié les règlements des deux assemblées, ont-ils dessiné un nouveau champ des possibles, porteur de changements et même de bouleversements dans les rapports entre gouvernement, groupes de la majorité et groupes d’opposition.
Mais la révolution a-t-elle eu lieu ? Les textes ont-ils imprimé un nouveau type de rapports de force ? La prudence voudrait qu’au terme d’une analyse équilibrée recensant, d’un coté, les avancées, de l’autre, la permanence de certaines pratiques, la réponse à cette question soit nuancée. De fait, des changements semblent s’opérer. Cette prudence se justifierait d’autant plus que les rapports dans une assemblée politique ne sont jamais figés. Après tout, la réforme du travail parlementaire issue de la révision de 2008 est encore très récente et l’intériorisation de nouvelles règles peut prendre du temps. Mais à sujet risqué, autant proposer une conclusion risquée elle aussi, à savoir qu’à ce jour, les anciens habitus réglant le jeu politique au Parlement, en particulier à l’Assemblée nationale, ont survécu pour l’essentiel à la révision des textes. Autant il est incontestable que le travail parlementaire a changé, autant les rapports de forces entre les différents pouvoirs n’ont pas été transformés. Ou pour le dire autrement, s’il y a bien un nouveau droit parlementaire (écrit), il n’y a pas de nouveau Parlement et s’il n’y a pas de nouveau Parlement, c’est que la permanence des rapports politiques entre les parlementaires et avec l’Exécutif a largement neutralisé les effets attendus de la réforme.
Partant de ce constat, l’analyse peut être développée en deux temps :
Premièrement, les virtualités de la réforme et l’infléchissement attendu des rapports
Deuxièmement, les faux-semblants de la pratique ou la survivance des habitus
Les virtualités de la réforme et l’infléchissement attendu des rapports
Les virtualités de la réforme, c’est-à -dire le Parlement tel qu’il devrait ou pourrait être.
Il faut se reporter ici aux travaux du comité Balladur lequel affirmait avoir poursuivi « un seul et même objectif », s’agissant du Parlement, « assurer [son] émancipation » (Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, Une Ve République plus démocratique, La documentation française, 2007, p. 65). Plus précisément, les préconisations du Comité ont tendu à une double émancipation parlementaire : celle du groupe majoritaire, tout d’abord, qu’on dit généralement soumis au gouvernement depuis les débuts de la Ve République par les contraintes combinées du parlementarisme rationalisé et du fait majoritaire ; l’émancipation des groupes d’opposition, ensuite, dont les droits embryonnaires restaient largement tributaires pour leur exercice du bon vouloir de la majorité.
Dans la foulée du rapport du Comité Balladur, la révision de 2008 et à sa suite les textes pris pour son application ont desserré l’étau du parlementarisme rationalisé et consacré l’existence d’une opposition parlementaire à laquelle s’attache des droits spécifiques. La majorité, volontiers considérée jusque-là comme asservie, devient virtuellement co-gouvernante ou, tout au moins, le poids politique du groupe majoritaire face au gouvernement est-il théoriquement renforcé. Quant à l’opposition, souvent enfermée jusque-là dans un rôle stérile de critique systématique, elle se voit reconnaître des prérogatives en propre censées lui permettre d’assurer son rôle de contre-pouvoir.
Ce double rééquilibrage institutionnel aurait dû en toute logique emporter une double inflexion en pratique, dans les rapports entre gouvernement et groupe majoritaire d’une part, dans les rapports entre groupe majoritaire et groupes d’opposition d’autre part.
1 . Les premiers sont dominés depuis 1962 par l’appel à la discipline derrière lequel se rangent les députés de la majorité qui, sauf exceptions, manifestent au gouvernement un soutien inconditionné. C’est la figure devenue classique sous la Ve République de la majorité instrumentalisée. Les parlementaires de la majorité ont invariablement imputé aux contraintes du parlementarisme rationalisé cet abaissement de leur rôle. Sous ce rapport, l’assouplissement du dispositif constitutionnel et la nouvelle organisation du travail parlementaire qui en est résulté annonçaient un rééquilibrage de la relation entre gouvernement et groupe majoritaire. D’aucuns ont même agité le spectre d’un retour à la IVe République, redoutant qu’un nouveau déséquilibre ne s’instaure, cette fois aux dépens du gouvernement, tant la réforme du travail parlementaire recèle, comme l’a souligné Pascal Jan à propos du nouvel article 42 de la Constitution, de « potentialités de déstabilisation de l’exécutif » (« Les débats des projets à partir du texte de la commission : disposition innovante... sous conditions ou risque d’un nouveau déséquilibre ? », Les Petites Affiches, 19 décembre 2008, n° 254, p. 68). À tout le moins, l’on s’est accordé à considérer que le gouvernement serait désormais contraint au dialogue et à la concertation. La majorité allait recouvrir une réelle influence, soit qu’elle légifère elle-même dans le cadre des séances d’initiative parlementaire, soit, dans le cas d’un projet de loi, qu’elle soit désormais à même de modifier le texte en commission. Bref, l’ère de la « coproduction » législative, pour parler comme l’ancien président du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale, était venue. Et, de fait, les statistiques viendraient plutôt confirmer cette évolution attendue.
S’agissant d’abord des propositions de loi émanant du groupe majoritaire dans le nombre total de lois adoptées [hors celles autorisant la ratification ou l’approbation de conventions internationales], leur part a très sensiblement augmenté depuis l’entrée en vigueur de la révision. Pour la session 2007/2008, 20% des lois émanaient d’une initiative unique du groupe UMP de l’Assemblée nationale ou du Sénat, soit 11 propositions. Cette proportion passe à 28% pour la session 2009/2010, soit une progression de 40% et l’adoption de 16 propositions au total, et à 45% pour la dernière session, soit une nouvelle progression de 60% même si le nombre de propositions adoptées émanant d’une initiative unique du groupe majoritaire reste stable par rapport à la période 2009/2010 (18 propositions de lois au total dont 4 adoptées au cours de la session extraordinaire de juillet 2011).
S’agissant ensuite du nombre d’amendements adoptés, on relève à l’Assemblée nationale un doublement du nombre d’amendements déposés par le gouvernement (276 pour la session 2007/2008, 498 pour la session 2009/2010) et, inversement, une réduction par deux du nombre d’amendements déposés par les commissions (1075 pour la session 2007/2008, 501 pour la session 2009/2010). On est tentés d’y voir la conséquence de la priorité nouvelle donnée aux travaux des commissions sur les textes desquelles s’engage désormais la discussion en séance. Si, en séance, les commissions défendent désormais deux fois moins d’amendements et le gouvernement deux fois plus, c’est bien, a priori, que le nouveau dispositif de l’article 42 de la Constitution tient pour partie au moins ses promesses et que les ministres sont très loin d’exercer en commission la police des initiatives. Leur participation aux travaux des commissions sénatoriales reste d’ailleurs exceptionnelle et, s’ils se rendent plus souvent dans les commissions de l’Assemblée nationale, « ce serait se méprendre, comme l’a écrit Georges Bergougnous, que de croire que [leur] présence constitue une pression coercitive, paralysant des velléités d’indépendance des députés » (Constitutions. Revue de droit constitutionnel appliqué, 2011, n° 3, p.535). Si la commission ne remet généralement pas en cause les grandes options défendues par le gouvernement (encore qu’il soit déjà arrivé qu’un projet de loi soit purement et simplement rejeté en commission en présence du ministre concerné), elle peut néanmoins contraindre les ministres à des concessions, à commencer d’ailleurs par devoir « sécher » le Conseil des ministres pour assister aux travaux législatifs des commissions opportunément placés le mercredi matin.
L’émancipation de la majorité serait donc en marche. Ni autonome (comment d’ailleurs pourrait-elle l’être dans un système majoritaire ?), ni non plus désormais soumise, la majorité aurait recouvré une influence sur la législation.
2 . Face à la majorité, l’opposition pouvait elle aussi tirer parti de la réforme. Ici encore, une inflexion des rapports était attendue mais, disons le tout de go, rien ne vient attester aujourd’hui un changement des comportements. Les rapports entre majorité et opposition sont dominés depuis les débuts de la Ve République par une logique d’affrontement que viennent tempérer, il est vrai, quelques votes consensuels en séance publique ou des expériences de travail en commun (par exemple, dans le cadre de la Mission d’évaluation et de contrôle ou depuis 2009 du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques), à quoi il faut ajouter la fin programmée de l’obstruction sous l’effet du temps législatif programmé. Mais, pour l’essentiel, conflictuelle était leur relation, conflictuelle elle le reste. D’ailleurs, même les rapports entre le gouvernement et sa majorité, s’ils ont tendu à se rééquilibrer au début de la législature et donc bien avant l’entrée en vigueur de la révision, n’ont en fait guère évolué. Quels que puissent être par ailleurs les faux-semblants de la pratique, la culture parlementaire et gouvernementale l’a emporté pour le moment sur la révision des textes.
Les faux-semblants de la pratique ou la survivance des habitus
La survivance des habitus ou le Parlement tel qu’il reste.
1 . Que la réforme ait donné à la majorité parlementaire de nouveaux moyens d’action, cela est un point indiscuté. Que ces mêmes parlementaires en aient tiré toutes les potentialités, cela est plus discutable.
On peut donner ici deux exemples : la faculté donnée aux conférences des présidents des deux chambres de s’opposer conjointement au déclenchement de la procédure accélérée et la faculté donnée à la conférence des présidents de la première assemblée saisie de s’opposer à l’inscription à l’ordre du jour d’un projet de loi dont la présentation méconnaîtrait les règles fixées par la loi organique du 15 avril 2009 relativement aux études d’impact. Aucune de ces deux facultés n’a été utilisée à ce jour. Certes, on sait bien que la mise en œuvre d’un dispositif ne conditionne pas son efficacité et que l’effet dissuasif qui s’y attache peut suffire à lui donner pleine efficacité, sauf qu’en l’occurrence on peut douter justement de cet effet dissuasif, que l’on relève l’indigence de certaines études d’impact, par exemple sur le projet de loi portant réforme des retraites, ou l’utilisation soutenue de la procédure accélérée. Il est vrai que le Premier ministre a renoncé à la déclencher, après avoir reçu les présidents des deux chambres, pour l’examen du projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public en misant, avec succès du reste, sur un vote conforme des deux assemblées en première lecture. Mais il reste que le Président Accoyer n’a cessé de plaider depuis deux ans pour un usage plus mesuré de cette procédure et que les présidents des deux assemblées cette fois, jugeant qu’« une bonne loi nécessite un temps de réflexion incompressible », ont pris l’initiative en février 2010 de créer un groupe de travail commun pour définir les voies et moyens permettant d’améliorer la qualité de la loi et les conditions de son élaboration. Mais qu’ils commencent déjà par utiliser les voies et moyens existants !
Ce que cette abstention révèle n’est finalement pas nouveau. Le fait majoritaire a toujours postulé la discipline ou, si l’on préfère, l’harmonie entre le gouvernement et sa majorité et s’il arrive que la majorité puisse publiquement afficher un désaccord, par exemple par la voie d’une tribune dans la presse, elle ne doit pas aller jusqu’à retourner ses instruments d’action, aussi rénovés soient-ils, contre le gouvernement. Le Premier ministre n’a d’ailleurs pas manqué de le rappeler chaque fois que nécessaire. « Il n’y a pas, déclarait-il par exemple en septembre 2009, le gouvernement d’un côté et la majorité parlementaire de l’autre. Il ne peut y avoir l’exécutif et le législatif qui tirent à hue et à dia. Nous sommes tous au service de l’intérêt national. Entre nous, il n’y a donc pas de contre-pouvoirs » (Le Monde, 27-28 septembre 2009).
Et, de fait, si formellement la majorité est plus souvent qu'avant 2008 à l'initiative des lois, elle n'en joue pas moins la même partition que l'Exécutif à telle enseigne que certaines de ses propositions de lois continuent, tout comme avant la révision, d’être inscrites à l’ordre du jour fixé par le gouvernement, examinées en urgence ou reprises par voie d’amendement gouvernemental lorsqu’elles sont frappées d’irrecevabilité. Songeons ici à la proposition de loi relative au travail dominical clairement téléguidée par l’Élysée et qui, après déclaration de la procédure accélérée, a fait l’objet de la première application du temps législatif programmé. Pour la dernière session, on peut citer la proposition de loi pour le développement de l’alternance pour laquelle le gouvernement a engagé la procédure accélérée ou la proposition relative à l’organisation de la médecine du travail qui reprend des dispositions censurées par le Conseil constitutionnel après avoir été introduites par voie d’amendement gouvernemental dans la loi portant réforme des retraites. Autant d’initiatives parlementaires qui sont en réalité des sous-marins gouvernementaux et dont la discussion a d’ailleurs été inscrite à l’ordre du jour de la session extraordinaire de juillet 2011. Réciproquement, les semaines d’initiative parlementaire accueillent des projets de loi, tant il devient difficile pour les ministres, du fait des nouvelles règles de fixation de l’ordre du jour, de trouver des créneaux pour l’examen de leurs textes et pour la majorité d’occuper utilement ceux dont elle dispose.
Les statistiques afférentes aux amendements sont de même à relativiser. Elles ne disent finalement rien de la capacité des commissions à modifier la substance des textes gouvernementaux, d’autant qu’elles sont à mesurer à l’aune du nouvel article 42 qui a emporté mécaniquement une baisse des amendements rédactionnels des commissions, toujours très nombreux. Alors qu’auparavant ils étaient déposés en séance, ces amendements sont désormais directement intégrés dans le texte en commission.
Après tout, on pourrait trouver ici, dans ces initiatives partagées, les marques d’un partenariat entre le gouvernement et sa majorité. Mais si ce partenariat existe en effet, il est aussi régulièrement rompu. Il l’est lorsqu’un amendement émanant du groupe UMP sur la suppression de la taxe professionnelle, après avoir été adopté en commission, est opportunément retiré en séance, il l’est encore lorsque la majorité est appelée à voter en pleine nuit par voie d’amendement gouvernemental le tableau de répartition des futurs conseillers territoriaux. Même au Sénat, les mauvaises manières du gouvernement existent, lorsque par exemple une seconde délibération est demandée revenant sur le vote d’amendements qui avaient retiré le Défenseur des enfants du périmètre du Défenseur des droits. Et l’opposition de moquer à l’Assemblée nationale cette « cocuproduction » pour reprendre l’expression sans doute cavalière mais très parlante d’un de ses membres.
2 . Mais l’opposition n’est pas mieux traitée par la majorité. Leurs rapports continuent de s’inscrire dans une logique de conflit, entretenue de part et d’autre, comme si ici au moins existait une alliance objective des deux blocs, comme si toute normalisation de leurs rapports risquait de passer pour de la connivence. D’ailleurs, dans son bilan de l’application de la révision constitutionnelle de 2008, le Comité Balladur n’a pas manqué de déplorer « des mœurs politiques parlementaires trop marquées, aujourd’hui encore, par le conflit plutôt que par le débat » (La réforme institutionnelle deux ans après, rapport remis au Président de l’Assemblée nationale le 17 mai 2010). J’en donnerai simplement trois exemples.
Le premier, sans doute le plus emblématique, renvoie aux conditions dans lesquelles ont été examinées à l’Assemblée nationale la loi organique du 15 avril 2009 et la résolution du 27 mai 2009 modifiant le règlement de l’Assemblée nationale. Alors qu’au Sénat, un esprit de consensus a dominé la discussion, celle-ci a pris à l’Assemblée un tour extrêmement polémique, les conditions du débat autour de la réglementation nouvelle du droit d’amendement ayant donné lieu au tumulte le plus formidable, des députés de l’opposition se massant au pied de la tribune et entonnant La Marseillaise avant de quitter l’hémicycle pour ne plus participer à la discussion.
Deuxième exemple, les journées mensuelles réservées à un ordre du jour fixé à l’initiative des groupes d’opposition, dont l’intérêt a été purement neutralisé à l’Assemblée nationale par le gouvernement et sa majorité. L’usage s’est établi, en effet, de dissocier l’examen des textes de leur vote de manière à dispenser la majorité d’assister et de participer au débat. Le gouvernement demande la réserve des votes le jeudi devant un hémicycle quasi-déserté par la majorité, l’Assemblée étant appelée à se prononcer par un scrutin unique le mardi suivant. Même les textes sur lesquels un dépassement du clivage partisan aurait pu être obtenu (par exemple, la proposition de loi socialiste relative au droit de finir sa vie dans la dignité) n’ont pas échappé à cette pratique franchement contestable qui a marqué par ailleurs le retour en force du vote bloqué.
Enfin, troisième et dernier exemple, le « droit de tirage » des commissions d’enquête qui offre à chaque groupe d’opposition d’obtenir une fois par session l’inscription d’office à l’ordre du jour d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête, une telle demande ne pouvant être rejetée qu’à la majorité des 3/5e des membres de l’Assemblée. Ici encore, la révision des textes n’a pas induit pour l’heure de changement de comportements. Comme par le passé, la majorité à l’Assemblée nationale n’a pas hésité, lorsque la proposition de résolution recélait un danger pour l’Exécutif, à vider de son contenu le droit de tirage en modifiant substantiellement le champ de l’enquête amenant finalement l’opposition à y renoncer. On se souvient ici de la proposition de création d’une commission d’enquête sur les études d’opinion financées par la présidence de la République qui a été rectifiée une première fois par Jean-Marc Ayrault, après avoir été déclarée irrecevable, et une seconde fois par la majorité en commission qui a décidé d’extraire les crédits de l’Élysée du périmètre des investigations. On peut encore citer la proposition de création d’une commission d’enquête sur les conséquences sur la santé des salariés des restructurations à France Télécom, retirée elle aussi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine après que son intitulé a été modifié en commission pour ne plus viser France Télécom.
La révision de 2008 a ouvert la voie sans conteste à un nouveau droit parlementaire. Il reste, si l’on peut dire, aux acteurs à le faire vivre pleinement.
Julie Benetti est Professeur à l’Université de Reims Champagne-Ardenne
Pour citer cet article :
Julie Benetti « Les rapports entre gouvernement, groupes de la majorité et groupes d’opposition », Jus Politicum, n°6 [https://juspoliticum.com/articles/Les-rapports-entre-gouvernement-groupes-de-la-majorite-et-groupes-d-opposition]