Le temps de parole audiovisuel des personnalités politiques
La répartition du temps de parole audiovisuel des personnalités politiques est un aspect important de la régulation de la vie politique dans les démocraties d’opinion. L’arrêt du Conseil d’État du 8 avril 2009, MM. Hollande et Mathus a provoqué une réorganisation des règles de partage par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, chargé par la loi de déterminer les modalités d’application du pluralisme dans les programmes. Le nouveau « principe de pluralisme », rentré en vigueur le 1er septembre de l’année dernière, doit être tout d’abord restitué dans une évolution qui, depuis dix ans, a remis en cause la règle dite des « trois tiers », adoptée en 1969, au lendemain du départ du général de Gaulle. Cette règle répartissait le temps de parole audiovisuel à égalité entre le gouvernement, la majorité parlementaire et l’opposition parlementaire. Elle excluait de son domaine d’application les partis politiques non représentés au Parlement qui ne bénéficiaient d’aucun accès juridiquement garanti aux médias audiovisuels, et le Président de la République dont les interventions n’étaient jamais décomptées. En 2000, elle devait être remplacée par le « principe de référence » qui permit au CSA d’intégrer les partis non représentés au Parlement et qui fut, à son tour, modifié en 2006 pour tenir compte des formations politiques présentes au Parlement, ne se reconnaissant ni dans la majorité, ni dans l’opposition. L’adoption du nouveau « principe de pluralisme » en 2009 achève, par conséquent, un cycle de réforme des principes de répartition des temps de parole des personnalités politiques, en intégrant les interventions présidentielles dans les limites du « débat politique national ».
The speaking time of political personalities in the audiovisual media
The way speaking time is allocated to political personalities in the audiovisual media is of prime importance in the life of an opinion-based democracy. A 2009 decision by the French Administrative Supreme Court has led to a reorganization of the rules that the Superior Council of the Audiovisual must follow when ensuring pluralism is observed. The new principle should be considered through the evolution of the “three thirds” rule that was implemented in 1969, after de Gaulle resigned. Time was allocated between the government, the parliamentary majority and the parliamentary opposition. It did not take into account presidential speeches, nor political parties that were not represented in Parliament. In 2000, it was replaced by a so-called “principle of reference” in order to include those parties. In 2006, it was changed again to consider the political groups that were present in parliament and considered they belonged neither to the parliamentary majority nor to the opposition. Thus the adoption of the new “pluralism principle” put an end to the evolution of the rule, as it includes presidential interventions when they can be considered part of the “national political debate”.
Die Redezeit der Politiker in Fernsehen und Rundfunk
Die Entscheidung des obersten Verwaltungsgerichts Frankreichs (der Staatsrat) vom 8. April 2009 hat zu einer Neugestaltung der Verteilungsregeln der Redezeit der Politiker in Fernsehen und Rundfunk durch den dafür zuständigen Obersten Rat für Rundfunk und Fernsehen (Conseil supérieur de l'Audiovisuel) geführt. Ein neues ,,Prinzip des Pluralismus" ist seit dem 1. September 2009 in Kraft getreten. Es vollendet eine zehnjährige Entwicklung dieser Redezeitregeln. Die 1969 errichtete Regel der ,,drei Drittel" teilte die Redezeit zwischen Regierung, Parlamentsmehrheit und parlamentarische Opposition auf. Sie berücksichtigte weder die nicht im Parlament vertretenen Parteien, noch den Staatspräsidenten, dessen Interventionen in Rundfunk und Fernsehen keineswegs verrechnet waren. 2000 und 2006 wurden diese Regeln geändert, bis sie schliesslich 2009 neugestaltet wurden. Seitdem werden auch ausserparlamentarische Parteien und der Staatspräsident unter Umständen berücksichtigt.
Dans les démocraties modernes, les règles de droit qui organisent le débat public se trouvent en grande partie en dehors du texte constitutionnel. Il en est ainsi de la règle qui, édictée par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), sous le contrôle du Conseil d’État, définit un équilibre général des temps de parole audiovisuels entre les diverses formations et sensibilités politiques nationales. Depuis quarante ans, cette règle a été successivement appelée la règle des « trois tiers » (1969-2000), le « principe de référence » (2000-2009), et le nouveau « principe de pluralisme » (depuis 2009). Aux côtés de normes constitutionnelles ou législatives, elle fait partie des rouages qui permettent l’articulation du système politique et de l’opinion publique. Elle a, elle aussi, pour objet d’assurer cette circulation d’informations et de discussions qui caractérise l’État démocratique et le gouvernement d’opinion.
L’histoire de la règle de répartition des temps de parole audiovisuels est un aspect non négligeable de l’histoire politique et constitutionnelle d’un État. Elle appartient à ce que l’on pourrait appeler une histoire mineure des États démocratiques. Mais elle est aussi profondément liée à la culture politique d’un pays et à son régime politique. Dans une intéressante étude parue en 2006, le CSA a établi les grandes lignes d’une comparaison des systèmes de contrôle du pluralisme politique à la télévision et à la radio dans les démocraties occidentales. Il ressort de ce document un net contraste entre l’adoption généralisée d’une réglementation visant à assurer le pluralisme politique pendant les périodes électorales et l’hétérogénéité des règles adoptées – lorsqu’elles existent – pour les périodes qui ne comportent pas de campagnes électorales et d’élections. Toutes les démocraties occidentales s’accordent sur le principe d’une réglementation du pluralisme en périodes électorales ; mais leur convergence se limite là : en dehors de ces périodes, le pluralisme dans l’audiovisuel fait parfois l’objet de règles, plus ou moins contraignantes, et parfois n’en suscite aucune. Les États-Unis n’en connaissent ainsi aucune. Le Royaume-Uni et la Suisse ont des règles qui sont purement qualitatives ; celles adoptées par l’Allemagne et l’Autriche ne concernent que le secteur public. La situation française – celle d’un contrôle quantitatif permanent des temps de parole – est une singularité, dont on ne peut rapprocher que les cas de l’Italie et de la Roumanie. Les modes de saisine de l’autorité de régulation varient également d’un pays à l’autre : alors que le CSA a toute latitude pour se saisir lui-même, la plupart des instances étrangères ne peuvent être saisies que sur plainte.
Le système français est sans doute le plus artificialiste qui soit. Toute l’organisation du pluralisme audiovisuel – ses modalités, son contrôle – repose sur la spécificité d’un libéralisme français dont l’œuvre historique aura été de concilier, non sans contradictions, les libertés de l’individu moderne avec la légitimité et l’unicité de l’État souverain. La représentation de l’« espace public » est intimement liée à la résolution de cette tension : comment concilier la diversité des expressions politiques avec la formation de la volonté de la Nation ? Cette question pourra paraître abstraite au regard de la technicité des règles de répartition des temps de parole audiovisuels ; tel est pourtant le souci qui les inspire. Dans la conception française, le pluralisme est moins un milieu naturel qu’une règle imposée, moins un développement spontané des intérêts particuliers qu’une condition de formation de la volonté générale. Certains traits du régime de répartition des temps de parole s’expliquent, à l’évidence, de cette manière : il en va ainsi de l’exclusion, jusqu’en 2000, des partis politiques non représentés au Parlement. Il pouvait paraître évident, au nom de cette conception, que, le Parlement étant le siège même de formation de la loi, les partis qui n’y figuraient pas devaient être écartés de la répartition des temps de parole audiovisuels. Les insuffisances de cette règle, dans un contexte où l’extrême droite et l’extrême gauche pouvaient atteindre, voire dépasser, les 10% du corps électoral, sont apparues un jour trop criantes – après avoir tout de même duré trente ans – pour ne pas être modifiées. Mais un réaménagement ponctuel ne change pas l’esprit général d’un système qui exprime, en son ordre, l’idiosyncrasie du libéralisme à la française.
Une autre considération doit ici intervenir : il suffit de lire les pages si réservées, si prudentes, au fond si rétives, que Raymond Carré de Malberg consacre au gouvernement d’opinion, dans la Contribution à la théorie générale de l’État, pour comprendre toute la tiédeur qui peut habiter un esprit français lorsqu’il se trouve confronté à la notion d’opinion publique. On pressent ainsi le malaise que devait éprouver le grand juriste alsacien lorsqu’il qualifie le « gouvernement d’opinion » de « seconde grande cause d’altération du régime représentatif ». À l’inverse du pur régime représentatif, dont la constitution de 1791 avait manifesté la splendeur toute idéale, le gouvernement d’opinion implique que l’on recherche « si les volontés émises par l’assemblée des députés correspondent à celles du corps électoral ». En opposant la volonté générale, exprimée par le Parlement, et la volonté du corps électoral, cette quête semblait ouvrir la voie à une régression à l’infini : que pouvait être, dans les institutions républicaines, cette volonté du corps électoral qui ne trouverait pas son expression parfaite dans le vote de la loi ?
L’interrogation de Carré de Malberg paraîtra sans doute, à l’époque des instituts de sondage et du marché de l’opinion, assez datée. Elle reste pourtant intéressante par la manière dont elle envisage la place de l’opinion publique. La résurrection d’un « Tribunal de l’opinion » au sein des institutions représentatives devait sembler au grand publiciste un extraordinaire anachronisme. Si l’opinion publique avait été un Tribunal, c’était bien sous l’Ancien Régime, à une époque où la souveraineté personnelle du monarque empêchait tout développement du régime représentatif. Mais une fois celui-ci mis en place, quel autre Tribunal pouvait exprimer la souveraineté nationale, sinon le Parlement ? Le régime parlementaire, le gouvernement d’opinion portaient atteinte à la belle unité du régime représentatif. Dans l’équilibre de ce dernier, il n’existait pas de place pour une opinion publique distincte des organes constitutionnels chargés de « vouloir pour la Nation ».
Aussi éloignée nous soit-elle devenue, l’analyse de Carré de Malberg demeure encore exacte au moins sur un point : l’opinion publique est conçue, en France, dans son rapport à la souveraineté. La règle de répartition des temps de parole politiques, loin d’échapper à cette liaison, en exprime au contraire toute la spécificité. La règle dite des « trois tiers », qui a régi les temps de parole de 1969 à 2000, participait ainsi d’un prisme parlementaire qui est caractéristique de la souveraineté nationale. Elle organisait la distribution des temps de parole par tiers, en les attribuant au gouvernement, à la majorité parlementaire et à l’opposition parlementaire. Les partis politiques non représentés au Parlement étaient donc exclus de son bénéfice : le « pluralisme » de la règle des « trois tiers » ne s’étendait pas jusqu’à eux.
Mais les principes de la souveraineté populaire ne sont pas, eux aussi, étrangers à l’histoire de la répartition des temps de parole audiovisuels. La constitution de 1958 a en effet juxtaposé aux canaux de la démocratie représentative, les voies d’une « monarchie élective » qui donne au Président de la République la possibilité de recourir – par la dissolution ou le référendum – à l’arbitrage populaire. Le dernier Carré de Malberg – celui de La loi, expression de la volonté générale – avait esquissé, dès 1931, ce schéma général. La parole présidentielle n’est donc pas assimilable à celle du gouvernement, de la majorité ou de l’opposition parlementaires. Elle se distingue de celles-ci comme la souveraineté populaire se distingue de la souveraineté nationale. Elle échappe par là aux décomptes des temps de parole : dans les représentations communes qui entourent les institutions de la Vème République et qui font une partie de son efficacité, lorsque le Président de la République parle, c’est au peuple qu’il s’adresse – au peuple et non aux représentants de la nation. L’arbitrage populaire devait être, dans l’esprit des rédacteurs de la constitution, cette arme décisive entre les mains du Président de la République qui assurerait l’équilibre des pouvoirs. Si les représentants du Parlement, organe de la souveraineté nationale, ne pouvaient échapper aux règles de répartition des temps de parole, le Président de la République, organe de la souveraineté populaire, ne saurait y être astreint. Pendant quarante ans, l’exclusion de la parole présidentielle des décomptes des temps de parole audiovisuels a vécu sur la fiction d’un dialogue entre le chef de l’État et le peuple français. Le pouvoir d’incarnation propre au Président de la République ne devait subir, dans sa traduction audiovisuelle, aucune limite.
L’équilibre mis en place en 1969 combinait, à l’image des institutions de la Vème République, les principes de la souveraineté nationale et ceux de la souveraineté populaire. Il prospérait sur l’image mythique, mais extraordinairement puissante, d’un dialogue entre le Président de la République, chef de l’État, garant de l’unité nationale, et le peuple. Dans la mesure où il résultait de l’esprit même de la Constitution de 1958, il semblait devoir durer aussi longtemps que celle-ci. En l’espace de dix ans, entre 2000 et 2009, il fut pourtant largement remanié. La règle de répartition des temps de parole qui avait tenu bon depuis la fin du mandat du Général de Gaulle s’est éteinte une première fois en 2000, avec l’adoption du « principe de référence ». Cette nouvelle règle élargissait le cadre de distribution des temps de parole aux partis politiques non représentés au Parlement : le prisme parlementaire de la souveraineté nationale avait vécu. En avril 2009, la règle des « trois tiers » devait mourir une deuxième fois : c’est alors le principe de l’exclusion systématique du temps de parole du Président de la République qui fut censuré par le Conseil d’État. Peu après, le Conseil supérieur de l’audiovisuel adoptait un « principe de pluralisme » qui dessine le cadre d’une nouvelle répartition des temps de parole. L’horizon d’un dialogue entre le chef de l’État et le peuple s’est éloigné : le Président de la République est désormais soumis aux règles de répartition comme n’importe quel autre acteur de la constitution. Le dialogue quasi-charnel qu’il pouvait – ou qu’il était censé – avoir s’arrête : sa parole est maintenant décomptée.
Entre exercice de la souveraineté et gouvernement d’opinion, la règle de répartition des temps de parole politiques dessine une frontière fragile. L’histoire de cette règle est une succession de compromis : à une première phase, celle de la règle des « trois tiers » (1969-2000), a succédé une deuxième, celle du « principe de référence » (2000-2009). Depuis 2009, une troisième période a débuté, sous le sceau du nouveau « principe de pluralisme ». Il est possible que ce nouvel équilibre soit, un jour, de nouveau modifié, car la règle de répartition des temps de parole exprime, en son ordre, des tensions qui sont inhérentes aux institutions de la Vème République. Est-il possible de faire une part à la parole du souverain ? Comment concilier cette parole et le mouvement permanent de discussion qui caractérise l’opinion publique ? Celui qui prétend exercer, de manière plus ou moins directe, la souveraineté a toujours tendance à éloigner une règle qui subordonne ses interventions à une répartition quantitative.
Bien avant que la prise en considération des interventions du chef de l’État soit ouvertement discutée, le principe d’immunité dont celui-ci jouissait fut ainsi, pendant un temps, revendiqué par le Premier ministre. En 1984, M. Laurent Fabius avait exprimé ce souhait : puisque les interventions du Président de la République n’étaient jamais décomptées, il lui semblait logique que les siennes ne le fussent pas. L’exercice de la souveraineté pouvait, en tant que chef du gouvernement, le faire échapper à la règle des « trois tiers » . La Haute Autorité de la communication audiovisuelle qui assurait alors le contrôle des temps de parole, lui répondit en lui déniant le bénéfice de cette immunité. Mais le fait même que la question fût posée est significatif : à rebours de l’évolution qui s’est esquissée depuis 2000, il eût été possible que la frontière entre la parole d’État, protégée de tout décompte par une immunité largement entendue, et la simple parole publique d’une personnalité politique, fût différente. Les interventions du Premier ministre eussent été alors rassemblées, avec celles du Président de la République, dans la catégorie des paroles régaliennes qui, participant au « dialogue » de l’Exécutif avec le peuple français, échappent aux prescriptions de la règle des « trois tiers ».
Les choses n’allèrent pas ainsi. Le face-à -face constitutif des institutions de la Vème ne concernait que le Président de la République : le Premier ministre appartenait à la souveraineté nationale et, à ce titre, sa parole devait être décomptée. La règle de répartition des temps de parole audiovisuels reste cependant marquée par la tension entre un principe libéral – toutes les paroles politiques sont à un même niveau, dans la mesure où aucune n’échappe véritablement aux ressorts de l’opinion publique – et un principe politique qui insiste sur le caractère extraordinaire de la parole d’État, sur le « dialogue » entre le chef de l’État et le peuple français, sur le rôle exclusif des partis politiques représentés au Parlement. Règle des « trois tiers », « principe de référence » ou nouveau « principe de pluralisme » : ces trois règles ont combiné, chacune dans une version différente, ces deux principes.
Il sera utile de retracer, dans un premier temps, les grandes étapes de l’histoire de la règle des « trois tiers ». Après avoir servi pendant trente ans d’étalon de mesure du pluralisme audiovisuel, la règle des « trois tiers » a été remplacée, en 2000, par le « principe de référence ». Ce principe – qui était moins un abandon de la règle des « trois tiers » que son remaniement – fut, à son tour, infléchi à deux reprises, en 2006 et en 2009. Ce sont donc les dix années qui ont précédé l’arrêt MM. Hollande et Mathus et le nouveau « principe de pluralisme » qui doivent être, tout d’abord, restituées (I).
La nouvelle règle de répartition des temps de parole audiovisuels des personnalités politiques, entrée en vigueur le 1er septembre 2009, définit les termes d’un nouveau compromis. Sa caractéristique principale est d’avoir mis un terme à l’immunité dont bénéficiait la parole du chef de l’État. Ce nouveau « principe de pluralisme » tient compte de l’évolution du cadre institutionnel et normatif – notamment celui de la jurisprudence du Conseil constitutionnel – de la Vème République. L’équilibre général qui a été mis en place doit alors être apprécié au regard des divers acteurs de la constitution et de la vie politique en général (II).
I. LES TROIS INFLEXIONS DE LA REGLE DES « TROIS TIERS » (2000-2009).
La règle des « trois tiers » a constitué, lors de son adoption, un habile compromis entre les exigences libérales de la démocratie d’opinion et la dimension « incarnative » de la Vème République qui fait du chef de l’État le garant de l’unité nationale. Elle conjugue un principe positif de répartition et une double exclusion. Seul le principe de répartition est formulé par la décision du conseil d’administration de l’ORTF qui est à l’origine de la règle des « trois tiers » : « L’équilibre entre les représentants des pouvoirs publics, ceux qui les approuvent et ceux qui les critiquent, lorsqu’il ne sera pas obtenu en un seul jour et au cours de la même émission, devra l’être sur une période raisonnablement calculée. » Mais il fut complété, dès son adoption, par une double exclusion : celle du Président de la République qui se voit écarté de l’application de la règle ; celle des partis politiques non représentés au Parlement qui ne bénéficient d’aucun accès systématique, juridiquement organisé, aux émissions audiovisuelles.
Il est indéniable que la règle des « trois tiers » fut, à son origine, un progrès dans le respect du pluralisme à la télévision et sur les chaînes de radio. Le statut de l’audiovisuel n’avait pas fondamentalement changé depuis les lois du 1er octobre 1941 et du 7 novembre 1942 adoptées par le régime de Vichy, dont la IVème République avait conservé l’essentiel. L’instrument de communication radiophonique et, à partir de 1949, la télévision, étaient conçus comme des outils d’expression du pouvoir politique en place : le pluralisme ne pouvait intervenir, dans ces conditions, que de manière indirecte, jouant rarement et par accident, au bénéfice de telle ou telle personnalité de l’opposition. Le Général de Gaulle s’est ainsi vu interdire l’accès à l’antenne de la Radiodiffusion-télévision française (RTF) et il n’y fit aucune apparition de 1947 à mai 1958.
La loi du 27 juin 1964 a accordé à l’audiovisuel public un début d’autonomie. L’article premier de la loi prévoyait que « L’Office de radiodiffusion télévision française (...) assure le service public national de la radiodiffusion et de la télévision (...) en vue de satisfaire les besoins d’information, de culture, d’éducation et de distraction du public ». De manière plus directe, elle confiait, dans son article 4, au nouveau Conseil d’administration de l’ORTF la charge de vérifier « que les principales tendances de pensée et les grands courants d’opinion peuvent s’exprimer par l’intermédiaire de l’Office ». C’est sur le fondement de cet article que le conseil d’administration de l’ORTF adopta la règle des « trois tiers », en 1969, au lendemain de l’élection de Georges Pompidou.
Le succès de cette règle a tenu à l’alliance qu’elle réalisait entre les deux canaux de la légitimité qui irriguent les institutions de la Vème République. Le principe de l’exclusion du temps de parole du Président de la République intègre la spécificité du mandat du chef de l’État ; le principe d’exclusion des partis non représentés au Parlement fait droit aux conceptions de la souveraineté nationale. La règle des « trois tiers » trouvait ainsi des appuis et des justifications tant du côté du « pouvoir d’État » que du « pouvoir démocratique ». Sa longévité fut le résultat de cet accord spontané. Après la dissolution de l’ORTF en 1974, elle fut reprise successivement par les sociétés de programmes audiovisuels jusqu’en 1982, par la Haute Autorité de la communication audiovisuelle entre 1982 et 1986, par la Commission nationale de la communication et des libertés entre 1986 et 1989, et enfin par le CSA à partir de 1989.
Elle fut, certes, contestée. Dès sa création, le CSA annonçait une série de consultations sur « l’ensemble des thèmes relatifs au respect de l’honnêteté et du pluralisme de l’information » et il ajoutait : « la règle des « trois tiers », ses modalités d’application et les critiques qu’elle appelle seront plus particulièrement au centre des discussions. » Ce premier cycle de réflexions devait être suivi d’un second, en 1995, toujours inachevé en février 1997, puis d’un troisième, à la fin de l’année 1999. Trente ans s’étaient écoulés sans que les critiques parviennent à renverser une règle qui n’avait jamais créé qu’un consensus par défaut. Les acteurs politiques et audiovisuels ne parvenant à lui trouver de substitut, le maintien des principes de répartition en l’état pouvait sembler la solution la plus satisfaisante.
Après trois décennies d’une application uniforme, les principes de la règle des « trois tiers » ont subi, en l’espace de dix ans, trois inflexions majeures. Une première inflexion fut l’adoption, en 2000, du « principe de référence » ; puis, en 2006, la règle fut adaptée à la situation politique de l’UDF ; enfin, en 2009, le statut des interventions du Président de la République fut modifié par l’arrêt MM. Hollande et Mathus du Conseil d’État.
1. L’intégration des partis politiques non représentés au Parlement (2000).
L’adoption du « principe de référence », en février 2000, qui avait été préparée par des consultations dès la fin de l’année 1999, a correspondu à une mise à jour de la règle des « trois tiers ». Il s’agissait de la première évolution de cette règle restée immuable depuis 1969, alors que les institutions de la République comme celles de l’audiovisuel avaient largement changé. Mais c’est surtout de manière rétrospective qu’apparaît l’importance du « principe de référence » : celui-ci a en effet constitué le premier pas d’une révision substantielle de la règle de répartition des temps de parole politiques qui s’est achevée en 2009, par l’adoption du nouveau « principe de pluralisme ». La séquence de réforme qui est allée de 1999 à 2009 a donc essayé de trouver des réponses aux différentes critiques qui ont pu être adressées à la règle des « trois tiers » en trente ans.
Le « principe de référence » a tout d’abord permis au CSA d’améliorer son appréciation du pluralisme. Cet aspect est plus rarement évoqué que la stricte répartition du temps de parole. Les instruments de mesure sont pourtant aussi importants que la mesure elle-même. Le parti pris de la règle des « trois tiers » était de se fonder exclusivement sur une approche quantitative : toute parole politique était décomptée sans tenir compte de son contexte, du type d’émission dans laquelle elle a pu intervenir, de son audience ou de son heure. Tout en conservant le principe d’un décompte précis et exhaustif des temps de parole, le CSA a joint, à cette approche quantitative, une approche qualitative, fondée sur la distinction des temps d’antenne et des temps de parole, puis sur la prise en compte de l’audience, des conditions d’« exposition » de la parole politique.
Les notions de « temps de parole » et de « temps d’antenne » désignent en effet des séquences différentes. Alors que le temps de parole se limite au temps pendant lequel une personnalité s’exprime, le temps d’antenne comprend le temps de parole et l’ensemble des éléments éditoriaux consacrés au sujet abordé : plateau, reportage, interventions. La distinction est importante car le temps d’antenne permet d’apprécier le poids d’un sujet dans l’actualité, ce dont le seul temps de parole ne rend qu’imparfaitement compte. Le sentiment d’omniprésence d’une personnalité politique est souvent lié au temps d’antenne : ce dernier peut être, en effet, important sans que le temps de parole soit utilisé plus qu’à l’habitude. Ainsi, le propos d’un homme politique rapporté au style indirect intégrera le temps d’antenne, mais non le temps de parole. Le deuxième indicateur qui a été intégré par le CSA dans ses outils d’appréciation du pluralisme réside dans la prise en compte de l’audience des temps de parole. Là aussi, il s’agissait pour l’autorité administrative indépendante de compléter l’approche quantitative par un élément de contexte qui permet de déterminer qui a parlé, sur quel sujet, pendant combien de temps, et devant quelle audience. Ces éléments d’analyse du pluralisme sont utilisés par le CSA et ils permettent un jugement plus fin que le strict décompte de la règle des « trois tiers ». Cette analyse qualitative, même si elle n’est pas visée par l’article 13 de la loi du 30 septembre 1986, correspond aussi à l’un des aspects de la mission du CSA qui, en amont de son pouvoir de sanction, rarement utilisé en matière de pluralisme, réside dans une fonction d’orientation, de conseil, de « médiation » en un sens large.
La deuxième grande innovation du « principe de référence » a porté, non plus sur les outils d’appréciation du pluralisme, mais sur la règle elle-même. Depuis longtemps, l’exclusion des partis politiques non représentés au Parlement du bénéfice de la règle des « trois tiers » avait fait l’objet de critiques. En effet, en vertu de cette règle, des partis politiques peuvent avoir un poids électoral important sans disposer d’un accès à l’antenne, dans la mesure où ils ne possèdent pas de représentant au Parlement. Le Conseil d’État avait été saisi indirectement de cette question par un recours du Front national qui avait demandé au CSA l’abrogation de la règle des « trois tiers » et s’était vu opposer un refus implicite. La juridiction administrative, dans sa décision du 7 juillet 1999, avait validé la règle critiquée, en estimant qu’elle n’excédait pas les compétences attribuées à l’autorité administrative par la loi du 30 septembre 1986 et avait précisé, dans une incidente, que cette règle « n’a pas pour objet, et ne saurait avoir légalement pour effet, d’écarter des programmes des sociétés nationales, et notamment des émissions d’information politique, l’expression de courants de pensée et d’opinion ne se rattachant ni à la majorité, ni à l’opposition parlementaire ».
La décision du Conseil d’État, tout en confirmant les principes de la règle des « trois tiers », appelait implicitement à leur adaptation pour inclure, dans le temps de parole audiovisuel, les partis politiques non représentés au Parlement. L’adoption, quelques mois plus tard, du « principe de référence » a amélioré le sort de ces derniers en leur reconnaissant un droit d’accès à l’antenne fondé sur l’équité. Ce temps de parole n’est donc pas défini arithmétiquement : il dépend de l’appréciation des éditeurs qui en fixent les modalités et la durée, sans pour autant avoir la possibilité de n’accorder aucun accès. Le « principe de référence » a donc maintenu l’essentiel de la règle des « trois tiers » mais il l’a complétée en prévoyant que « les éditeurs doivent veiller à assurer un temps d’intervention équitable aux personnalités appartenant à des formations politiques non représentées au Parlement. » .
Le bilan du « principe de référence », d’un point de vue comptable, est assez simple à présenter : au lieu de voir le temps de parole audiovisuel divisé en trois tiers, il a été divisé en quatre parties, les trois premières, de 30% chacune, étant attribuées respectivement au gouvernement, à la majorité parlementaire et à l’opposition parlementaire, et la dernière, représentant 10%, revenant aux partis non représentés au Parlement.
2. Les partis représentés au Parlement qui ne se reconnaissent ni dans la majorité, ni dans l’opposition (2006).
La stratégie politique du parti centriste s’est caractérisée, depuis l’arrivée de François Bayrou à sa tête, en 1998, par la volonté de se dissocier des partis de la droite traditionnelle. Jusqu’en 2002, la situation de cohabitation l’a empêchée de produire tous ses fruits. La réélection de Jacques Chirac comme Président de la République et l’arrivée d’une majorité de droite (UMP) à l’Assemblée nationale ont, cette année-là , modifié le paysage politique et permis à l’UDF de prendre, de plus en plus nettement, son autonomie. La perspective de l’élection présidentielle de 2007 encourageait également le choix d’une stratégie à part.
Le 3 juillet 2002, le groupe UDF avait voté à une quasi-unanimité la confiance au second gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin, à la suite de la déclaration de politique générale, dans la toute nouvelle Assemblée nationale, et ce choix fut renouvelé dans les mêmes conditions, pour le troisième gouvernement Raffarin, lors du scrutin du 5 avril 2004. Si au moment de l’investiture, le soutien de l’UDF ne faisait pas défaut, les péripéties se sont néanmoins multipliées dès 2003, marquant l’éloignement progressif de la formation centriste des perspectives gouvernementales. Ainsi, au début de l’année 2003, « fait sans précédent », les députés UDF s’associèrent à ceux de l’opposition pour déférer au Conseil constitutionnel, la loi relative à l’élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen. À la fin de la même année, ces mêmes députés (à une exception près) s’abstinrent lors du vote de la loi de finances pour 2004. À la mi-mai 2004, le Figaro pouvait constater que, depuis l’ouverture de la XIIème législature, le groupe parlementaire de l’UDF avait émis sept votes contre le gouvernement. Lors de la déclaration de politique générale du nouveau Premier ministre, Dominique de Villepin, le 8 juin 2005, 22 députés UDF ne participèrent pas au vote et 9 choisirent d’accorder leur confiance. Le divorce du parti centriste avec l’UMP a été encore accentué par le vote sur un projet de loi habilitant le gouvernement à légiférer par ordonnances et le vote sur la loi de finances pour 2006. Il fut définitivement consommé le 16 mai 2006 : onze députés UDF, dont François Bayrou, votèrent alors la censure du gouvernement.
La place de l’UDF dans le schéma général du « principe de référence » fut remise en cause par cette stratégie autonome. En réalité, dès la fin de l’année 2003, à la suite du refus du parti centriste de voter la loi de finances, le CSA avait été saisi de cette question par un député UMP. Ce dernier avait demandé à l’instance de régulation de ne plus compter le temps d’intervention dévolu à l’UDF au titre de la majorité parlementaire. Le CSA devait rejeter cette demande, par une lettre du 9 décembre 2003, en énonçant le principe selon lequel « l’appartenance de l’UDF à la majorité parlementaire ne saurait être reconsidérée qu’à l’occasion d’une rupture manifeste avec la politique du gouvernement, comme par exemple le vote d’une motion de censure. » Mais en dehors de l’hypothèse d’une motion de censure, quelles circonstances pouvaient amener à modifier la situation d’un parti politique dans les catégories de répartition du temps de parole politiques ? Le CSA n’a pas établi, probablement par prudence, de liste limitative : on peut imaginer que le vote contre une loi de finances serait considéré comme une « rupture manifeste », mais rien ne l’assure absolument.
La question posée était inédite. Il n’y avait pas de « jurisprudence » du Conseil sur ce point. Mais un précédent aurait pu néanmoins être invoqué, même s’il ne concernait pas directement l’autorité administrative indépendante. En 1984, en effet, la Haute Autorité de la communication audiovisuelle avait dû résoudre un problème de même nature qui concernait les relations de plus en plus dégradées entre le Parti communiste français et le gouvernement socialiste. Après avoir appartenu aux gouvernements dirigés par Pierre Mauroy, le Parti communiste n’avait pas été intégré au gouvernement de Laurent Fabius. Fallait-il continuer à décompter son temps de parole au titre de la majorité parlementaire ou devait-il être intégré à l’opposition ? Saisie de cette question, la Haute Autorité avait considéré, dès octobre 1984, que le critère de la majorité était une fois pour toutes défini par l’élection présidentielle. « L’appartenance à la majorité ne peut être déclarative, déclarait la Haute Autorité. Elle résulte d’un scrutin capital dans la vie politique française et ne peut être remise en cause selon les votes, au coup par coup, à l’Assemblée nationale. » En conséquence, le Parti communiste continuerait à être intégré au temps de parole de la majorité parlementaire, alors même qu’il se dissociait nettement de la politique suivie par le gouvernement.
La solution retenue par le CSA semblait tout de même plus souple que celle adoptée, vingt ans plus tôt, par la Haute Autorité de la communication audiovisuelle. En retenant le critère d’une « rupture manifeste », le CSA admettait qu’une formation politique puisse, indépendamment de l’élection présidentielle, évoluer entre les catégories de majorité et d’opposition parlementaires. L’hypothèse visée explicitement – celle du vote d’une motion de censure – devait se réaliser en 2006, lorsque, au milieu du mois de mai, onze députés de l’UDF votèrent la motion déposée par le groupe socialiste. Le CSA réagit immédiatement, par une décision du 13 juin, en intégrant ces onze députés au temps de parole de l’opposition parlementaire. Mais cette réponse du Conseil est apparue rapidement très insatisfaisante : en effet, les députés UDF qui n’avaient pas voté la censure devaient, selon le CSA, toujours être décomptés au titre de la majorité. La décision du Conseil aboutissait donc à établir une césure au sein même du groupe UDF dont la pertinence et le bien-fondé juridique pouvaient sembler douteux. Le CSA entendait cependant justifier sa décision au regard des dispositions de la Constitution : « Le Conseil estime que la Constitution de la Vème République lui permet d’évaluer l’appartenance d’une formation politique à la majorité ou à l’opposition parlementaires à la lumière de l’attitude adoptée par cette formation lorsque la responsabilité du gouvernement est engagée selon les procédures prévues par son article 49, alinéa 1, 2, 3. Il a ainsi considéré que le vote de la motion de censure créait une situation nouvelle justifiant que l’appartenance de certaines personnalités politiques de l’UDF à la catégorie “majorité parlementaire” de son principe de référence en matière de pluralisme soit reconsidérée. »
Les fondements constitutionnels de la compétence revendiquée par le CSA sont apparus pour le moins douteux. Sans doute, la difficulté résultait-elle d’une rédaction malencontreuse : il fallait entendre que le CSA estime ne pouvoir assumer sa mission de garantie du pluralisme audiovisuel, en classant les interventions politiques selon les catégories du « principe de référence », qu’au regard des dispositions constitutionnelles. Mais, même en cette hypothèse, on ne voit guère pour quelle raison le Conseil ne devrait tenir compte que de la mise en jeu de la responsabilité gouvernementale, prévue à l’article 49. Des éléments comme le vote de la loi de finances ou la participation au gouvernement ne sont pas négligeables et rien ne permet a priori de les écarter.
La maladresse de la décision du 13 juin se mesurait également au sort réservé à toutes les personnalités de l’UDF qui, soit n’avaient pas voté la motion de censure, soit n’étaient pas députés. Pour elles, le Conseil prévoyait « qu’elles demeurent présumées appartenir à la majorité parlementaire, sauf déclarations expresses de leur part auprès du CSA, qui les communiquera aux services de radio et de télévision. » Il justifiait sa décision en soutenant que « l’appartenance à la majorité ou à l’opposition s’applique à des personnalités et non à des formations politiques. » La compétence du CSA était donc partagée par les députés qui pouvaient, par une simple déclaration, faire varier leur positionnement politique et surtout, l’attribution de leur temps de parole à la catégorie de la majorité parlementaire ou à celle de l’opposition. Il n’était guère difficile, dans ces conditions, d’imaginer les possibilités qui s’ouvriraient à un parti majoritaire, de réduction du temps de parole de l’opposition parlementaire, par le biais de quelques déclarations artificielles. La décision du 13 juin avait d’ailleurs pour conséquence immédiate de réduire le temps de parole des formations de gauche puisque le temps accordé aux onze députés, dont François Bayrou, était désormais décompté au titre de l’opposition parlementaire. Par ailleurs, elle aboutissait à ce résultat curieux, de classer le président de l’UDF dans la catégorie de l’opposition et le porte-parole du même parti dans la catégorie de la majorité.
En fondant les catégories de majorité et d’opposition sur le critère d’une « rupture manifeste avec la politique du gouvernement », le CSA pensait donner à sa décision un fondement constitutionnel solide mais, en réalité, il renouait surtout avec une conception périmée du jeu parlementaire. Il est devenu banal d’observer que la majorité et l’opposition ne se définissent plus exclusivement, l’une par le vote de la loi, l’autre par le contrôle du gouvernement. Le fait majoritaire et la solidarité quasi organique qui se sont institués entre le gouvernement et la majorité parlementaire ont retiré l’essentiel de sa pertinence à la distinction canonique entre l’exécutif et le législatif. L’opposition, dès lors, n’est pas d’un bloc. Elle ne réside pas exclusivement, face au vote de la loi, dans le contrôle du gouvernement ; elle implique, au contraire, l’exercice de prérogatives qui la font participer au processus législatif. La difficulté rencontrée par le CSA ne résidait donc pas tant dans le positionnement politique de l’UDF que dans cette manière d’entendre la notion d’« opposition » devenue étrangère au fonctionnement du régime parlementaire.
Devant les critiques suscitées par sa décision, en particulier celles du président de l’UDF, le CSA est revenu sur sa position par une nouvelle décision du 20 juin 2006. Celle-ci prévoit de n’imputer le temps de parole des personnalités de l’UDF ni sur celui de la majorité, ni sur celui de l’opposition parlementaire. En effet, explique le Conseil, « dans sa mission de protection du pluralisme, le CSA ne prétend en aucun cas situer une formation politique contre son gré. » La création d’une nouvelle catégorie d’imputation des temps de parole a été officialisée par une décision du 5 septembre 2006. Le temps de parole qui revient aux personnalités de cette catégorie n’est pas quantifié mais doit être assuré de manière équitable. À côté des trois grandes catégories de répartition – gouvernement, majorité parlementaire, opposition parlementaire – deux catégories supplémentaires se sont donc ajoutées : celle des partis politiques non représentés au Parlement et celle des partis politiques représentés au Parlement, mais qui n’appartiennent ni à la majorité, ni à l’opposition. Les trois grandes catégories ont chacune environ 30% du temps de parole général et les deux dernières se partagent les 10% restants.
3. Le temps de parole du Président de la République (2009).
Le principe de l’exclusion des interventions du Président de la République du décompte des temps de parole politiques remonte à l’origine de la règle des « trois tiers ». Dès 1969, il a été convenu d’exclure les interventions du chef de l’État. Ce principe, adopté quelques mois après le départ du Général de Gaulle, a été transmis de manière ininterrompue jusqu’en 1989, année de la création du CSA. Le Conseil l’a, à son tour, adopté. Alors que le principe d’une répartition en trois tiers, entre le gouvernement, la majorité parlementaire et l’opposition parlementaire, a toujours été contesté, celui de la « neutralité » du temps de parole du Président de la République a bénéficié d’un large consensus. En 1984, certes, le sénateur Charles Pasqua intégrait, dans une requête adressée à la Haute Autorité, le temps de parole du chef de l’État dans celui du Gouvernement et de la majorité ; mais la Haute Autorité lui répondait immédiatement que la règle des trois tiers « concerne exclusivement les interventions du Gouvernement, de la majorité et de l’opposition et que les interventions du Président de la République n’ont jamais été comptabilisées dans cette règle. » Ce principe d’immunité des interventions présidentielles n’a, en réalité, jamais fait l’objet d’une contestation sérieuse avant 2005. Il n’avait, d’ailleurs, pas été mentionné dans la décision de 2000 qui adoptait le « principe de référence ».
Un aussi solide consensus pouvait, il est vrai, se revendiquer de la spécificité institutionnelle de la Vème République. En excluant les interventions du Président de la République, la coutume a fait de la règle des « trois tiers », puis du « principe de référence », une métonymie du régime politique français. L’interprétation traditionnelle de la Constitution de 1958 voit, en effet, dans le Président de la République, non un chef de parti, mais un « arbitre », un gardien de la Constitution. C’est cette notion d’arbitrage, présente à l’article 5 de la Constitution, qui pouvait servir de fondement à l’absence de décompte des interventions présidentielles : le Président de la République ayant, « par son arbitrage », à assurer « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État », il semblait échapper à la règle du jeu audiovisuel qui se limitait au gouvernement, à la majorité et à l’opposition parlementaires.
Les étapes de cette interprétation des dispositions constitutionnelles sont suffisamment connues pour qu’il soit ici utile d’y revenir. Le référendum du 28 octobre 1962 sur l’élection du Président de la République au suffrage universel direct a réconcilié, pour reprendre les termes de Georges Burdeau, le « pouvoir d’État » et le « pouvoir démocratique ». Désigné par l’ensemble des Français, le Président de la République se présente à la fois comme le garant de la continuité de l’État et l’un des titulaires de la légitimité démocratique. Cette place à part du Président de la République est transcrite dans la règle des « trois tiers » par l’exclusion de ses interventions des décomptes effectués. Lorsque le Président de la République parle, il parle à la Nation – et, faut-il ajouter, lorsqu’il parle à la Nation, il ne parle pas à la représentation nationale. Le Président de la République a, seul, le privilège de s’adresser directement à la Nation.
Cette possibilité d’un « dialogue » – certes, purement fictif – entre le chef de l’État et les Français est la clé de compréhension de plusieurs dispositions importantes de la Constitution de la Vème République. Il en va ainsi des armes de la dissolution (art.12) et du référendum (art.11) qui sont entre les mains du chef de l’État. Dans l’esprit des rédacteurs de 1958, il s’agissait de donner au Président les moyens de convoquer le suffrage populaire pour arbitrer un conflit entre organes constitutionnels – en cela, ils étaient fidèles à la pensée de Carré de Malberg qui, trente ans plus tôt, avait dessiné les grandes lignes de cette architecture constitutionnelle.
L’immunité de la parole présidentielle apparaît, sur ce point, comme la traduction de ce lien unique entre l’électorat et le Président de la République. L’usage qui a été fait des médias audiovisuels par les Présidents de la République et leur stratégie médiatique sont marqués par cette conception de la fonction présidentielle. Le Général de Gaulle a bien exprimé cette caractéristique, dans ses Mémoires d’espoir, en invoquant ses passages à la télévision : seule lui importe alors la « rencontre » avec les Français, ce face-à -face qui est censé se produire grâce au petit écran. Les apparitions du Général participent de sa fonction d’« arbitre » : elles accompagnent tous les moments de grande intensité politique, qu’ils soient liés à l’actualité française ou aux relations internationales. Ainsi, chaque référendum organisé par le Général entre 1958 et 1962 est précédé d’une intervention télévisée du chef de l’État ; c’est de Gaulle lui-même qui annonce par une allocution télévisée le virage politique du droit à l’autodétermination de l’Algérie le 16 septembre 1959 ; c’est encore lui qui apparaît, le 23 avril 1961, habillé en militaire, en plein cœur du putsch des Généraux .
L’origine du principe de non-imputation des interventions présidentielles dans le décompte de la règle des « trois tiers » est coutumière. La force de ce principe réside d’ailleurs dans son caractère intériorisé : la situation singulière de la fonction présidentielle, au regard et en vis-à -vis de la Nation suffit à justifier cette immunité. Le principe lui-même n’est pas formulé en 1969. Il est énoncé explicitement en 1985 par la Haute Autorité de la communication audiovisuelle qui reconnaît son ancienneté sans lui donner de justification précise : « Les interventions du président de la République ne sont pas prises en compte – et ne l’ont jamais été – dans la règle des trois tiers. » À la fin de l’année 2003, François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, saisit le CSA d’une demande de clarification des règles qui s’appliquent aux interventions de l’épouse du Président de la République, Mme Chirac. Le Conseil lui répond qu’un partage est établi entre les interventions qui correspondent à une prise de position politique, qui sont imputées sur le temps accordé à la majorité parlementaire, et les interventions qui sont liées « à son statut d’épouse du président de la République » qui, elles, ne sont affectées « à aucune force politique particulière ». Il justifie alors sa position en rappelant qu’« en effet, le temps de parole du président de la République n’entre pas dans l’appréciation par le Conseil du respect du pluralisme dans les médias audiovisuels. »
La première justification explicite du principe d’immunité du temps de parole du Président de la République est intervenue avec l’arrêt du Conseil d’État du 13 mai 2005, Hoffer. Le Conseil d’État n’était pas alors saisi directement des règles d’évaluation du pluralisme utilisées par le CSA en dehors des campagnes électorales. Toutes les campagnes électorales ont, en effet, des règles qui leur sont propres, qui sont issues du code électoral, de textes législatifs et de recommandations faites par le Conseil avant chaque période d’élections. Mais la formulation générale adoptée par la juridiction administrative pouvait laisser penser que la portée de la décision dépassait le seul contexte de la campagne qui a précédé le référendum du 29 mai 2005. Le Conseil d’État énonçait en effet « qu’en raison de la place qui, conformément à la tradition républicaine, est celle du chef de l’État dans l’organisation constitutionnelle des pouvoirs publics, le Président de la République ne s’exprime pas au nom d’un parti ou d’un groupement politique » ; il en déduisait que le CSA avait à bon droit exclu du domaine de ses recommandations les interventions présidentielles. Cette argumentation a été reprise par le CSA qui a justifié à son tour le principe de l’exclusion du temps de parole du Président de la République par la « tradition républicaine ».
En septembre 2007, quelques semaines après l’élection de Nicolas Sarkozy, le CSA a été saisi par François Hollande, premier secrétaire du parti socialiste, et le député Didier Mathus, des règles relatives au décompte du temps de parole du Président de la République et de ses collaborateurs. Il a répondu à leur requête en reprenant le principe traditionnel de l’exclusion des interventions du chef de l’État et en le fondant directement sur l’arrêt Hoffer. Sa réponse transpose donc pour les périodes dénuées d’échéances électorales le principe accepté par le Conseil d’État deux ans plus tôt, à propos de la campagne qui a précédé le référendum de mai 2005. Cette généralisation lui semblait possible dans la mesure où « les termes mêmes employés par le Conseil d’État montrent clairement que sa décision ne valait pas seulement (...) pour la campagne du référendum du 29 mai 2005, mais qu’elle a le caractère général d’une décision de principe. »
La censure du Conseil d’État, dans l’arrêt Hollande et Mathus du 8 avril 2009, a montré qu’il n’en était rien. Les conclusions du rapporteur public Catherine de Salins ont écarté la possibilité de généraliser le principe énoncé dans l’arrêt Hoffer : la question du temps de parole du Président de la République, envisagée indépendamment des périodes électorales, était donc inédite. Saisi par François Hollande et Didier Mathus de la décision du CSA, le Conseil d’État l’a annulée. Il n’a pas invalidé directement la règle des « trois tiers » reformulée dans le principe de référence ; il a laissé au CSA la responsabilité de trouver les outils qui permettront d’apprécier la juste répartition des temps de parole politique. Mais il a tout de même encadré cette liberté en considérant que les interventions du chef de l’État et de ses collaborateurs ne peuvent « être regardées comme étrangères, par principe et sans aucune distinction selon leur contenu et leur contexte, au débat politique national et, par conséquent, à l’appréciation de l’équilibre à rechercher entre les courants d’opinion politiques ».
Cette décision du Conseil d’État ne peut être considérée, à proprement parler, comme un revirement de jurisprudence. Elle met un terme, cependant, à une coutume qui s’était établie, depuis 1969, d’absence de décompte du temps de parole du Président de la République. Incontestablement, elle renforce les garanties du pluralisme dans l’audiovisuel et participe du « rééquilibrage » des institutions de la Vème République qui avait fait l’objet, en 2007, des réflexions du comité présidé par Édouard Balladur. Dans son rapport, remis à la fin du mois d’octobre, ce comité avait proposé que les interventions du Président de la République soient désormais comptabilisées par le CSA avec celles du Gouvernement, et il avait justifié cette proposition par le diagnostic suivant : « Fût-elle consacrée par la jurisprudence et l’articulation actuelle des textes constitutionnels, cette situation [i.e. l’absence de prise en compte des interventions du Président de la République] est la traduction d’une conception dépassée du rôle du chef de l’État. » L’analyse du rapporteur public Catherine de Salins a pris acte de ce constat : il est difficile « de considérer, déclarait-t-elle, que la parole présidentielle est, par nature et toujours, neutre au regard de l’équilibre à rechercher entre l’expression des courants d’opinion politiques et qu’elle ne doit en aucun cas être prise en compte pour apprécier l’exigence constitutionnelle de pluralisme des médias audiovisuels ».
Un tel constat ne peut que mettre à mal la fiction de l’« arbitrage » visé à l’article 5 de la Constitution. Il est vrai que cette notion d’« arbitrage », véritable pont aux ânes des idées politiques de la Vème République, a toujours été un leurre. En 1958, elle permettait aux rédacteurs de la Constitution de surmonter leurs divisions sur la nature du régime politique qu’ils souhaitaient construire. Cinquante ans plus tard, la notion apparaît toujours aussi équivoque, éloignée du caractère réel de la Présidence de la République, éloignée même de la Constitution formelle qui impliquait, dès son origine, que le Président fût un chef de parti et la figure de proue de la majorité. Certes, ce rôle semble être dévolu au Premier ministre : l’article 20 prévoit que « le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation » et l’article 21 que « le Premier ministre dirige l’action du gouvernement. » Mais, en même temps, l’article 9 prévoit que « le président de la République préside le Conseil des ministres » et l’article 13 dispose qu’il y signe les ordonnances et décrets débattus, et « nomme aux emplois civils et militaires de l’État. » Les fondements constitutionnels d’une politique menée par le Président ne manquent donc pas.
La concentration de la vie politique autour du Président de la République a été, par ailleurs, accentuée depuis 2002 par deux réformes : la réduction du mandat présidentiel à cinq ans et l’inversion du calendrier électoral. Elles se sont combinées en offrant au Président de la République un leadership sur la majorité parlementaire qui apparaît toujours, ne serait-ce qu’en raison de la succession chronologique des élections, comme étant issue de l’élection présidentielle. Si la responsabilité politique échoit au Premier ministre, l’unification de la majorité est l’office du Président. Le programme politique de la majorité est déterminé à l’Élysée plus qu’à Matignon et les aléas de la vie politique amènent le Président à intervenir sur des sujets que l’on attribue volontiers à la conduite d’un gouvernement, mais qui sont très éloignés de la fonction arbitrale de l’article 5. La révision constitutionnelle de 2008 n’a certainement pas entravé cette tendance : ainsi, l’introduction à l’article 18 d’un droit de message du Président aux Assemblées ou encore, à l’article 13, d’une compétence partagée du Président de la République et d’une commission parlementaire sur certaines nominations, participent d’une forme embryonnaire de contrôle de l’action présidentielle par le Parlement. Certes, le Président de la République demeurant politiquement irresponsable devant les Assemblées, la nature fondamentale du régime n’a pas changé. Mais cette irresponsabilité n’a jamais empêché, ni réduit, l’emprise de la fonction présidentielle sur le gouvernement qui ne jouit d’aucune exclusivité dans la conduite de « la politique de la Nation ».
Indépendamment des textes législatifs ou constitutionnels, l’appréciation du Conseil d’État a également tenu compte de la place croissante de la parole du Président dans les médias audiovisuels. Alors que les interventions du chef de l’État représentaient en moyenne 7% du temps de parole des personnalités politiques entre 1989 et 2005, elles ont dépassé 20% pendant les quatre trimestres allant de juillet 2007 à juin 2008. Elles sont ensuite redescendues à moins de 15% au second semestre de 2008. De ces évaluations quantitatives, le rapporteur public pouvait tirer la conséquence : « La place relative revenant à l’opposition s’en trouve inévitablement affectée. Ainsi, si l’on se réfère aux chiffres trimestriels, pour la période allant du 1er juillet 2007 au 30 septembre 2008, sa prise en compte réduit d’au moins sept points la part de l’opposition parlementaire dans le temps de parole total et la place systématiquement, pendant cette période, au-dessous du seuil du tiers qui devrait lui revenir. »
Une telle augmentation du temps de parole du chef de l’État s’inscrit dans le contexte des premiers mois du mandat présidentiel de M. Sarkozy. Il n’est pas impossible que la décision du Conseil d’État ait été différente dans un autre contexte : la pratique des institutions comme la stratégie médiatique de M. Sarkozy ont accentué l’impression d’un déséquilibre de l’exposition audiovisuelle en sa faveur. La décision du Conseil d’État a donc amené le CSA à modifier la règle de distribution des temps de parole.
II. LE NOUVEAU PRINCIPE DE PLURALISME.
Le nouveau principe adopté par le CSA le 21 juillet 2009, presque dix ans après le « principe de référence », achève un cycle de révision des indicateurs du pluralisme dans l’audiovisuel. Tout en conservant l’acquis du « principe de référence » et de la nouvelle catégorie apparue en 2006, il tire les conséquences de l’arrêt MM. Hollande et Mathus en intégrant partiellement la parole présidentielle.
Entre 1969 et 2009, le contexte normatif de la règle de répartition des temps de parole audiovisuels a profondément changé. La jurisprudence du Conseil constitutionnel a en effet tissé, depuis le début de la Vème République, mais singulièrement depuis l’alternance de 1981, les mailles d’un statut constitutionnel de la communication audiovisuelle. Les pouvoirs du législateur et des autorités administratives sont, de ce fait, plus étroits qu’ils ne l’étaient en 1969. Au sein de la liberté de communication, dont la protection est fondée sur l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le pluralisme intervient comme un objectif de valeur constitutionnelle. Le pluralisme des « courants de pensée et d’opinions » est donc une véritable exigence constitutionnelle qui est envisagée, non seulement du point de vue des entreprises de presse ou des entreprises audiovisuelles, mais aussi du point de vue du récepteur. Le « pluralisme externe » s’attache aux organes de communication, à leur indépendance, aux limites qui doivent être apportées à leur concentration ; le « pluralisme interne », quant à lui, désigne la diversité des programmes d’information, le pluralisme tel qu’il est concrètement assuré au lecteur, à l’auditeur ou au téléspectateur.
L’accent mis par le Conseil constitutionnel sur la réception, sur le destinataire finale du pluralisme, résulte d’une interprétation audacieuse de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme. Pourtant, le contenu même de l’exigence de pluralisme reste assez floue. Comme le remarquaient deux conseillers d’État, « on ne sait pas bien, si ce n’est en creux, au travers des matières des décisions du Conseil constitutionnel, ce à quoi oblige l’objectif de valeur constitutionnelle de garantie du pluralisme. » En l’absence d’une détermination précise, par le Conseil, des exigences de ce principe de pluralisme, le législateur possède une large compétence. Mais la loi du 30 septembre 1986, qui a confié au CSA la mission d’assurer le respect du pluralisme, s’est montrée inégale : si elle définit avec précision les éléments du pluralisme externe, elle ne dit presque rien de la portée du pluralisme interne. Le seul élément concret réside dans l’exigence faite au CSA, par le second alinéa de l’article 13, de communiquer « chaque mois aux présidents de chaque assemblée et aux responsables des différents partis politiques représentés au Parlement le relevé des temps d’intervention des personnalités politiques dans les journaux et les bulletins d’information, les magazines et les autres émissions des programmes ». En dehors de cette prescription, le CSA a donc pour mission d’appliquer directement l’objectif de valeur constitutionnelle, dans le cadre des pouvoirs qui lui ont été accordés par la loi.
L’adoption par le Conseil du nouveau « principe de pluralisme » a tenté de répondre à cette exigence. Les termes de la nouvelle règle de répartition doivent être appréciés au regard des situations respectives des acteurs principaux de la Constitution.
1. Le Président de la République.
Le temps de parole du Président de la République est désormais intégré aux décomptes du CSA, mais cette intégration n’est que partielle. Le Conseil d’État avait avancé, dans l’arrêt Hollande et Mathus, un critère de distinction : les interventions du chef de l’État ne peuvent « être regardées comme étrangères, par principe et sans aucune distinction selon leur contenu et leur contexte, au débat politique national et, par conséquent, à l’appréciation de l’équilibre à rechercher entre les courants d’opinion politique ». En évoquant le débat politique national, le Conseil d’État a invité le CSA à distinguer, dans les interventions du Président de la République, ce qui relève des enjeux politiques nationaux et ce qui y est étranger. Toute parole présidentielle n’est pas réductible à la fonction arbitrale de l’article 5 ; mais inversement, toute parole présidentielle n’est pas soluble dans le débat politique national. Si la parole du chef de l’État ne saurait être exclue en toute hypothèse de l’équilibre nécessaire au pluralisme, elle ne saurait non plus être totalement assimilée aux interventions du gouvernement, de la majorité ou de l’opposition parlementaire.
Cette analyse nuancée était probablement la seule réponse possible : il faut distinguer dans les interventions du chef de l’État les registres auxquels elles appartiennent. Toute autre solution eût bousculé exagérément le texte constitutionnel. La juridiction administrative n’a pas de pouvoir constituant : il ne lui appartient donc pas de sortir du cadre établi par les articles 5 et 20, tout imparfait qu’il soit. Une telle « sortie » était d’autant moins possible que le pouvoir constituant, sollicité en 2008 à la suite des propositions du Comité Balladur, avait renoncé à le modifier. Il ne pouvait donc être question d’inclure toutes les interventions du chef de l’État dans le décompte réalisé par le CSA : la logique profonde de la Vème République s’y oppose certainement. Mais la parole présidentielle ne pouvait être non plus totalement séparée : le pluralisme mérite d’être apprécié concrètement, il n’existe que dans les faits, dans la possibilité de donner à des points de vue différents un espace d’expression.
La détermination, au sein des interventions du Président de la République, de ce qui appartient au débat politique national peut sembler être une source de difficultés. La distinction est, en effet, parfois subtile. Les sujets internationaux échappent en général à l’imputation au titre du débat politique national. C’est à l’évidence le cas lorsque le Président de la République prend la parole au sein des instances européennes ou d’une instance internationale comme les Nations Unies. Pourtant, toutes les interventions présidentielles qui concernent les relations internationales de la France n’échappent pas à l’équilibre défini par le principe de pluralisme. Si, par exemple, le Président évoque, dans une intervention télévisée, les difficultés rencontrées par les troupes françaises en Afghanistan, la durée de ces remarques sera comptée au titre des prérogatives régaliennes qui échappent au débat politique national. Mais si le Président évoque le principe même de l’engagement des troupes françaises, qui fait l’objet d’un débat, son intervention sera alors décomptée au titre des prises de position au sein du débat politique national. Poursuivant son allocution, le Président en vient à évoquer le réchauffement climatique. Le décompte sera alors le suivant : lorsque le chef de l’État parle en général des problèmes liés au réchauffement climatique, ses propos ne sont pas décomptés au titre du débat politique national, mais lorsqu’il évoque les mesures à prendre ou les politiques à suivre pour lutter contre ce phénomène, ses interventions le sont. Les sujets nationaux abordés par le Président n’appartiennent pourtant pas, nécessairement, au débat politique national. En effet, si le Président parle de sujets neutres, comme un accident de la circulation, un incendie, une manifestation culturelle, le temps de son intervention ne sera pas considéré comme appartenant au débat politique national. À l’inverse, toutes les questions qui impliquent une prise de parti, le choix d’une politique, en font partie.
Le nouveau principe de pluralisme est entré en vigueur le 1er septembre 2009. Une première vision d’ensemble de l’application du principe a été donnée par la publication des chiffres des mois de septembre, octobre, novembre et décembre. Même si, d’un éditeur à l’autre, la répartition peut varier, un constat global s’impose : environ 60% des interventions du chef de l’État sont désormais comptées au titre du débat politique national. Une certaine uniformité s’est installée spontanément dans l’application du critère défini par l’arrêt Hollande et Mathus. La culture commune aux acteurs de la vie politique, mais également aux opérateurs de l’audiovisuel ou aux auditeurs, rend relativement objectif le classement des thèmes abordés par le Président de la République. La stratégie choisie par le chef de l’État dans sa communication audiovisuelle privilégie les thèmes d’intérêt national : cette orientation explique sans doute que plus de la moitié des interventions présidentielles est décomptée. Mais, pour autant, la catégorie du débat politique national n’aura pas eu pour effet d’épuiser toute la parole présidentielle. La fonction présidentielle n’est pas toute entière dans la détermination de « la politique de la Nation » : il n’est, après tout, pas anormal que les enjeux de la communication audiovisuelle en fassent la preuve.
Il est bien connu que ces enjeux font l’objet d’études fouillées dans l’entourage du chef de l’État . Néanmoins, la stratégie qui est élaborée par les conseillers en communication demeure liée par les règles de répartition des temps de parole. Toute sa valeur réside précisément dans sa capacité à utiliser ces règles au profit du Président. Cette stratégie a ses limites : ne porte-t-elle pas atteinte à une forme de pluralisme ? La question est souvent posée, en particulier depuis l’entrée en fonction de l’actuel chef de l’État dont l’omniprésence médiatique est souvent présentée comme un trait caractéristique de son mandat. Elle doit cependant faire l’objet d’une appréciation nuancée.
Il faut se souvenir, tout d’abord, que la règle des « trois tiers », comme le principe de référence et comme, enfin, le principe de pluralisme, portent sur le temps de parole et non sur le temps d’antenne. Le temps de parole se limite au temps pendant lequel une personnalité s’exprime ; le temps d’antenne, lui, est plus large : il s’agit de la totalité du temps consacré à un sujet. Ainsi, lorsque le Président de la République effectue un déplacement en province, il est fréquent de voir les étapes de sa visite rapportées dans les journaux télévisés. L’extrait du discours qu’il a pu prononcer correspond au temps de parole. Mais l’ensemble des éléments éditoriaux qui accompagnent ce discours correspond au temps d’antenne. Le temps de parole du Président de la République peut être restreint sans pour autant diminuer le temps d’antenne. Le sentiment d’une omniprésence médiatique du chef de l’État est lié à ce décalage : même si le CSA mesure la répartition des temps d’antenne et en tient compte dans son appréciation du pluralisme, seul le temps de parole est directement visé par l’article 13 de la loi du 30 septembre 1986.
La stratégie médiatique adoptée par les personnalités politiques doit tenir compte de cette distinction. Néanmoins, celle-ci joue, globalement, en faveur du Président de la République. La maîtrise du calendrier, de la temporalité politique est un outil essentiel entre les mains du chef de l’État. Celui-ci a une capacité de conduite du rythme médiatique qu’aucun autre acteur de la vie politique possède. Le choix d’organiser fréquemment des déplacements permet d’occuper un espace audiovisuel qui n’implique pas nécessairement un grand usage du temps de parole. Le temps d’antenne est donc un outil essentiel de la stratégie du chef de l’État. Cette situation pourra sembler critiquable : ne faudrait-il pas accorder au CSA la possibilité d’un contrôle plus strict du temps d’antenne ? Mais la réponse à cette question, dans une société libérale, est problématique. Le CSA n’a pas vocation à se substituer aux rédactions de journalistes. Il est et il ne peut être qu’une instance de régulation. Il rappelle souvent qu’en l’absence d’infraction à des obligations légales, réglementaires ou conventionnelles, il respecte la liberté éditoriale des journalistes. C’est l’exercice effectif de cette liberté qui garantit le pluralisme de l’information. Le choix des sujets traités, des personnes interrogées en relève et le CSA ne peut intervenir qu’à titre secondaire, dans les limites des pouvoirs qui lui sont attribués par la loi du 30 septembre 1986.
2. Le gouvernement et la majorité.
La situation du gouvernement et de la majorité parlementaire est restée depuis l’abandon de la règle des « trois tiers » relativement stable. L’apparition des catégories des partis non représentés au Parlement et des partis représentés au Parlement mais n’appartenant ni à la majorité ni à l’opposition a, certes, un peu diminué le temps de parole qui leur était offert. Mais l’équilibre général n’évolue que marginalement. Le principe de référence énonçait que « sauf exception justifiée par l’actualité, le temps d’intervention des personnalités de l’opposition parlementaire ne peut être inférieur à la moitié du temps d’intervention cumulé des membres du gouvernement et des personnalités de la majorité parlementaire. » Le nouveau principe de pluralisme conserve une règle de répartition de même nature, mais élargit la base de calcul : « Le temps d’intervention des personnalités appartenant à l’opposition parlementaire ne peut être inférieur à la moitié du temps d’intervention résultant du cumul, d’une part, des interventions du Président de la République [relevant du débat politique national] et, d’autre part, des interventions des membres du Gouvernement, des personnalités appartenant à la majorité parlementaire et des collaborateurs du Président de la République. »
À l’époque de la règle des « trois tiers », 66% du temps de parole revenait au Gouvernement et à la majorité parlementaire, 33% à l’opposition. Sous l’empire du principe de référence, la répartition était environ de 60% pour le Gouvernement et la majorité parlementaire, 30% pour l’opposition parlementaire, et 10% pour les partis non représentés au Parlement ou les partis représentés qui n’appartiennent ni à la majorité ni à l’opposition. À ce décompte, il fallait ajouter l’intégralité du temps de parole du Président de la République. La situation sous le nouveau principe de pluralisme est un peu différente. Il faut distinguer, d’une part, un « bloc » de la majorité, constitué par le Gouvernement, la majorité parlementaire, le Président de la République en tant qu’il parle des thèmes du débat politique national, et ses collaborateurs : à cet ensemble de personnalités politiques revient entre 55 et 60% du temps de parole. D’autre part, l’opposition parlementaire dispose de la moitié du temps accordé au premier groupe, soit entre 30 et 35% ; enfin, les partis non représentés au Parlement et les partis représentés mais n’appartenant ni à la majorité ni à l’opposition, disposent d’environ 10% du temps de parole, au titre d’un temps d’intervention équitable.
Il est important de remarquer que le nouveau principe de pluralisme limite la « ventilation » du temps de parole sur le critère du débat politique national au Président de la République. Ni le Premier ministre, ni les ministres n’en bénéficient : par conséquent, toute parole venant de l’un ou des autres est imputée au titre du temps réservé à la majorité. Il a pu ainsi arriver qu’un Premier ministre présente, dans une émission culturelle, un livre d’histoire ou de littérature dont il est l’auteur ; qu’un ministre commente une rencontre sportive ou qu’il participe à une émission de divertissement, aux côtés de divers artistes... Toutes ces hypothèses, aussi éloignées soient-elles du débat politique national, sont imputées au temps de parole du gouvernement. Il n’existe pas, pour un ministre et au regard du CSA, de sujet étranger au débat politique national. Cette application stricte de la règle de répartition a l’avantage notable de rendre onéreuses, en terme de temps de parole, les émissions auxquelles participent les personnalités politiques et dont l’objet est le divertissement. En effet, ce principe qui est imposé aux membres du gouvernement, est également imposé à toutes les personnalités politiques, notamment de l’opposition. Le CSA maintient, de ce point de vue, et à raison, un frein puissant à une forme de privatisation de la vie publique : toute personnalité politique qui veut parler de sa vie privée ou d’un centre d’intérêt purement personnel, doit savoir que le temps qu’elle y consacrera sera imputé à la catégorie politique à laquelle elle appartient.
Le cas des collaborateurs du Président de la République a été soulevé par MM. Hollande et Mathus, dans leur saisine du CSA de septembre 2007. Fallait-il considérer que le temps de parole dont ils disposent est intégré à celui du chef de l’État ou, au contraire, qu’il en est distinct ? Cette question est devenue sensible depuis l’élection de M. Sarkozy dans la mesure où plusieurs de ses proches collaborateurs interviennent fréquemment dans les médias. C’est le cas notamment du secrétaire général de l’Élysée. Ces interventions étaient beaucoup moins fréquentes pendant les mandats de MM. Mitterrand et Chirac et elles ont pu être analysées comme le signe de la nouvelle pratique des institutions que revendiquait M. Sarkozy. S’alliant, dans les premiers mois de son mandat, avec un certain effacement du Premier ministre, il était difficile de considérer que ces collaborateurs du Président de la République ne participent en aucune manière au débat politique national. La réponse du CSA à la requête des deux députés socialistes est pourtant peu satisfaisante sur ce point : la question est mentionnée mais il n’y est pas répondu. De ce silence, on pouvait induire que le temps de parole des collaborateurs du Président de la République était assimilé à celui du Président lui-même. Il est vrai que le statut des interventions de ces collaborateurs était, jusque là , indéterminé. La formule de l’arrêt Hoffer, dont le CSA se prévalait par ailleurs, ne mentionnait pas les collaborateurs du Président de la République. Le Conseil d’État fut donc le premier, dans l’arrêt du 8 avril 2009, à décider que les interventions de ces derniers ne peuvent être regardées, comme celles du chef de l’État, « étrangères, par principe et sans aucune distinction selon leur contenu et leur contexte, au débat politique national ».
La position qui a été adoptée par le CSA en juillet 2009 s’inscrit dans le cadre de l’arrêt Hollande et Mathus mais elle ne lui est pourtant pas totalement fidèle. En effet, le Conseil d’État ne distinguait pas le sort des interventions du Président de la République de celles de ses collaborateurs : la distinction des interventions selon le critère du « débat politique national » devait donc s’appliquer autant au chef de l’État qu’à ses proches conseillers. Le CSA n’a pas retenu cette solution et a assimilé les collaborateurs du Président de la République à toutes les personnalités politiques de la majorité parlementaire ou du gouvernement. Toutes les interventions des conseillers et toutes celles, notamment, du secrétaire général de l’Élysée, sont intégrées au temps de parole de la majorité. Une exception, cependant, existe : lorsque le collaborateur est l’instrument de l’exercice d’une fonction constitutionnelle, son temps de parole n’est pas décompté. C’est le cas lorsque le secrétaire général de l’Élysée annonce la composition du gouvernement.
Le conjoint du Président de la République est devenu également un objet important de l’attention médiatique. Traditionnellement, il était peu présent dans les médias mais sa place a augmenté progressivement et il n’est plus rare de le voir interrogé dans une émission de télévision ou de radio. En octobre 2003, François Hollande avait saisi le CSA des règles qui devaient s’appliquer aux interventions de Mme Bernadette Chirac. Le Conseil lui avait répondu qu’« un partage avait été établi entre les propos de Mme Chirac qui, relevant d’une prise de position politique, sont affectés au temps de la majorité parlementaire, et ceux qui, liés à son statut d’épouse du président de la République, ne sont affectés à aucune force politique particulière. En effet, le temps de parole du président de la République n’entre pas dans l’appréciation par le Conseil du respect du pluralisme dans les médias audiovisuels. » Le Conseil appliquait ainsi partiellement à l’épouse du chef de l’État la règle d’immunité du temps de parole.
La jurisprudence Hollande et Mathus de 2009 peut-elle amener une modification du statut audiovisuel du conjoint du Président de la République ? Il n’y a pas, pour le moment, de réponse certaine à cette question. Le nouveau principe de pluralisme ne l’évoque pas. Néanmoins, il semble difficile d’éviter l’intégration de son temps de parole au « bloc majorité ». Si, en effet, la Constitution donne au Président de la République une place qui lui permet de s’exprimer au nom de l’État en général, et non pas au seul titre d’un parti ou d’un groupement politique, rien n’indique qu’elle en fait autant pour son conjoint. Par ailleurs, il faut remarquer que la décision Hollande et Mathus ne visait expressément que le Président de la République et ses collaborateurs : or, dans la mesure où le CSA a adopté, à l’égard des collaborateurs, une règle plus stricte que celle qui était implicitement suggérée par le Conseil d’État, il semble difficile d’admettre que le conjoint du chef de l’État puisse bénéficier, lui, d’un régime plus souple. Enfin, le sort du conjoint du Président de la République peut être rapproché de celui des conjoints des personnalités politiques en général. Pour ces derniers, la tendance du CSA est d’intégrer leur temps de parole au groupe politique auquel ils appartiennent. C’est ce dont témoignent les réponses faites à deux saisines du Conseil en 2003 et 2004. En janvier 2003, Didier Mathus adressait une lettre à l’autorité de régulation pour critiquer le traitement par France 2 de certaines personnalités du gouvernement. Il faisait notamment allusion à un reportage consacré à Mme Sarkozy dans l’émission Envoyé Spécial, le 19 décembre 2002. Le Conseil lui a répondu un mois plus tard « qu’en l’absence d’infraction à des obligations légales, réglementaires ou conventionnelles, le Conseil respectait la liberté éditoriale des journalistes. Cependant, il envisage de comptabiliser de façon permanente, et pas seulement lors des périodes de campagne électorale, les temps de parole des conjoints et des proches des personnalités politiques, les reportages à leur sujet s’étant multipliés depuis quelques années. » Cette réflexion du Conseil annonçait une évolution qui devait avoir lieu l’année suivante. En effet, en novembre 2004, dans sa Lettre mensuelle, le CSA annonçait avoir comptabilisé « au bénéfice de la majorité parlementaire les seuls propos à caractère politique prononcés par Cécilia Sarkozy au cours de l’émission Soyons discrets diffusée le vendredi 24 octobre sur M6, ce qui représente 19 minutes sur les 21 minutes de temps de parole total qui lui a été accordé. »
3. L’opposition.
L’opposition apparaît indéniablement comme la grande bénéficiaire du nouveau partage des temps de parole politiques. Encore faut-il préciser qu’il s’agit d’un rééquilibrage au regard d’une règle qui lui était nettement défavorable. Depuis l’abandon de la règle des « trois tiers », l’opposition à la fois parlementaire et extra-parlementaire a gagné en visibilité dans l’espace médiatique. Le nouveau principe de pluralisme politique accorde à l’opposition parlementaire au moins la moitié du temps d’intervention cumulé du bloc majorité (gouvernement, majorité parlementaire et collaborateurs du Président) et des interventions du chef de l’État relevant du débat politique national. Les autres formations parlementaires et les partis non représentés au Parlement bénéficient d’un temps d’intervention équitable qui correspond à peu près à 10% des temps de parole politiques en général. Alors que sous l’empire de la règle des trois tiers, l’espace audiovisuel réservé à l’opposition était d’un tiers, il est aujourd’hui d’environ 40%.
Le critère du débat politique national n’est pas défavorable à l’opposition. L’un des atouts majeurs qu’il place entre ses mains est de pouvoir se saisir à tout moment d’une question qui ne suscitait pas jusque là de discussion particulière. Dans la mesure où un thème devient l’objet de remarques ou de réflexions de personnalités politiques qui n’appartiennent pas à la majorité, il intègre la catégorie du débat politique national. Ce critère est donc un levier qui permet à l’opposition de faire varier les frontières de l’intégration des interventions du Président de la République. Si le Président bénéficie d’un avantage certain dans la maîtrise du temps médiatique, cet avantage est atténué par la possibilité, pour l’opposition, de provoquer le décompte des prises de parole présidentielles au titre du débat politique national.
Le deuxième élément qui doit rentrer en compte dans l’analyse du statut audiovisuel de l’opposition réside dans l’importance prise par la catégorie des partis politiques non représentés au Parlement et des formations parlementaires qui ne se reconnaissent ni dans la majorité, ni dans l’opposition. Cette catégorie, confirmée dans le nouveau principe de pluralisme, joue un rôle important car elle introduit un élément dynamique qui faisait défaut à la règle des trois tiers. Celle-ci se contentait de distinguer le gouvernement, la majorité et l’opposition parlementaires. En introduisant les partis non représentés au Parlement dans les critères du pluralisme, le CSA a fait droit aux évolutions politiques qui se déroulent en dehors des enceintes de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Deux situations peuvent être distinguées. La première est celle des formations politiques (Front national, partis d’extrême gauche) qui ont une existence électorale importante mais qui ne parviennent pas, en raison du scrutin majoritaire à deux tours, à obtenir un représentant à l’Assemblée. Ces partis bénéficient d’un temps de parole qui est important, même s’il ne fait pas l’objet d’une règle quantitative précise. La deuxième situation est celle des formations politiques qui n’ont que de très faibles résultats électoraux. Ces partis n’ont pas d’existence médiatique réelle en dehors des périodes électorales. Mais l’appréciation de leur situation doit tenir compte des dispositifs dont ils bénéficient pendant ces périodes. En effet, chaque période électorale est organisée par une ou plusieurs recommandations du CSA, prises en vertu des pouvoirs qu’il tient des articles 1er, 13 et 16 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 . L’article L. 167-1 du code électoral (paragraphe III) et le décret n°78-21 du 9 janvier 1978 prévoient une réglementation spécifique pour l’expression audiovisuelle des partis politiques non représentés au Parlement pendant la campagne en vue des élections législatives. Pour les élections européennes, l’article 19 de la loi n°77-729 du 7 juillet 1977 met en place un dispositif semblable. Dans les deux cas, le financement des modules audiovisuels accordés à des partis dont les effectifs sont souvent très restreints est à la charge de l’État. Le pluralisme audiovisuel est, par conséquent, assuré pour ces petites formations en périodes électorales. Or, il y a des élections presque chaque année.
La place de l’opposition dans l’appréciation du pluralisme audiovisuel appelle une dernière remarque. Le CSA distingue un bloc majorité et un bloc opposition. Ces catégories définissent un cadre général d’appréciation : l’autorité administrative indépendante ne prétend se substituer ni aux formations politiques, ni aux journalistes qui demeurent libres de leurs choix éditoriaux. À l’égard des partis, la formule retenue par le Conseil en 2006 a une signification générale : « Dans sa mission de protection du pluralisme, le CSA ne prétend en aucun cas situer une formation politique contre son gré. » Cette formule résume parfaitement l’esprit du temps de parole accordé aux formations politiques présentes au Parlement qui n’appartiennent pas à la majorité et qui souhaitent ne pas être assimilées à l’opposition parlementaire. La catégorie générale de l’opposition est plus vaste que celle de l’opposition parlementaire : elle devait nécessairement rendre compte de positions politiques plus complexes que celles qui s’expriment dans le vote de confiance ou de censure du gouvernement. Quant aux journalistes, leur liberté est également une limite à l’intervention du CSA. L’article 1er de la loi du 30 septembre 1986 énonce que « la communication au public par voie électronique est libre ». Les compétences du CSA sont donc subordonnées à cette liberté et, à ce titre, elles doivent être conciliées avec les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Le CSA n’est pas un censeur. Les chaînes de télévision ou de radio ont donc une liberté de choix dans la détermination de leurs programmes ou de leurs invités politiques qui ne fait pas l’objet de son contrôle. Au delà de l’appréciation du pluralisme sur les antennes, la liberté des rédactions est intégrale dans les limites du régime de responsabilité civile et pénale de l’information.
Conclusion
La Vème République a souhaité être, à ses débuts, un régime de l’opinion publique. Mais cette ambition se traduisait par un contournement de la représentation nationale : les instruments de la souveraineté populaire – droit de dissolution, référendum – et, en 1962, l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, devaient assurer l’expression des Français malgré, ou par-delà , le Parlement. Ce dispositif constitutionnel allait de pair avec une communication politique réduite à l’essentiel : le « face-à -face » télévisuel qu’affectionnait le Général essayait de parler à la France, en disant « la vérité » aux Français. La règle des « trois tiers » exprimait ainsi, en 1969, les grandes caractéristiques de la république gaullienne. L’alliance problématique, mais fondamentale, d’une démocratie incarnative, exercée par le Président de la République, et d’une démocratie représentative, résidant dans l’Assemblée nationale, permettait de justifier à la fois l’exclusion des temps de parole du Président et l’exclusion des partis politiques non représentés au Parlement.
Le Général de Gaulle estimait avoir la légitimité historique et politique qui lui permettait de parler directement aux Français. Mais aux heures héroïques de 1958 devait succéder la vie politique normale, l’heure des choix quotidiens et du « débat politique national ». Sans disparaître, la fiction d’un « face-à -face » s’éloignait. Elle s’éloignait, tout d’abord, par l’effacement de la fonction arbitrale visée à l’article 5. Les successeurs du Général, tout à leur préoccupation d’agir pour le pays, de conduire une politique, de mener à bien un programme, étaient amenés à déterminer la « politique de la Nation ». L’arbitre devenait irrésistiblement le chef d’un parti. Elle s’éloignait, par ailleurs, dans la mesure où le statut audiovisuel du Président de la République n’aurait pu être justifié que par un exercice effectif de la responsabilité de celui-ci. Ce statut, comme le recours à l’arbitrage populaire, ne pouvait être dissocié de la responsabilité politique du Président. Le « dialogue » que l’on prétendait instaurer était à ce prix, le pouvoir ne pouvant aller sans la responsabilité. Or, à partir du moment où il a été admis que le Président de la République peut être mis en échec lors d’une dissolution ou d’un référendum, sans avoir à en tirer une quelconque conséquence, la fiction d’un « dialogue » devenait purement et simplement illusoire. Les dix années qui ont précédé le nouveau principe de pluralisme ont remis en cause progressivement l’équilibre défini en 1969. Avec le « principe de référence », l’exclusivité accordée aux partis représentés au Parlement a été écartée ; avec l’arrêt MM. Hollande et Mathus, la complète immunité de la parole présidentielle a été condamnée. Le CSA et le Conseil d’État ont ainsi rendu justice à l’évolution du régime.
Ils ont aussi rendu justice à l’évolution de la communication politique. La campagne présidentielle de 2007 a, pour la première fois, intégré à la vie politique française des techniques de communication, comme le storytelling, développées aux États-Unis et en Grande-Bretagne. L’importance prise par ces outils de marketing a modifié les conditions du débat politique, en le subordonnant à la construction de figures médiatiques, censées emporter l’adhésion des électeurs. L’appauvrissement du débat national qui en est la conséquence, est un constat fait par de nombreux téléspectateurs ou auditeurs. Cette évolution, certes, n’est pas le privilège de la Vème République ; elle correspond à une transformation générale des démocraties modernes. Il appartient, dans ce contexte, au Conseil d’État et au CSA de garantir le sens authentique du pluralisme audiovisuel qui a pour destinataires, comme le souligne le Conseil constitutionnel, le public et l’opinion publique. La présentation d’un débat politique de bonne qualité est une exigence liée au pluralisme audiovisuel et les règles de répartition des temps de parole sont un outil au service de cette fin. Le pluralisme à l’époque des démocraties médiatiques ne se réduit pas à la constitution des citoyens en un « Tribunal de l’opinion », il doit aussi permettre la présentation de grandes options, de choix politiques, économiques ou sociaux et favoriser ainsi l’émergence d’un consensus au sein de la Nation.
Quentin Epron est maître de conférences en droit public à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)
Pour citer cet article :
Quentin Epron « Le temps de parole audiovisuel des personnalités politiques », Jus Politicum, n°4 [https://juspoliticum.com/articles/le-temps-de-parole-audiovisuel-des-personnalites-politiques-218]