Dans les années 1970, à  la faveur d’un renouveau épistémologique majeur, des historiens des idées politiques ont proposé une réinterprétation de la naissance des Constitutions modernes. Ils rejetaient l’origine exclusivement libérale de la modernité au profit d’une influence républicaine. C’est à  partir de cette réinterprétation historique que des constitutionnalistes américains ont proposé une nouvelle lecture de l’architecture constitutionnelle américaine, et, de la jurisprudence de la Cour suprême. Cette contribution se propose de présenter et de discuter cette relecture, ce qui permettra de fonder une réflexion plus générale sur l’utilisation d’arguments historiques par la doctrine juridique.

On Neo-Republicanism and the Science of Constitutional History

In the 1970’s, the “linguistic turn” has drastically modified the history of political thought. A new interpretation of the origins of modern constitutions has emerged. In that perspective, liberalism was not anymore the only political theory relevant for the study of modernity. Indeed, historians proved the existence of a republican influence over this period, especially over the American Revolution period. Therefore American constitutional scholars proposed a new understanding of their constitution, and new readings of Supreme Court decisions. The purpose of this paper is first to present and discuss these new readings, and second to study the use of history by legal scholarship.

  • Les anciens, Monsieur, sont les anciens, et nous sommes les gens de maintenant. Les grimaces ne sont point nécessaires dans notre siècle, et quand un mariage nous plaît, nous savons fort bien y aller, sans qu’on nous y traîne.

Angélique, in Molière, Le Malade imaginaire, Acte II, Scène 6.

Si le libéralisme a pu, à  une époque, faire figure de « doctrine démodée », l’histoire des idées politiques lui aura consacré la plus grande attention dans l’étude de la modernité. Définir le libéralisme de façon univoque constitue un risque non négligeable tant ce terme a été très souvent utilisé, voire revendiqué, pour qualifier des pensées très diverses. Toutefois il est possible de considérer les points communs à  toutes les théories libérales de la politique, et ainsi définir le libéralisme, à  la manière de Léo Strauss, comme

  • [l]a doctrine politique pour laquelle le fait fondamental réside dans les droits naturels de l’homme, par opposition à  ses devoirs, et pour laquelle la mission de l’État consiste à  protéger ou à  sauvegarder ces mêmes droits

  • .

À en croire l’historiographie dominante encore aujourd’hui, la modernité juridique serait le résultat de la montée en puissance de ce courant de pensée, illustrée par l’avènement des philosophies du Contrat social, et celui des droits subjectifs de l’individu. Pour le droit constitutionnel, cela se serait traduit par la victoire du constitutionnalisme, doctrine d’origine anglo-saxonne reposant essentiellement sur une philosophie libérale de limitation du pouvoir. Ainsi, la naissance des constitutions modernes, et notamment la constitution américaine, a souvent été analysée sous le prisme de l’avancée irrémédiable du constitutionnalisme et donc du libéralisme.

Toutefois, ce constat se doit d’être nuancé. Il semble, en effet, qu’un courant de pensée particulier – le républicanisme – ait pu jouer un rôle primordial dans cette période moderne. Le républicanisme n’est pas moins difficile à  définir que le libéralisme. Néanmoins, il semble également possible d’identifier certains principes communs aux auteurs républicains. Le républicanisme doit s’entendre comme une théorie politique visant la protection de la liberté des individus, en rejetant toutefois, partiellement ou entièrement, la notion de droits naturels. Cette théorie se fonde sur l’idée selon laquelle la vertu civique, c’est-à -dire la participation des individus à  la vie politique, permet de protéger plus efficacement la liberté des individus. L’État, dans ce cadre, n’a pas pour seul et unique but de protéger les droits naturels de l’individu, mais protège un intérêt général transcendant les intérêts particuliers. Dans cette perspective, le républicanisme doit être appréhendé comme une critique interne au libéralisme, produisant une théorie de la démocratie et, par voie de conséquence, une théorie politique et constitutionnelle originale.

À partir des années 1960, l’histoire des idées politiques, à  la faveur d’une évolution épistémologique importante – le linguistic turn – connaîtra une remise en cause de l’hégémonie libérale dans la naissance de la modernité. Cette remise en cause se traduira par une relativisation, en histoire constitutionnelle, de l’origine libérale des constitutions modernes, et notamment de la Constitution américaine. Jusqu’alors, l’ouvrage de référence était celui de Louis Hartz, qui présentait une Amérique « naturellement libérale » et une constitution américaine largement imprégnée de la philosophie libérale de John Locke. C’est l’ouvrage de John Greville Agard Pocock, Le moment machiavélien, paru en 1975 aux États-Unis, qui reste l’ouvrage de référence dans l’appréhension du républicanisme à  l’époque moderne. Il fait apparaître à  l’origine de la modernité politique, aux côtés du langage libéral largement fondé sur un vocabulaire juridique, un autre vocabulaire, républicain celui-ci, qui aurait eu une influence déterminante, notamment sur les révolutions anglaises et américaine. S’agissant de la révolution américaine, des historiens tels que Bernard Bailyn et Gordon Stewart Wood – mais aussi des philosophes comme Hannah Arendt – ont fait apparaître, dès les années 1960, l’origine républicaine de la naissance des États-Unis, et de la Constitution américaine. Cette redécouverte de l’héritage moderne du républicanisme a été prolongée dans les travaux de l’historien et philosophe Quentin Skinner. En France, ce renouveau a été perçu relativement tardivement, très souvent parce que l’apport des autres pays à  la réflexion républicaine a été négligé. Ainsi, la somme de Claude Nicolet sur ce sujet ne fait pas référence aux éventuels apports internationaux à  la philosophie républicaine. Il faudra attendre les travaux de Jean-Fabien Spitz pour qu’une généalogie plus internationale du concept de République soit faite, notamment par la réception de la tradition continentale du républicanisme civique dégagée par J.G.A. Pocock. Les travaux de Blandine Kriegel ont pu apporter un éclairage différent sur cette tradition républicaine, non sans échapper à  certaines contradictions et orientations idéologiques qu’il ne convient pas de développer dans ces lignes.

Ce travail historique s’est accompagné d’un renouveau théorique de la pensée républicaine dans des travaux nombreux, tant en philosophie politique qu’en philosophie du droit. Ainsi, la doctrine constitutionnaliste américaine a largement été influencée par cette relecture, grâce à  laquelle certains professeurs de droit ont pu produire de nouvelles interprétations du texte constitutionnel. Cette partie de la doctrine ne s’est pas contentée de recevoir cette relecture, mais s’est engagée dans une véritable actualisation de cette pensée d’un point de vue notamment constitutionnel. Il s’agit par ailleurs d’un signe de la particularité de la doctrine américaine qui fait un « recours généralisé aux sciences humaines et sociales », et qui n’hésitera donc pas à  puiser des éléments de réflexion dans ce renouveau de l’histoire des idées politiques et de la philosophie politique, là  où la doctrine française a toujours voulu réaffirmer et protéger l’autonomie de la discipline constitutionnelle.

Ces nouvelles théories prendront le nom de républicanisme. Alors que les auteurs anglo-saxons parlent de republican revival, ce qui laisserait entendre une simple résurgence d’un fond théorique ancien, il y a bien une véritable nouveauté théorique dans le but de purger certains aspects de la théorie qui ne peuvent plus s’appliquer pour décrire ou comprendre le monde présent. D’ailleurs, la doctrine française a préféré utiliser l’expression de « renouveau républicain », voire de « révisionnisme républicain », le terme renouveau pouvant signifier d’une part un retour à  un état précédent après un déclin, et d’autre part, une apparition de formes nouvelles et plus riches d’une pensée. C’est ainsi que Cass R. Sunstein avance que le travail des républicains modernes n’est pas seulement d’excaver des conceptions anciennes et de les appliquer directement à  notre réalité, mais de conserver certains éléments qui restent utiles pour comprendre le temps présent. En somme, les théories ne peuvent que valoir pour résoudre des problèmes déterminés, précis, et, historiquement définis. Les néo-républicains rejettent en bloc toute idée de réutilisation d’une théorie du passé, sans appropriation ou modification. Cette posture peut être qualifiée d’historiciste, au sens où l’histoire détermine les théories, ces dernières ne pouvant passer outre les contingences historiques qui les ont vues naître.

La distinction entre histoire et théorie, dans la doctrine juridique, se fonde sur l’idée selon laquelle une théorie du droit est, par définition, anhistorique puisqu’elle a pour vocation, par une série de propositions, de décrire ce qui est commun à  plusieurs systèmes juridiques, quelle que soit leur époque. L’approche historique du droit, quant à  elle, vise à  distinguer, sur le fondement de la contingence historique, les systèmes juridiques et les systèmes de pensée qui les accompagnent. Le néo-républicanisme est paradoxalement au carrefour de ces deux approches. Le problème majeur de ce courant réside dans la volonté de ses auteurs d’ancrer leur réflexion dans des cadres théoriques anciens, et dans le même temps de s’en séparer. Le terme néo-républicanisme renferme en lui-même ce paradoxe. Le préfixe néo- exprime la nouveauté et est souvent utilisé en philosophie pour désigner le rattachement à  un courant de pensée antérieur que le néo-courant continue à  certains égards. En utilisant ce préfixe, il y a bien recherche d’une parenté, c’est-à -dire la reprise d’un certain nombre d’arguments éprouvés. Cependant, comment concilier une approche théorique, visant l’universalité, et des éléments issus de théories antérieures, historiquement marqués ? L’appel à  un héritage républicain serait-il alors une simple tactique rhétorique, dans le but de donner à  des théories présentes une certaine respectabilité ? Cette vaste interrogation, qui ne se limite pas à  l’exemple du néo-républicanisme, invite à  s’interroger sur le point de savoir s’il est possible d’utiliser, à  l’heure actuelle, des théories créées dans un cadre spatio-temporel, politique, sociologique et même scientifique différent.

Cette contribution propose d’apporter un éclairage sur le lien entre histoire et théorie du droit, à  partir de l’exemple du néo-républicanisme, et tend à  démontrer que les nécessités théoriques du présent conditionnent les relectures historiques du passé. L’étude du républicanisme met pourtant en exergue un paradoxe, puisque l’invocation d’arguments historiques, pourtant contextualisés, s’accompagne d’une démarche profondément anhistorique, tendant à  compromettre l’autorité des arguments historiques. Ainsi, les constitutionnalistes américains se revendiquant du républicanisme, s’appuient sur une analyse historique pour affirmer que les pères fondateurs de la Constitution de 1787 se fondaient sur des arguments républicains. Mais cette analyse leur permet d’utiliser ces arguments pour une controverse contemporaine à  propos des formes prises par la démocratie. À l’instar de ces auteurs, la doctrine française gagnerait à  prendre en compte la place du républicanisme dans l’élaboration de la Constitution de la Ve République, et enrichir ainsi les controverses constitutionnelles actuelles. Controverses qui, justement, concernent de plus en plus la question démocratique. Dès lors, l’exemple du néo-républicanisme montre que la redécouverte et la réactualisation d’un courant de pensée ancien revêt un intérêt pour la science du droit constitutionnel, tant sur le plan historique que théorique. D’un point de vue historique, l’apport du néo-républicanisme est indéniable (I). D’un point de vue théorique, il s’agit d’un apport indirect. En effet, c’est l’étude, distanciée, du néo-républicanisme qui permettra d’illustrer le rôle de l’histoire dans l’élaboration des théories du droit, et de produire une réflexion renouvelée sur l’épistémologie du droit (II).

I. L’apport du néo-républicanisme à  l’histoire constitutionnelle

La découverte et la réactualisation d’anciens courants de pensée a tout d’abord un intérêt pour l’histoire constitutionnelle. Ces argumentations entendent se fonder sur une « vérité » historique s’inscrivant en rupture avec l’historiographie dominante. Il y a donc un intérêt purement historique derrière l’émergence des débats sur l’histoire constitutionnelle au sein de la doctrine. À ce titre, le néo-républicanisme illustre de façon topique cet apport, tant au regard des aspects épistémologiques de l’histoire constitutionnelle (A), que de son objet (B).

A. Une épistémologie bouleversée

L’apport du néo-républicanisme est tout d’abord épistémologique. Les liens qui unissent le résultat d’une recherche historique et la méthode utilisée sont complexes. Un résultat original peut résulter d’une évolution de la méthode historique, à  l’inverse il arrive que la méthode soit déterminée par le but recherché par le savant au sein d’une controverse doctrinale. Ainsi, la méthode utilisée et le résultat obtenu sont liés réciproquement, de telle façon qu’il est difficile de savoir lequel a engendré l’autre. Le républicanisme est un exemple topique de ce phénomène. La redécouverte du républicanisme a été le résultat des prémices du tournant linguistique en épistémologie de l’histoire, tout en constituant une revendication scientifique, visant à  combattre l’hégémonie libérale sur la philosophie politique occidentale. S’agissant de l’apport épistémologique du renouveau républicain, le tournant linguistique se caractérise par une méthode contextualiste (2) centrée sur le langage (1), qui a influencé les méthodes utilisées pour l’histoire constitutionnelle.

1) L’influence des philosophies du langage

L’histoire des idées, au même titre que d’autres branches de l’histoire et de la philosophie, a connu à  partir des années 1960 un renouveau épistémologique important connu sous le nom de tournant linguistique. Ce tournant linguistique a été la pierre angulaire de la réflexion méthodologique entreprise par la fameuse École de Cambridge avec comme chefs de file Quentin Skinner et John Greville Agard Pocock notamment. Si le tournant linguistique regroupe des philosophies et des méthodologies diverses, ce « babélisme philosophique » se réunit sous l’idée de la centralité du langage. L’idée principale pour la méthodologie historique est non plus de s’attarder sur des faits, mais de remarquer qu’en histoire et plus particulièrement concernant l’histoire intellectuelle, « les « faits du passé avec lesquels l’historien entre concrètement en contact sont des textes, qui n’ont toutefois pas été créés pour être des expressions verbales inoffensives, mais pour produire des effets, pour peser sur la dynamique intersubjective dans un contexte spécifique ».

La concentration sur la notion de texte, va aboutir au recentrage du questionnement épistémologique en philosophie politique autour des questions d’interprétations et d’herméneutique. Ce recentrage autour des textes et de l’herméneutique va faire apparaître une tension entre le texte et ses interprètes. Les apports de l’herméneutique nous apprennent que c’est avant tout l’interprète qui construit et reconstruit le sens du texte, bien plus qu’il ne le découvre. Dès lors, le problème de la subjectivité de l’historien interprétant les textes passés se pose. Les méthodes reconnues comme scientifiques sont censées permettre d’éviter cet écueil de la subjectivité. Ainsi, la question de la méthode deviendra centrale pour savoir comment restituer le plus objectivement possible la pensée d’un auteur passé. Cette question de méthode est primordiale par exemple dans l’œuvre de Quentin Skinner.

2) L’influence de la démarche contextualiste

Il est possible de percevoir, chez les auteurs ayant fait redécouvrir la pensée républicaine, une méthodologie historique particulière : le contextualisme. Ainsi, les travaux sur la réinterprétation de la modernité juridique et politique par les historiens des idées politiques de l’école de Cambridge sont le fruit d’une mise en contexte des textes étudiés. Par ailleurs on retrouve la même démarche, même si celle-ci est moins explicitement revendiquée, chez les historiens à  l’origine de la réinterprétation des idéologies fondatrices de la Révolution et de la Constitution américaines.

S’agissant des historiens de l’École de Cambridge, la démarche est pleinement revendiquée comme en témoignent leurs articles importants en matière d’épistémologie historique ainsi que des rappels méthodologiques écrits au début de leurs ouvrages de référence. Ainsi, pour prendre l’exemple des deux historiens du républicanisme les plus célèbres et membres de cette école, John Pocock et Quentin Skinner ont développé une épistémologie en totale opposition avec la méthodologie historique de l’époque. J. Pocock s’intéresse essentiellement au contexte langagier de production des écrits intellectuels, là  où Q. Skinner empreint de la pragmatique austinienne de la théorie des actes de langage, s’intéressera davantage au contexte politique dans lequel s’inscrit l’écrit étudié, c’est-à -dire non seulement ce qu’a voulu dire l’auteur mais aussi ce qu’il a voulu faire. J. Pocock quant à  lui insiste sur l’étude des « vocabulaires », « discours », ou « langages » d’une époque et cherche à  comprendre comment ces objets naissent, persistent ou disparaissent. Il insiste particulièrement sur les différents contextes dans lesquels ces vocabulaires, discours ou langages interagissent. Ainsi, la nouveauté épistémologique consiste à  prendre en compte au-delà  des grands textes ou des grands auteurs, le contexte discursif dans lequel les auteurs se déplacent. Ce contexte discursif qui conditionnera la formation de leurs théories peut se comprendre en termes de contraintes argumentatives perceptibles également dans la création de certaines théories du droit. C’est ainsi qu’à  côté du langage libéral essentiellement juridique, autour de notions telles que le droit subjectif, a perduré un langage républicain, essentiellement éthique et politique, fondé sur les concepts de vertu, de vivere civile, de lutte contre la corruption et d’indépendance. À travers les travaux républicains, il est aisé de voir apparaître l’influence du tournant linguistique sur la méthode historique.

Mais c’est plus encore dans les travaux de Quentin Skinner que cette influence est remarquable. Les travaux de l’auteur britannique sur l’épistémologie de l’histoire sont d’une importance considérable. Son approche qualifiée de contextualiste pourrait se définir comme l’idée selon laquelle « plus d’histoire [et] moins de philosophie » sont nécessaires pour comprendre au mieux les textes du passé. Pour Skinner l’important est moins la mise en valeur exclusive des textes fondamentaux, et leur compréhension in abstracto, que la prise en compte du contexte intellectuel mais aussi social, dans lequel le théoricien s’inscrit. En somme, pour reprendre la phrase de l’historien Paul Veyne, « [l]’homme ne peut pas penser n’importe quoi, n’importe quand ». Il en résulte deux corollaires méthodologiques. Le premier, commun avec Pocock, commande de ne pas uniquement se concentrer sur certains auteurs réputés comme majeurs, mais bien sur l’intégralité de la production intellectuelle d’une époque donnée pour mieux comprendre et interpréter ce qu’a voulu dire et faire l’auteur. On retrouve ici, l’idée d’un contexte argumentatif chère à  J.G.A Pocock. Ce contexte argumentatif que Skinner nomme « contexte idéologique » est déterminé par un « vocabulaire » particulier, permettant la justification et la légitimation des actions et discours des acteurs politiques ou juridiques. Ainsi, cette méthode contextualiste permet de traiter de l’histoire des théories de façon réellement historique, en prenant en compte le contexte de production de ces théories. Le deuxième corollaire de cette posture méthodologique est la prise en compte de l’action de l’auteur au sein de ce cadre argumentatif. Ainsi via l’influence de la philosophie des actes de langage, Skinner aborde les textes philosophiques, politiques ou juridiques des auteurs également comme des actes, c’est-à -dire des interventions politiques dans les débats politiques d’une époque particulière. C’est ainsi que Skinner peut faire appel au concept d’intention du texte, qui réside dans la recherche de la « destination pragmatique [du texte], comme un moment de sa stratégie rhétorique ». Cette méthode ne consiste pas à  rechercher les intentions de l’auteur ce qui reviendrait à  une forme de psychologisme. En somme, il s’agit de comprendre les circonstances et les raisons pour lesquelles les auteurs utilisent tel ou tel concept, théorie ou stratégie argumentative. Cette démarche lui permettra par exemple de replacer la philosophie de Hobbes dans le contexte d’un affrontement entre deux conceptions de la liberté, républicaine et libérale. Les écrits de Hobbes sont abordés comme une intervention polémique au sein d’un conflit historiquement situé, et permettent de mieux comprendre certains concepts développés par cet auteur.

Une même démarche, bien que moins formalisée, est présente chez les historiens américains à  l’origine du renouveau républicain. Ainsi, Bernard Baylin revendique aisément son approche « profondément contextualiste de l’histoire », en insistant sur toute la production littéraire de l’époque. À partir de pamphlets, essais et commentaires de toutes sortes sur des supports divers, il a constaté que la révolution avait été pensée dans un contexte précis, par des hommes d’action. La littérature révolutionnaire, mais aussi les débats constituants s’inscrivent dans un débat politique dont les idées ne peuvent se détacher. Il reconnaît lui aussi certains thèmes chers aux républicains et présents dans les débats révolutionnaires, sans pour autant admettre la présence d’une véritable doctrine républicaine formalisée en tant que telle. Gordon Wood adopte également une démarche contextualiste, qu’il oppose à  une démarche « profondément anhistorique » retenue par de nombreux historiens de la révolution, en insistant sur le caractère singulier du vocabulaire utilisé à  l’époque révolutionnaire. Ce vocabulaire contraignait les acteurs politiques et les penseurs et réciproquement subissait des modifications importantes du fait de ces acteurs et penseurs.

Quant à  la doctrine constitutionnaliste américaine, elle s’est intéressée dans le même esprit à  replacer la pensée des pères fondateurs dans leur dynamique intersubjective. Ainsi, sans se contenter de reprendre les grands écrits des pères fondateurs, elle a mis l’accent sur le discours des anti-fédéralistes largement imprégnés de philosophie républicaine. C’est dans ce rapport dialogique entre fédéralistes et anti-fédéralistes, que sont nés les États-Unis d’Amérique et c’est donc ce rapport dialogique qu’il faut étudier sans mettre de côté l’une ou l’autre des parties. Ainsi l’histoire en tant que discipline, et en l’espèce l’histoire des idées politiques, peut apporter à  l’histoire constitutionnelle des méthodes nouvelles pour l’appréhension de son objet.

La redécouverte d’une influence républicaine dans l’histoire de la modernité politique et juridique semble avoir été le fruit d’un renouveau méthodologique en histoire des idées mais aussi en histoire constitutionnelle. Il est vrai que les deux mouvements sont concomitants. Toutefois comme le souligne Jean-Fabien Spitz, ce travail d’excavation de l’influence du républicanisme dans la pensée moderne est peut-être le fruit d’une insatisfaction sur l’histoire elle-même en tant que récit, c’est-à -dire sur la perception dominante de l’histoire de la modernité. Dès lors, les controverses historiques au sein de la doctrine en histoire des idées et en histoire constitutionnelle seraient peut-être moins le fait d’une divergence de principe sur les méthodes, qu’une divergence indéniable sur le contenu de cette histoire, les problèmes de méthodes ne venant qu’a posteriori comme reconstruits une fois les travaux achevés. Elles ne seraient pas le fruit de divergences épistémologiques mais au contraire la source de ces dernières. Ainsi, le renouveau républicain au sein de la doctrine est peut-être avant tout lié à  des controverses de fond.

B. Une histoire revisitée

Le renouveau républicain a également apporté une actualisation de l’histoire constitutionnelle comme objet. Ainsi, ce révisionnisme républicain a apporté un nouvel éclairage sur la période moderne (1) et, plus particulièrement, sur l’origine de la constitution américaine (2).

1) Une perception renouvelée de la modernité

L’histoire de la modernité a longtemps été dominée par une perception juridiciste de cette période. La modernité serait l’avènement des principes du constitutionnalisme que nous pourrions qualifier de libéraux. C’est cette synthèse juridico-libérale qui domine l’historiographie jusque dans les années 1960. Ainsi, bien loin du problème de la recherche de l’autonomie de l’histoire du droit et de l’histoire constitutionnelle en particulier, on remarque que la tendance a davantage été une soumission de l’histoire intellectuelle à  l’histoire du droit. L’histoire de la modernité serait l’histoire de l’avènement de l’État et la grande marche vers le subjectivisme juridique. La modernité était donc présentée avant tout comme la montée en puissance du libéralisme via l’avènement puis le développement des droits subjectifs de l’individu. La Liberté dans ce cadre est réduite aux droits et libertés. Toutefois, le grand apport de la philosophie républicaine a été de montrer qu’un discours concurrent existait à  l’époque moderne, un discours qui montre que la Liberté n’a pas seulement été pensée en termes juridiques via le concept de droits et libertés de l’individu, mais par un discours à  la fois éthique et politique. Là  s’explique sans doute la faible réception de cette théorie républicaine par les juristes.

Cependant l’intérêt d’étudier une origine non entièrement juridique des évolutions de la modernité est double. D’une part, cela permet de remettre en question les certitudes que nous avons quant à  l’importance du droit dans l’histoire. D’autre part, cela permet de faire avancer la connaissance de l’histoire constitutionnelle proprement dite. Ainsi le républicanisme semble être un levier puissant de mise à  jour de l’histoire constitutionnelle. Évidemment il ne s’agit pas de remplacer une vision dogmatique par une autre mais de considérer que les sociétés, les États et les constitutions se forment par la rencontre de différents courants de pensée, par des controverses propres à  leur temps mais qui ancrent leurs argumentations dans des références passées. Dès lors la redécouverte d’un courant de pensée oublié peut être une meilleure façon de comprendre l’origine et les développements de certains concepts ou objets constitutionnels particuliers. Ainsi peut-on comprendre toutes les particularités de la Constitution américaine, et notamment sa référence à  la République, sans historiciser c’est-à -dire sans contextualiser le concept de République qui a dans le cadre de la naissance des États-Unis un sens particulier.

Malgré la modestie de ce simple « renouveau » républicain, il y a de véritables propositions novatrices à  chaque étape de son développement. Ce courant évolue donc en conservant des principes historiques et en les adaptant aux nécessités, aux problèmes nouveaux. Il ne s’agit pas de ressusciter une pensée antique, mais bien de proposer une lecture différente de ce que pourrait être le constitutionnalisme. Dans cette perspective il n’est pas évident que le constitutionnalisme soit intrinsèquement et exclusivement lié au libéralisme. Il faut prendre en compte l’existence d’un discours républicain moins centré sur la « sphère juridique destinée à  toujours mieux protéger les droits des individus pour que ceux-ci puissent se consacrer pleinement à  leurs activités privées ». Au contraire, ce discours insiste sur la nécessité de participation politique – la vertu civique – et la recherche d’un bien commun non corrompus par des intérêts privés. Ce néo-républicanisme a permis aux États-Unis de s’interroger sur les origines de la Constitution américaine et donc sur les justifications philosophiques de son agencement institutionnel.

2) Une perception renouvelée de l’origine de la constitution américaine

Il est possible de déceler une origine républicaine à  la naissance des États-Unis. C’est d’ailleurs tout le travail entrepris comme nous l’avons vu par Bernard Baylin, Gordon Wood et John Greville Agard Pocock. Des récurrences de thèmes et de vocabulaires républicains semblent apparaître au moment de la Révolution américaine. Ainsi, les notions républicaines d’intérêt général – ou de bien commun –, et la soumission des intérêts privés à  celui-ci, sont présentes dans les débats de la Révolution d’outre-Atlantique. C’est là  tout le paradoxe du renouveau républicain. Il réside dans la volonté des historiens qui, en vertu de leurs choix méthodologiques, insistent sur le contexte particulier dans lequel la pensée d’un auteur s’inscrit, et, dans le même temps, cherchent à  déceler une paternité à  travers différentes époques, voire à  prolonger, comme le fait Quentin Skinner, la réflexion contemporaine. Leur réflexion est ainsi à  la fois historique, puisqu’ils s’attardent particulièrement sur le contexte d’élaboration des œuvres juridiques et politiques, et, anhistorique, puisqu’en faisant le lien entre différents auteurs, ils en viennent à  négliger les particularités historiques de chacune de ces pensées. Ainsi même si l’on peut observer des récurrences dans le vocabulaire utilisé, dans les thématiques abordées, il ne faut pas négliger, en vertu de cette réflexion sur la pensée contextualisée des auteurs, les problèmes précis rencontrés par les hommes à  une période donnée.

Il n’y a donc pas une pensée républicaine unique mais bien une pluralité de discours républicains à  travers les âges. Chaque auteur reprend tout ou partie de cet héritage conceptuel, mais le réactualise à  chaque fois de sorte qu’aucune étape ne correspond vraiment à  celle d’avant. La pratique de l’histoire permet de mettre à  jour, d’expliquer et de comprendre la filiation des théories, par exemple des théories républicaines. Ainsi comme le souligne Denis Baranger, la théorie républicaine comme son vocabulaire sont renouvelés au moment de la Révolution américaine. À l’inverse il ne faut pas négliger la volonté de certains auteurs révolutionnaires de revendiquer un héritage républicain plus ancien. Ainsi, c’est essentiellement dans les écrits des anti-fédéralistes que se retrouve cet héritage républicain, s’appuyant à  la fois sur des sources antiques parfois vulgarisées, mais aussi sur une radicalisation de la pensée whig. Un humanisme civique attiré par le modèle des petites républiques antiques et largement inspiré par la pensée de Rousseau et de Montesquieu. Puisque le gouvernement républicain n’est possible que dans des républiques de taille restreinte, les anti-fédéralistes ont recherché des garanties dans la séparation des pouvoirs. Cependant, ils reprochaient au projet de Constitution de trop insister sur les aspects non-démocratiques du régime. Les anti-fédéralistes auront une influence déterminante dans l’écriture de la Constitution notamment dans l’adoption du Bill of Rights. L’influence de la pensée républicaine n’est donc pas négligeable pour l’histoire constitutionnelle au-delà  même de la période fondatrice car comme le souligne Philippe Raynaud,

  • … le conflit entre « Fédéralistes » et « Républicains », qui s’exprime notamment par l’opposition entre Hamilton et Jefferson, est en fait fondé sur une reprise des mêmes problèmes, posés cette fois à  partir de l’

interprétation

  • de la constitution

  • .

S’agissant de la Révolution américaine, le renouveau historiographique permet d’avoir une compréhension plus complète de la naissance de la constitution américaine et, à  ce titre, d’améliorer notre connaissance de l’histoire constitutionnelle américaine. Ainsi, il est possible d’induire de cet exemple du néo-républicanisme, que les débats pouvant exister au sein de la communauté scientifique des historiens, peuvent avoir une influence décisive sur l’histoire constitutionnelle, tant d’un point de vue épistémologique, que substantiel, quand bien même l’histoire constitutionnelle serait une discipline autonome. Outre cet apport pour l’histoire constitutionnelle, il est possible de déceler un apport, peut-être plus insoupçonné, pour la théorie constitutionnelle.

II. L’apport de la méthode historique à  l’étude de la théorie constitutionnelle

Les controverses historiques peuvent également avoir un intérêt pour la théorie constitutionnelle. Les auteurs néo-républicains n’entendent pas, en effet, seulement faire œuvre historique, mais entendent utiliser ce renouveau républicain pour enrichir la philosophie politique et juridique. Ils ne font plus œuvre d’historien du droit mais de théoricien. Il nous revient alors d’étudier historiquement l’utilisation des arguments républicains, par une approche contextualiste, pour mettre en question ce courant. Ainsi la volonté de rattacher leurs théories à  des théories plus anciennes montre l’intérêt argumentatif du recours à  l’histoire pour la théorie du droit (A). Le risque pour la théorie du droit résiderait alors dans l’utilisation arbitraire des arguments historiques. Cet écueil est évité du fait de la soumission de ces arguments à  l’exigence de réflexivité (B).

A. Un renouveau argumentatif

Il est possible, en prenant l’exemple du néo-républicanisme, de constater deux types d’utilisation des arguments historiques par la doctrine constitutionnaliste. D’une part, la doctrine utilise les arguments historiques pour interpréter au mieux le droit constitutionnel existant (1). D’autre part elle utilise les arguments historiques pour proposer des modèles théoriques alternatifs aux modèles théoriques dominants (2).

1) Une argumentation utile dans l’interprétation du droit constitutionnel

Ce renouveau républicain a permis une analyse de la jurisprudence de la Cour suprême à  l’aune de la doctrine républicaine. C’est notamment le cas chez Franck Michelman. Comme le souligne Françoise Michaut :

  • On pourrait dire que Frank I. Michelman reprend le flambeau là  où Mark Tushnet a abandonné : il y a bien, pour lui, la possibilité de défendre un constitutionnalisme américain lisible à  la lumière d’une tradition républicaine, américaine, spécifique, qui commande aux tribunaux et tout spécialement à  la Cour suprême exerçant le contrôle de constitutionnalité, une certaine ligne de conduite.

Ainsi pour reprendre les termes de Franck Michelman lui-même :

  • On peut débattre des problèmes constitutionnels et imaginer de nouvelles perspectives doctrinales en discutant à  propos de la mesure dans laquelle l’ «opposé » a survécu et a eu une influence significative, détectable sur la Constitution, qui peut être invoquée honnêtement dans le travail d’interprétation

  • .

Michelman a utilisé ce travail historique pour interpréter les décisions de la Cour mais aussi les opinions dissidentes de certains juges dans des affaires importantes. Ainsi, il est possible de considérer cette théorie du droit républicaine comme un originalisme alternatif aux conceptions conservatrices ou libérales.

Ces controverses historiques permettent donc une meilleure compréhension de la jurisprudence, notamment pour révéler les présupposés théoriques des juges de la Cour suprême par exemple dans leurs opinions dissidentes ou concordantes. Ainsi il nous semble possible d’analyser les récentes décisions en matière de financement des campagnes électorales par la Cour suprême comme la répétition de ce conflit entre libéralisme et républicanisme. On peut en effet percevoir des argumentations qui peuvent être lues à  l’aune de ce conflit. Cass R. Sunstein avait déjà  succinctement étudié la question du financement des campagnes électorales à  l’aune du républicanisme s’agissant à  l’époque de l’arrêt Buckley v. Valeo de 1976. Cet arrêt invalidait les plafonds de financement des campagnes électorales par les personnes privées fixés par une loi de 1971, au nom du « libre marché des idées politiques » (« marketplace of political ideas »), les financements de candidats et de campagnes étant considérés comme des moyens d’expression au sens du Premier Amendement. Cette jurisprudence a opté pour une conception stricte du Premier Amendement et de la démocratie, affirmant que « [l]a conception selon laquelle le gouvernement pourrait limiter l’expression de certaines parties de la société de façon à  renforcer le poids relatif d’autres voix est totalement étrangère au premier amendement ».

Il nous semble possible de prolonger et d’amplifier la réflexion de Cass R. Sunstein pour les suites jurisprudentielles et législatives de cet arrêt, à  savoir le Bipartisan Campaign Reform Act de 2002, et les arrêts McConnell et Citizens United, le premier ayant validé la limitation des hypothèses d’utilisation de soft money, le second ayant invalidé la limitation du financement des campagnes par des personnes morales. Cet arrêt affirme, en effet, que les personnes morales sont des orateurs disposant des mêmes droits politiques que les personnes privées, et qu’il n’y a, dès lors, aucune raison de refuser leur contribution au financement des campagnes. Cela a eu pour effet concret de rendre licite le financement par des grandes entreprises des spots de publicité durant les campagnes électorales dont l’utilisation était limitée par le Bipartisan Campaign Reform Act. Là  encore comme le souligne Jeremy Waldron en faisant référence à  un livre de Louis Michael Seidman, cette décision pourrait être analysée à  l’aune des doctrines libérales et républicaines. Ainsi Seidman et Waldron opposent l’« engagement libéral » en faveur de la liberté d’expression (« Free Speech ») et la recherche d’intégrité (« integrity ») des procédures électorales, à  la recherche d’égalité dans la participation au gouvernement de soi par soi, en faisant notamment référence aux écrits de Philip Pettit. Par ailleurs, Charles Fried souligne une jurisprudence « d’inspiration profondément libérale » en matière de liberté d’expression. L’arrêt récent McCutcheon et al. v. Federal Election Commission du 2 avril 2014, permet, lui aussi, de prolonger la réflexion. Ainsi, l’opinion majoritaire du chief justice Roberts et l’opinion dissidente du justice Breyer mettent en exergue une tension importante entre la protection des droits et libertés, en l’espèce la liberté d’expression (« free speech ») qui s’exprime par les contributions pécuniaires procurées aux candidats, et la prévention des risques de corruption. Le thème de la lutte contre la corruption est d’ailleurs un thème central de la littérature républicaine. On peut voir dans cet arrêt l’opposition entre deux théories de la démocratie. Selon un premier point de vue, la démocratie se dissout dans la protection des droits de l’individu et l’interférence avec une considération étrangère est considérée comme suspecte. Cette première conception de la démocratie est défendue, de nos jours, par la majorité conservatrice de la Cour suprême. Cette conception est d’inspiration largement libérale puisqu’elle considère les droits avant tout comme des libertés négatives. À l’inverse, la conception défendue par Stephan Breyer et les juges minoritaires est une conception bien plus républicaine dans le sens où le Premier Amendement est considéré dans une perspective plus large de démocratie sensible (« responsive ») aux idées et aux pensées des individus et où la limitation d’un droit n’est pas considérée par essence comme attentatoire à  ce droit, sauf dans le cas où cette limitation peut entrainer une quelconque domination. La doctrine républicaine permet donc encore à  ce jour d’éclairer de façon nouvelle le droit positif américain.

2) Une argumentation utile dans la transformation du droit constitutionnel

L’utilisation de l’histoire peut également servir à  la mise en forme de théories normatives que nous devrions rejeter si nous suivions l’épistémologie positiviste selon laquelle il faudrait séparer l’être et le devoir être. Ce qui est ne peut se confondre avec ce qui doit être, le but de la science du droit étant de décrire ce qui est, non de prescrire ce qui doit être. Toutefois il nous semble que certaines théories normatives peuvent servir à  la meilleure compréhension et conceptualisation de nos systèmes juridiques. Ainsi comme le souligne Franck Michelman,

  • … dans les spécialités professionnelles du droit constitutionnel et de la théorie constitutionnelle aux États-Unis, le républicanisme apparaît aujourd’hui, dans un certain rôle, adapté au travail de chacune de ces spécialités. C’est un rôle de contre-idéologie, une vision politique, normative à  opposer à  la vision considérée comme ayant prédominé dans la pensée des Pères fondateurs et dans la Constitution qu’ils ont élaborée. Une telle vision qu’on oppose, si elle est suffisamment claire et cohérente, peut remplir un certain nombre de fonctions heuristiques et argumentatives, importantes pour les juristes constitutionnels

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Cette conception peut être difficile à  comprendre dans un cadre français très influencé par une philosophie rationaliste et un penchant positiviste. Toutefois, dans le cadre doctrinal américain marqué par l’importance fondamentale du réalisme et, à  partir des années 1980, de l’interdisciplinarité, cette position d’ouverture peut se concevoir. Elle se comprend d’autant plus que F. Michelman se rattache aux Critical Legal Studies. Si seulement une partie des auteurs rattachée aux CLS s’est inscrite dans la dispute républicanisme versus libéralisme, il semble que les bases de la réflexion des CLS se retrouvent dans la pensée de F. Michelman et Cass R. Sunstein. L’héritage du réalisme juridique américain et des théories sociales européennes, ainsi que le questionnement sur le constitutionnalisme sont à  la base de la réflexion des CLS sur le droit. La réactualisation du républicanisme n’est qu’une forme, parmi d’autres, prise par cette réflexion.

Nous pouvons observer que ces théories normatives ne sont pas purement spéculatives mais répondent à  des nécessités de la théorie du droit à  un moment donné. Ainsi comme le souligne Cass R. Sunstein, au départ, la philosophie du droit américaine est dominée par une idéologie largement libérale, rattachée à  une conception pluraliste de la démocratie. C’est contre ce présupposé idéologique dominant au sein de la doctrine que s’érige ce republican revival. À cette époque en effet, comme le souligne Mark Tushnet, le modèle libéral a failli dans l’explication de l’évolution du système constitutionnel américain, par exemple s’agissant de la résolution de la « difficulté contre-majoritaire ». Ainsi le republican revival au sein de la doctrine constitutionnaliste américaine arrive à  une époque, les années 1970 et 1980, où la Cour suprême s’engage dans un tournant conservateur avec la Cour Burger et plus fondamentalement la Cour Rehnquist. Ce tournant pose problème aux constitutionnalistes libéraux quant à  leur appréhension du pouvoir du juge constitutionnel américain au sein de leurs modèles de démocratie pluraliste. Ainsi le problème semble être à  la fois politique et scientifique. Le renouveau républicain permet d’apporter à  la fois une grille de lecture du droit positif, et un modèle démocratique cohérent, normatif et hypothétique, en somme une hypothèse heuristique. Il a pu proposer un modèle divergent du modèle de démocratie constitutionnelle pluraliste. Ce dernier montrait ses limites à  la fois politiques et idéologiques, mais aussi heuristiques puisqu’il ne permettait plus de comprendre pleinement le système constitutionnel américain. Ce modèle divergent se fonde sur certaines récurrences argumentatives au sein de la littérature républicaine, notamment l’accent mis sur des questions de bien commun, plutôt que sur des questions d’intérêts particuliers : l’idée de vertu civique, d’universalité plutôt que de particularité, l’insistance sur le concept de citoyenneté.

Cela rejoint par ailleurs les interrogations de Jean-Fabien Spitz sur la redécouverte du courant républicain en histoire des idées politiques qui, selon lui, a pu être le fruit d’une « insatisfaction politique », laissant penser que les historiens écrivent l’histoire dont ils ont besoin au moment où ils l’écrivent. Cette approche est également décelable en philosophie politique où les travaux de Quentin Skinner, Philip Pettit, ou Jean-Fabien Spitz pour la France, réagissent face à  un tropisme libéral important au sein de cette discipline. Dès lors, il ne nous semble pas possible de séparer l’utilisation d’arguments historiques des nécessités présentes de la doctrine, nécessités à  la fois scientifiques et politiques. Dans ce cadre, l’invocation de l’histoire a deux effets. Elle permet à  la fois d’avoir à  disposition des arguments déjà  éprouvés et de légitimer le propos du chercheur qui donne un poids plus important à  sa pensée en l’inscrivant dans un héritage philosophique particulier. Le chercheur prétend alors que sa démarche théorique est anhistorique en établissant une paternité entre sa théorie, qui répond aux problèmes du présent, et des théories anciennes. Pourtant elle ne peut se comprendre qu’en étudiant le contexte, historique, social, linguistique dans lequel le chercheur l’établit, de sorte que sa théorisation est le fruit de l’histoire. Ainsi, lorsque Quentin Skinner se positionne non plus en historien mais en théoricien des idées politiques, il abandonne alors les présupposés de sa méthode contextualiste pour trouver une philosophie républicaine, avec des éléments de récurrences à  travers les époques. Nous ne pouvons comprendre ce paradoxe qu’en contextualisant nous-même la démarche de Skinner, qui en tant que philosophe politique répond aux déficiences de cette science dans l’époque à  laquelle il se trouve.

Outre le fait de présenter un intérêt historique, la redécouverte d’un courant de pensée ancien répond avant tout aux problèmes rencontrés par la doctrine du présent. Elle met à  disposition de la doctrine un réservoir d’arguments, susceptible d’être actualisé, mais lui donne également une autorité particulière en revendiquant une parenté qui dépasse et cache l’ancrage subjectif de ses théories. Cependant l’utilisation de ces arguments historiques par la doctrine n’est pas purement subjective, puisqu’ils sont soumis à  l’exigence de réflexivité qui parcourt le champ disciplinaire dans lequel ils sont énoncés, en l’espèce la doctrine constitutionnaliste, et, plus largement, la doctrine juridique.

B. Un renouveau soumis à  l’exigence de réflexivité

La réflexivité de la science du droit, c’est-à -dire sa capacité à  réfléchir sur elle-même, à  se prendre pour objet d’étude, permet de pallier les lacunes de la subjectivité de l’utilisation des arguments historiques à  laquelle elle a recours. Cette réflexivité est permise par l’utilisation d’un métalangage spécifique (1) et par l’intersubjectivité de la science du droit (2).

1) Une réflexivité par le métalangage de la science du droit

Le problème qui se pose est celui de l’objectivité des arguments historiques au sein de la science du droit. Ce problème se pose très clairement en théorie du droit. La représentation commune voudrait que la science du droit soit une science nomologique dès l’instant où elle s’évertue à  dégager des invariants ou des constantes du type : « Le régime parlementaire est le régime dans lequel le Gouvernement est responsable devant la Chambre ». Cette aptitude à  dégager de telles constantes semble faire défaut à  la science historique qui est en réalité narrativiste, même si elle a pu être considérée par certaines écoles comme nomologique. Nous avons vu que l’invocation de l’histoire par la science du droit constitutionnel était essentiellement argumentative, ce qui pose le problème de l’objectivité de ces arguments, objectivité recherchée par la science. Cela pose plus généralement le problème de l’épistémologie du droit. Il est évident que dans une perspective positiviste inspirée du modèle des sciences de la nature, l’invocation d’arguments historiques est proprement fallacieuse. Attaché à  la distinction être et devoir être, le juriste positiviste ne peut, sous peine de violer la loi de Hume, effectuer son travail d’historien qu’en décrivant ce que le droit a été, sans pouvoir en tirer de conclusion pour décrire le droit contemporain. Toutefois il nous semble nécessaire d’adopter une autre perspective. Celle selon laquelle l’objet de la science n’est pas de décrire mais de construire des lois permettant de comprendre, de rationaliser et de « se repérer » dans le chaos observable. Cette perspective subjectiviste et constructiviste, défendue par exemple par Paul Amselek, peut se traduire en philosophie du droit.

Cette démarche constructiviste se retrouve dans l’artificialisme et l’autonomie des théories du droit par rapport à  l’objet qu’elles observent. Le scientifique part d’un chaos observable et reconstruit ce chaos à  partir de théories. Ces théories sont construites artificiellement. Elles n’ont pas pour objet de décrire l’étant mais de proposer une grille de lecture. Dès lors, le métalangage de la science du droit crée un monde au-delà  du monde sensible, permettant non pas de décrire des faits, des textes, ou des comportements mais de proposer une grille de compréhension de ces faits, textes et comportements. Dans ce cadre, les théories sont des représentations subjectives du monde réel, observables par le juriste. Nous pouvons qualifier cette approche de réalisme critique. Cette dernière, contrairement à  une approche relativiste, ne remet pas en cause l’existence d’une réalité. Elle affirme cependant que la connaissance de cette réalité est multiple. Ainsi les théories du droit sont avant tout des représentations et des mises en ordres subjectives du monde sensible.

L’argument historique tient de cet effort de théorisation. Car l’histoire a elle aussi besoin de concepts et donc de théories, même « sans le savoir ». Dès lors, l’histoire invoquée par un juriste, ne peut l’être que dans un cadre théorique déterminé. La limite de l’utilisation de ces arguments historiques est la théorie elle-même, puisque la théorie est composée d’énoncés analytiques, c’est-à -dire in fine de conventions de langages. Ces conventions de langages fixent le cadre dans lequel l’argument historique peut être invoqué. Dès lors, la théorie est première, elle se concrétise par la création de concepts permettant d’analyser l’histoire. Ainsi, pour reprendre le célèbre argument de Michel Troper, il n’est pas possible de parler de la Constitution de 1791 si nous n’avons pas préalablement admis l’existence d’un concept de Constitution. Ce concept théorique, que Michel Troper appelle métaconcept, est contemporain au travail de l’historien et non pas à  l’époque qu’il décrit. Il y a donc un mouvement réciproque entre histoire et théorie : l’histoire n’est acceptée dans la science du droit qu’en vertu d’une approche théorique et l’histoire peut avoir pour objet des théories, comme le républicanisme par exemple. Cette réciprocité est mise en exergue par Pietro Costa notamment qui fait référence à  « la nécessité de recourir à  la théorie juridique du présent pour narrer l’histoire juridique du passé ». Ainsi, la théorie sera un instrument que le juriste adopte « pour interroger les textes du passé ». Or, les théories sont écrites à  l’aide du métalangage du présent. C’est ce métalangage qui fait le pont entre l’objet étudié passé, son auteur et le sujet présent qui interprète. Le pari herméneutique réside dans l’idée selon laquelle l’historien peut rendre compte des spécificités du langage du passé à  l’aide du métalangage du présent.

Dès lors, cette posture permettrait de résoudre le paradoxe inhérent à  la démarche républicaine. Il ne s’agirait plus de faire l’histoire d’un concept, histoire impossible du fait de la tension entre historicité du moment et anhistoricité de la construction de la parenté historique. Mais bien d’utiliser le concept pour produire une lecture particulière de l’histoire. Il s’agit donc moins de comprendre le concept de République par son histoire mais bien plus de comprendre l’histoire de nos démocraties, du constitutionnalisme, des droits de l’homme par le concept de République. On peut ainsi considérer la République comme un « invariant » au sens que lui donne Paul Veyne. Pour lui, « l’invariant explique ses propres modifications historiques à  partir de sa complexité interne ; à  partir de cette même complexité, il explique aussi sa propre disparition ». Il y a donc lieu de faire le lien entre la conception de Michel Troper précédemment décrite, et la méthodologie de Paul Veyne. Ce dernier nous invite en effet à  théoriser l’histoire à  l’aide de concepts par « besoin d’intelligibilité scientifique ». C’est la théorisation qui permet d’éviter l’écueil de la simple description qui reviendrait à  répéter des mythes et des légendes plutôt que de les étudier. Comme le souligne Paul Veyne :

  • … même quand ils ne le savent pas, les historiens font de l’invariant, comme ils font de la prose. Car enfin, ils prétendent dire quelle fut la réalité des sociétés d’autrefois et ne se soucient pas de partager successivement les ignorances et les illusions que ces diverses sociétés se sont faites sur elles-mêmes. Un historien ne fait pas parler les Romains, les Tibétains ou les Nambikwara : il parle à  leur place, il nous parle d’eux et il nous dit quelles furent les réalités et les idéologies de ces peuples ; il parle sa langue, il ne parle pas la leur ; derrière les apparences et les mystifications, il voit la réalité. S’il nous parle du XXe siècle, il prétendra dire la vérité sur le siècle actuel et ne pas en partager les leurres ; il ne parle pas le langage erroné de ses héros : il nous parle d’eux en un métalangage, celui de la vérité scientifique

  • .

Par ailleurs, le concept permet paradoxalement d’individualiser. Il ne s’agit pas d’utiliser un concept totalisant. Le concept de République peut être restreint au concept de République américaine, ou florentine, etc. Les concepts peuvent permettre d’individualiser ou au contraire de généraliser une situation en fonction de l’histoire qu’entend raconter le juriste. Le métalangage ainsi utilisé permet une réflexivité de la science du droit, car il fixe les conventions de langage sur lesquelles porte la discussion. Ce métalangage spécifique permet également d’identifier les discours entrant dans le champ disciplinaire juridique. Le débat portera sur l’exercice de la science elle-même, c’est pourquoi il peut être qualifié de réflexif. En somme pour pouvoir se comprendre encore faut-il avoir un langage commun. Dans le cadre de la science du droit, les arguments historiques sont lissés par le métalangage juridique, ce métalangage étant la matrice nécessaire et préalable à  tout exercice réflexif au sein d’un champ disciplinaire donné. Par ailleurs, cet exercice réflexif de la science du droit est facilité par l’intersubjectivité de cette dernière.

2) Une réflexivité garantie par l’intersubjectivité de la science du droit

La subjectivité de l’utilisation des arguments historiques et des constructions théoriques dans lesquelles ils s’inscrivent est également réduite par l’intersubjectivité de la science du droit. La réflexivité de la science du droit se produit donc par la confrontation des arguments, c’est-à -dire par son intersubjectivité.

Il nous semble que l’épistémologie historique se rapproche de l’épistémologie juridique en cela qu’elles sont des épistémologies dialogiques. Le tournant herméneutique, issu de l’École de Cambridge, en faisant de l’histoire un ensemble de textes, fait entrer dans l’épistémologie historique les problèmes d’interprétation et en cela rapproche cette épistémologie historique de l’épistémologie juridique. Ces deux disciplines ne peuvent prétendre à  une connaissance empirique comme les sciences de la nature, car l’histoire comme le droit sont des sciences fondées sur l’interprétation. Cette nuance de taille n’est pas étrangère à  l’épistémologie de Wilhelm Dilthey. Dilthey n’aura de cesse de combattre le positivisme de son époque en affirmant la spécificité des sciences de l’esprit par rapport aux sciences de la nature, les positivistes voulant réduire les méthodes des premières aux méthodes des secondes. Pour Dilthey,

  • … ces sciences [de l’esprit] ont un tout autre fondement et une tout autre structure que celles de la nature. Leur objet se compose d’unités données, et non pas déduites, qui nous sont compréhensibles de l’intérieur ; ici, nous avons d’emblée un savoir, une

compréhension

  • , pour seulement ensuite, peu à  peu, parvenir à  une

connaissance

  • .

Dans ce cadre, l’histoire et les sciences de l’esprit ne sont pas réduites à  la compréhension par opposition aux sciences de la nature qui serait le seul lieu de l’explication et de la connaissance, mais les premières ont la particularité d’articuler les deux mouvements, compréhension et explication. Les sciences de l’esprit se fondent sur des faits qui existent, mais ces faits ne peuvent pas uniquement s’expliquer, ils doivent se comprendre. C’est ainsi que nous comprenons l’expression de François Saint-Bonnet selon laquelle en histoire « il n’y a pas de bonnes méthodes, il y a de bons travaux ». Cela signifie à  notre sens qu’on ne peut réduire l’entreprise historique, comme on ne saurait réduire l’entreprise juridique, à  la stricte recherche d’une hypothétique méthode objective. Le problème se situe dans le fait que nous ne pouvons pas non plus tomber dans l’écueil inverse de la subjectivité absolue de la démarche scientifique, sans quoi il ne serait pas possible de discriminer les arguments fallacieux des arguments recevables.

Ce n’est que par une méthode dialogique et intersubjective que l’écueil de la subjectivité de la reconstruction historique peut être évité. Cette méthodologie dialogique va permettre d’écarter les interprétations historiques fantaisistes. Le critère de scientificité en droit comme en histoire sera le contrôle de la communauté scientifique sur elle-même. L’objectivité de la science naîtra de la confrontation d’opinions argumentées au sein de la communauté scientifique, car le juriste ne peut faire de la science tout seul. Ce contrôle influera sur la forme du travail du juriste, qui devra défendre un point de vue argumenté, fondé sur des décisions de justice, des textes juridiques, des auteurs pour donner plus de gage à  sa construction. L’argument historique fait partie intégrante de cette construction. Faire de l’histoire constitutionnelle revient donc à  faire de la théorie du droit d’une façon différente. Il s’agit de produire une construction, de créer l’ordre à  partir du désordre, tout en argumentant suffisamment cette construction pour lui donner un gage de scientificité. Il ne s’agit donc pas pour celui qui veut utiliser un argument historique de prétendre à  l’objectivité de sa démarche, il s’agit pour lui de faire apparaître ses choix méthodologiques qui détermineront l’histoire qu’il veut écrire, et de produire cette histoire sous forme d’argumentation afin que cette argumentation soit réfutable. Dès lors, l’histoire ne peut être invoquée par la doctrine que sous la forme d’arguments au service d’une théorie qui demeure, chemin faisant, soumise à  l’intersubjectivité de la démarche scientifique.

Cette épopée historico-théorique pourrait, dans une certaine mesure, servir la doctrine française. Certes les auteurs républicains n’ont pas accordé une grande part de leurs études à  la Révolution française. Toutefois, le développement de la théorie normative de la liberté comme non-domination, ainsi qu’une étude comparative de la doctrine constitutionnaliste américaine, pourrait être utile à  la doctrine française. Le républicanisme permettrait tout d’abord de mieux appréhender l’origine et les ambivalences philosophiques de certains grands textes français, notamment de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Ensuite, cette grille de lecture serait pertinente dans la compréhension de notre Constitution, et des interprétations susceptibles d’être invoquées par le Conseil constitutionnel. Ainsi, il semble possible de proposer une lecture, fondée sur l’opposition entre libéralisme et républicanisme, d’une partie de la jurisprudence du Conseil. Par exemple, sa jurisprudence en matière de pluralisme des courants d’expression socioculturels, se prête, semble-t-il, à  une lecture républicaine. Encore faudrait-il que le contexte actuel d’étude de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et du droit constitutionnel français en général, appelle l’émergence d’un courant républicain, qui pourrait répondre à  certaines insatisfactions épistémologiques de la science du droit constitutionnel. En effet, les relectures républicaines du droit constitutionnel américain ont prouvé qu’elles ne sauraient mieux prétendre s’approcher de la vérité qu’une lecture libérale. C’est la rencontre des différents discours et des différentes argumentations qui produit une avancée scientifique, tant au regard des méthodes que du contenu du savoir. Pour comprendre quel type de lecture historique est invoqué – libérale ou républicaine –, il faut s’enquérir du contexte scientifique dans lequel s’inscrit l’historien ainsi que des nécessités présentes qui l’ont conduit à  faire appel à  des théories anciennes. Dès lors, en tant que juriste, prendre au sérieux l’histoire, c’est avant tout prendre au sérieux le contexte intersubjectif dans lequel l’histoire est écrite.

Thibault Carrère est doctorant en droit public et A.T.E.R. à  l’Université de Montpellier.

Pour citer cet article :

Thibault Carrère « Sur le néo-républicanisme et la science de l'histoire constitutionnelle », Jus Politicum, n°14 [https://juspoliticum.com/articles/sur-le-neo-republicanisme-et-la-science-de-l'histoire-constitutionnelle-1005]