Les années 1814-1830 marquent un seuil significatif dans l’essor des techniques constitutionnelles. La responsabilité ministérielle notamment connaît une évolution considérable pendant cette période. De strictement « pénale », la responsabilité des ministres tend parallèlement à  devenir « politique ». Traditionnellement, la définition de la responsabilité pénale des ministres s’aligne sur celle de la responsabilité pénale de droit commun. La première se singularise seulement par le fait qu’elle ne s’intéresse qu’à  une fonction déterminée – la fonction ministérielle. La responsabilité pénale de droit commun tend à  punir l’auteur d’une infraction en lui infligeant la peine prévue par les prescriptions pénales. Elle obéit à  un principe de légalité absolue, c’est-à -dire que les conditions et les éléments constitutifs de l’infraction doivent être préalablement définis.
La responsabilité dite politique constitue la contrepartie du pouvoir confié à  une autorité étatique. Elle participe à  la légitimation de celui-ci. « La responsabilité politique – explique Michel Paillet – se présente comme la rançon démocratique du pouvoir »[1]. Investis de la conduite des affaires publiques par la Nation, les gouvernants doivent rendre des comptes au souverain. Ce type de responsabilité peut recevoir deux acceptions[2]. Stricto sensu, la responsabilité politique est considérée comme l’élément caractéristique du régime parlementaire. Elle s’entend de la possibilité pour le Parlement de contraindre le gouvernement à  la démission. Lato sensu, la responsabilité politique implique l’obligation faite au titulaire d’une fonction étatique de quitter son poste lorsqu’il a perdu la confiance de l’autorité devant laquelle il devait répondre. Ainsi, une telle responsabilité « serait (…) engagée par toute manifestation d’hostilité ou de défiance, à  l’occasion de n’importe quel événement ou scrutin »[3]. Dès lors, répondraient à  une telle définition la dissolution d’une assemblée ou encore le verdict des urnes.
De ces deux acceptions, l’une remporte l’adhésion de la majorité des publicistes. Il existe, en effet, un certain consensus doctrinal autour de la définition lato sensu[4]. Cependant, les divisions renaissent au sujet de l’étendue d’une telle responsabilité. Ces difficultés ne nous intéressent cependant pas dans l’immédiat car, sous la Restauration, la question de la responsabilité politique se pose essentiellement en liaison avec celle de l’émergence du parlementarisme. On en restera donc ici à  la définition stricto sensu de la responsabilité politique, définition que, précisément, la période contribue à  faire émerger.
Or, cette émergence ne se fait pas très facilement, et en premier lieu conceptuellement : les hésitations conceptuelles de l’époque sur la question de la responsabilité politique contribuent assurément à  alimenter une controverse doctrinale à  propos des rapports entre responsabilité pénale et responsabilité politique. De l’histoire constitutionnelle française ressort en effet une certaine confusion entre les deux responsabilités. Cet amalgame paraît d’emblée énigmatique, dans la mesure où les deux responsabilités présentent de nombreuses différences dans leur définition même. Deux thèses se confrontent – l’une différenciatrice, l’autre confusionniste. La première considère qu’il s’agit de deux sortes de responsabilité hétérogènes, alors que la seconde affirme l’unicité des responsabilités pénale et politique. Cette controverse naît sous la IIIe République et oppose initialement le doyen Hauriou[5] et le professeur Duguit[6]. Nombre d’auteurs se prononcent en faveur de la thèse différenciatrice[7]. Toutefois, ils ne s’accordent pas complètement quant aux critères permettant de justifier l’autonomie conceptuelle de la responsabilité pénale par rapport à  la responsabilité politique. À l’opposé de cette thèse, certains auteurs soutiennent que la responsabilité pénale constitue le « prolongement » du contrôle parlementaire exercé sur l’action gouvernementale[8]. Même si leur régime juridique diverge, les responsabilités politique et pénale se confondent quant à  leur nature. Elles visent toutes deux à  contraindre les membres du gouvernement à  rendre des comptes[9]. Dès lors, il semble que l’amalgame entre les responsabilités pénale et politique procède de la doctrine. Il conviendra de vérifier si cette thèse résiste à  la pratique sous la Restauration, période au cours de laquelle naît véritablement le concept de responsabilité politique stricto sensu en France.
En tant que mécanisme, la responsabilité pénale des ministres est expressément consacrée en France dès le lendemain de la Révolution de 1789[10], tandis que la responsabilité politique n’apparaît comme concept qu’au début de la Restauration, exception faite de quelques manifestations sommaires antérieures à  la Charte de 1814[11]. Mais, si dès le début de la Monarchie constitutionnelle, le principe des deux types de responsabilité était reconnu, les tentatives de formalisation de ces mécanismes se concluent par un échec. Plus encore, se forme le préjugé qu’une loi relative à  la responsabilité ministérielle serait à  la fois impossible et dangereuse. Le concept de la responsabilité des ministres pourtant existe, incluant la responsabilité pénale et la responsabilité politique, alors que, d'une part, les projets ou propositions de loi relatifs à  la responsabilité pénale n'ont jamais pu aboutir, et que, d'autre part, la responsabilité politique n’a été qu’invoquée dans les débats parlementaires, sans aucun résultat pratique. Même si la notion de responsabilité politique paraît acquise dès 1814, même si les parlementaires conçoivent indéniablement l’idée de responsabilité politique, les difficultés persistent quant à  la compréhension des mécanismes entraînant sa mise en œuvre et les partisans du parlementarisme n’appréhendent pas nettement ses techniques. Ainsi le défaut de support textuel spécifique pour imposer la responsabilité politique entraîne-t-il le recours au support pénal. Autrement dit, les partisans d’un contrôle politique des ministres ont tenté d’insérer la responsabilité politique par le biais du mécanisme pénal. C’est là  chose entendue depuis longtemps déjà . Néanmoins, la responsabilité politique ne trouvera pas sa place dans ce dispositif, ce qui provoquera le blocage des deux types de responsabilité ministérielle. L’échec de la législation sur la responsabilité pénale tient à  l’état d’avancement – faible – de la pensée française sur la responsabilité politique (I). Faute de pouvoir définir cette dernière, le mécanisme pénal ne parvient pas à  être formalisé. Dès lors, l’absence de responsabilité politique entraîne l’absence de finalisation de la responsabilité ministérielle d’ordre pénal (II). La responsabilité politique, impossible à  mettre en œuvre, n’aura finalement conduit qu’à  neutraliser une responsabilité pénale pourtant prévue par la Charte, mais paralysée par des enjeux trop importants pour elle.

I) L’impossible consécration de la responsabilité politique

Malgré la conscience partagée d’une distinction nette entre responsabilité pénale et responsabilité politique, les conditions nécessaires à  la consécration de la responsabilité politique des ministres ne sont pas présentes. Le contexte de l’époque n’est pas propice à  la reconnaissance d’une responsabilité de type parlementaire, dans la mesure où on conçoit la responsabilité politique presque exclusivement comme une responsabilité devant le roi (A). Si l’idée de responsabilité politique comme facteur de parlementarisation d’un régime est acquise dès 1814, elle ne parvient pas à  s’imposer comme mécanisme juridique, car les techniques imaginées pour mettre en œuvre ce type de responsabilité ne fonctionnent pas dans ce contexte. Les députés trouvent des moyens de pression sur le gouvernement, mais ces techniques ne seront jamais à  l’origine directe de la démission d’un ministère (B).

A) Des conditions peu propices à  la consécration du mécanisme

La Charte de 1814 consacre expressément la responsabilité pénale des ministres aux articles 55 et 56[12]. Les ministres peuvent, en effet, faire l’objet d’une accusation émanant de la Chambre des députés pour faits de trahison ou de concussion et, par suite, être jugés par la Chambre des pairs. Aucune disposition constitutionnelle n’envisage explicitement une responsabilité ministérielle d’ordre politique. Néanmoins, l’article 13 de la Charte introduit le doute quant à  une éventuelle responsabilité de ce type. Il dispose que « la personne du roi est inviolable et sacrée. Ses ministres sont responsables », cet article ne précisant pas devant qui ni dans quels cas les membres du gouvernement sont réputés responsables. Aussi une telle disposition peut-elle être appréhendée de deux façons : soit comme anticipant le principe énoncé aux articles 55 et 56 de la Charte[13], soit comme affirmant une responsabilité générale des ministres dépassant le simple aspect pénal[14]. Cette incertitude textuelle a profité aux partisans d’un contrôle parlementaire sur l’activité gouvernementale, en ce sens qu’elle leur permettait de trouver une assise constitutionnelle à  leur revendication[15].
Il convient de remarquer que la Charte de 1814 constitue un cadre dans lequel la responsabilité politique est susceptible de se développer. Le caractère laconique du texte constitutionnel ouvre, en effet, la voie à  d’éventuelles évolutions en pratique. Par ailleurs, quelques articles de la Charte consacrent des règles pouvant – le cas échéant – faciliter l’émergence du parlementarisme : la personne du roi est déclarée inviolable et sacrée ; l’article 54 accorde un droit d’entrée des ministres dans les chambres ; le roi dispose du droit de dissolution de la Chambre des députés[16]. En outre, certaines dispositions semblent offrir aux chambres d’hypothétiques moyens de pression sur le gouvernement, tels que le consentement obligatoire des assemblées à  l’impôt ou encore un droit de pétition prévu à  l’article 53[17]. « On avait le sentiment très net, constate Joseph-Barthélemy, que le mode suivant lequel [la Charte] allait être appliquée avait une importance primordiale. On sentait très bien que la Charte ne définissait que du dehors la vie constitutionnelle et que la pratique allait être décisive »[18].Pourtant, les hommes politiques et la doctrine de l’époque ne vont jamais parvenir à  faire accepter le principe d’une responsabilité politique. Cette incapacité à  imposer ce type de responsabilité s’explique essentiellement par l’enjeu qu’elle revêt dès 1814 : elle constitue la clef du conflit entre le roi et la majorité parlementaire. Nombreux sont ceux qui ne conçoivent la responsabilité politique des ministres qu’à  l’égard du roi et en aucun cas par rapport aux chambres[19]. En effet, le chef de l’État détient seul le droit de nommer les membres du gouvernement et, par suite, celui de les destituer. Les opposants à  l’instauration d’une responsabilité ministérielle d’ordre politique craignent qu’une telle évolution ne se réalise qu’au détriment du monarque et provoque un réel déséquilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif. Analysant la responsabilité politique sous la Monarchie constitutionnelle de 1814, le Professeur Pimentel l’assimile à  « une doctrine d’opposition »[20], c’est-à -dire à  un simple moyen de pression qui ne reçut jamais aucune consécration juridique. Dans la pensée des opposants à  l’introduction d’un contrôle parlementaire sur l’activité gouvernementale, attaquer les ministres revient inévitablement à  attaquer le roi. C’est tout le sens de la célèbre citation du doctrinaire Royer-Collard lorsqu’il prévient :
« le jour où il sera établi en fait que la Chambre peut repousser les ministres du roi, et lui en imposer d’autres qui seront ses propres ministres, et non les ministres du roi ; ce jour-là , c’en est fait, non pas seulement de la Charte, mais de notre royauté (…) ; ce jour-là  nous sommes en République »[21].
L’appréhension d’un retour à  une chambre basse prédominante apparaît manifeste et explique les hésitations quant à  la consécration éventuelle de la responsabilité politique[22]. D’ailleurs, si Benjamin Constant concède que les ministres sont de facto responsables devant les chambres, il refuse néanmoins d’accorder aux députés le droit de les renverser puisqu’une telle prérogative appartient exclusivement au monarque[23] : « quand vous accusez les ministres, ce sont eux seuls que vous attaquez : mais quand vous les déclarez indignes de la confiance publique, le Prince est inculpé, ou dans ses intentions ou dans ses lumières, ce qui ne doit jamais arriver dans un gouvernement constitutionnel »[24].
Défenseur de l’autorité royale, Benjamin Constant souhaite préserver le pouvoir « neutre » incarné par le monarque. Le roi apparaît, en effet, comme un arbitre dans les conflits entre le gouvernement et les chambres[25]. Dès lors, le célèbre publiciste aboutit à  une impasse, en ce sens qu’il reconnaît la responsabilité des ministres devant les députés sans pour autant leur concéder le droit de renverser le gouvernement. Cette ambiguïté s’explique par la crainte de voir les chambres s’arroger, par le biais de ce mécanisme de responsabilité ministérielle, une véritable emprise sur le pouvoir exécutif : « il ne faut jamais, soutient Benjamin Constant, contester [au roi] le droit de choisir. Il ne faut pas que les assemblées s’arrogent le droit d’exclure, droit qui, exercé obstinément, implique à  la fin celui de nommer »[26].
De surcroît, des éléments indispensables à  la mise en œuvre de la responsabilité politique ne se rencontrent pas sous la Restauration, du moins à  ses débuts. Aucune unité, aucune homogénéité, ne caractérisent le gouvernement au cours de cette période[27]. Ce dernier se compose de ministres mais ne constitue pas un ministère. Autrement dit, le roi choisit des hommes sans accorder une importance primordiale à  leur couleur politique. Il en résulte inévitablement des divergences de vues quant à  la politique générale des affaires gouvernementales. Les auteurs de l’époque soulignent cependant l’intérêt de consacrer une réelle unité et homogénéité entre les ministres. Dans sa brochure intitulée De la monarchie selon la Charte, Chateaubriand insiste sur ce point : « le ministère une fois formé doit être un. (…) Une fois assis au timon de l’État, [les ministres] ne doivent plus gouverner que dans un même esprit »[28]. Pareillement, le libéral Lanjuinais affirme son attachement à  ce principe :
« séparés ou réunis, les ministres doivent suivre le même plan général, les mêmes principes généraux, le même système de gouvernement, comme les roues du même char font la même route et suivent les mêmes traces »[29].
Cette absence d’unité et d’homogénéité au sein du gouvernement se révèle préjudiciable à  l’instauration de la responsabilité politique. Pour fonctionner, celle-ci suppose l’existence d’un cabinet ministériel doté d’une certaine unité de vues quant à  la conduite générale de la politique gouvernementale, permettant ainsi l’émergence de l’idée de solidarité ministérielle.
Ainsi la responsabilité ministérielle d’ordre politique se détache-t-elle difficilement de l’emprise royale. Cette difficulté à  concevoir la responsabilité politique comme un instrument aux mains des députés paralyse toute tentative de définition. Aucune des techniques auxquelles recourent les partisans d’un contrôle sur l’activité ministérielle n’apparaît efficace pour mettre en œuvre la responsabilité politique. Les députés demeurent incapables d’appréhender la responsabilité d’ordre politique comme un mécanisme juridique.


B) L’incapacité à  concevoir la responsabilité politique comme mécanisme juridique


Si le contexte n’est pas favorable à  la consécration du mécanisme, le concept de responsabilité politique pourtant existe et ne se confond aucunement avec la responsabilité ministérielle d’ordre pénal. En octobre 1814, lorsque le député Farez critique la contre-proposition de loi déposée par Faget de Baure visant à  préciser la responsabilité ministérielle, il ne remet pas en cause la caractérisation des mécanismes pénal et politique. Le député considère seulement qu’il convient de les réglementer dans deux lois distinctes :
« nous sommes bien loin de blâmer notre collègue de s’être occupé d’un autre moyen de garantie contre les ministres qui abuseraient de leur pouvoir ; mais cette partie de son projet est étrangère au nôtre, et ne doit avoir aucune influence sur ce dernier »[30].
Au cours d’une discussion relative à  une proposition de loi sur la responsabilité pénale, le député Delhorme différencie parfaitement les deux sortes de responsabilité ministérielle :
« j’ai dit, Messieurs, que la surveillance des opérations ministérielles se classait en trois divisions. La première, celle du contrôle des projets de loi (…). La troisième, celle de l’accusation devant la Chambre des pairs, sera (…) infiniment rare, et conséquemment influera peu sur la marche habituelle de l’administration. La deuxième, celle du droit de censurer le conseil du prince, et d’en demander le renvoi, soit pour cause de faiblesse, soit pour incapacité et fautes graves dans les affaires politiques, administratives ou militaires, est donc vraiment la plus remarquable et la seule à  laquelle il faille s’arrêter ; c’est elle, Messieurs, qui constitue le véritable bouclier de la nation contre les torts ou les erreurs des ministres »[31].
Le libéral Benjamin Constant soutient pareillement que la responsabilité des ministres doit dépasser le simple aspect pénal. À l’instar du modèle anglais, l’auteur distingue le pouvoir royal et le pouvoir exécutif. Il précise que ce dernier peut être « destitué sans être poursuivi. Le roi n’a pas besoin de convaincre ses ministres d’une faute, d’un crime ou d’un projet coupable pour les renvoyer ; il les renvoie sans les punir »[32]. Bien qu’il ne semble pas appréhender nettement la définition de la responsabilité politique, Benjamin Constant parvient tout de même à  distinguer celle-ci de la responsabilité d’ordre pénal par le fait générateur : si le ministre se rend coupable d’un crime ou d’un délit, il engagera sa responsabilité pénale ; a contrario, s’il ne commet aucune faute au sens juridique du terme, la responsabilité pourra être politique. Par ailleurs, dans une brochure publiée en 1815, le baron de Vitrolles ne se cantonne pas non plus à  la dimension pénale de la responsabilité ministérielle. L’auteur évoque la responsabilité politique des membres du gouvernement, en affirmant que ces derniers sont tenus de se démettre s’ils perdent la confiance des chambres, exception faite d’une éventuelle dissolution[33]. Pour des motifs d’opportunisme politique, l’ultra-royaliste Chateaubriand devient lui aussi un fervent partisan d’une responsabilité ministérielle d’ordre politique[34].
Mais, entre 1814 et 1830, on perçoit une réelle difficulté à  appréhender la responsabilité politique comme mécanisme juridique. D’ailleurs, jusqu’aux dernières années de la Restauration, les discours et écrits utilisent souvent l’expression « responsabilité morale » pour désigner l’idée de responsabilité politique[35]. Une distinction s’établit alors entre la « responsabilité légale » – celle qui est prévue par la Charte – et la « responsabilité morale » – celle dont le mécanisme n’est pas mis en œuvre juridiquement[36]. Cette dernière ne recevant aucune consécration constitutionnelle ni légale, cela implique qu’elle existe, au moins théoriquement, en marge de la Charte. Certes les députés recourent à  certaines techniques en vue d’exprimer leur point de vue au gouvernement – les questions aux ministres, l’adresse ou encore le droit de pétition –, mais il ne s’agit que de moyens de pression qui n’ont jamais été à  l’origine directe de la démission d’un ministère. Elles participent seulement à  l’affaiblissement de celui-ci. Dans son article 53, la Charte de 1814 garantit la possibilité offerte aux citoyens de présenter des pétitions aux chambres, à  condition qu’elles soient transmises par écrit[37]. Une pétition consiste en « un acte par lequel une personne s’adresse aux pouvoirs publics pour formuler une plainte ou une suggestion »[38]. Les députés vont tenter d’utiliser l’article 53 pour justifier des demandes d’explication aux ministres et, par suite, leur droit de surveiller l’activité gouvernementale[39]. Mais ces tentatives se traduisent le plus souvent par un échec, les ministres refusant de répondre. Afin d’obvier à  cet inconvénient, une proposition de loi est déposée en 1818 tendant à  préciser la technique[40]. Elle prévoyait, entre autres, que le renvoi d’une pétition à  un ministre soit nécessairement accompagné d’une invitation à  indiquer le sort de celle-ci. Vivement critiquée, cette disposition fut écartée. Les pétitions ne constituent donc pas une technique effective de mise en jeu de la responsabilité politique, mais un moyen sur lequel les chambres s’appuient pour justifier leurs tentatives de contrôle de l’activité gouvernementale. Même si aucune de ces tentatives n’a abouti, ce mécanisme a malgré tout permis de consolider l’idée d’un droit de regard des députés sur l’activité ministérielle[41]. Un constat similaire s’impose s’agissant de l’adresse et du droit de question. En réponse au discours du trône prononcé par le roi devant les chambres au début de chaque session parlementaire, une adresse est votée. Sa discussion devient rapidement l’occasion d’émettre des critiques à  l’encontre de l’action gouvernementale[42]. Certes, « les adresses ne furent pas directement à  l’origine de la démission d’un ministère, mais les reproches réitérés qu’elles contenaient affaiblissaient non seulement les ministres mais aussi le roi lui-même »[43]. En outre, la Restauration ébauche la technique des questions au gouvernement, c’est-à -dire que les chambres tentent de requérir publiquement des éclaircissements auprès d’un ministre sur des faits relatifs à  la politique ou à  l’administration[44]. Dès 1815, un député ultra – le comte de Seismaisons – soumet à  la Chambre des députés une proposition en vue d’obtenir des explications des ministres de la justice et de la police à  propos de l’évasion du comte de La Valette, ancien directeur des Postes sous les Cent-Jours[45]. L’auteur de la proposition suspectait les ministres d’avoir facilité l’évasion de La Valette qui venait d’être condamné à  mort. Cette proposition rencontre de nombreuses critiques, non seulement de la part des ministres, mais aussi de la part de ceux qui s’opposent à  un contrôle parlementaire sur le gouvernement. Fustigeant la proposition du comte de Seismaisons, le député Bellart s’exprime ainsi :
« je ne crois pas qu’on ait voulu associer l’autorité de la Chambre à  l’autorité exécutive et à  l’autorité judiciaire ; la proposition est tout à  fait inconstitutionnelle. (…) C’est au gouvernement à  veiller à  l’exécution des lois ; les Chambres ne peuvent s’immiscer en rien dans l’exercice de ce pouvoir. (…) Nous devons nous garder d’entrer dans une fausse route et éviter le plus grand des maux, la confusion des pouvoirs. En un mot, nous avons le droit d’accuser les ministres, mais non de leur demander compte de leur conduite »[46].
À cette requête, les ministres refusent de répondre. Même si les membres du gouvernement ne sont nullement contraints de répondre, la pratique des questions au gouvernement s’amorce sous la Restauration et permet aux députés de souligner leur désaccord avec l’autorité gouvernementale. Ainsi, tout comme les pétitions, ces techniques – questions à  un ministre ou adresse –, qui émergent en marge de la Charte[47], ne permettent pas encore la mise en œuvre de la responsabilité politique des membres du gouvernement. Elles constituent toutefois de véritables moyens de pression et de critique sur l’activité ministérielle et, par suite, contribuent à  consolider l’idée d’un droit de contrôle des chambres sur le gouvernement.
En outre, les députés usent également du mécanisme de la responsabilité pénale des ministres pour marquer leur défiance politique. Cette technique se rencontre dans deux épisodes de la Restauration : d’une part, la proposition, présentée en 1820, par le député ultra-royaliste Clausel de Cousserges tendant à  mettre en accusation le Président du Conseil et ministre de l’intérieur Decazes pour crime de trahison[48] ; d’autre part, la proposition du député Labbey de Pompières contre le ministère Villèle en 1828[49]. Dans ces affaires, l’objectif poursuivi apparaît indubitablement d’ordre politique. La première proposition, dont la Chambre refusa de connaître, revêt assurément une coloration politique. Dans un ouvrage tendant à  justifier sa proposition de mise en accusation, Clausel de Cousserges précise qu’il n’a « tiré l’accusation de trahison contre M. Decazes que de l’ensemble de sa conduite pendant tout son ministère » [50]. D’ailleurs, la première partie de cet ouvrage est intitulée « Examen de la conduite politique de M. Decazes »[51]. De l’analyse des différents chefs d’accusation retenus par l’auteur, on peut penser – à  la suite de P. Desmottes – que « c’est le procès d’une politique que [Clausel de Cousserges] voulait faire et non un jugement qu’il comptait obtenir »[52]. Quant à  la seconde proposition, l’enjeu implicite consistait à  empêcher le roi de rappeler les ministres concernés au pouvoir, tant que leur éventuelle mise en accusation ne ferait pas l’objet d’une discussion[53]. Ainsi la responsabilité pénale apparaît-elle instrumentalisée en vue de pallier l’impossibilité de contrôler le gouvernement.Dès lors, s’ils conçoivent indéniablement la notion de responsabilité politique, les partisans du parlementarisme n’appréhendent pas nettement ses techniques. Les députés utilisent les voies s’offrant à  eux afin de consolider leur droit de regard sur l’activité ministérielle et ce, même si ces moyens ne constituent en aucun cas des techniques permettant de faire jouer directement la responsabilité politique. A contrario, il semble surprenant que le contreseing ministériel ne soit même pas invoqué par les partisans du parlementarisme. La Charte de 1814 s’avère certes silencieuse sur le contreseing, mais celui-ci s’établit en pratique. Les ministres prennent en effet l’habitude de contresigner les actes du roi. Ce procédé peut néanmoins revêtir deux fonctions distinctes : soit une fonction d’authentification de la signature royale – pratique se rencontrant déjà  sous l’Ancien Régime –, soit une fonction d’endossement de la responsabilité du signataire irresponsable par le contresignataire responsable – pratique inhérente au régime parlementaire[54]. Sous la Restauration, le contreseing se bornera à  authentifier les actes signés par le monarque et ne sera jamais conçu comme un mécanisme politique[55]. Parmi les différents projets et propositions de loi visant à  formaliser la responsabilité des agents du roi, seule la proposition de Farez prévoit la constitutionnalisation du contreseing ministériel[56]. Mais le député précise que l’insertion d’une telle disposition se cantonne à  un objectif d’authentification des ordres émanant du monarque. « La nation – souligne Farez –, qui a toute confiance dans son prince, veut être certaine que ce qu’on lui prescrit émane de sa volonté »[57]. Dans la mesure où aucune technique ne permet de rendre effective la responsabilité politique des ministres, des parlementaires vont essayer de justifier leur droit de regard sur l’activité gouvernementale en se fondant sur les articles 55 et 56 de la Charte. Ne parvenant pas à  imposer la responsabilité politique, ces parlementaires utilisent sciemment le support pénal pour tenter d’introduire ce mécanisme politique, ce qui aboutira à  une paralysie des deux types de responsabilité ministérielle.

II) La responsabilité des ministres doublement paralysée

L’absence de définition de la responsabilité politique conduit à  son insertion dans le discours consacré au mécanisme pénal. Les discussions parlementaires, relatives aux articles 55 et 56 de la Charte, fournissent en effet l’occasion d’introduire la notion de responsabilité politique. En ce sens, la responsabilité pénale est utilisée comme un prétexte à  la reconnaissance d’un droit de contrôle des députés sur l’activité gouvernementale (A). Cependant, cette manœuvre finit par échouer, la responsabilité politique ne trouvant pas sa place dans ce dispositif. Par suite, la formalisation juridique des responsabilités pénale et politique se paralyse (B).

A) Le prétexte de la responsabilité pénale

L’article 56 de la Charte prévoit qu’une loi viendra préciser les modalités de mise en œuvre de la responsabilité pénale. Ont donc été soumis aux chambres plusieurs projets et propositions de loi tendant à  formaliser la responsabilité pénale des ministres. Même si ces différents projets et propositions de loi ont tous échoué, leur analyse ainsi que les débats parlementaires qu’ils ont suscités démontrent de façon indéniable qu’ils ont participé à  l’émergence du concept de responsabilité politique.
La première proposition – en ce sens – émane du député Farez[58]. Le 23 août 1814, il dépose une proposition de loi qui se borne à  définir les crimes de trahison et de concussion, prévus à  l’article 56 de la Charte, et à  réglementer la procédure de mise en accusation et de jugement devant les chambres. Se composant de 18 articles seulement, le texte soumis par Farez se révèle relativement large et incomplet. D’ailleurs, les seules peines prévues dans ce document sont le bannissement ou la mort. Aussi la proposition est-elle rapidement jugée insuffisante. En cours de discussion, un projet de loi, également relatif à  la responsabilité ministérielle, est soumis à  la Chambre des députés par Faget de Baure[59]. Ce projet se singularise par le fait qu’il ne se limite pas au seul aspect pénal de la responsabilité, dans la mesure où il intègre une réelle dimension politique. L’auteur distingue trois types de responsabilité ministérielle, à  savoir d’ordre pénal – lorsque des « actes sont des trahisons manifestes ou des exactions coupables » –, d’ordre civil – lorsque des « actes (…), sans être entièrement répréhensibles, causent un préjudice à  des particuliers, et [que] les ministres en doivent réparation » –, et enfin d’ordre politique – lorsque des actes se révèlent « nuisibles au bien de l’État » [60]. Si la notion de responsabilité politique est assurément présente dans le discours de Faget de Baure, des incertitudes quant au mécanisme sont nettement perceptibles. L’auteur n’envisage aucunement la solidarité ministérielle : l’article 1er dispose que « les ministres sont responsables de tous les actes du gouvernement, chacun dans le département qui le concerne »[61]. Par ailleurs, la responsabilité politique dont il parle semble plus sanctionner une incapacité administrative qu’une divergence politique du gouvernement avec la majorité parlementaire[62]. La destitution est certes prévue comme sanction à  la responsabilité ministérielle, mais elle joue seulement si le roi décide de la prononcer à  la suite d’une requête conjointe des chambres. Cette disposition apparaît tout à  fait révélatrice de la conception des auteurs de l’époque concernant la responsabilité politique. Celle-ci est en effet essentiellement comprise comme une responsabilité devant le roi et il semble difficile de la concevoir autrement.
Après l’échec de ces deux tentatives, une nouvelle proposition est déposée par le comte de Lally-Tollendal en 1816[63]. L’auteur ne se cantonne pas non plus aux seuls cas de trahison et de concussion. Il opère une distinction entre la responsabilité générale, prévue à  l’article 13 de la Charte, et l’accusation dont peut faire l’objet un ministre en vertu des articles 55 et 56 du texte constitutionnel[64]. « Être responsable, d’après Lally-Tollendal, c’est avoir un compte à  rendre »[65]. Dès lors, la responsabilité ministérielle doit jouer non seulement envers le roi mais aussi envers les députés, afin de la rendre véritablement effective. Cela dit, l’auteur concède qu’une loi sur la responsabilité générale ne pourra en aucun cas tout prévoir. Lally-Tollendal relativise ce constat en expliquant qu’ainsi « le ministre ne se croira pas autorisé à  faire arbitrairement tout ce qui ne lui est pas littéralement défendu par la loi » et « le dénonciateur doutera de ce qui lui est permis, quand il ne pourra pas appuyer son entreprise sur une formule littérale consignée dans une loi »[66]. Par suite, le député fournit quelques indications quant à  la mise en œuvre d’une telle responsabilité : les chambres pourront solliciter des explications ou des documents au ministre concerné ; en cas de refus, elles proposeront une adresse au roi, votée à  la majorité, afin qu’il ordonne au ministre de satisfaire aux vœux des députés ; en dernier ressort, les chambres auront la possibilité de voter une résolution en vue – le cas échéant – de mettre en accusation le ministre pour faits de trahison ou de concussion. Là  encore, on peut observer que cette responsabilité, présentant une dimension politique, se détache difficilement de l’emprise royale. Par ailleurs, la notion de responsabilité politique apparaît de façon explicite dans cette proposition de loi, mais sa mise en œuvre demeure très approximative. Le préjugé persiste qu’il semble irréalisable d’élaborer un texte réglementant les techniques inhérentes à  ce type de responsabilité. S’inspirant de la proposition du comte de Lally-Tollendal, le gouvernement dépose un projet de loi, en 1817, qui reprend la distinction entre la « responsabilité générale » et la « responsabilité personnelle et juridique » des ministres[67]. Le constat est identique : une loi doit nécessairement venir réglementer la dimension pénale de la responsabilité incombant aux ministres, alors qu’il demeure impossible de formaliser la responsabilité politique pesant sur le gouvernement. À nouveau, la session s’interrompt avant que le projet ait été voté. Enfin, le projet, présenté par le garde des Sceaux de Serre le 28 janvier 1819, connaît le même sort[68]. L’auteur se contentait de réglementer la procédure et de préciser les peines, abandonnant à  l’arbitraire des chambres la détermination des cas d’accusation. Même si le concept de responsabilité politique est acquis, l’analyse des débats parlementaires révèle toutefois une difficulté d’ordre lexical et conceptuel. Le vocabulaire n’est pas fixé : dans les projets et discours proposés sous la Restauration, on évoque la responsabilité « générale » ou « morale » pour désigner la responsabilité politique et la responsabilité « personnelle » ou encore « juridique » s’agissant du mécanisme pénal. La distinction entre ces deux types de responsabilité étant parfaitement acquise, les partisans du parlementarisme ont simplement utilisé le support pénal comme justification d’un droit de contrôle des chambres sur les ministres[69]. Ils réclamaient seulement un droit de regard sur l’activité gouvernementale, sans aller jusqu’à  revendiquer un droit de renvoi des ministres. Lors d’une séance en mai 1819, le député Manuel affirme, en effet, que « les chambres prennent part à  l’administration au moyen de la surveillance qu’elles exercent et cette surveillance est indiquée comme la suite naturelle de la responsabilité des ministres et du droit de les mettre en accusation »[70]. Dans ses mémoires, l’ultra-royaliste Villèle suit le même raisonnement :
« il est évident qu’ayant le droit d’accuser [les ministres], nous avons celui de leur demander des renseignements, et que puisqu’il dépend de nous de les forcer à  se disculper devant la chambre des pairs, nous pouvons à  bien plus forte raison exiger qu’ils nous donnent à  l’amiable quelques éclaircissements »[71].
Par conséquent, si l’on rencontre la notion de responsabilité politique dans le discours consacré à  la formalisation de la responsabilité pénale, ce constat ne traduit aucunement une confusion entre ces deux types de responsabilité ministérielle. Face à  l’impossibilité d’imposer la responsabilité politique, des parlementaires ont sciemment tenté de l’introduire par le biais des discussions consacrées à  la responsabilité ministérielle d’ordre pénal. On peut penser qu’ainsi c’est davantage la sanction qui est recherchée que le contrôle en lui-même. Le mécanisme pénal se trouve en quelque sorte instrumentalisé. Le but est de parvenir à  la déchéance du ministre concerné. Mais, cette manœuvre ne permettra pas la consécration de la responsabilité politique. Bien plus, cet échec rejaillira sur le mécanisme pénal.

B) Le blocage de la responsabilité, du politique au pénal

Les partisans du parlementarisme utilisent le support pénal pour tenter d’introduire un droit de contrôle des chambres sur l’activité gouvernementale. La responsabilité pénale étant expressément consacrée par la Charte de 1814, elle confère ainsi une base constitutionnelle qui permet de légitimer la volonté de surveillance des chambres sur les ministres. Dès lors, le recours aux articles 55 et 56 de la Charte s’avère être bien plus une commodité juridique que le ou un fondement de la responsabilité politique. Mais cette manœuvre échoue puisque la responsabilité politique ne trouve pas sa place dans ce dispositif pénal. En outre, le préjugé se forme qu’une loi relative à  la responsabilité ministérielle d’ordre politique serait non seulement impossible mais aussi dangereuse. Développant sa proposition de loi, Lally-Tollendal conclut que
« plus on réfléchit, et plus on reste convaincu qu’il n’y a pas une disposition légale qui doive être énoncée avec plus de généralité que celle de la responsabilité des ministres ; pas une où il soit plus impossible, plus inutile, et plus dangereux de vouloir tout prévoir »[72].
Pareillement, Benjamin Constant concède que
« si chacune de ces manières de nuire à  l’État devait être indiquée et spécifiée par une loi, le Code de la responsabilité deviendrait un traité d’histoire et de politique, et encore ses dispositions n’atteindraient que le passé. Les ministres trouveraient facilement de nouveaux moyens de les éluder pour l’avenir »[73].L’émergence du concept de responsabilité politique en marge de la Charte freine donc la formalisation de la responsabilité pénale et la rend même impossible. Les partisans d’un contrôle politique des ministres ont tenté d’insérer la responsabilité politique par le biais du support pénal, ce qui a entraîné une paralysie des deux types de responsabilité. En effet, l’absence de loi, tendant à  préciser la responsabilité ministérielle d’ordre pénal, a pour conséquence théorique l’impossibilité de mettre en œuvre le mécanisme, dans la mesure où ce type de responsabilité doit respecter un principe de légalité absolue. Le juge, chargé de connaître de la mise en cause pénale d’un ministre, doit suivre les prescriptions pénales, c’est-à -dire ne prononcer une condamnation que si les faits reprochés sont expressément prévus par la loi pénale et énoncer la peine correspondant à  cette infraction. Toutefois, même si les propositions de mise en accusation de ministres ont toutes échoué sous la Restauration – à  l’exception des poursuites engagées à  l’encontre des ministres de Charles X en 1830 –, la cause première ne tient pas à  cette carence législative. Dans la mesure où la finalité de ces mises en cause pénales se révèle assurément d’ordre politique, on peut penser que c’est davantage l’absence de volonté de poursuivre la manœuvre politique qui entraîne l’abandon des propositions de mise en accusation[74]. Dès lors, il est intéressant de se demander pourquoi la Haute Cour a eu à  connaître de la mise en accusation des ministres de Charles X, alors qu’aucune loi spéciale n’était venue préciser le mécanisme pénal. En principe, cette carence législative aurait pu – et même aurait dû – bloquer un tel procès. Bien que cette difficulté ait été soulignée au cours des débats, les circonstances exceptionnelles entourant cette affaire ont conduit la Cour des pairs à  passer outre l’absence de formalisation du mécanisme. Dans l’arrêt prononçant la condamnation des ministres à  la prison perpétuelle, la Haute Cour précise : « considérant qu’aucune loi n’a déterminé la peine de trahison, et qu’ainsi la cour est dans la nécessité d’y suppléer »[75]. En d’autres termes, la Cour des pairs s’octroie un pouvoir souverain dans l’exercice de sa fonction judiciaire, c’est-à -dire qu’elle décide que les faits incriminés sont constitutifs de la trahison, alors que cette notion ne fait l’objet d’aucune définition par la législation pénale et qu’aucune peine n’est prévue. Cela dit, il convient de souligner l’importance du contexte politique dans la décision des pairs. « Le procès des ministres surexcite les passions – explique M. Deslandres. Pendant six jours l’émeute gronde. (…) La foule réclame la mort des accusés »[76]. Ce sont les circonstances exceptionnelles pesant sur cette affaire qui ont conduit les pairs à  outrepasser leur pouvoir en palliant l’absence de loi sur la responsabilité pénale des ministres.
En définitive, l’échec de la législation sur la responsabilité pénale tient à  l’échec de la pensée française quant au mécanisme de la responsabilité politique. Certains ont pourtant souligné l’importance de différencier nettement les deux types de responsabilité.
« On doit distinguer – explique le baron Pasquier – la responsabilité générale du gouvernement, de la responsabilité personnelle et juridique de chaque ministre. […] La première, compagne inséparable du pouvoir, ne saurait être définie ni restreinte par des lois, et demeure entièrement dans l’ordre politique […] ; tandis que la seconde, plus bornée de sa nature, et spécialement attachée à  certains actes, a besoin d’être caractérisée et réglée par des lois qui déterminent dans quels cas et d’après quelles formes les ministres doivent la subir. C’est parce qu’on a méconnu cette différence que les lois sur la responsabilité des ministres ont été jugées impossibles »[[Présentation par M. le baron Pasquier de deux projets de loi sur la responsabilité des ministres et sur l’organisation et la compétence de la Chambre des pairs en cour judiciaire, C.P., A.P., 2e sE

Pour citer cet article :

Nathalie Havas « De la manière de penser la responsabilité des ministres sous la Restauration », Jus Politicum, n°1 [https://juspoliticum.com/articles/de-la-maniere-de-penser-la-responsabilite-des-ministres-sous-la-restauration-1]