Certains des éléments du contrôle de proportionnalité - contrôle de l'adéquation et de la proportionnalité au sens strict - ont fait l'objet d'une application régulière, et leur mise en œuvre a abouti à  quelques déclarations d'inconstitutionnalité qui ont fait grand bruit. Le champ d'application de ce contrôle n'a également cessé de s'étendre au fil des années. Mais son caractère fréquemment restreint, la moindre mise en œuvre du troisième de ses éléments - contrôle de la nécessité - et l'irruption récente d'un domaine de non-contrôle explicite invitent toutefois à  relativiser les avancées récentes.

The proportionality test and fundamental rightsCertain elements of the principle of proportionality – including the suitability test and the test of proportionality stricto sensu – have regularly been applied, leading to several famous declarations of unconstitutionality. The scope of the proportionality test has thus in some respects expanded over the years. However, the impact of these recent advances must be put into perspective in light of the more limited progression of the necessity test – the third but equally crucial element of the principle of proportionality; along with the emergence of an area of explicit refusal to implement the principle (“domaine de non-contrôle explicite”).

Die Verhältnissmässigkeitskontrolle im Bereich der GrundfreiheitenBestimmte Elemente der Verhältnissmässigkeitskontrolle – Angemessenheits- und Verhältnissmässigkeitskontrolle im engeren Sinne – werden vom französischen Verfassungsrat regelmäßig angewandt. Ihre Durchführung hat zu einigen beachteten Verfassungswidrigkeitserklärungen geführt. Der Anwendungsbereich dieser Kontrolle hat sich ständig erweitert. Doch sein oft reduzierter Charakter (auf eine Evidenzkontrolle), sowie die Durchführung seines dritten Elements – die Notwendigkeitskontrolle – und schliesslich der jüngste Einbruch eines Bereiches von expliziter Nichtkontrolle führen allerdings dazu, die letzten Fortschritte zu relativieren.

Le contrôle de proportionnalité est assurément en lui-même une technique de protection des libertés publiques quel que soit le contentieux considéré, constitutionnel ou administratif. Rien ne peut d'ailleurs le remplacer, écrit le professeur allemand R. Arnold. Mais celui exercé par le Conseil - dans sa jurisprudence récente - l'est-il ? la réponse, on s'en doute, ne peut qu'être nuancée.

D'un côté, certains des éléments de ce contrôle, explicitement différenciés depuis la décision Rétention de sûreté de 2008, ont fait l'objet d'une application régulière et leur mise en œuvre a abouti à  quelques déclarations d'inconstitutionnalité qui ont fait grand bruit. Son champ d'application n'a également cessé de s'étendre au fil des années.

Mais d'un autre côté, la restriction fréquente du contrôle à  celui de la disproportion manifeste, la moindre mise en œuvre de certains de ses autres éléments - dont le champ d'application et la portée sont de toute façon plus restreints - et l'irruption récente d'un domaine de non-contrôle explicite invitent à  penser que cette protection présente des limites, dont il restera à  apprécier la portée.

Parcourons ces deux faces de la jurisprudence récente du Conseil

Du côté des progrès, et s'agissant des éléments du contrôle de proportionnalité, on peut d'abord observer que le contrôle de l'adéquation, qui consiste à  vérifier que la mesure est a priori susceptible de permettre ou de faciliter la réalisation du but recherché par son auteur, a non seulement été exercé à  plusieurs reprises, mais qu'il a dévoilé ses potentialités en s'appliquant à  des hypothèses nouvelles. Apparu dans le contentieux du report des élections, dans lequel il jouait le rôle de contrôle objectivé du détournement de pouvoir, le législateur étant suspecté par l'opposition de poursuivre un intérêt partisan sous couvert de poursuivre un intérêt général, il s'est appliqué à  de nouvelles hypothèses - moins par le champ d'application du contrôle qui était déjà  devenu général que par l'accent mis sur les moyens plus que sur les fins. Le contrôle de l'adéquation peut en effet permettre de sanctionner une politique d'affichage, les moyens utilisés afin d'atteindre l'objectif mis en avant étant estimés inadéquats par le Conseil. Dans la décision du 29/12/2009, Loi de finances pour 2010, il a ainsi déclaré l'inconstitutionnalité de la contribution carbone sur le fondement d'un tel grief : les régimes d'exemption totale visant plus de la moitié des activités - essentiellement industrielles - qui émettent du dioxyde de carbone sont contraires à  l'objectif de lutte contre le réchauffement climatique et créent par voie de conséquence une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Après les fins suspectes, ce sont les moyens insuffisamment en relation avec les fins avancées - et jetant par conséquent le doute sur la réalité de la volonté de les poursuivre - qui sont susceptibles d'être sanctionnés. Précisons qu'un tel contrôle peut également s'appliquer aux droits-créances, comme en témoigne la décision du 9 novembre 2010 Loi portant réforme des retraites : le Conseil estime que, voulant préserver le système de retraite par répartition confronté à  d'importantes difficultés de financement, le législateur a pris des mesures qui ne sont pas "inappropriées à  l'objectif qu'il s'est fixé".

On remarquera toutefois qu'aucune décision rendue en matière de libertés publiques n'a abouti à  ce jour à  une déclaration d'inconstitutionnalité sur ce fondement : autant dans celle précitée relative à  la loi de finances pour 2010 que dans celles relatives à  la loi TEPA et à  la LOPPSI 2, les mesures déclarées inconstitutionnelles sont fiscales ou commerciales. En revanche, dans les décisions relatives à  la rétention de sûreté ou au fichier empreintes génétiques en date du 16 septembre 2010, la liste des infractions visées, pourtant longue et à  certains égards hétéroclite, est toujours estimée en adéquation avec l'objectif poursuivi par le législateur. La décision du 10 mars 2011 relative à  la loi LOPPSI 2 va dans le même sens : après mise en œuvre d'un contrôle d'adéquation explicitement restreint alors même qu'est en cause la liberté de communication, elle considère que le dispositif de blocage des adresses électroniques des sites diffusant des images pornographiques représentant des mineurs n'est pas manifestement inapproprié à  l'objectif poursuivi. On se souviendra d'ailleurs que dans la décision Hadopi 1, le Conseil, tout en rappelant l'exigence d'adaptation, n'avait même pas daigné répondre à  l'argument de l'inappropriation (manifeste) du dispositif répressif mis en place par la loi alors même que la saisine avait longuement insisté sur le "caractère aisément contournable, contre-productif, inapplicable et coûteux" de ce dernier. Sans doute était-on plus proche, dans ces deux dernières hypothèses, d'une contestation de l'efficacité de la loi, que de celle de son aptitude a priori à  atteindre l'objectif fixé. Or, la seconde n'est guère contrôlée par le Conseil, celui-ci ne pouvant à  l'évidence se substituer au législateur pour juger de la pertinence de certains choix techniques retenus. Une déclaration d'inconstitutionnalité intéressant les libertés publiques figure toutefois dans la décision LOPPSI 2, le Conseil ayant sanctionné pour inappropriation manifeste une véritable contradiction interne entre la disposition législative prévoyant la possibilité de tenir des audiences de prolongation de la rétention administrative des étrangers au sein même des centres de rétention - centres qui sont fermés au public - et la nécessité de "statuer publiquement" rappelée par la loi.

Des déclarations d'inconstitutionnalité, on en trouve davantage qui sanctionnent le contrôle de la proportionnalité au sens strict, lequel comprend celui des garanties appropriées. Parfois enrôlé sous la bannière de l'incompétence négative, il consiste à  vérifier que la conciliation entre les exigences constitutionnelles antagonistes a été correctement opérée. L'insuffisance des garanties législatives a ainsi été sanctionnée - en tant qu'incompétence négative - dans la décision du 25/02/2010 Loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public : la possibilité pour les exploitants ou les propriétaires d'immeubles de transmettre à  la police (nationale ou municipale) les images enregistrées par vidéosurveillance dans des lieux privés, lorsque des événements ou des situations susceptibles de justifier son intervention se produisent, est déclarée inconstitutionnelle : les "garanties nécessaires à  la protection de la vie privée des personnes qui résident ou se rendent dans ces immeubles" n'ont pas été prévues par le législateur. L'insuffisance des garanties législatives a également entraîné - mais cette fois sans être qualifiée d'incompétence négative - la déclaration d'inconstitutionnalité du régime de droit commun de la garde à  vue dans la fameuse décision QPC du 30 juillet 2010. Estimant que la banalisation des gardes à  vues de droit commun, liée à  l'évolution de certaines circonstances de fait et de droit, justifiait un réexamen au fond de leur constitutionnalité, le Conseil a ainsi considéré que ces évolutions n'avaient pas été "accompagnées des garanties appropriées encadrant le recours à  la garde à  vue ainsi que son déroulement et assurant la protection des droits de la défense". Il en a donc conclu que "la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à  l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties ne peut plus être regardée comme équilibrée". Enfin, dans la décision Hadopi I, le Conseil, toujours dans le cadre de son contrôle de la proportionnalité au sens strict, a affirmé qu'"eu égard à  la nature de la liberté garantie par l'article 11 de la Déclaration de 1789, le législateur ne pouvait, quelles que soient les garanties encadrant le prononcé des sanctions, confier de tels pouvoirs à  une autorité administrative dans le but de protéger les droits des titulaires du droit d'auteur et de droits voisins". Cette dernière solution n'a toutefois pas été étendue, dans la décision LOPPSI 2, à  la disposition qui confie à  l'autorité administrative le pouvoir d'empêcher l'accès aux sites internet diffusant des images de pornographie infantile : les mesures restrictives autorisées y ont à  l'évidence une portée plus restreinte et, tout en poursuivant un objectif de poids (la lutte contre l'exploitation sexuelle des mineurs), bénéficient - comme le précise le Conseil - aux utilisateurs d'internet eux-mêmes. Le juge ordinaire n'est donc gardien de la liberté de communication que dans certaines limites qui, à  la différence de ce qu'il en est pour la liberté individuelle consacrée à  l'article 66 de la Constitution, ne sont contrôlées par le Conseil qu'en tant qu'élément de la proportionnalité au sens strict, tolérance qui - entre autres - a valu à  la France d'être placée "sous surveillance" par Reporters sans frontières.

Si comme l'écrit P. Wachsmann dans son article "Nouvelles techniques permettant des restrictions aux libertés publiques ou de la protection des libertés dans la société du spectacle", l'une des variantes de ces techniques consiste à  "assortir les mesures restrictives que comporte un projet de loi de garanties, procédurales ou de fond" dont l'objet premier serait de permettre de "passer le cap du contrôle de constitutionnalité", il reste que ces garanties, bien que nécessaires, ne sont pas toujours considérées comme suffisantes. De plus, le contrôle de leur suffisance ne constitue pas - fort heureusement - tout le contrôle de proportionnalité, ni même, dans certains cas, tout le contrôle exercé par le Conseil. La décision QPC du 12 novembre 2010 Mur mitoyen, certes ambigüe, peut être lue en ce sens : s'agissant du droit de propriété, le contrôle de la dénaturation y semble en effet demeurer une composante du contrôle de la proportionnalité tout en constituant une limite à  son jeu. Dans le cadre général du contrôle de proportionnalité mais tout en le distinguant, elle recherche en effet si, compte tenu des garanties de fond et de procédure, la restriction portée au droit de propriété "n'a pas un caractère de gravité tel qu'elle dénature le sens et la portée de ce droit". Cette décision revêt-elle toutefois une telle signification ? la dénaturation n'y est peut-être que le résultat d'une balance opérée entre la gravité de l'atteinte et l'importance des garanties - et donc d'une analyse de la proportionnalité au sens strict - et la mise en œuvre d'un tel contrôle une simple réponse à  la question formulée en ces termes par la Cour de cassation.

Enfin, dernière évolution dont la portée reste toutefois encore incertaine, l'extension très récente du contrôle de proportionnalité à  un droit-créance, le droit à  la santé. Auparavant exclus du champ d'application de ce contrôle (seul le dépassement d'un seuil minimal de protection étant censuré et un contrôle de l'adéquation exercé) les droits-créances pourraient être alignés sur les autres droits : en cas de modalités plus restrictives de mise en œuvre, ce seraient à  la fois l'intérêt poursuivi par ces dernières et la conciliation entre les exigences constitutionnelles antagonistes qui pourraient être contrôlés. La décision du 28 décembre 2010 Loi de finances pour 2011 le laisse entendre : statuant sur une disposition imposant la vérification des conditions d'octroi de l'aide médicale de l'État (AME) avant la prise en charge de certains soins, le Conseil a estimé que "le législateur a adopté des mesures propres à  assurer une conciliation qui n'est pas disproportionnée entre les exigences constitutionnelles, d'une part, de bon emploi des deniers publics et de lutte contre la fraude et, d'autre part, du droit à  la protection de la santé". Elle succède toutefois de peu à  une décision plus en retrait - et à  cet égard plus en accord avec sa jurisprudence antérieure. Dans sa décision du 9 novembre 2010 Loi portant réforme des retraites, le Conseil avait en effet estimé que, voulant "préserver le système de retraite par répartition, confronté à  d'importantes difficultés de financement", le législateur avait pris des mesures qui ne sont pas "inappropriées à  l'objectif qu'il s'est fixé", se contentant ainsi d'exercer un contrôle de l'adéquation.

Penchons-nous maintenant sur les brèches du système, qui laissent, à  n'en pas douter, la majorité actuelle accumuler les lois sécuritaires et le Conseil n'intervenir - c'est une impression d'ensemble - qu'à  la marge.

Commençons par les plus anciennes :

- En premier lieu, et un constat identique peut être fait pour le juge administratif, c'est le degré du contrôle de proportionnalité exercé sur les atteintes aux libertés qui va maintenir parfois le Conseil sur le seuil des dispositions examinées, seules les disproportions manifestes étant sanctionnées. En effet, si les atteintes à  la liberté de communication, les atteintes graves à  la liberté individuelle, les atteintes au principe de responsabilité pour faute et celles portées aux droits rattachés à  l'article 16 de la Déclaration de 1789 font l'objet d'un contrôle approfondi, il n'en va pas de même non seulement des atteintes aux autres droits, souvent qualifiés de second rang - on pense à  la liberté d'entreprendre, au principe d'égalité, au pluralisme des courants d'idées et d'opinion, à  la liberté contractuelle et au principe de libre-administration des collectivités locales - mais aussi, depuis 2003, de l'essentiel des atteintes à  la liberté d'aller et de venir et à  la vie privée et de certaines atteintes légères à  la liberté individuelle stricto sensu .

La jurisprudence récente est cependant ambiguë :

D'un côté, elle semble en effet confirmer la plus grande protection accordée au droit de propriété et au principe d'égalité devant le suffrage : la restriction explicite du contrôle au manifeste a disparu dans le premier cas ou a vu son champ d'application limité dans le second. Même la liberté d'entreprendre a fait l'objet de deux décisions récentes (en 2009 et 2011) ayant pour la première fois omis de mentionner le caractère restreint du contrôle, qui avait pourtant toujours été appliqué de façon explicite jusque là , et qui l'a encore été en 2010.

D'un autre côté, elle n'en confirme pas moins la régression observée depuis la décision de 2003 relative à  la Loi sur la sécurité intérieure en matière d'atteintes à  la liberté individuelle. Sont concernées les atteintes à  la vie privée et à  la liberté d'aller et de venir, qui continuent de faire l'objet d'un contrôle seulement restreint. Comment expliquer une telle continuité ? en l'absence de toute motivation des décisions du Conseil sur ce point, on peut simplement remarquer que la décision précitée de 2003 est la première décision relative à  de telles atteintes, non seulement après les attentats de septembre 2001, mais également après la non-saisine du Conseil - par l'opposition de l'époque - de la loi de novembre 2001 sur la sécurité quotidienne. Est-ce un hasard ? le consensus politique en faveur de l'adoption de mesures tendant à  renforcer la lutte contre le terrorisme a sans doute trouvé dans ce self-restraint du Conseil sa traduction juridictionnelle, même si le champ de cette restriction a dès l'origine largement dépassé ces mesures pour englober celles, plus générales, visant à  lutter contre la délinquance. L'évolution de la composition du Conseil n'est sans doute pas non plus étrangère à  cette politique jurisprudentielle, dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle n'a pu empêcher la dérive sécuritaire des pouvoirs publics depuis quelques années. La multiplication et l'interconnexion des fichiers sont ainsi toujours admises dans leur principe même si, comme nous l'avons vu auparavant, des garanties sont exigées. La décision LOPPSI 2 qui déclare conforme à  la Constitution la mise en œuvre de logiciels de rapprochement judiciaire en est le dernier témoignage.

Deux évolutions positives affectant le traitement des atteintes à  la liberté individuelle dans la jurisprudence de ces dernières années doivent toutefois être notées :

D'une part, la gravité de l'atteinte, même portée à  la vie privée ou à  la liberté d'aller et de venir, semble ces dernières années être la cause d'un approfondissement du contrôle exercé, la nature des droits concernés ne jouant plus dans ce cas qu'un rôle subsidiaire. La décision Hadopi I en constitue l'illustration la plus récente : le contrôle exercé sur la possibilité ouverte aux sociétés de perception des droits d’auteur de constituer des traitements de données à  caractère personnel relatives à  des infractions et de les transmettre n’est pas restreint au manifeste, le Conseil estimant qu'elle «ne saurait, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée», avoir d’autres finalités que l’exercice par les titulaires de droits des recours juridictionnels dont ils disposent. Une telle modulation, si elle est consciente, est la bienvenue, car elle permet au Conseil de limiter son self-restraint et donc de se ménager la possibilité d'approfondir son contrôle.

Qu'en est-il, d'autre part, des atteintes légères à  la liberté individuelle stricto sensu dans la jurisprudence récente ? les visites de véhicule ayant fait l'objet en 2003 d'un contrôle restreint, on pouvait penser que toutes les atteintes consistant en une simple possibilité pour les agents habilités de disposer d'une personne pendant une durée limitée - et non de l'arrêter ou de la détenir - seraient traitées à  l'identique, en particulier celles pouvant être opérées dans le cadre d'un contrôle d'identité. La décision LOPPSI 2 a pourtant soumis à  un contrôle en apparence différent les contours moins restrictifs du pouvoir dont disposent désormais les agents de sécurité des exploitants de transport ferroviaires de retenir temporairement les contrevenants dans le cadre d'un contrôle d'identité. Autorisant une atteinte légère à  la liberté individuelle, cette disposition y fait en effet l'objet d'un contrôle explicitement entier. Au lendemain de cette décision, ne restent donc que les visites de véhicules qui, alors même qu'elles portent atteinte à  l'article 66 de la Constitution, soient soumises à  un contrôle restreint, si tant est que la décision de 2003 relative à  la loi sur la sécurité intérieure fasse encore jurisprudence sur ce point. Il faut toutefois rappeler que dans les décisions du Conseil, ces distinguos - entre atteintes graves et légères - ne sont pas explicités et encore moins motivés. Ils résultent d'une construction doctrinale a posteriori dont rien (ou peu de choses) ne garantit la pertinence, et rendent par conséquent hasardeuse toute tentative de compréhension globale de la jurisprudence. Le sort des atteintes légères à  la liberté individuelle gagnera donc à  être précisé à  l'avenir.

- La deuxième brèche résulte de la portée et du champ d'application limités de la deuxième branche du contrôle de proportionnalité telle qu'elle est apparue dans la décision Rétention de sûreté du 21 février 2008. Nous voulons parler du contrôle de la nécessité de la mesure, qui suppose qu'aucune mesure moins attentatoire à  la liberté concernée ne puisse permettre d'atteindre l'objectif visé. Dans cette décision, son champ d'application a été expressément limité par le Conseil aux atteintes graves à  la liberté individuelle. Étendu dans son principe à  la liberté de communication par la décision Hadopi I, ce contrôle a d'ailleurs été exercé par la suite à  une seule reprise dans la décision du 26 novembre 2010 Hospitalisation sans consentement' toujours à  propos de la liberté individuelle, même si son existence a été rappelée dans une autre décision QPC relative à  la liberté de communication.

Sa portée n'est-elle d'ailleurs pas limitée, en tout cas plus limitée que celle du contrôle du même nom exercé par la Cour constitutionnelle allemande ou - même si ce contrôle n'a été exercé que dans certaines hypothèses - celle de la Cour constitutionnelle belge ? dans la décision Rétention, le contrôle de l'absence de mesure alternative moins contraignante ne se fait que par rapport au droit en vigueur (en l’occurrence, s'agissant de prévenir la récidive, le droit positif comprend déjà  une panoplie de mesures de sûreté et impose une prise en charge médicale des détenus concernés). Le travail du Conseil se réduit donc à  vérifier que les conditions d’application de la mesure nouvelle obéissent à  l'exigence de "stricte nécessité". Le contrôle de la loi ne serait donc pas exercé au regard des mesures simplement envisageables, c'est-à -dire celles auxquelles le Parlement aurait pu recourir mais qu’il n’a pas retenues. En d’autres termes, ce n'est pas la nécessité du dispositif lui-même - mais de sa seule application - qui semble contrôlée. La décision Hospitalisation sans consentement le confirme qui, exerçant une sorte de contrôle global de proportionnalité, décide que "le législateur a fixé des conditions de fond et des garanties de procédure propres à  assurer que l'hospitalisation sans consentement, à  la demande d'un tiers, ne soit mise en œuvre que dans les cas où elle est adaptée, nécessaire et proportionnée à  l'état du malade". Dans la décision Hadopi I, le Conseil n'a d'ailleurs pas recherché si d’autres dispositifs simplement potentiels - du type de la licence globale - n'étaient pas susceptibles, avec des contraintes moindres et peut-être de meilleurs résultats, d’aboutir à  l’objectif poursuivi. Sur ce point, ce ne sont pas les conditions d’application de la loi examinée qui auraient livré la réponse au juge, mais l’analyse comparée des contraintes et des effets de cette dernière et de ceux de l'autre ou des autres dispositif(s) envisageable(s). La saisine ne l'évoquait même pas, l'essentiel de l'argumentation développée étant centré sur l'inadéquation du dispositif retenu à  l'objectif poursuivi. L'exercice d'un tel contrôle serait-il d'ailleurs souhaitable ? seule la particulière gravité de l'atteinte portée à  l’un des droits les plus précieux ou l'évidence de la solution alternative pourrait justifier son introduction et conférer une légitimité suffisante à  la plus grande restriction de la marge de pouvoir discrétionnaire du législateur qu'elle emporte.

- La troisième brèche, qui est aussi la plus récemment apparue, résulte de l'irruption d'un champ de non-contrôle explicite lorsqu'est en cause une question de société. Dans certains cas, c'est l'intérêt ou l'un des intérêts poursuivis qui n'est pas contrôlé alors que la proportionnalité fait l'objet d'un contrôle "normal". Dans d'autres, où le principe d'égalité est invoqué, c'est l'un des éléments du contrôle de proportionnalité, le contrôle de l'adéquation, qui passe à  la trappe alors même que son exercice résulte d'une exigence normative posée par le Conseil lui-même - la différence de traitement doit être en relation directe avec l'objet de la loi - et qu'il fait toujours l'objet d'un contrôle entier.

Comme illustration de la première hypothèse, on peut citer la décision QPC du 11 juin 2010 Loi dite anti-Perruche : statuant sur une limitation de responsabilité applicable en cas d'erreur de diagnostic ayant abouti à  la décision de la mère de ne pas recourir à  une IVG, le Conseil distingue, parmi les motifs d'intérêt général avancés, celui qu'il ne contrôle pas (la volonté, exprimée lors des travaux préparatoires, de prévoir une prise en charge uniforme des handicapés par la collectivité, quels que soient le handicap - décelable ou non - et le choix de la mère) de ceux qu'il contrôle clairement ("l'équilibre financier et la bonne organisation du système de santé"). Un contrôle entier de proportionnalité y est pourtant exercé. La décision DC du 7 octobre 2010 Loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public va dans le même sens. En effet, s'agissant d'une restriction apportée à  la liberté personnelle et à  celle de manifester sa religion, le Conseil considère que "le législateur a estimé que de telles pratiques peuvent constituer un danger pour la sécurité publique et méconnaissent les exigences minimales de la vie en société ; qu'il a également estimé que les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, se trouvent placées dans une situation d'exclusion et d'infériorité manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d'égalité". Les "objectifs qu'il s'est assignés" ne sont à  l'évidence pas contrôlés par le Conseil alors même qu'un contrôle restreint de proportionnalité est exercé.

Quant à  la seconde hypothèse, qui concerne plus directement le contrôle de proportionnalité, elle est illustrée par la décision QPC du 6 octobre 2010 Adoption par une personne seule : était en cause une disposition du Code civil qui, dans l'interprétation constante qu'en a développée la Cour de cassation, interdit aux personnes non mariées d'adopter l'enfant de leur partenaire. Le Conseil considère que le législateur a estimé que "la différence de situation entre les couples mariés et ceux qui ne le sont pas, pouvait justifier, dans l'intérêt de l'enfant, une différence de traitement quant à  l'établissement de la filiation adoptive à  l'égard des enfants mineurs". Il n'appartient donc pas au Conseil "de substituer son appréciation à  celle du législateur" sur les conséquences qu'il convient de tirer de la situation particulière des enfants élevés par deux personnes du même sexe. L'existence d'un lien direct entre l'intérêt de l'enfant et la différence de traitement entre les couples mariés et ceux qui ne se le sont pas, s'agissant de l'établissement de la filiation adoptive, n'est donc pas vérifiée par le Conseil. Seul le législateur, qui l'a refusé à  plusieurs reprises, peut donc faire évoluer la législation applicable, et partant, la jurisprudence de la Cour de cassation relative à  l'homoparentalité. La décision du 28 janvier 2011 Interdiction du mariage entre personnes de même sexe contient un raisonnement identique, qui a abandonné au législateur l'appréciation du lien entre la différence de situation entre couples de même sexe et couples composés d'un homme et d'une femme et la différence de traitement en matière de mariage.

Que conclure ? une vision optimiste des choses mettra en avant les progrès réalisés, qui emportent certes de nouvelles limites, mais des limites qui exprimeraient davantage le refus du Conseil d'étendre les libertés en lieu et place du Parlement que celui de protéger les libertés garanties par la Constitution. Une vision pessimiste insistera au contraire sur la régression qu'emportent ces nouvelles brèches, qui définissent les champs politique et juridique au détriment de ce dernier, et sur la posture de spectateur - consentant ? - qu'adopterait trop souvent le Conseil face aux régressions sécuritaires et à  la stagnation de notre droit sur certaines questions de société. Reste l'insuffisante motivation des décisions du Conseil et de ses évolutions/oscillations, qui, du côté de la doctrine, oblitère le temps de la critique au profit de celui du simple décryptage - à  moins que ce ne soit le contraire, la critique étant d'autant plus facile que la rationalité jurisprudentielle reste cachée et que les règles gouvernant la composition du Conseil sont elles-mêmes critiquables.

Valérie Goesel-Le Bihan est Professeur de droit public de l'Université Lumière Lyon 2.

Pour citer cet article :

Valérie Goesel-Le Bihan « Le contrôle de proportionnalité exercé par le Conseil constitutionnel, technique de protection des libertés publiques ? », Jus Politicum, n°7 [https://juspoliticum.com/articles/le-controle-de-proportionnalite-exerce-par-le-conseil-constitutionnel-technique-de-protection-des-libertes-publiques-456]