Un « manuel » hors les codes. À propos du Droit administratif général de Benoît Plessix
Sur Benoît PLESSIX, Droit administratif général, Paris, LexisNexis, coll. « Manuels », 2016, 1500 p.
On Benoît PLESSIX, Droit administratif général, Paris, LexisNexis, coll. « Manuels », 2016, 1500 p.
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rétendre formuler un jugement sur le livre de Benoît Plessix dans les limites habituelles d’un article de revue relève, à bien des égards, de la plaisanterie. Prendre la pleine mesure de l’événement que constitue ce « manuel » suppose le temps long et sans contraintes de la réflexion. Voilà un ouvrage, en effet, qui tient de la prouesse intellectuelle : non seulement il rassemble un savoir intimidant qui invite son lecteur – en tout cas le lecteur que je suis – à l’humilité, mais il trace à travers ce savoir un chemin franchement original. Sans rien céder sur la complexité de la matière tant technique que théorique dont se compose le droit administratif, il parvient à en dédramatiser la présentation.
On ne cherchera donc pas ici à produire une lecture critique de l’entreprise menée par l’auteur tout au long des 1500 pages de son « manuel ». Un autre choix a été réalisé qui consiste à faire principalement retour sur ce qui constitue, à mes yeux, la marque la plus originale de ce Droit administratif général, c’est-à-dire la démarche intellectuelle qui le soutient. En conséquence de ce choix, il sera surtout question dans les considérations qui vont suivre de ce que B. Plessix appelle, par fidélité à la Tradition, les Éléments du droit administratif. C’est là en effet, dans la première partie ainsi intitulée de son ouvrage, que l’auteur identifie et décrit les ressorts intellectuels de cette discipline scientifique que constitue le droit administratif, tandis que sous le titre Institutes la deuxième partie dresse l’état des lieux propre à ce composé juridique qu’est le droit administratif.
Esquissons dès à présent une première caractérisation de notre livre. Il forme un système dont l’unité suppose une combinaison subtile de propriétés contrastées : ainsi est-il d’une extrême rigueur, mais cette qualité ne l’empêche nullement d’être par ailleurs foisonnant ; tout en étant d’une grande actualité, par ses problématiques autant que par la matière juridique qu’il expose, le travail de B. Plessix prend dans l’histoire de l’administration et de son droit de très nombreux appuis ; s’il présente une cartographie du droit administratif français en investissant les ressources de la tradition doctrinale, il ne manque pas pour autant de soumettre cette même tradition à une très personnelle réflexion critique ; enfin, si l’ensemble monumental auquel donnent forme ces 1500 pages de texte est susceptible de trouver place sous la rubrique « manuel », on ne peut s’empêcher de penser que l’entreprise de B. Plessix ne traverse ce genre académique que pour mieux s’en émanciper !
Il ne saurait bien sûr être question, dans les limites du présent travail, de revenir sur chacune de ces propriétés. Un mode de lecture globale s’impose, qui privilégie les grands apports du livre. Ceux-ci sont particulièrement marquants sur le terrain, si sensible, de la méthode. L’usage de ce terme n’est jamais sans risque. Il faut en préciser le mode d’emploi. En l’occurrence, il recevra ici un double sens. Il concerne tout d’abord la manière propre à B. Plessix de faire du droit administratif, c’est à dire de penser cette discipline. Ainsi entendue la méthode concerne donc la science du droit administratif. Retenons cette expression même si l’auteur n’en ferait probablement pas le choix ! Mais la méthode, c’est encore autre chose : elle intéresse aussi, quand elle ne le codifie pas, le mode d’exposition de la matière juridique. La question change alors de registre. Il ne s’agit plus de savoir de quel droit administratif l’auteur nous parle, mais dans quel type de livre ce droit peut trouver un support explicatif. En cette affaire qui relève de la didactique du droit administratif, l’apport de B. Plessix mérite pour le moins commentaire.
« Faire » du droit administratif
S’il est un registre sur lequel notre auteur se distingue, c’est bien celui-là : il est rare qu’un ouvrage se présentant sous la forme d’un « manuel » de droit administratif commence par mettre ses lecteurs en situation de réfléchir sur son programme épistémologique. Car c’est bien cela qui est ici en jeu, sur un mode condensé dans les sept pages de la Préface, de façon plus diluée tout au long de la première partie du volume. B. Plessix prend le temps de décrire ses choix méthodologiques, il s’explique longuement sur ce qu’il délaisse comme sur ce qu’il retient et nous fait assister au processus d’élaboration de ses propres outils intellectuels. Cette manière de procéder qui implique un constant retour sur soi pour mieux rendre visible le tracé d’une pensée en actes n’est guère courante, force est d’en convenir, dans la littérature académique.
Les développements qui suivent ne prétendent pas à une reconstitution fidèle et intégrale de ce programme épistémologique. Ils sont, eux aussi, délibérément, le produit de certains choix, conduisant à relever ceux des points qui, dans le cours de la lecture, me sont apparus – à tort ou raison – comme les plus problématiques. Non pas dans le sens où ils feraient problème, par exemple en raison d’une quelconque insuffisance ou déficience, mais tout simplement parce qu’ils se lisent comme autant d’invitations à la discussion. Une fois accomplie la description de ces éléments programmatiques tels qu’ils nous sont livrés par B. Plessix, la question sera posée de leur usage par l’auteur. Car la distance est réelle entre la démarche revendiquée et celle effectivement mise en œuvre. Or cet écart – et le paradoxe n’est qu’apparent – fait toute la force du livre !
Le programme épistémologique revendiqué par B. Plessix
Tout le travail qu’accomplit B. Plessix dans la première partie de son « manuel » consiste à fonder et conforter une conception du droit administratif parmi d’autres également envisageables, mais dont les bases intellectuelles lui semblent manquer de solidité. Son texte chemine donc entre les différentes entreprises théoriques entre lesquelles la discipline se partage. S’il en relève les insuffisances et les écueils, il y prend aussi tous les appuis nécessaires au tracé d’un parcours original. L’auteur ne se pose surtout pas en spectateur de la doctrine du droit administratif dont il se proposerait de décrire après classement le paysage intellectuel, en y ajoutant par contraste ses marques personnelles. Cette doctrine, il se l’approprie, la fait circuler dans son propre texte pour faire advenir son Droit administratif général. Rendre compte d’une pareille pratique de l’« inter-textualité » ne relève pas de l’évidence ! On tentera de mettre en valeur cette démarche à travers certains des choix théoriques qu’accomplit B. Plessix pour définir une posture bien particulière dans le champ du droit administratif. L’importance ici donnée à ces choix n’a, en l’occurrence, aucun besoin d’une justification particulière : ils font l’objet d’une « exposition » spécifique dès la Préface de l’ouvrage, ce texte-manifeste dont ils constituent même la vraie raison d’être.
S’il faut situer d’un mot la position qu’occupe le livre de B. Plessix sur l’échiquier doctrinal, on dira qu’il est clairement du côté du positivisme, à condition d’ajouter que ce positivisme-là, s’il n’est aucunement douteux, ne s’affirme qu’avec beaucoup de retenue. On pourrait en parler comme d’un positivisme modéré. Cette qualification est des plus sérieuses. Notre auteur ne manque pas de prendre bien vite ses distances avec les formes qu’il juge trop radicales du positivisme kelsénien, comme avec la théorie du réalisme juridique, telle qu’elle a trouvé en France son expression dans les travaux de M. Troper. Plus largement, c’est avec l’idée même d’une science du droit que B. Plessix affiche un franc désaccord. Aux démarches qui s’en réclament, il reproche un trop grand formalisme, une écriture dogmatique étrangère à la vie ordinaire du droit, réduite selon ses termes à « une expérience de laboratoire ». Le juriste qui est à l’œuvre derrière le Droit administratif général se veut d’une autre nature : plus artiste que savant. Son livre, dont la Préface sollicite par deux fois le patronage emblématique de Nietzsche, multiplie d’ailleurs les références à la notion d’art juridique.
Appliquant cette orientation générale au cas spécifique du droit administratif français, B. Plessix se fait, en toute connaissance de cause, promoteur d’une discipline très spécifique, parce qu’indexée sur un objet juridique spécial. Caractérisant la matière constitutive du droit administratif, il prend soin de préciser qu’elle n’est ni tout le droit applicable à l’administration, ni même l’ensemble du droit public auquel cette dernière est soumise. Tel qu’il le pense, « le droit administratif a été construit à travers un prisme contentieux », celui dont le conseil d’État assure le réglage. Ainsi conçu, ce droit est fort de son autonomie, au sens où « il ne comprend que les règles juridiques spéciales et dérogatoires au droit privé en vertu desquelles s’accomplissent des missions spécifiques… ». Autant de thèses qui font découvrir la place qu’occupe B. Plessix dans le débat épistémologique relatif au droit administratif français : il se range ici manifestement aux côtés de G. Vedel dans la longue controverse qui l’opposa à C. Eisenmann à propos des bases constitutionnelles du droit administratif.
Il me faut faire retour sur la notion d’autonomie déjà soulignée plus haut. Notre « manuel » en fait une sorte de matrice intellectuelle générant des développements multiples. L’auteur l’installe dans un champ sémantique où elle entre en résonance constante avec les notions connexes de spécificité et de spécialité notamment. Ce champ, il le construit au terme d’un processus de sélection : son cheminement se dessine à travers trois grands refus qui caractérisent une façon bien particulière de faire aujourd’hui du droit administratif. Pour donner à ce savoir toute son autonomie, le juriste doit le mettre à l’abri des risques de l’hybridation, et, selon B. Plessix, ces risques sont susceptibles de prendre trois formes : celle de l’interdisciplinarité dont il va jusqu’à dénoncer la « tyrannie », celle du comparatisme dont la logique même ne saurait être considérée comme une nécessité là où il s’agit de caractériser le seul système juridique de l’administration française, celle enfin du politique dont l’invocation ne prendrait sens qu’en dehors du champ de la juridicité. Bref, pour l’auteur, « faire » du droit administratif c’est l’appréhender tout entier dans sa pleine autonomie disciplinaire, en se gardant de toutes ces tentations, stimulées par les modes intellectuelles, qui poussent à dissoudre la matière juridique dans la configuration générale à laquelle elle appartient.
Voilà qui semble donc nous mener tout droit à la formulation d’un jugement global du type : c’est fort de cette orientation épistémologique que B. Plessix propose un Droit administratif général on ne peut plus convaincant. Reste que l’analyse du livre met le lecteur face à une situation autrement complexe. C’est que le programme d’autonomisation du droit administratif qu’il revendique n’est pas franchement celui de l’auteur ! Dans son livre B. Plessix ne manque jamais l’occasion de tisser des liens avec d’autres disciplines, de même qu’il multiplie les comparaisons et ne se prive nullement de parler politique. Il fait donc lui-même la démonstration, et elle est en l’occurrence spécialement éloquente, que le droit administratif n’est pas, parce qu’il ne peut pas l’être, réductible… à lui-même !
Le programme épistémologique décliné par B. Plessix
Il y a au principe même du travail examiné ici une pratique de la transgression qui en fait tout l’intérêt : l’auteur élabore une démarche tout en donnant les preuves qu’il lui faut penser contre elle ; il en vient dans le cours de sa réflexion à défendre les thèses dont il estime qu’il est nécessaire de se déprendre. Il leur confère du même coup une force propre qu’il est difficile d’imputer aux modes intellectuelles de l’époque ou aux présupposés idéologiques de la doctrine qu’il vise. Regardons d’un peu plus près les trois grands refus par lesquels B. Plessix construit son identité intellectuelle.
a) Il en est ainsi pour l’interdisciplinarité : s’il annonce d’emblée devoir penser contre elle son droit administratif, c’est pourtant bien avec elle qu’il le fait. Son texte donne tous les éléments justifiant que l’on puisse pratiquer l’interdisciplinarité sans pour autant édulcorer l’expérience vivante du droit administratif, dans ce qu’elle a de plus singulier et d’irréductible. Voilà un « manuel » dont l’auteur dit la nécessité de se détourner de l’interdisciplinarité pour mieux nous y plonger. Le positivisme qui s’y expose a ses propres exigences : le droit qu’il informe ne se résume pas au système institué des règles dont le juriste doit assurer la description, il est encore un instrument d’analyse d’une réalité travaillée par la juridicité. On comprend alors pourquoi l’interdisciplinarité se fait nécessité. Comme l’écrit A. Supiot : « Pour être féconde l’analyse juridique ne doit donc se fermer ni à l’univers des faits, ni au ciel des valeurs, ni au monde des formes. Autrement dit, elle ne doit pas confondre objectivité et autosuffisance ». Loin de contribuer à on ne sait quelle entreprise de dissolution du droit, la pratique de l’interdisciplinarité permet au juriste d’éclairer le juridique de l’extérieur, pour mieux y faire retour après l’avoir enrichi par l’usage d’autres « points de vue ». Prenons, parmi bien d’autres exemples, le traitement en termes juridiques de l’approfondissement des politiques de décentralisation. Ici peut-être plus qu’ailleurs les juristes peuvent trouver dans le travail des sociologues de l’action publique territoriale des éléments de lecture qui valent pour le droit lui-même. B. Plessix en convient d’ailleurs lui-même qui, soulignant les limites de l’analyse juridique appliquée à l’administration des territoires, ouvre ses développements aux enseignements de la science politique.
b) Il en va de même avec le comparatisme. On peut parfaitement comprendre les réserves et les scrupules d’un auteur soucieux d’organiser son projet autour du seul cas du droit administratif français. Il serait plus difficile de le suivre si d’aventure il procédait à l’exécution scrupuleuse d’un pareil programme. Mais là encore, et on voit mal comment lui en tenir grief, il fait tout autre chose, soulignant les mérites du travail des comparatistes et multipliant lui-même les recours à la comparaison. Le déni du comparatisme serait en effet aujourd’hui un bien étrange pari : la thèse de l’ancrage national et de la résilience des cultures juridiques est quelque peu malmenée par la globalisation comme par l’européanisation de l’action publique. Le droit n’est pas épargné par les phénomènes de dé-territorialisation. Et, c’est ce mouvement-là qui crée des conditions de possibilité favorables à une nouvelle problématique de la comparaison. Insistons : il ne s’agit pas de céder à une mode quelconque, en célébrant une forme de comparatisme obligé, mais d’adapter les méthodes du droit à des processus structurels qui ébranlent l’ancrage territorial des pratiques juridiques. Pour le dire à la manière de P. Legendre, c’est la question même du nationalisme de notre système juridique qui est ainsi relancée. Mais notre auteur n’en ignore rien, dont le livre fourmille d’exemples où tout l’intérêt du comparatisme se démontre.
c) Reste le troisième des choix méthodologiques affichés en amont du Droit administratif général : soit une volonté, sans cesse réaffirmée, d’en préserver l’autonomie en le tenant à l’abri des dérives politiques qui le menacent. Alors que, sous l’influence des sciences sociales, le droit administratif tendrait de plus en plus à fonctionner comme une « discipline tiraillée entre le droit politique et la science administrative », l’ambition de B. Plessix est de le rétablir dans sa pleine juridicité, c’est à dire de le considérer comme « une matière autonome, stable, authentiquement juridique ». Le texte qui nous est donné à lire confirme-t-il cette position de principe ? Force est de donner une réponse clairement négative à cette question. Écrit contre les égarements politiques d’une certaine doctrine de droit public, le « manuel » qui est pris pour objet du présent exercice se présente lui-même comme une production politique. La force du livre n’est d’ailleurs pas étrangère – faut-il l’ajouter ? – à cette caractérisation.
Contrairement à la thèse qu’il affirme porter, à savoir la défense d’un pur programme juridique de connaissance du droit administratif, B. Plessix est fatalement conduit à parler de politique. La topographie disciplinaire dont il se prévaut relève de l’imaginaire, de son imaginaire. Mais à travers son écriture juridique c’est bien une réalité politique qu’il décrit. Une fois de plus les travaux de C. Eisenmann, notamment lorsqu’il interroge la contribution de Kelsen aux sciences du droit, s’avèrent ici d’un grand secours. Retenons ces quelques observations. Placé sous leur éclairage notre problème semble bien trouver une solution :
… je pense que les problèmes du droit positif ne sont pas les seuls problèmes juridiques ; et je n’accepterais pas la proposition que norme juridique implique en soi positivité ; c’est seulement à l’idée de norme juridique valable dans une société donnée que ce caractère de positivité est inhérent, à mon avis. La constitution de l’armature intellectuelle des Sciences du droit, des concepts-cadres est essentiellement affaire de la “Science normative”. Mais quand il s’agit de comprendre un ordre juridique concret, c’est-à-dire l’ordre juridique d’une Société donnée et des rapports entre ordres juridiques concrets, le point de vue “extra-normatif” est indispensable. Et, enfin, comment le juriste pourrait-il ne pas se réjouir si la connaissance des faits relatifs au droit progressait sérieusement ? ».
Allant au terme de cette logique G. Timsit est parfaitement fondé à faire valoir que « La théorie pure du droit n’exclut donc nullement que le juriste puisse être, du même mouvement et parce que précisément il est juriste, politiste également ». C’est que, poursuit l’auteur, selon Eisenmann, « la science juridique est bien l’une des sciences politiques ».
Or, cette problématique est bien celle que développe B. Plessix. Quoi qu’il en dise, il traite du droit administratif comme d’un droit politique. Son refus de considérer ce droit comme une œuvre politique ne l’empêche nullement d’en faire apparaître la nature profondément politique. S’il en fallait une preuve parmi d’autres, l’analyse de son vocabulaire la produirait d’emblée : il en va ainsi de l’usage systématique des termes d’État et de Pouvoir que la science politique s’emploie à croiser pour penser son propre objet. Mais l’usage récurrent des notions d’idéologie ou de comportements idéologiques contribue également à « tirer » l’analyse du droit sur le terrain du politique. Aucune de ces constatations ne saurait provoquer l’étonnement : le droit administratif fait partie de ces « objets » par lesquels le pouvoir s’exprime et s’exerce, en le rendant tout à la fois audible et visible. Tout cela peut parfaitement se dire à la manière de B. Plessix, par exemple comme ceci :
Si le droit administratif s’est doté de principes généraux non écrits, ce n’est pas pour combler des lacunes, mais parce qu’il a fallu organiser le multiple, structurer le détail, simplifier le complexe, en vue d’une meilleure soumission du Pouvoir au Droit, plus lisible pour l’Administration, plus protectrice pour les administrés.
Telles sont, à mes yeux, les principales exigences méthodologiques auxquelles B. Plessix a dû répondre pour tracer un chemin original dans le champ encombré et disputé du droit administratif. Le travail d’auto-réflexion qu’il a réalisé pour mettre ses lecteurs en situation de suivre la production « en train de se faire » de son Droit administratif général est assurément l’une des grandes leçons de son ouvrage. Mais il en est une autre : l’auteur se distingue encore par une manière tout à fait personnelle d’exposer les résultats de sa recherche. Il nous invite en cela à un questionnement sur la notion même de manuel comme sur le statut de ce genre académique.
Exposer le droit administratif
En publiant son ouvrage dans la collection « Manuel » bien connue des éditions LexisNexis, B. Plessix ne manque pas de s’exposer lui-même – mais il le fait bien sûr à dessein – à certaines interrogations qu’il ne faudrait surtout pas considérer comme convenues. Car, et c’est bien le moins qu’on puisse en dire, son travail peut difficilement se lire comme s’il ne s’agissait que d’un manuel parmi d’autres. Admettons que ce livre savant serve aussi d’enveloppe à un manuel – et, après tout, la deuxième partie de l’ouvrage en emprunte aussi les modes habituels de conception, les grands thèmes ainsi que l’organisation générale du propos –, il n’en crée pas moins son propre genre, tant il pratique l’écart vis-à-vis des codes académiques ordinairement mis en œuvre. Si l’auteur n’ignore rien de ces codes, il sait en jouer pour mieux les tenir à distance. Cette prise de distance voulue à l’égard du modèle d’écriture juridique que constitue le manuel dans les Facultés de droit, est doublement perceptible : elle est marquée tout à la fois dans les formes que sollicite le texte et dans les contenus ainsi mis en forme.
Formes
Cette rubrique pourrait se prêter à d’amples développements, car B. Plessix construit aussi son identité intellectuelle à partir des formes qu’il donne à son discours : celles dont il hérite de la tradition doctrinale tout en les interprétant souvent à sa manière, et celles qu’il fabrique pour assurer la « mise en scène » de son texte. Je m’en tiendrai à des observations de deux types, relatives à deux des modes de distinction grâce auxquels le Droit administratif général examiné ici renouvelle le genre du manuel : les unes concernent la présentation matérielle des développements, les autres le ton retenu pour les faire entendre.
La présentation matérielle du texte
B. Plessix n’est certes pas le seul à exploiter les ressources offertes par la police de l’écriture. Mais il y a dans son livre un jeu entre petits et grands caractères qui est organisé à des fins bien particulières. Il ne s’agit pas simplement, comme cela est bien souvent le cas, soit de marquer la différence entre ce que l’auteur tient pour essentiel et ce qui l’est moins, soit d’enrichir le propos général d’observations ou de références complémentaires. Derrière ces jeux codés de l’écriture, c’est un projet théorique qui trouve une expression formelle. Dans les très nombreux passages en petits caractères de son ouvrage, B. Plessix ouvre avec ses lecteurs quantité de boîtes de dialogue. À bien y regarder, elles sont de deux ordres : les unes permettent le débat avec cette doctrine dominante dont l’auteur partage fondamentalement les vues ; les autres servent de cadre pour la discussion avec les doctrines dont il réfute les thèses.
Tout en se reconnaissant dans l’univers mental d’une certaine doctrine du droit administratif, B. Plessix n’engage pas moins dans son livre la discussion avec ses représentants. Ici il n’est pas tant question de désaccord(s) que d’une sorte d’insatisfaction intellectuelle. Il relève des insuffisances, complète, enrichit et met en situation. Ce faisant, il désigne les limites d’une manière traditionnelle d’écrire sur le droit positif, qu’il contribue ainsi à faire plus ou moins bouger et à déplacer. De cette façon de procéder, son livre donne de multiples applications. Ainsi est-il noté, dans un long paragraphe intitulé « Grandeur et décadence de la loi ? » :
En réalité, les juristes contemporains font preuve d’une attitude paradoxale : épris de modernité, soucieux d’explorer les voies nouvelles de la régulation juridique, en lutte contre leurs ancêtres et contre toute science du droit étroitement réduite à la lecture fétichiste des textes, ils dénoncent les maux de la loi moderne en la jaugeant à l’aune de la vision idéalisée de la loi qu’ils condamnent par ailleurs. Pour mieux se désoler du triste sort de la loi, ils exploitent la vision d’une loi rationaliste et formaliste ; ils vivent paradoxalement dans la nostalgie du temps mythique de la loi, telle que l’avait seul rêvée Rousseau ou les juristes épris de géométrie.
C’est au même genre d’opération intellectuelle que procède B. Plessix pour répondre à la question « D’où viennent les principes jurisprudentiels ? ». Il s’emploie à souligner les limites et insuffisances des deux grands types de réponse qui s’opposent sur le sujet :
il apparaît plus utile de s’écarter d’une réflexion abstraite et d’adopter une méthode concrète et contextualiste propre à chaque matière juridique et à chaque système judiciaire au nom de l’idée que toutes les juridictions n’occupent pas la même place dans un système institutionnel et que le droit positif ne leur confie pas les mêmes missions. Or, dans le cas du droit applicable à l’Administration, plusieurs facteurs propres au système administratif français éclairent en effet les raisons singulières qui, même au sein d’un ordre juridique légaliste, justifient en l’espèce le pouvoir normatif du juge. De sorte que le cas particulier du droit administratif ne remet pas en cause le sort d’autres droits et d’autres juges nationaux.
Là où B. Plessix s’affirme clairement en opposition avec des auteurs dont son texte sollicite pourtant les travaux, quelque chose d’autre et d’essentiel se joue : l’auteur a commencé par rappeler, et il l’a fait en l’occurrence en usant des gros caractères, la tradition doctrinale dont il se réclame. Mais il n’ignore rien de la littérature qui sur le même sujet s’est construite en empruntant d’autres chemins de pensée. Cette autre littérature est présentée aux lecteurs en petits caractères. La force du travail de B. Plessix et, disons-le, sa rareté, est là aussi : elle sait faire entendre les thèses minoritaires, dissonantes, en les associant en quelque sorte au discours majeur. Tout se passe donc comme si l’auteur du Droit administratif général organisait lui-même les conditions qui vont rendre possible la critique de son propre travail, tout en s’appropriant par avance (matériellement s’entend) cette critique devenue matière à part entière du manuel.
Le ton de l’ouvrage
Dans une réalisation aussi codée que peut l’être l’écriture d’un manuel, cette question du ton n’a rien d’accessoire. Les modes de réponse que lui donne B. Plessix participent pleinement de ces déviations qu’il fait subir aux pratiques doctrinales les plus consacrées. La problématique du ton – mais on pourrait aussi parler de tonalité – est susceptible d’être abordée de deux façons certes différentes, mais qui sont toutes deux également porteuses d’une volonté de renouvellement – terme dont on admettra sans mal l’emploi par euphémisme – du genre « manuel ».
Il y a tout d’abord ce fait notable que l’auteur s’adresse à ses lecteurs à la première personne du singulier. Il dit « je », au lieu d’intervenir, comme cela semble devoir se faire, sur un ton impersonnel, à la manière d’un agent neutre, tenant lieu de porte-voix anonyme pour le compte d’un droit en train de se dire ou de se raconter. L’originalité du texte de B. Plessix, c’est aussi cela : le refus du procédé rhétorique de l’objectivation auquel bien des auteurs de manuel ont recours, comme pour mieux s’effacer derrière le droit qui s’impose à eux et qu’ils n’auraient donc plus qu’à décrire. Ici, rien de tel. B. Plessix refuse de considérer le droit administratif comme un ensemble de données juridiques prêtes à la description. Rien n’est pour lui donné par avance. Il lui faut choisir, et choisir encore, pour faire advenir l’objet dénommé « droit administratif ». Tout cela nous est même annoncé par anticipation, dans une Préface dont on a dit plusieurs fois l’importance et qui a valeur d’avertissement. L’auteur emprunte cette forme où il se met en position d’autoréflexion sur l’élaboration de son livre, au lieu de chercher à se maintenir hors de lui-même pour mieux décrire son objet, puisque l’objectivité dépendrait tout entière du succès de cette tentative.
Viennent ensuite les moyens dont se dote B. Plessix pour se démarquer de ce qu’il considère comme une véritable doxa. Il en est ainsi d’une certaine forme d’ironie, rarement pratiquée dans le genre « manuel », où la distance critique par rapport à la matière exposée – qu’il s’agisse du droit positif et de ses lectures doctrinales – n’est guère tenue pour une ressource sérieusement exploitable. Or, il y a dans notre Droit administratif général comme une réaction, un rien ironique, contre un trop grand sérieux académique. Cette proposition mérite sans doute commentaire : elle ne signifie nullement qu’il ne faudrait pas prendre le droit administratif au sérieux, mais énonce qu’il faut se méfier d’interprétations inappropriées, dès lors qu’à force de se vouloir scientifiques, elles finissent par ignorer la part de jeu – dans les deux sens de ce mot – ou de bricolage qui entre aussi dans la pratique juridique. B. Plessix n’a sûrement pas tort d’insister sur ce qu’il y a d’indéterminé dans la constitution même du droit administratif. Elle est indissociable de l’inconsistance juridique de certaines de ses catégories (pensons à ce qu’il en est de l’administration ou de l’entreprise publique par exemple), ou de ce que l’auteur appelle, non sans un peu de provocation, « la sage et belle indécision de la langue juridique ». Sans doute pourrait-on faire entrer dans la même rubrique – celle de l’ironie – les prises de distance de B. Plessix à l’égard des nombreux récits qui alimentent les lieux communs de la discipline, qu’ils relèvent de sa vieille histoire – ainsi de ce mythe inusable de la crise du droit administratif – ou des formes qu’elle est en train de prendre sous les effets convergents de l’analyse économique du droit et/ou des injonctions managériales.
À ce traitement ironique de ce que certains prismes de lecture doctrinaux font voir du droit administratif, s’ajoutent dans le texte les réactions agacées de l’auteur face à des thèses qui lui semblent provenir de l’« air du temps » plus que d’une analyse rigoureuse du droit positif. L’ouvrage plonge alors dans l’histoire du droit administratif en train de se faire, afin d’en déconstruire préjugés et idées fausses, tout ce que B. Plessix qualifie d’idéologie. Pareil engagement ne peut que rencontrer l’approbation. Sauf lorsque son souci d’échapper à la pensée qu’il tient pour convenue l’entraîne à des affirmations trop manifestement « rageuses » pour n’être pas discutables. On en veut pour preuve ces remarques pour le moins inattendues de la part d’un si grand connaisseur de notre système juridique : « Les juristes, comme tout le monde, ont la mémoire courte : ceux d’aujourd’hui, de nouveau imbus d’idéologies dans le vent, croient que le recul de l’État providence au profit du néolibéralisme traduit cette fois une privatisation du droit public ». Il vaut la peine de s’arrêter un instant sur ce jugement parce qu’il montre à quel point la situation actuelle du droit administratif s’offre à des interprétations contrastées. Il est surtout la preuve en acte qu’il ne suffit pas d’invoquer l’idéologie à l’œuvre dans la doctrine pour s’en libérer. Ici l’agacement face à une certaine critique du néolibéralisme, assimilée pour l’occasion à la doxa – ce dont il est tout de même permis de douter ! – conduit à l’adoption d’une position juridique difficilement tenable. La thèse selon laquelle on assiste depuis le milieu des années 1970 à une réduction tendancielle de l’espace social régi par le droit public ne peut être considérée comme un simple effet de mode porté par des « idéologies dans le vent ». La redistribution de l’espace juridique dans lequel évolue l’administration au bénéfice du droit commun constitue un phénomène juridique fort bien documenté. Les succès matériels et intellectuels du néolibéralisme ont bien eu pour contrepartie juridique le rétrécissement de la sphère publique au détriment de la sphère privée, et les critiques libérales du droit administratif – et celles que portent les administrativistes français vont évidemment dans le même sens – concernent d’abord et avant tout le surdimensionnement du droit exorbitant du droit commun. La privatisation juridique des fonctions administratives est bien le résultat recherché de choix préférentiels. Ces derniers occupent d’ailleurs, notons-le, une bonne part de l’enseignement actuel du droit administratif : tout cela qui, d’une manière ou d’une autre, relève de plus en plus, de ce qu’on appelle l’externalisation de l’action publique. Certes, il faut compter avec la forte singularité de l’histoire étatique française et le pouvoir de résilience du droit administratif lié à l’existence d’un conseil d’État déterminé à n’être pas dépossédé de son champ de compétence ; certes, la sollicitation banalisée d’opérateurs privés ne se traduit pas mécaniquement par l’emploi du droit commun, mais rien de tout cela ne vaut inversion du mouvement dominant, celui d’une incontestable privatisation du droit administratif.
Consacrées au ton du travail produit par B. Plessix, ces dernières remarques nous portent insensiblement à l’examen des contenus originaux que l’auteur donne à son « manuel ».
Contenus
J’entends ici par « contenus » le montage intellectuel du livre. Avec lui s’expose en effet une manière d’élaborer le droit administratif dont on peut dire qu’elle n’est guère recherchée par les auteurs qui ont marqué et continuent de marquer le genre manuel. Les brefs développements qu’on va lire ne prennent pas précisément pour objet l’exposé stricto sensu des règles constitutives du droit administratif auquel se livre B. Plessix. Ils se donnent pour raison la réflexion très personnelle qu’il poursuit à propos des fondements conceptuels de la discipline. Au lieu de s’en tenir à l’analyse du mouvement qui constitue le droit administratif, l’auteur se met en quête de ses fondements et de ses ressorts intellectuels. C’est dans le cours de cette entreprise qu’il accomplit ses écarts les plus manifestes par rapport à la tradition académique et qu’il produit un manuel « hors les codes ».
La logique d’un pareil projet n’a rien d’évident. On doit pour l’appréhender imaginer la situation dans laquelle se trouve immanquablement placé tout auteur lorsqu’il conçoit un manuel. Il est alors confronté à la nécessité de choisir entre deux modèles théoriques. Avec la première manière, il suppose que le droit administratif constitue un ensemble de données immédiatement perceptibles et s’imposant d’elles-mêmes. Son objectif est alors assimilable à celui d’un photographe : donner la meilleure image possible d’une réalité déjà là. Il lui appartient de s’en saisir pour la rendre intelligible. Et, pour cela, il y a des grilles de lecture, des codes qui ont fait leurs preuves. Telle est, en pareille hypothèse, la fonction du manuel : reproduire la réalité juridique, en y « touchant » le moins possible, afin de la rendre accessible. Avec la deuxième hypothèse, on change de monde ! Elle implique de considérer le droit administratif comme une production intellectuelle à part entière. L’accès à la matière juridique n’est, ici, jamais direct; il passe par l’élaboration préalable d’outils théoriques. Leur maniement conditionne l’approche du droit administratif. On ne s’étonnera donc pas si ce dernier porte les marques de celui qui le produit.
En tant que discipline universitaire, le droit administratif est travaillé par les tensions auxquelles le soumettent ces deux grands modèles. Alors même qu’ils développent des forces très inégales. Invoquant, tout à fait légitimement, le souci pédagogique, la plupart des auteurs de manuel font, on le sait, le choix d’une présentation de type narratif du droit administratif. Il faut comprendre par là qu’ils s’abstiennent d’entrer - ils le font bien sûr volontairement - dans le système aléatoire de production du droit administratif. L’argument avancé pour soutenir cette attitude est, pour le caractériser d’un mot, celui de la naturalisation : c’est dire que le droit administratif préexiste toujours à l’auteur qui en propose la mise en ordre. La grande question méthodologique à laquelle il se trouve confronté – on reconnaîtra bien volontiers qu’elle n’est pas mince ! - concerne le mode de description à développer, car, en tout état de cause, la matière est déjà là, qui attend d’être exposée. La voie empruntée par B. Plessix est tout autre. Plutôt que de se livrer à un travail exclusif et se suffisant à lui-même de reproduction ou de représentation du droit administratif, il fait le choix de la construction. Disons que l’auteur en prend le risque : il lui faut en effet s’exposer, à partir du moment où, ne prétendant plus reproduire un objet réputé déjà là, il décide de le construire, en choisissant ses matériaux. Son manuel se présente comme une œuvre qui s’accomplit à partir de choix subjectifs, montrant du même coup qu’il existe plusieurs manières de faire advenir le « droit administratif ».
La leçon est d’importance : il n’y a plus un droit administratif qui relèverait de la nécessité – et dont il reste à assurer la description. Son identité ne peut qu’être contingente, car tributaire des choix de celui qui l’élabore. On comprend qu’un ouvrage d’« initiation » au droit administratif comme celui-là, conçu selon les exigences de ce modèle, puisse, de prime abord, déconcerter. C’est qu’au principe même du genre « manuel » se trouve un paradoxe : plus est important l’investissement théorique de l’auteur, plus est grande l’inquiétude sur l’efficacité pédagogique de son livre. Voilà qui éclaire peut-être – mais il faudrait pour défendre sérieusement cette thèse engager des investigations qui, avouons-le, font ici défaut – le fait institutionnel suivant : la didactique du droit administratif français s’est largement fabriquée en marge de la théorie, sinon contre elle. Et, dans cette perspective, faire du droit administratif revient fatalement à décrire un objet réputé « prêt à l’emploi ». On s’en doute, cet exercice de description qui peut s’avérer, lui aussi, plus ou moins exigeant, est informé par des choix théoriques, même lorsqu’ils concernent des auteurs qui estiment pouvoir s’en dispenser ! Mais qu’importe, puisque prévaut largement cette idée que le travail juridique de description du droit ne pourrait être donné comme objectif qu’à la condition d’être soustrait à la contingence d’une orientation théorique. Le Droit administratif général de B. Plessix obéit à une tout autre logique : dans ce livre où plusieurs voix se font entendre, le travail théorique est pleinement revendiqué, qui porte jusque sur les opérations de description et de catégorisation du matériau juridique.
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Impossible de mettre en doute l’importance de l’ouvrage dont le compte-rendu – il en est quantité d’autres envisageables ! - vient d’être proposé ci-dessus. Pour le droit administratif – mais sa portée ne manquera pas de s’étendre au-delà des contours de son champ académique – dont il transforme les codes d’écriture, il agit comme le ferait une « machine à trier ». Avec lui, une sorte de grand ménage pourrait bien se faire : d’un côté, il y aurait tout ce qui résiste tant bien que mal à sa lecture renouvelée de la discipline, de l’autre côté ce que son avènement aurait rendu caduc, sinon inapproprié.
Au regard du travail réalisé par B. Plessix, chacun est en mesure de se livrer à une auto-évaluation. À titre personnel, car je vois mal comment échapper à la logique de ce bilan intellectuel, le Droit administratif général m’oblige, pour le moins, à une double interrogation sur de très vieilles « croyances ». La première concerne le statut même du genre « manuel » : non pas tel ou tel ouvrage en particulier, qui se présente à ce titre ou sous ce label, mais le genre lui-même, en tant qu’il est devenu l’expression institutionnellement consacrée de ce qu’est ou doit être aujourd’hui une discipline universitaire. Le livre que B. Plessix propose à notre lecture ouvre vraiment de nouvelles perspectives didactiques. Et c’est bien le moins qu’on puisse en dire. Avec lui, le droit administratif cesse d’être une matière très largement pré-jugée, il doit la faire advenir avant d’en entreprendre l’exposition méthodique. Ce cheminement est celui qu’organise le plan de l’ouvrage, qui présente les Éléments du droit administratif avant d’en décrire les Institutes.
Quant à la deuxième interrogation, elle porte sur ce qu’il en est aujourd’hui du positivisme des juristes de doctrine. Celui de B. Plessix – car, comme on le sait, l’auteur fait état de ses préférences pour ce courant de pensée – donne lieu à une pratique plutôt singulière : il va de pair avec un travail incessant de contextualisation du droit. Du coup, c’est une tout autre histoire qui s’annonce : sommes-nous ici toujours confrontés à la logique du positivisme ?
Jacques Caillosse
Professeur émérite de l’Université Panthéon-Assas, CERSA/CNRS. Il est notamment l’auteur de La constitution imaginaire de l’administration, Paris, PUF, coll. « Les voies du droit », 2008 ; Les mises en scène juridiques de la décentralisation. La question du territoire en droit public français, Paris, LGDJ, coll. « Droit et société », Paris, 2009 ; L’État du droit administratif, Paris, LGDJ, coll. « Droit et société », Paris, 2015 (2e éd. 2017, avec une Postface).
Pour citer cet article :
Jacques Caillosse « Un « manuel » hors les codes. À propos du Droit administratif général de Benoît Plessix », Jus Politicum, n°21 [https://juspoliticum.com/articles/Un-manuel-hors-les-codes-A-propos-du-Droit-administratif-general-de-Benoit-Plessix]