Glossip et al. v. Gross et al. No. 14-7955, 576 U.S. (2015) - Opinion concordante
Glossip et al. v. Gross et al. No. 14-7955, 576 U.S. (2015) - Opinion concordante.
Glossip et al. v. Gross et al. No. 14-7955, 576 U.S. (2015) - Concurring Opinion. Original French translation by Wanda Mastor.
Traduction inédite par Wanda Mastor
Opinion concordante du juge Scalia à laquelle adhère le juge Thomas
Je rejoins l’opinion de la Cour, et écris pour répondre au plaidoyer du juge Breyer pour l’abolition judiciaire de la peine de mort.
Bienvenue dans un jour sans fin (welcome to Groundhog Day). La scène est familière : les requérants, condamnés à mourir pour les crimes qu’ils ont commis (dont, pour le cas de l’un d’entre eux, le viol et le meurtre d’un bébé âgé de 11 mois), viennent devant cette Cour pour nous demander d’annuler leurs condamnations au motif qu’elles sont « cruelles et exceptionnelles » en vertu du Huitième amendement. Ils s’appuient sur cette disposition parce qu’elle est l’unique sur laquelle ils peuvent s’appuyer. Ils ont été inculpés de meurtre par un État souverain. Ils ont bénéficié d’une défense et ont été jugés par leurs pairs – à deux reprises, une fois pour juger s’ils étaient coupables et une autre pour déterminer si la mort était la sentence appropriée. Ils furent déclarés coupables et condamnés. Ils obtinrent le droit de faire appel et de demander l’allègement de la peine, d’abord devant l’État puis devant la Cour fédérale. Et maintenant, reconnaissant que leurs condamnations sont incontestables, ils espèrent notre clémence, comme s’il nous appartenait de la donner.
La réponse est également familière : une minorité bruyante de la Cour, agitant au-dessus de sa tête une rame des études abolitionnistes les plus récentes (un genre surabondant) comme s’il avait découvert les folios perdus de Shakespeare, insiste sur le fait que maintenant, enfin, la peine de mort doit être abolie pour de bon. Rappelez-vous que pas une fois dans l’histoire de la République américaine cette Cour n’a suggéré que la peine de mort était absolument inacceptable. La raison est évidente : il est impossible de juger inconstitutionnel ce que la Constitution prévoit de manière explicite. Le Cinquième amendement dispose que « Nul ne sera tenu de répondre d’un crime capital ou infamant sans un acte de mise en accusation, spontané ou provoqué, d’un grand jury », et nul ne sera « privé de sa vie […] sans procédure légale régulière ». Le juge Breyer joue néanmoins aujourd’hui le rôle des abolitionnistes dans ce drame éternel, arguant que le texte de la Constitution et deux siècles d’histoire doivent céder devant ses « vingt ans d’expérience de cette Cour », et invitant à un état des lieux complet sur la validité de la peine capitale.
Historiquement, le Huitième amendement fut compris comme l’interdiction exclusive des châtiments qui ajoutaient de « la terreur, la souffrance, ou le déshonneur » à une condamnation à mort par ailleurs valide. Plutôt que de s’encombrer de ce troublant détail, le juge Breyer choisit de tordre le texte constitutionnel. Redéfinissant le terme « cruel » au sens de « non fiable », « arbitraire », ou engendrant des « délais excessifs », et celui d’« exceptionnel » comme signifiant « la baisse de l’utilisation », il continue d’offrir une page blanche exempte de tout argument juridique sérieux.
Même en acceptant la réécriture du Huitième amendement par le juge Breyer, son argument est rempli de contradictions internes et (ce doit être dit) est un charabia. Il dit que la peine de mort est cruelle parce qu’elle n’est pas fiable ; mais ce sont les condamnations, et non les châtiments, qui ne sont le pas. En outre, la « pression sur la police, les procureurs, et les jurés pour obtenir une condamnation » dont il estime qu’elle accroît le risque de condamnations arbitraires dans des affaires de peines capitales, découle de la nature du crime, pas de la peine qui suit sa commission. Le juge Breyer le reconnaît d’ailleurs : « les crimes en cause dans les affaires de peine capitale sont typiquement des meurtres horribles, accompagnés d’une forte pression sociale ». Cette même pression pourrait exister, de même que le risque de condamnations erronées, si les horribles affaires de peine capitale étaient converties en de toutes autres horribles affaires de prison à perpétuité incompressible. La réalité est que tout défendeur innocent est infiniment dans de meilleures conditions pour faire appel d’une condamnation à mort plutôt que d’une condamnation à la perpétuité (point que reconnaît encore le juge Breyer : « les tribunaux (ou les Gouverneurs des États) sont cent trente fois plus enclins à disculper un défendant quand la peine de mort est en cause »). Le condamné à mort obtiendra une assistance infinie de la part du lobby abolitionniste (et du favoritisme de la part des juges abolitionnistes), pendant que le condamné à perpétuité languit incognito derrière les barreaux.
Le juge Breyer dit ensuite que la peine de mort est cruelle parce qu’elle est arbitraire. Pour prouver ce point, il évoque une étude de 205 affaires qui « ont mesuré la “monstruosité” du comportement du meurtrier » par « un système de mesures », et « a comparé ladite monstruosité du comportement des 9 meurtriers condamnés à mort à celle des 196 cas restants (qui ne furent pas condamnés à mort) ». Si seulement Aristote, Thomas d’Aquin et Hume savaient que la philosophie morale pouvait être si soigneusement distillée dans un « système de mesures » compilé au format d’un vade mecum ! Bien sûr elle ne le peut pas : la monstruosité est un jugement moral susceptible de peu de règles absolues. Plus important, la monstruosité du crime est seulement l’un des nombreux facteurs qui rendent le châtiment juste –culpabilité, capacité de réhabilitation, et besoin de la dissuasion sont également essentiels.
C’est pourquoi cette Cour a exigé la prise en compte individualisée de toutes les circonstances atténuantes, plutôt que l’application stéréotypée de quelque test de monstruosité.
C’est parce que ces questions sont contextuelles et ne reçoivent pas de réponses simples que nous faisons confiance aux jurys pour rendre des jugements sur les personnes et les crimes qu’ils ont à connaître. Le fait que ces jugements peuvent varier d’un cas à l’autre est une conséquence inévitable du procès par un jury, qui est la pierre angulaire de la procédure juridique anglo-américaine. Mais quand un châtiment est autorisé par la loi – si vous tuez vous êtes passible de la mort –, le fait que certains défendeurs obtiennent la clémence de leur jury ne rend pas plus le châtiment sous-jacent « cruel » que le fait que certains coupables ne sont jamais arrêtés, jamais jugés, sont acquittés ou pardonnés.
La troisième raison pour laquelle le juge Breyer considère la peine de mort cruelle est qu’elle entraîne un retard, et que par conséquent (1) elle oblige les détenus à rester dans le couloir de la mort pendant de longues périodes et (2) porte atteinte aux justifications pénologiques de la peine de mort. Le premier point est un non-sens. La perpétuité incompressible est une période bien plus longue que l’attente dans le couloir de la mort ; et si l’objection est que ledit couloir est un environnement plus confiné, la solution pourrait être de modifier ce dernier plutôt que d’abolir la peine de mort. Il en va de même pour l’argument selon lequel le délai porterait atteinte à la logique pénologique de la peine capitale : en insistant sur le fait que « la plus importante alternative à la peine capitale – à savoir la perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle – neutralise tout autant », le juge Breyer oublie apparemment que l’un des plaignants dans cette affaire était déjà en prison quand il a commis le meurtre qui l’a conduit dans le couloir de la mort. Le juge Breyer affirme en outre que « tout intérêt pour la punition ne peut en aucun cas être satisfait par la peine de mort telle qu’elle est actuellement administrée, que cet intérêt peut être presque aussi bien contenté par la prison à perpétuité incompressible ». Mon Dieu. S’il pense que la peine de mort n’est pas beaucoup plus sévère (et donc pas beaucoup plus punitive), pourquoi est-il si désireux de s’en débarrasser ? Avec tout mon respect, le fait de savoir si la peine de mort et l’emprisonnement à vie constituent un châtiment plus ou moins équivalent est une question nettement supérieure à celle de la rémunération des juges. Peut-être le juge Breyer est-il plus tolérant – ou plus éclairé – que ceux qui, comme Kant, croient que la mort est la seule punition juste pour qui a pris une vie. Je n’oserais pas dire à des parents dont la vie a été brisée pour toujours par le meurtre brutal d’un enfant que l’emprisonnement à vie est une punition suffisante.
Et finalement, le juge Breyer spécule qu’il ne « semble pas probable » que la peine de mort ait un effet dissuasif « significatif ». Cela me paraît à moi très probable, comme le prouvent des études statistiques. Mais nous, les juges fédéraux, vivons dans un monde distinct de celui de la grande majorité des Américains. Après le travail, nous retournons dans des maisons de banlieues résidentielles ou des cages dans des gratte-ciel avec des vigiles devant la porte. Nous ne sommes pas confrontés à la menace de la violence qui est toujours présente dans la vie quotidienne de tant d’Américains. La proposition selon laquelle l’effet dissuasif incrémental du châtiment capital ne semble pas « significatif » reflète, me semble-t-il, un défaut de mémoire du style « qu’ils mangent de la brioche ! » vis-à-vis des besoins des autres. Laissons le peuple décider quelle dissuasion incrémentale est pertinente.
Bien sûr, ce délai est un problème pour la Cour elle-même. Comme le juge Breyer l’admet, pendant plus de 160 ans, les condamnations à mort furent exécutées en moyenne dans les deux ans ou moins. Mais en 2014, il nous dit que cela a pris en moyenne 18 ans. Que s’est-il passé dans les années intermédiaires ? Rien d’autre que la prolifération d’un labyrinthe de restrictions de la peine de mort, édictée par cette Cour en vertu de l’interprétation du Huitième amendement qui l’habilite à prédire « les standards évolutifs de décence qui sont la marque d’une société évoluée » – une tâche pour laquelle nous sommes éminemment mal armés. De fait, durant les deux décennies passées, le juge Breyer a été le tambour-major de cette parade. Son invocation des délais consécutifs comme motifs d’abolition de la peine de mort conduisent à ne pas perdre de vue l’homme condamné à mort pour avoir tué ses parents, qui plaide la clémence au motif qu’il est orphelin. Amplifiant le surréalisme de son argument, le juge Breyer utilise le fait que de nombreux États ont aboli la peine de mort – l’ont abolie précisément à cause des coûts imposés par ces décisions suspectes – pour conclure à son caractère aujourd’hui « exceptionnel » (avertissement au lecteur : n’utilisez pas l’arithmétique créative que le juge Breyer emploie en comptant le nombre d’États qui appliquent la peine de mort quand vous préparez votre prochaine déclaration de revenus ; en-dehors du monde de notre jurisprudence d’inspiration abolitionniste relative au Huitième amendement, elle sera considérée davantage comme une fausse déclaration que comme un calcul).
Si nous devions emprunter le chemin tracé pour nous par le juge Breyer en examinant une fois encore la constitutionnalité de la peine de mort, je demanderais que ce conseil étudie la possibilité que nos arrêts qui, depuis Trop, ont abandonné la compréhension historique du Huitième amendement, soient renversés. Cette affaire a causé plus de tort à notre jurisprudence, à notre système fédéral, et à notre société qu’aucune autre qui vient à l’esprit. L’opinion dissidente du juge Breyer est la négation vivante du principe de Trop selon lequel cette Cour a la capacité de reconnaître des « standards évolutifs de décence ». À maintes reprises, le Peuple a voté pour exiger que la peine de mort soit la punition des crimes les plus graves. À maintes reprises, cette Cour a confirmé ce choix. Et, à maintes reprises, une minorité bruyante de cette Cour a insisté sur le fait que les choses avaient « radicalement changé », et s’est efforcée de substituer aux jugements du Peuple ses propres standards de décence.
La peine capitale soulève des questions morales auxquelles les philosophes, théologiens et hommes d’État sont confrontés depuis des millénaires. Les auteurs de notre Constitution étaient profondément en désaccord sur ce point. Pour cette raison, ils ont géré ce désaccord comme ils l’ont fait pour de nombreuses autres questions controversées : ils ont laissé le Peuple décider. En s’arrogeant le pouvoir de renverser cette décision, le juge Breyer ne rejette pas seulement la peine de mort, il rejette les Lumières.
Pour citer cet article :
Antonin Scalia « Glossip et al. v. Gross et al. No. 14-7955, 576 U.S. (2015) - Opinion concordante », Jus Politicum, n°18 [https://juspoliticum.com/articles/Glossip-et-al-v-Gross-et-al-No-14-7955-576-U-S-2015-Opinion-concordante]